mardi 4 mars 2025

Discussions Trump - Poutine – Derrière les jeux de rôle, des buts inavoués ? (suite - 3)

Nous avons assisté au spectacle, la semaine dernière, de mises en scène théâtralisées des débats sur l’avenir du monde, à la sauce Trump. Dans ce contexte, je prolonge la réflexion entamée dans mes deux précédents article de blog : le 14 février avec « Discussions Trump – Poutine – les nécessités d’un recadrage » et le « Discussions Trump - Poutine - Pour la paix, l’Europe est-elle l’horizon ultime ? (suite – 2) ».
J’ai terminé mon précédent article par cette réflexion : "les intentions nobles affichées par les dirigeants européens, de défense de la paix et de la sécurité en Europe, sont-elles les seules raisons de cette course aux militarisations ?"
La Chine, ennemi principal
Aux États-Unis, depuis le président Obama, il est devenu clair que l’objectif ultime de la politique états-unienne est de se préparer à un affrontement avec la Chine à l’horizon 2040-2050. Obama avait commencé de recentrer la politique US vers le Pacifique. Jo Biden avait conservé l’objectif, tout en étant repris par son ancien tropisme de la Guerre froide contre le traditionnel ennemi russe. Donald Trump n’a pas abandonné cet objectif final mais on peut estimer qu’en homme d’affaires pragmatique, il ne veut pas disperser ses forces et son argent sur des objectifs secondaires pour lui. Cela explique son souhait de mettre de côté le conflit ukrainien, de ne pas perdre de temps en affrontements avec la Russie pour se concentrer sur l’adversaire principal sur le plan commercial et stratégique que constitue la Chine.
Du côté européen, ne nous trompons pas d’analyse, la Chine est aussi l’adversaire fondamental. Dans un discours aux ambassadeurs, Emmanuel Macron avait parlé de la Chine comme « adversaire existentiel », analyse alors partagée par plusieurs dirigeants européens. En avril 2019, Bruxelles avait souligné que la Chine était un « concurrent économique en quête de leadership technologique, un rival systémique promouvant des modes alternatifs de gouvernance ». Le moyen d’atteindre l’objectif est différent de celui de Trump. Les dirigeants de l’Union européenne, allemands au premier plan, puis rejoints par Emmanuel Macron depuis un an, ont adopté une autre stratégie. Il faut écraser la Russie économiquement, militairement et politique (c’est la politique de « la paix par la force » d’Ursula von der Leyen) afin qu’elle ne puisse constituer demain un allié utile pour la Chine. C’est cette stratégie qui sous-entend les appels des dernières années à réaugmenter les budgets militaires, d’abord à 2 % du PIB, ce qui a été atteint globalement presque partout en Europe en 2024, puis maintenant à 3,5 % puis 5 % en se servant des déclarations outrancières de Donald Trump.
Cela explique le choix fait ces jours par les dirigeants européens de focaliser leurs déclarations politique sur « l’Europe de la Défense » et non « l’Europe de la sécurité commune », dont j’ai montré les conséquences dans mon dernier article.
La militarisation européenne
Approfondissons ce que signifient certains projets tels que la « défense européenne » ou la création d’un OTAN européen. Leur justification militaire devant une menace « d’agression russe » généralisée contre l’Europe, mérite pour le moins débat. Nous ne sommes plus au temps du pacte de Varsovie et de l’URSS avec des centaines de milliers d’hommes, de chars mobilisables. Toutes les études sérieuses aujourd’hui montrent que sur le plan conventionnel, les pays européens, avec ou sans l’OTAN, ont une supériorité militaire sur la Russie. On a vu l’état réel de l’armée russe et les difficultés qu’elle a eues à occuper une ligne de front de moins de 1000 km de large et d’une centaine de profondeur, y compris en termes d’approvisionnement en carburant. Pourrait-elle demain élargir un théâtre d’opérations, y compris dans une grande profondeur ? L’OTAN n’a pas disparu par magie, d’un claquement de doigt de Trump et il est peu probable que les militaires américains, présents dans toutes les chaînes de commandement, acceptent sans réagir un changement d’orientation complet du nouveau Dr Folamour de la Maison Blanche.
En même temps, l’histoire nous enseigne que les armes fabriquées servent un jour ou l’autre : la relance de la course aux armements en Europe aurait bien sûr des conséquences sur la militarisation des autres continents, et conduirait inéluctablement à de nouveaux affrontements meurtriers. Est-ce le monde que nous voulons laisser à nos enfants ?
Comment fonctionne cette stratégie sur le plan français ?
Le tournant dans les positions politiques d’Emmanuel Macron sur le plan européen, s’est produit en février 2024 quand il s’est rangé résolument du côté des militaristes,en évoquant l’envoi de troupes en Ukraine et en insistant sur la nécessité du « réarmement » de la France. Il n’a cessé depuis de surfer sur cette thématique. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette évolution. La première est  de trouver la bonne posture lui donnant une stature internationale qu’il a du mal à incarner.  
La seconde, sur le plan intérieur, est celle d’endosser le costume du chef des armées, du « chef de guerre » lui donnant là aussi une autre stature pour affronter les aléas de la politique intérieure. La dramatisation actuelle de son discours sur la guerre ne participe-t-elle pas un peu de cette orientation ?
Posture risquée car en France, porter les dépenses militaires à 5 % du PIB signifierait augmenter le budget militaire de plus de 80 milliards d’euros !
Le très sérieux site https://www.opex360.com/  pose d’ailleurs la question de savoir « comment les armées seront en mesure de dépenser une telle somme dans la mesure où les programmes d’armement ne peuvent pas aller « plus vite que la musique ». En outre, il faudrait que la Base industrielle et technologique de défense puisse suivre la cadence, de même que le recrutement ».
Quand on sait que l’objectif budgétaire du gouvernement était de diminuer les dépenses de 70 Mds, que la Cour des comptes estime qu’il faut économiser 30 Mds sur les retraites d’ici 2030, c’est un tsunami social qui est préparé par le pouvoir ! Comment le faire accepter sans le justifier par une situation mondiale dramatisée à l’extrême ? Nous avons un exemple de cette propagande en cours d’élaboration avec la phrase ridicule de Jean-Noël Barrot : « la ligne de front ne cesse de se rapprocher de nous » !
On ne peut s’empêcher de relier cette situation à ce qui est la préoccupation politique principale d’Emmanuel Macron ; comment rester au pouvoir après 2027 ? La première voie est de l’ordre de la modification constitutionnelle, ce qui explique la nomination d’un homme lige comme Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel. La seconde voie pourrait être, selon certains politologues, celle de la situation exceptionnelle de crise, justifiée par la menace d’une guerre, qui pourrait déboucher sur des formules d’état d’urgence, décalant les échéances électorales.
Hypothèses conspirationnistes, me direz-vous ? Pour ne pas tomber dans ce travers, j’avance effectivement ces réflexions avec prudence. Mais je le répète, nous sommes dans une période de théâtre d’ombres, où la communication de crise, les mises en scène, l’utilisation des réseaux sociaux visent à brouiller les réflexions lucides et les reculs nécessaires.
Nous avons en tout cas un repère d’expériences vécues : celle de ces 25 dernières années. Toutes les tentatives de solutions militaires aux crises (Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, zone saharienne) ont échoué et ont conduit à l’aggravation des situations. Priorité aux solutions politiques et diplomatiques comme nous y enjoint l’article 1 de la Charte des nations unies, voilà ce qui doit rester notre boussole.
Daniel Durand – IDRP
4 mars 2025
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jeudi 27 février 2025

Discussions Trump - Poutine - Pour la paix, l’Europe est-elle l’horizon ultime ? (suite - 2)

 Je poursuis la réflexion entamée le 14 février dernier dans mon article de blog, « Discussions Trump – Poutine – les nécessités d’un recadrage ».

Dans cette situation nouvelle, des discours inquiétants appellent à renforcer militairement l’Union européenne, à créer une véritable « défense européenne », en augmentant considérablement les dépenses militaires en créant ainsi un nouveau bloc militarisé.

C’est une erreur au moins pour deux raisons. La première est que l’avenir de la paix dans le monde et d’une sécurité mutuelle solide, ne reposera pas demain sur la création et l’affrontement de blocs antagonistes aux alliances fluctuantes. La seconde est que la sécurité en Europe ne peut être que commune et collective englobant tous les pays du continent, y compris la Russie.

Mutipolarité ou multilatéralisme ?

Le monde multipolaire est une illusion, ce serait la répétition de la situation chaotique des alliances avant la guerre 1914, qui a provoqué le déclenchement de la 1ère Guerre mondiale. L’avenir de la paix dans le monde repose sur le renforcement, non de la multipolarité et de la compétition mais du multilatéralisme et de la coopération. Il importe de ne pas confondre les deux notions. La première notion est une survivance de la vieille notion du choc des puissances, datant d’avant les deux Guerres mondiales. La seconde notion s’est vivifiée, il y a 80 ans, après le choc de la 2e Guerre mondiale, avec la création des Nations unies, appuyée sur leur Charte. Cette idée neuve d’unir les peuples de la planète, autour d’une « copropriété commune », la structure onusienne, avec un « règlement de copropriété », la Charte des Nations unies s’est heurtée pendant huit décennies, à des oppositions énormes de toutes les puissances, politiques et économiques. Celles-ci ont cherché, en permanence, à minimiser la place des peuples dans la gouvernance internationale. Malgré cela, en créant un réseau onusien embrassant toutes les activités humaines de notre planète, en développant un droit international de plus en plus présent, le multilatéralisme demeure l’idée neuve du 21e siècle. Il constitue la seule perspective d’avenir, face aux nostalgiques de la puissance étatique qui se manifestent de temps à autre. Les coups de boutoir, donnés par MM Trump et Poutine, cette semaine à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité, ne sont que des péripéties à l’échelle de l’histoire.

Se battre pour le multilatéralisme implique d’agir vigoureusement pour la démilitarisation des relations internationales, le renforcement des traités de désarmement et du droit international, la revalorisation de la place des Nations Unies comme enceinte planétaire.

Refuser que l’Europe s’inscrive dans une politique des blocs ne signifie pas que l’Union européenne s’efface, mais que son potentiel politique soit mis pleinement au service des Nations unies, de leur action pour la paix et le respect du droit international. Soyons clairs, cela ne signifie pas non plus que l’Europe se désarme mais que son potentiel militaire, ses pôles d’excellence (capacité d’observation, de cybersécurité, d’actions de maintien ou de consolidation de la paix fournissent réellement une boîte à outils pour des engagements plus efficaces de l’ONU dans ses missions de préservation et de consolidation de la paix.

Quelle sécurité commune ?

L’avenir de l’Europe suppose un débat non biaisé (contrairement à celui d’aujourd’hui) sur les conditions de la sécurité commune en Europe. Il y aura cinquante ans cette année, en juillet 1975, après des années de discussions et négociations, tous les pays d’Europe, de l’Ouest et de l’Est, réussirent à conclure les accords d’Helsinki qui jetaient les bases d’une sécurité commune sur le continent. Cela a duré pendant vingt ans jusqu’à ce que les pays occidentaux considèrent, après la fin de la Guerre froide et la chute du mur de Berlin, qu’ils avaient gagné un affrontement sur les anciens pays de l’Est. Ils en déduisirent que la sécurité collective n’avait plus besoin d’être commune mais qu’elle pouvait reposer sur les seules épaules du vainqueur, l’OTAN et sur le plan économique, l’Union européenne. C’est de ce changement de paradigme que découlent les crises des trois dernières décennies. Et même si, en face, des « monstres » comme Poutine ou Loukachenko, sont apparus et qu’ils portent l’entière responsabilité de leurs actes, ce sont eux qui ont créé le contexte du nouveau théâtre d’opérations.

Il est temps de dire et de comprendre qu’il n’y aura pas d’issue militaire aux crises en Europe, comme il n’y en avait pas au début des années 70 et qu’il est temps, et même urgent, de remettre en chantier, la définition de la sécurité collective commune en Europe.

Cela passe par des accords de paix provisoires en Ukraine, qui ne pérennisent aucune entorse au droit international, par des conférences de paix thématiques sur les grandes questions économiques comme l’énergie, les questions cyber, par la relance d’accords de désarmement et de démilitarisation. Ce travail diplomatique acharné pourrait déboucher demain sur la tenue d’une grande Conférence paneuropéenne de sécurité collective et sur un nouvel accord global de sécurité commune. Cet accord devrait avoir parmi ses buts prioritaires de refonder et renforcer l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), principal outil au service de la sécurité collective européenne.

Cela ne sera pas simple, ne serait-ce que par le niveau de désinformation et de propagande généré par les deux blocs. Cela suppose une action politique vigoureuse dans les opinions publiques pour dévoiler toutes les données ou démonter certaines idées reçues.

S’inscrire résolument dans la vision d’un monde vraiment multilatéral et dans la construction d’une sécurité commune collective en Europe justifie que les futures forces de maintien de la paix en Ukraine doivent avoir une dimension onusienne.

Comme je l’ai déjà écrit, la paix en Europe, ne concerne pas que les Européens. Les autres continents sont soucieux des risques d’un durcissement de la guerre en Europe.

Les dirigeants politiques européens sont assez intelligents dans leur majorité pour voir les risques et les conséquences des choix en débat actuellement. Les intentions nobles affichées par eux, de défense de la paix et de la sécurité en Europe, sont-elles les seules raisons de cette course aux militarisations ? J’y reviendrai dans un prochain article.

Daniel Durand – IDRP

27 février 2025

lundi 17 février 2025

Intelligence artificielle : pour la paix ou pour la guerre ?

Le « Sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle », tenu à Paris la semaine dernière, a suscité beaucoup de débats et d’interrogations, mais pas assez à mon sens sur la question du rapport entre l’IA et la guerre. Le mathématicien Cédric Vilani est un des seuls à mettre au premier plan cette problématique : « Par rapport à la paix, l’équité et la trajectoire écologiquement viable, les trois questions qui forment les grands critères actuels de progrès, l’intelligence artificielle représente au mieux une difficulté supplémentaire, au pire une catastrophe, au même titre que la bombe nucléaire pouvait constituer à la fois un sujet scientifique et intellectuel passionnant, mais aussi une invitation à la destruction de l’humanité » (journal l’Humanité du 9 février 2025).
En effet, l’intelligence artificielle (IA) transforme profondément la guerre moderne en influençant les stratégies, les armes et la cybersécurité. Son intégration soulève des questions éthiques et légales, notamment sur l’autonomie des systèmes et la responsabilité des actions de guerre entreprises avec son aide. J’y ai consacré une trentaine de pages dans mon dernier livre « La paix, c’est mon droit » (BoD éditeur), au travers du questionnement sur les drones armés, sur les SALA (armes autonomes), la cyberguerre.
Faisons rapidement une revue de détail.
Les drones armés
Concernant les drones armés, l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) a transformé leur fonctionnement, augmentant leur autonomie, leur précision et leurs capacités d’analyse en temps réel.
Elle leur permet de naviguer sans intervention humaine, de détecter des cibles et de prendre des décisions en temps réel. Surtout, grâce à elle, des essaims de drones coordonnent leurs actions de manière presque autonomes pour maximiser l’efficacité des attaques et des missions de reconnaissance.
L’usage de drones dans les conflits soulève des problèmes politiques, juridiques, éthiques et de sécurité internationale. Ces armes télécommandées favorisent l’emploi extraterritorial de la force.
Dans une résolution du 27 février 2014 (2014/2567 (RSP)), le Parlement européen a estimé que « les frappes de drones, alors qu’aucune guerre n’a été déclarée, menées par un État sur le territoire d’un autre État sans le consentement de ce dernier ou du Conseil de sécurité des Nations unies, constituent une violation du droit international ainsi que de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de cet État ».
Il semble urgent que le contrôle des drones armés soit intégré dans les enceintes traitant du désarmement au sein des Nations unies pour progresser sur les voies du contrôle, de la limitation d’usage, voire de l’interdiction de ces nouvelles armes.
Dans les cinq dernières années, l’usage de ce type de drones s’est développé, soit dans les actions contre des groupes terroristes comme au Mali, soit dans des opérations de guerre comme en Ukraine actuellement. Selon Agnès Callamard, rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, une dizaine de pays en ont déjà employé pour recourir à l’élimination d’une « cible terroriste qui représente une menace potentielle, non définie, pour l’avenir » en dehors de tout contexte de guerre interétatique. Selon cette experte, la neutralisation du général Qassem Soleimani le 3 janvier 2020 a marqué un tournant dans l’emploi de ces systèmes, quand « pour la première fois, un drone armé par un État a pris pour cible un haut fonctionnaire d’un État étranger et l’a fait sur le territoire d’un État tiers ».
Depuis, les exécutions de dirigeants du Hamas en Iran, au Liban, soit par des drones, soit par l’explosion provoquée à distance de téléphones satellites, ont représenté une escalade dans la négation du droit international.
Du point de vue militaire, l’intelligence artificielle a franchi un nouveau pas et permet aujourd’hui à des drones de mener des attaques autonomes, notamment par la technique dite de l’« essaim » [ensemble coordonné de drones]. Si on combine les drones et les algorithmes, il est possible de développer une attaque massive si on accroît leur autonomie. Or, aujourd’hui dans la guerre d’Ukraine, Russie et Ukraine fabriquent chaque année des millions de drones. Selon RFI du 12 janvier dernier, l’Ukraine utilise jusqu’à 10 000 drones de toute nature par jour !
Les SALA
Au niveau des Systèmes d’Armes Létales Autonomes (SALA), l’intelligence artificielle joue un rôle clé dans leur développement, en améliorant leur précision et leur autonomie, ce qui soulève de nombreuses préoccupations éthiques et légales. Au premier plan de celles-ci, l’absence d’un opérateur humain capable de corriger une erreur de l’IA, le risque de non-respect par des SALA des principes de distinction et de proportionnalité du droit humanitaire.
En effet, pour être conformes au droit international humanitaire, elles devraient être capables de faire la distinction entre civils et combattants. Peut-on accepter en conscience que les machines puissent avoir un pouvoir de vie et de mort sur le champ de bataille ? Qui serait responsable dans le cas où l’utilisation d’une arme autonome entraînerait un crime de guerre : le programmeur, le fabricant ou bien le chef militaire qui déploie l’arme ?
À ces risques éthiques, il faut ajouter leur tendance “automatique” à faciliter la course aux armements.
L’emploi de « robots tueurs » modifie le rapport des autorités politiques au recours à la force. « Envoyer des robots plutôt que des personnes sur la ligne de feu […] reviendrait à faciliter la décision d’entrer en guerre, générant ainsi davantage de conflits » s’inquiète un membre de la coalition « Stop killer robots ». 53 ONG venant de 25 pays se sont en effet rassemblées depuis avril 2013 au sein d’une coalition intitulée « Campaign to stop killer robots ».
De nombreuses ONG et experts militent pour l’interdiction des SALA par le biais de traités internationaux. Un traité est en discussion à l’ONU mais les négociations piétinent.
Le « soldat du futur »
Un des aspects de la militarisation de l’IA réside aussi dans son rôle accru dans le concept de « soldat du futur ».
Des technologies basées sur l’IA améliorent les capacités physiques et cognitives des soldats, en utilisant des exosquelettes, en réduisant la fatigue et en augmentant la réactivité des soldats, enfin en améliorant l’interaction entre le cerveau humain et les systèmes de combat (contrôle direct des drones et autres équipements militaires).
Ces recherches visent à modifier les techniques de combats sur le terrain en combinant la gestion des décisions opérationnelles, ces nouveaux soldats et l’utilisation de Véhicules de combat autonomes, capables de détecter et d’engager des cibles sans intervention humaine.

Le ciblage automatique
Une des plus récentes applications de ces concepts a été à l’œuvre lors des bombardements israéliens sur Gaza.
Les Forces de Défense Israéliennes (FDI) ont utilisé un système d’IA surnommé « The Gospel » pour identifier et sélectionner des cibles. Ce système analyse des données pour recommander des cibles potentielles, telles que des combattants, des lance-roquettes ou des postes de commandement. Un analyste humain valide ensuite ces recommandations avant de les transmettre aux unités opérationnelles.
Le système a pu générer jusqu’à 100 cibles potentielles par jour, contre 50 par an auparavant. Cette rapidité a conduit à une intensification des frappes, avec plus de 22 000 cibles frappées à Gaza, soit un rythme quotidien plus de deux fois supérieur à celui du conflit de 2021.
Deux médias israéliens ont révélé aussi le rôle d’un autre système d’IA, appelé “Levender”, conçu pour identifier des responsables du Hamas comme cibles. Selon les interviews réalisées par ces médias, les dégâts seraient encore plus préoccupants, avec des ciblages systématiques des familles de terroristes la nuit, ce qui amènerait des taux de « dommages collatéraux » entre 20 tués et 100 tués innocents pour un terroriste tué (selon son importance politique supposée).
Les critiques soulignent le risque de « biais d’automatisation », où les opérateurs font une confiance excessive aux recommandations de l’IA sans validation approfondie. Cela entraîne une tendance à accepter une part de plus en plus importante de « dégâts collatéraux acceptables » pour être plus “efficaces”.
Espace et nucléaire

L’IA joue aussi un rôle bien sûr très important dans les systèmes militaires “lourds” que constituent la militarisation de l’espace et les armements nucléaires.
Sa place est essentielle notamment dans la gestion des satellites, la surveillance orbitale et les systèmes d’armement autonomes. Elle améliore la surveillance des satellites et détecte les menaces en temps réel grâce à des systèmes comme le Space-Based Infrared System (SBIRS). Mais elle est utilisée aussi pour contrôler des drones et des systèmes offensifs en basse orbite terrestre. L’absence de régulation claire et les risques d’escalade nécessitent une réflexion approfondie pour éviter des conflits incontrôlables dans l’espace.
Concernant les armements nucléaires, l’intelligence artificielle joue un rôle croissant dans la gestion et la stratégie des armes nucléaires, en influençant la détection des menaces, la prise de décision et les systèmes de commandement et de contrôle.
Certaines études suggèrent que l’IA pourrait un jour jouer un rôle dans la gestion autonome des ripostes nucléaires, ce qui représente un danger majeur. En effet, elle pourrait rendre les systèmes nucléaires plus vulnérables aux cyberattaques ou à des erreurs de calcul stratégique, mettant en cause la fiabilité même du concept « rationnel » de dissuasion. Elle pose ainsi de graves risques pour la stabilité stratégique mondiale. Ce qui ne peut que conforter les partisans de l’interdiction totale des armes nucléaires.
Ce rapide tour d’horizon montre à quel point il faut prendre conscience des risques supplémentaires que fait peser l’introduction de l’Intelligence artificielle dans le domaine militaire.
Quelle réglementation ?
À ce jour, aucun traité international de désarmement spécifiquement dédié n’a été adopté. Cependant, plusieurs initiatives et discussions sont en cours pour en encadrer l’utilisation dans le domaine militaire :
• Conseil de l’Europe : Le Conseil de l’Europe a adopté le 17 mai 2024, une Convention-cadre sur l’intelligence artificielle et les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit. Après sa signature le 5 septembre 2024, elle est devenue le tout premier traité international juridiquement contraignant dans ce domaine.
• OTAN : En 2021, l’OTAN a publié une stratégie sur l’IA, soulignant l’importance de son utilisation responsable dans les applications de défense et de sécurité. Bien que cette stratégie ne constitue pas un traité de désarmement, elle établit des principes pour l’intégration de l’IA dans les opérations militaires, en mettant l’accent théoriquement sur la nécessité de respecter le droit international et d’éviter une course aux armements basée sur l’IA.
• Instances internationales : La Convention sur certaines armes classiques (CCAC) est un cadre international visant à restreindre ou interdire l’utilisation de certaines armes considérées comme inhumaines. Depuis 2014, la CCAC a initié des discussions spécifiques sur les systèmes d’armes létaux autonomes (SALA), qui intègrent des technologies d’intelligence artificielle (IA).
En 2023, un projet de résolution proposé par l’Autriche a été adopté, prévoyant la rédaction d’un rapport sur les SALA sous les auspices du Secrétaire général de l’ONU, impliquant divers acteurs tels que les États Membres, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la société civile et la communauté scientifique. Mais sa procédure d’adoption piétine et provoque l’impatience des ONG comme Human Rights Watch a cofondé la coalition Stop Killer Robots (« Stopper les robots tueurs »). Celle-ci demande une nouvelle loi internationale sur l’autonomie des systèmes d’armes.
Pour le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), il est essentiel que la communauté internationale adopte une approche véritablement centrée sur l’humain dans le développement et l’utilisation de l’IA dans les zones touchées par les conflits.
La position française
Quant à la France, elle met officiellement l’accent sur le respect du droit international et le maintien d’un contrôle humain sur les systèmes d’armes. Le ministère des Armées a clairement indiqué que la France ne développera pas de « robots tueurs » et insiste sur la nécessité de conserver un contrôle humain dans les décisions d’engagement.
Mais, parallèlement, la France reconnaît l’importance stratégique de l’IA dans le secteur de la défense. Un investissement de 2 milliards d’euros est prévu d’ici 2030 pour développer des applications d’IA militaire. Cette initiative comprend la création de l’Agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad), dont l’objectif est de centraliser les recherches et d’accélérer la mise en œuvre de projets innovants sur le terrain.
La guerre d’Ukraine semble servir de terrain d’expériences. Le colonel Olivier Pinard-Legry, conseiller intelligence artificielle auprès du ministre des Armées, explique ainsi : « Pour optimiser les interactions, par exemple, entre les canons Caesar et les drones, des projets sont en cours en France et servent aussi en Ukraine. Vous envoyez un drone, il va identifier lui-même des cibles, va envoyer les coordonnées et automatiquement le canon peut rallier sur cette position-là » (RTL – 12/07/2024).
Alors, divorce ou double jeu entre le discours officiel et les actes ? Raison de plus pour profiter de l’actualité qui a mis la place de l’Intelligence artificielle en lumière pour débattre de ce pan considérable des enjeux : une IA pour la paix, le bien-être ou pour la guerre et l’oppression ?

Dans une perspective éthique, les dirigeants de l'Église catholique ont publié ce 28 janvier dernier un  document  qui décrit le cadre éthique de l'Église sur l'utilisation de l'IA dans la guerre et souligne la nature problématique de la militarisation de l'IA. « Les atrocités commises tout au long de l'histoire suffisent à susciter de profondes inquiétudes quant aux abus potentiels de l'IA », indique le document. « Aucune machine ne devrait jamais choisir d'ôter la vie à un être humain ».
Le pape François a demandé aux armées de cesser l'utilisation de ces systèmes en affirmant qu'il s'agissait d'un « engagement effectif et concret à introduire un contrôle humain toujours plus grand et plus adéquat ».
Ces interrogations éthiques ne sont pas seulement celles d’autorités religieuses. Elles sont exprimées par nombre d’associations et ONG. Ainsi, Amnesty international, avec d’autres ONG, s’est exprimée en marge du Forum de Paris. Elle alerte l’opinion dans le point 4 des risques énumérés : « Des armes sont aujourd’hui capables, seules, sans intervention humaine, d'attaquer des cibles. Capables de décider de qui vit et de qui meurt. Une machine ne devrait pas pouvoir décider de la vie ou la mort d’une personne. Des négociations pour faire évoluer le droit international sur la question de l’autonomie des systèmes d’armes sont essentielles. Car c’est un ensemble de droit qui est menyhbacé par ces armes autonomes ».
Il me semble que c’est cette interrogation qui devrait être aujourd’hui au cœur de la réflexion de chaque citoyen et citoyen, de chaque responsable politique.

Daniel Durand – IDRP
16 février 2025

vendredi 14 février 2025

Discussions Trump - Poutine - les nécessités d'un recadrage

L'annonce par Donald Trump d'ouverture de discussions avec Vladimir Poutine sur une solution politique à la guerre russo-ukrainienne n'a été une surprise que pour ceux qui ont bien voulu être surpris. Depuis le début de l'hiver tant la probable arrivée au pouvoir de Trump que la situation sur le terrain militaire en Ukraine laissaient prévoir que la question de l'issue politique devenait de plus en plus probable. Les pertes ukrainiennes, les difficultés pour les troupes de Zélensky à maintenir le niveau d'armement nécessaire étaient évidentes, même si l'avantage russe se payait par des pertes humaines considérables avec un niveau de dépenses militaires pesant de plus en plus fortement sur l'économie. Enfin, il ne pas fallait négliger les informations diffusées au compte-goutte de chaque côté sur la lassitude grandissante dans l'opinion publique russe devant la guerre, lassitude devenue majoritaire en Ukraine, où plus de 100 000 soldats ont été inculpés en vertu des lois ukrainiennes sur la désertion depuis l'invasion massive du pays par la Russie en 2022. En 2024, l'Ukraine a ouvert 60 000 dossiers de désertion, soit deux fois plus qu'au cours des deux années de guerre précédentes.

Pourquoi la France et l'Allemagne n'ont-elles pris plus tôt l'initiative d provoquer elles-mêmes un processus politique pour explorer les possibilités d'ouverture de discussions publiques ?
Elles seraient aujourd'hui dans une bien meilleure posture diplomatique et ne seraient pas mises devant le fait accompli. Comme je l'ai écrit plusieurs fois dans des articles, il ne faut pas oublier l'obligation faite par la Charte des Nations unies dès son préambule de la Charte qui exprime les objectifs fondamentaux de l’ONU, notamment : "Préserver les générations futures du fléau de la guerre" et "recourir à des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, pour le règlement des différends internationaux". Cela établit une obligation morale et politique pour les États membres de rechercher une solution diplomatique aux conflits.
Cette obligation est renforcée par l’Article 1 qui précise qu'il faut maintenir la paix et la sécurité internationales, y compris par "des mesures efficaces de prévention et d’élimination des menaces contre la paix" ; "développer des relations amicales entre les nations, fondées sur l’égalité des peuples et le respect du droit international ; réaliser la coopération internationale pour résoudre les conflits par des moyens pacifiques".
Cela signifie que les États membres du Conseil de sécurité ont aussi une obligation formelle d’agir pour une solution politique, et pas seulement une responsabilité morale.
Au bout de trois ans de conflit, les États membres du Conseil de sécurité ne peuvent plus se contenter d'invoquer "le droit de l'Ukraine à la légitime défense individuelle ou collective en cas d'agression armée", inscrit dans l'article 51 de la Charte des Nations Unies, sans mettre aussi en application la deuxième partie de cet article qui précise "jusqu'à ce que le Conseil de sécurité prenne les mesures nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales". Les États membres du Conseil de sécurité auraient dû depuis plusieurs mois prendre des mesures pour trouver une issue politique au conflit. Le possible usage du droit de veto par la Russie ne peut être un prétexte à l'absence d'initiatives.
Aujourd'hui, la démarche volontariste de Trump envers Poutine crée une situation nouvelle : deux membres permanents du Conseil de sécurité amorcent un processus politique.
L'enjeu politique n'est pas de pleurnicher ou de protester contre cette démarche qui a un caractère unilatéral évident mais de la replacer dans le contexte du droit international et de la Charte des Nations unies.
Tout en critiquant les dimensions de coup de force et de droit du plus fort que sous-tend cette démarche, certains dirigeants européens voudraient en profiter pour faire avancer de nouvelles militarisations, en terme de défense européenne, voire de création d'un "OTAN européen" bis; C'est un véritable danger !
Au contraire, il s'agit de remettre les Nations unies, le droit international au centre du jeu. Il est nécessaire que des pays, membres permanents du Conseil de sécurité comme la France, prennent l'initiative d'initier une convocation du Conseil de sécurité pour examiner la démarche et surtout pour lui donner un cadre multilatéral. Cela suppose que le Secrétaire général des Nations unies soit associé aux discussions, que l'Ukraine le soit bien sûr, que soit consultés les autres membres du Conseil de sécurité, des représentants de l'Union européenne.
Demain, également, l'implication du seul organisme européen de sécurité qui inclut pays occidentaux et Russie, c'est-à-dire l'OSCE (Organisme pour la sécurité et la coopération en Europe) doit être incontournable. Le contenu final de cet accord doit être conforme à la Charte des Nations unies en respectant la souveraineté des États, les principes de sécurité humaine et de droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
En résumé, il s'agit d'agir avec fermeté pour transformer une initiative, qui a un caractère unilatéral, en un véritable processus multilatéral, conforme au droit international.

Daniel Durand - IDRP
14 février 2025

dimanche 9 février 2025

Gaza : prolonger le cessez-le-feu, une priorité ! (Même avec Trump ! – suite)

J'écrivais le 2 février dernier sur mon blog : « Ne nous trompons pas d’objectif politique prioritaire ! Nous sommes devant ce défi de taille : avec la bataille pour la permanence du cessez-le-feu à Gaza, allons-nous enfin construire un vrai rapport de force pérennisant le silence des armes et permettant de construire les bases de la construction d’une paix, d’une sécurité, d’une communauté de vie entre les peuples du Moyen-Orient ?»
Le fait que  Donald Trump ait annoncé, le mardi 4 février, vouloir que les États-Unis prennent le contrôle de la bande de Gaza, change-t-il les priorités politiques au Moyen-Orient ?
À mon avis, non
, car sur le terrain, la situation des populations n’a encore que peu changé. Il reste encore 70 otages israéliens à rendre à leurs familles. Leur situation tend à se dégrader. La Croix-Rouge internationale a appelé, dans un communiqué, à ce que les prochains échanges entre prisonniers palestiniens et otages israéliens se déroulent de façon "digne et privée".  Des centaines de prisonniers palestiniens sont encore à libérer, des centaines et des centaines de tonnes de nourriture à faire parvenir à la population.
Le projet de Donald Trump est jugé irréaliste, dangereux, contraire au droit international par de très nombreux pays. 

Les responsables de JCALL (« le réseau juif européen pour Israël et pour la paix ») estiment qu’une « telle annonce met aujourd’hui en danger la vie des otages encore aux mains du Hamas. L’accord de cessez-le-feu doit se poursuivre pour aboutir à la fin de la guerre ».
Il est clair que des négociations politiques ne peuvent exister et se poursuivre que parce que les armes se sont tues sur le terrain. C’est pourquoi les opérations militaires que l’armée israélienne continue de mener en Cisjordanie sont autant de menaces sur la poursuite des discussions de paix.
C’est dans ce cadre déjà qu’il faut apprécier la nocivité des déclarations de Donald Trump : en menaçant de déporter la population de Gaza, elles ne peuvent que mettre en danger la vie des otages israéliens, priver de tout espoir les civils gazaouis qui veulent choisir eux-mêmes leur avenir.
Cela pose donc la question d’une deuxième exigence politique pour la communauté internationale : celle de tout faire pour protéger la population palestinienne, et d’abord celle de Gaza. En protégeant la population palestinienne de Gaza contre l’aventurisme des États-Unis, on protège aussi la population israélienne qui a tout à perdre de la déstabilisation politique de la région.
Protéger la population palestinienne ne peut signifier qu’une chose aujourd’hui : ACCÉLÉRER LA RECONNAISSANCE UNIVERSELLE DE L’ÉTAT PALESTINIEN !
L’existence d’un État palestinien, reconnu par la quasi-totalité des pays, notamment des pays européens, qui sont ceux qui traînent le plus, ce serait bloquer Trump dans ses projets insensés. Ceux-ci deviendraient alors de purs actes d’annexion de pays, d’agression envers un pays souverain, d’atteinte grave à la Charte des Nations unies.
Dans cette démarche, la France a une responsabilité de premier plan : elle peut permettre par le geste diplomatique fort de la reconnaissance officielle de la Palestine, de faire basculer l’Allemagne et tous les autres pays de l’Union européenne, rejoignant ainsi la démarche faite en mai 2024 par l’Espagne, l’Irlande et la Norvège. L’heure n’est plus aux finasseries diplomatiques. En juin 2024, Emmanuel Macron avait déclaré que "La France reconnaîtra l'État de Palestine quand cela sera l'élément qui permettra la paix et la sécurité de tous dans la région". C’est aujourd’hui le cas ; c’est la seule posture permettant de « recadrer » Donald Trump et Netanyahou et de les faire revenir à une approche plus réaliste de la situation.
C’est ce qu’a exprimé Hala Abou Hassira, ambassadrice, Chef de la mission de Palestine en France, le 5 février : « C’est le moment de protéger ce territoire en reconnaissant l’État de Palestine, afin de donner de l’espoir au peuple palestinien en premier lieu ».
Elle a ajouté que la paix «sera le résultat du respect du droit international et des droits fondamentaux, dont celui du peuple palestinien à l’autodétermination dans un État indépendant et souverain dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale. C’est la seule manière de vivre en paix avec Israël. L’établissement de l’État palestinien est le préalable à la paix ».
Fondamentalement, ce n’est pas différent de ce que pense Alain Rozenkier, responsable de « La Paix maintenant » pour qui, « C’est la solution la plus juste et la seule à même d’apporter la sécurité aux Israéliens et aux Palestiniens. Toute autre solution est chimérique et le nettoyage ethnique que propose Trump est obscène ».
Personne ne doute qu’un tel processus sera difficile, notamment du fait de l’attitude néo-fasciste des nouveaux colons implantés en Cisjordanie. Personne ne croit à un chemin bordé de roses.
Il y faudra aussi un changement de l’attitude des dirigeants américains. Peut-on penser que Trump pourra continuer et imposer, y compris aux milieux dirigeants à Washington, au Pentagone et à Wall Street, une politique aventuriste au Moyen-Orient au détriment des grands  enjeux géo-politiques dans le Pacifique, face à la Chine ?
Aux Européens d’être plus hardis dans le respect du droit international, et à leurs opinions publiques de faire pression plus fortement.

Daniel Durand – IDRP
9 février 2024

Cet article est en ligne sur le site du média d'informations Pressenza

 

lundi 3 février 2025

Gaza : prolonger le cessez-le-feu, une priorité !

Le cessez‑le‑feu en vigueur à Gaza, mis en place depuis deux semaines, constitue un répit temporaire mais essentiel dans un conflit qui a déjà causé d’immenses souffrances humaines et des destructions massives.
Rappelons que l’accord, négocié sous l’égide des États‑Unis, du Qatar et de l’Égypte, est entré en vigueur le 19 janvier 2025. Il prévoit une série de mesures échelonnées en trois phases :
– La première phase inclut la libération progressive d’otages israéliens (par exemple, 33 dans le premier lot, pour un total prévu d’environ 98) en échange de la libération de centaines de prisonniers palestiniens.
– Le retrait progressif des forces israéliennes de l’enclave et l’ouverture des passages frontaliers afin de permettre l’acheminement massif d’aide humanitaire (nourriture, médicaments, carburant, etc.) dans une zone ravagée par des bombardements intensifs.
— Ces mesures visent à poser les bases d’un cessez‑le‑feu permanent et, à terme, à ouvrir la voie à une solution politique globale du conflit israélo‑palestinien.
Cette semaine  sera cruciale dans les décisions sur le renouvellement ou non de cette accalmie.
Comment apprécier la portée politique de cet accord, qui peut apparaître fragile, et presque dérisoire, face aux défis posés du futur politique de la région, du chantier titanesque de la reconstruction ?
Je pense que le pire danger politique aujourd’hui serait de minimiser et relativiser la portée de ce qui est en train de se passer.
18 otages dont 13 israéliens et 5 thaïlandais ont été libérés après avoir vécu 484 jours de captivité dans des conditions très difficiles. Voyons ce que cela représente de soulagement pour leurs familles après des mois d’angoisse !
Mais il en reste encore 79 dont le sort est incertain.
Du côté palestinien, ce sont 583 détenus dans les prisons israéliennes, certains condamnés, parfois à perpétuité, et d’autres non encore jugés qui ont été libérés et accueillis par leurs familles lors de scènes de liesse.
Ce sont les scènes les plus médiatisées ; mais ces deux semaines de cessez-le-feu ont vu se dérouler d’autres événements dont on sous-estime l’importance.
Le cessez-le-feu a permis l’entrée à Gaza de 2 760 camions depuis le début de la trêve le 19 janvier, dont 2 593 camions transportant de l’aide humanitaire et de secours, et 167 camions transportant du carburant et du gaz de cuisine. 47 camions, seulement, avaient pu entre le 1er janvier et le 19 janvier !
Malgré les difficultés d’information, nous avons appris que près de 500 000 Palestiniens sont revenus dans le nord de la bande de Gaza depuis le 20 janvier, selon le bureau des Affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), après l’autorisation donnée par l’armée israélienne.
Ces civils, ces femmes et enfants ont voulu retourner auprès des ruines de ce qui était leur maison pour retrouver un lien avec leur vie d’avant. Rappelons que les estimations les plus faibles des Nations unies estiment à 47 000 le nombre de morts à Gaza, sur une population de 2,1 millions d’habitants. Cela représente 2,5 % de la population totale gazaouie. Rapporté à la France, cela donnerait le chiffre peu imaginable de 1,7 millions de morts français, soit exactement le même chiffre que le total des morts en France pendant les quatre ans de la 1ʳᵉ guerre mondiale 1914-1918 ! Comment avons pu supporter cela et dormir tranquillement ?
Fin décembre, au moins sept bébés sont morts de froid ! Et pourtant, devant les crèches des églises catholiques, aucune voix morale ou religieuse ne s’est fait entendre pour dire : « Si Jésus était né à Gaza en décembre, il n’aurait pas trouvé d’étable et de paille pour se réchauffer. Il serait sans doute lui aussi mort de froid ! ».
Faire cesser ce carnage en rendant le cessez-le-feu actuel permanent ne devient-il pas une exigence humaine, morale et politique évidente ?
Depuis deux semaines, les familles d’otages israéliens ont repris un espoir fragile de revoir leur proche. Existe-t-il un but politique plus pressant que de poursuivre cette trêve et répondre à leur angoisse ?
Depuis deux semaines, des centaines de milliers de gazaouis ont retrouvé un quotidien sans le bruit et le fracas des bombes. Existe-t-il un objectif politique et humanitaire plus essentiel que de rendre permanent ce désir d’une vie quotidienne, « presque normale » ?
Des centaines de milliers de civils vivaient depuis des mois sous des lambeaux de tentes, au milieu des flaques d’eau, sans chauffage, sans nourriture régulière. Depuis deux semaines, ils commencent à recevoir de quoi manger, des médicaments, la possibilité de bâtir des abris provisoires plus solides en attendant de reconstruire leur habitat, leur vie tout simplement. Existe-t-il un objectif politique et humanitaire plus fondamental que de rendre permanente cette sécurité de vie quotidienne ?

J’entends, dans beaucoup de commentaires de journalistes, de politiques, de militants associatifs, des phrases du style : « il y a certes un cessez-le-feu, MAIS… », ce qui peut vouloir dire que le cessez-le-feu n’est pas le plus important, face aux questions en suspens, futur politique, reconstruction, etc.
J’ai envie de dire : « Il y a un cessez-le-feu et c’est fondamental. Il n’y a pour l’instant, aucune question politique plus importante que celle de le prolonger, le renouveler et le rendre permanent » !
Que faisons-nous sur le plan politique, sur le plan de l’intervention citoyenne pour le rendre indestructible et irréversible ?
Quelle pression exerçons-nous auprès des trois négociateurs, États-Unis, Qatar, Égypte et deux belligérants, Israël et Hamas pour que ce cessez-le-feu perdure et permette l’envoi plus massif d’aide humanitaire, permette l’intervention des associations humanitaires internationales, et au premier plan de l’UNWRA, qui seule a les compétences et l’expérience pour intervenir, pour permettre l’envoi de journalistes, pour commencer à déployer des enquêtes sur le terrain pour analyser toutes les atteintes aux droits de l’homme, voire les crimes contre l’humanité, commises par les deux parties ?
Comment faisons-nous enfin du soutien à un cessez-le-feu permanent, un mouvement irrésistible, unissant toutes les bonnes volontés, dépassant les divergences secondaires sur l’avenir géo-politique de la région ? Comment multiplions-nous les initiatives diverses pour faire du sauvetage de cette région, de la sécurité commune des populations qui y vivent, une préoccupation de la communauté internationale ? N’est-ce pas un des seuls moyens dont nous disposons pour rendre plus difficile à Netanyahou, au Hamas, à Trump la possibilité d’interrompre cet accord ?
Comment construisons-nous le rassemblement le plus large à l’échelle internationale, qui devrait se manifester évidemment, par l’envoi de troupes d’interposition des Nations unies, avec des mandats robustes pour se défendre et protéger les populations.
Il faudra certes discuter du statut futur de Gaza, de la reconnaissance pleine et entière de la Palestine, de la démilitarisation de celle-ci, de l’apport massif de fonds pour financer la reconstruction au service des populations et non des affairistes et requins de la finance. Cela sera difficile, il y aura des affrontements politiques mais, voyons l’enjeu aujourd’hui pour les populations qu’elles soient gazaouies ou israéliennes.
Ne nous trompons pas d’objectif politique prioritaire !
Nous sommes devant ce défi de taille : avec la bataille pour la permanence du cessez-le-feu à Gaza, allons-nous enfin construire un vrai rapport de force pérennisant le silence des armes et permettant de construire les bases permettant la construction d’une paix, d’une sécurité, d’une communauté de vie entre les peuples du Moyen-Orient ?

Daniel Durand - 2 février 2025

Une version condensée de cet article est publiée en tribune libre dans la rubrique "En débat" sur le site du journal L'Humanité au lien suivant

https://www.humanite.fr/en-debat/bande-de-gaza/gaza-prolonger-le-cessez-le-feu-une-priorite