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jeudi 7 avril 2022

Guerre(s) Russie - Ukraine : la "guerre informationnelle" (III)

(English translation below)

Dans mon premier article sur la Guerre d'Ukraine, je parlais de "trois guerres en une" pour qualifier la superposition à une guerre classique, employant la force brutale, celle de l'armée russe en l'occurrence, d'une deuxième guerre qui ne veut pas dire son nom mais en est une véritable, la "guerre économique", juxtaposée à une nouvelle forme d'engagement des sociétés civiles, d'une autre guerre qui serait "sociétale". Pour être complet, il faut aussi enrober cela d'une bataille ancienne, celle qu'on appelait autrefois la "guerre de propagande" mais qui prend de tels degrés de diversités et de sophistication aujourd'hui qu'elle devient nouvelle, c'est la "guerre de l'information", la "guerre informationnelle" ou encore la guerre de la "communication", la "stratcom", la "guerre d'influence" des militaires.

La propagande de guerre est bien connue : les historiens de la guerre de 14-18 l'ont étudiée. La période de la 2e Guerre mondiale a vu exploser cette propagande : les affiches caricatures du juif, de la "5e colonne" sont dans les mémoires. On se souvient de Radio-Londres répondant à Radio-Paris "Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand".

La propagande repose sur la construction d'un "récit" servant d'appui, de justification aux actes. Ce récit repose toujours sur une vision binaire, "les gentils/les méchants", En France, trente ans après la fin de la guerre froide, les Russes sont toujours "les méchants" dans une majorité de l'opinion, tout comme ces mystérieux chinois.
Dans le cas de l'Ukraine, le pouvoir de Vladimir Poutine n'a pas lésiné sur les exagérations et les manipulations : la menace de "génocide" des populations russophones du Donbass, la nécessaire "dénazification" du pouvoir de Kiev, etc..

A-t-il été crédible ? j'en doute. La diffusion d'informations mensongères parfois grossières est efficace surtout sur les populations "captives" de l'information d'un pouvoir : en Russie, les plus sensibles sont les personnes âgées, les populations des villes moyennes et des zones rurales. Ce sont des populations où les sources d'information restent traditionnelles : journaux, télévision, radio. En Russie comme toujours dans l'histoire des guerres, cela passe par le contrôle des médias, voire l'interdiction des indociles et la censure. Les populations urbaines ou plus jeunes utilisent d'autres moyens d'information avec les réseaux sociaux. C'est pourquoi le pouvoir russe a fermé Facebook, mais d'autres réseaux cryptés comme Telegram permettent d'échapper pour une part à cette censure absolue. Nous avons hélas connu cela en France pendant la guerre d'Algérie : là aussi, le gouvernement français ne menait pas une "guerre" mais une "opération de pacification" et les journaux d'opposition comme l'Humanité, Combat étaient souvent interdits de parution ou paraissaient avec des grandes zones blanches à la place des articles censurés.
Cette propagande classique est utilisée par les deux pouvoirs, russes comme nous l'avons vu, comme ukrainien qui a, lui aussi, diffusé de fausses nouvelles (le pilote de chasse "fantôme", les 13 marins héroïques, etc...).
Cette guerre de propagande a pris dans ce conflit des formes nouvelles, marquant une évolution commencée depuis les années 90.
Les sources d'information et les canaux de diffusion se sont aujourd'hui diversifiés et pour une part, individualisés. Les sources d'infos peuvent êtres des messages, des "posts" sur Facebook, assortis de vidéos sur Twitter ou Instagram. Ces messages relaient des images truquées, prises hors contexte (images de guerre construites à partir de jeux vidéos par ex).  Les grands médias reconnaissent que les vidéos d'amateurs, prises par les smartphones, et qui circulent sur les réseaux sociaux, deviennent des sources qui vont alimenter ensuite médias classiques, télés et journaux papier.
Ces images, ces vidéos peuvent provenir de citoyens, qui peuvent être des témoins précieux, mais qui peuvent être aussi des militants d'une cause et qui vont essayer, en trichant, de peser sur l'interprétation de la réalité. De plus en plus, une partie importante de ces messages sont fournis par des salariés, véritables "soldats informationnels", chargés de peser sur la perception des événements par l'opinion publique au travers des réseaux sociaux, et cela tant du côté russe qu'ukrainien.
La question de la vérification des informations véhiculées par les réseaux sociaux (le fact-check, "examen des faits") devient donc une question centrale.
Il faut reconnaître que cette question a traversé beaucoup de rédactions de presse et interrogé beaucoup de journalistes :ces uns pour des exigences déontologiques, les autres par souci de garder une crédibilité nécessaire pour conserver la confiance des lecteurs.
Ces réflexions ont abouti à la construction d'une plateforme sur internet qui réunit des fact-checks de médias français de référence – l'AFP, 20 Minutes, Libération, Les Surligneurs, Franceinfo – ainsi que des tutoriels, des analyses et des outils pour aider enseignants, chercheurs et grand public à décrypter les fake news.
La plateforme française, membre du collectif international EDMO, s'appelle DE FACTO. Elle est portée par Sciences Po, l'AFP, le CLEMI – Centre pour l’éducation aux médias et à l’information, et XWiki SAS : https://defacto-observatoire.fr/Main/#
De nombreux journaux ont aussi leur page spéciale de checknews. en voici une liste non-exhaustive :
https://c.leprogres.fr/societe/desinfox
https://www.liberation.fr/checknews/
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/04/guerre-en-ukraine-notre-guide-pour-detecter-les-infox-et-les-fausses-images_6116197_4355770.html
https://factuel.afp.com/
https://factuel.afp.com/fact-checking-search-results?keywords=ukraine
L'association Acrimed a monté également un site de critique des médias : https://www.acrimed.org/

Dans les mois précédant le conflit, beaucoup d'articles circulaient sur la capacité des Russes à manipuler ainsi l'opinion. Il faut pourtant constater un relatif échec de la propagande russe, qui fait penser que, tout comme sur le plan militaire, la Russie est peut-être plus un "tigre de papier" que la menace épouvantable dont on a tant agité l'épouvantail.

Depuis le début de la guerre, on constate que la partie ukrainienne a reçu le renfort de nombreuses sociétés ou groupes anglo-saxons qui font que, de plus en plus, c'est le "récit" ukrainien qui domine sur tous les canaux d'information. Participe de cette "guerre informationnelle" l'engagement médiatique sans précédent des dirigeants politiques occidentaux, notamment du trio, Jo Biden, Boris Johnson, Emmanuel Macron, dont l'empressement à trouver des formules choc pour faire le "buzz", a pu conduire à des déclarations hasardeuses, "limites" sur le plan diplomatique par Jo Biden ("le boucher", "remplacer Poutine").
Il s'agit bien, en fait, d'une véritable guerre qui a aussi des côtés matériels avec la cyberguerre, l'utilisation d'informaticiens, de "hackers", pour lancer des attaques virales contre des institutions, des systèmes de gestion bancaires, des installations industrielles ou étatiques ; une guerre qui suppose de disposer des outils pour répercuter ces "informations". C'est ainsi que le soutien du milliardaire Elon Musk et de son réseau de satellites a été décisif pour Zélensky, pour conserver le contrôle de ses communications.
Il y a ainsi un déplacement du champ de bataille, celui-ci n'est plus seulement sur terre avec les chars et lance-missiles, ni dans le ciel avec les chasseurs-bombardiers, il est dans les esprits et donc, dans les opinions publiques.
Seuls les spécialistes ont prêté attention aux interventions du général Thierry Burkhard, nouveau chef d'État-major français à l'automne dernier, qui, en parlant du nouveau "concept stratégique français", a déclaré qu'il fallait aujourd'hui : "gagner la guerre avant la guerre" !
« Avant, les conflits s’inscrivaient dans un schéma paix / crise / guerre”. Désormais, c’est plutôt un triptyque compétition / contestation / affrontement. […] La compétition est devenue l’état normal, que ce soit dans le champ économique, militaire, culturel ou politique, et les conflits dits périphériques appartiennent à cette compétition. On a vécu vingt ans durant lesquels la logique était l’engagement sur le terrain, mais aujourd’hui ce n’est plus l’unique solution », a ainsi développé le général Burkhard devant la presse.
Voyons donc que, dans cette logique, l'état de paix n'existe plus mais est remplacé par une compétition "pacifico-guerrière" permanente ! Il y a là un nouveau sujet de réflexion pour les militants pour la paix et les organisations internationales! Que deviennent des notions comme le "maintien de la paix", le "rétablissement de la paix", etc.. ?
Quelles premières conclusions en tirer ?
Nous vivons actuellement, même dans notre pays, un régime "d'information de guerre", même s'il est différent de celui des pays impliqués à fond dans le conflit. Cela appelle beaucoup de vigilance, de la lucidité nécessaire. Par exemple, malgré les efforts de recherches d'informations objectives, les médias français ont une tendance quasi naturelle à privilégier les informations venant du côté des victimes, ici le côté  ukrainien. Certaines informations sont ainsi reprises telles quelles pendant plusieurs heures avant que les vérifications soient effectuées, et les rectificatifs, alors que certains sont nécessaires passent beaucoup plus inaperçus.
Il faut donc un effort permanent pour aller vérifier toutes les informations importantes publiées, par exemple sur les sites de checknews.
Une boussole permanente doit nous guider, juger toutes les décisions politiques et actions internationales à l'aune du droit international. J'avais ainsi fait part de mes réserves dans un précédent article sur la multiplication de sanctions internationales unilatérales hors de toutes normes claires de droit. Les évolutions récentes de celles-ci, s'appuyant sur les images révoltantes du massacre de Bourcha, aggravent ces distorsions. Cela m'amène à penser qu'on ne combat pas le comportement de voyou de Poutine par d'autres méthodes de voyou. Cela risque de d'avoir des conséquences dommageables pour la vie internationale de demain. Ce n'est pas ainsi qu'on renforcera la justice internationale.
Je reviendrai dans un IVe et dernier article sur les problèmes nouveaux posés par ce conflit aux partisans de la paix et d'un monde multilatéral.
Daniel Durand
7 avril 2022

**********************************

In my first article on the War in Ukraine, I spoke of "three wars in one" to qualify the superimposition on a classical war, employing brutal force, that of the Russian army in this case, of a second war which does not want to say its name but is a real one, the "economic war", juxtaposed to a new form of engagement of civil societies, another war which would be "societal". To be complete, we must also include an old battle, the one that used to be called the "propaganda war" but which is taking on such degrees of diversity and sophistication today that it is becoming new, it is the "information war", the "informational war" or even the war of "communication", the "stratcom", the "war of influence" of the military.

War propaganda is well known: historians of the 14-18 war have studied it. The period of the Second World War saw an explosion of this propaganda: the posters caricaturing the Jew, the "5th column" are remembered. We remember Radio-London answering Radio-Paris "Radio-Paris lies, Radio-Paris is German".

Propaganda is based on the construction of a "narrative" that serves as a support and justification for actions. In France, thirty years after the end of the Cold War, the Russians are still "the bad guys" in a majority of the opinion, just like these mysterious Chinese.
In the case of Ukraine, the power of Vladimir Putin has not skimped on exaggerations and manipulations: the threat of "genocide" of the Russian-speaking populations of Donbass, the necessary "denazification" of the power in Kiev, etc..

Was he credible? I doubt it. The dissemination of misleading information, which is sometimes crude, is especially effective on populations that are "captive" to the information of a power: in Russia, the most sensitive are the elderly, the populations of medium-sized cities and rural areas. These are populations where the sources of information remain traditional: newspapers, television, radio. In Russia, as always in the history of wars, this is done by controlling the media, even banning the indociles and censorship. The urban and younger populations use other means of information with social networks. This is why the Russian government has closed Facebook, but other encrypted networks such as Telegram allow to escape this absolute censorship. Unfortunately, we experienced this in France during the Algerian war: there too, the French government was not waging a "war" but a "pacification operation" and opposition newspapers such as L'Humanité and Combat were often banned from publication or appeared with large white areas in place of the censored articles.
This classic propaganda is used by both powers, Russian as we have seen, as well as Ukrainian, which also disseminated false news (the "phantom" fighter pilot, the 13 heroic sailors, etc...).
This propaganda war has taken on new forms in this conflict, marking an evolution that began in the 1990s.
The sources of information and the channels of diffusion have now diversified and, in part, individualized. The sources of information can be messages, "posts" on Facebook, accompanied by videos on Twitter or Instagram. These messages relay fake images, taken out of context (e.g. war images constructed from video games).  The mainstream media recognize that amateur videos taken by smartphones and circulating on social networks are becoming sources that will then feed the traditional media, TV and newspapers.
These images, these videos can come from citizens, who can be precious witnesses, but who can also be militants of a cause and who will try, by cheating, to influence the interpretation of reality. More and more, an important part of these messages are provided by employees, real "informational soldiers", in charge of influencing the perception of the events by the public opinion through social networks, and this both on the Russian and Ukrainian sides.
The question of the verification of the information conveyed by social networks (the fast-check) thus becomes a central issue.
It is necessary to recognize that this question has crossed many editors and questioned many journalists: some for deontological requirements, the others by concern to keep a credibility necessary to keep the readers' trust.
These reflections have led to the construction of an internet platform that brings together fact-checks from leading French media - AFP, 20 Minutes, Libération, Les Surligneurs, Franceinfo - as well as tutorials, analyses and tools to help teachers, researchers and the general public to decipher fake news.
The French platform, a member of the international EDMO collective, is called DE FACTO. It is supported by Sciences Po, AFP, CLEMI - Centre pour l'éducation aux médias et à l'information, and XWiki SAS: https://defacto-observatoire.fr/Main/#
Many newspapers also have their own checknews page. Here is a non-exhaustive list:ttps://c.leprogres.fr/societe/desinfox
https://www.liberation.fr/checknews/
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/04/guerre-en-ukraine-notre-guide-pour-detecter-les-infox-et-les-fausses-images_6116197_4355770.html
https://factuel.afp.com/
https://factuel.afp.com/fact-checking-search-results?keywords=ukraine
The association Acrimed has also set up a media criticism site: https://www.acrimed.org/

In the months preceding the conflict, many articles were circulating about the ability of the Russians to manipulate opinion in this way. However, it is necessary to note a relative failure of Russian propaganda, which makes us think that, just as on the military level, Russia is perhaps more of a "paper tiger" than the terrible threat that has been so much agitated.

Since the beginning of the war, we note that the Ukrainian side has received the reinforcement of many Anglo-Saxon companies or groups which make that, more and more, it is the Ukrainian "story" which dominates on all the information channels. Part of this "informational war" is the unprecedented media involvement of Western political leaders, especially the trio Jo Biden, Boris Johnson and Emmanuel Macron, whose eagerness to find shocking formulas to create a "buzz" has led to hazardous statements, "borderline" in diplomatic terms by Jo Biden ("the butcher", "replacing Putin").
In fact, this is a real war that also has material sides with cyberwarfare, the use of computer scientists, of "hackers", to launch viral attacks against institutions, banking management systems, industrial or state installations; a war that supposes having the tools to pass on this "information". This is how the support of billionaire Elon Musk and his network of satellites was decisive for Zélensky, in order to keep control of his communications.
There is thus a shift in the battlefield, which is no longer only on the ground with tanks and missile launchers, nor in the sky with fighter-bombers, it is in the minds and therefore, in public opinion.
Only specialists have paid attention to the interventions of General Thierry Burkhard, the new French Chief of Staff last autumn, who, speaking of the new "French strategic concept", declared that today it was necessary to "win the war before the war"!
"Before, conflicts were part of a peace/crisis/war pattern. From now on, it is rather a triptych of competition / contestation / confrontation. [Competition has become the normal state of affairs, whether in the economic, military, cultural or political fields, and the so-called peripheral conflicts belong to this competition. We have lived through twenty years during which the logic was engagement on the ground, but today this is no longer the only solution," General Burkhard thus developed before the press.
So let us see that, in this logic, the state of peace no longer exists but is replaced by a permanent "peace-warrior" competition! This is a new subject for reflection for peace activists and international organizations! What is happening to concepts like "peacekeeping", "peacemaking", etc.?
What are the first conclusions to be drawn?
We are currently living, even in our country, in a regime of "war information", even if it is different from that of the countries fully involved in the conflict. This calls for a great deal of vigilance and the necessary lucidity. For example, despite the efforts to seek objective information, the French media have an almost natural tendency to favor information from the side of the victims, here the Ukrainian side. Some information is thus repeated as it is for several hours before verifications are made, and corrections, although some are necessary, go much more unnoticed.
It is therefore necessary to make a permanent effort to check all the important information published, for example on the checknews sites.
A permanent compass must guide us, judging all political decisions and international actions by the yardstick of international law. In a previous article, I expressed my reservations about the multiplication of unilateral international sanctions outside of any clear legal norms. The recent evolution of these sanctions, based on the revolting images of the Bourcha, aggravate these distortions. This leads me to believe that we do not fight Putin's rogue behavior with other rogue methods. This could have damaging consequences for the international life of tomorrow. This is not the way to strengthen international justice.
I will return in a fourth and final article to the new problems posed by this conflict to the supporters of peace and a multilateral world.
Daniel Durand
April 7, 2022


Translated with www.DeepL.com/Translator (free version)

dimanche 22 septembre 2019

TIAN (Traité d'interdiction des armes nucléaires) : dès maintenant, penser et préparer l'après ! - TPNW (Treaty on the Prohibition of Nuclear Weapons): From now on, think and prepare for the future!

*ENGLISH VERSION AT THE END OF THIS TEXT

La 74e session de l'Assemblée générale des Nations unies vient de s'ouvrir. Deux sujets dominent cette semaine les débats à New-York : le réchauffement climatique dès ce lundi et le désarmement nucléaire ce jeudi 26 septembre.
Sur ce dernier point, les débats ne pourront pas échapper à l'assombrissement de la situation internationale : crise de Corée du nord qui perdure, tension grandissante entre les États-Unis et l'Iran, dégradation des relations entre USA et Russie après la mise à l'encan du traité INF sur les missiles à moyenne portée, suivie par le lancement d'un nouveau missile par les USA. L'affaiblissement des mécanismes de régulation, des traités de contrôle des armements, plus la dégradation des relations de confiance entre les deux "Grands", ainsi que l'apparition de nouvelles technologies comme les cyber-attaques font dire aux spécialistes et anciens dirigeants américains, Ernest J. Moniz et Sam Nunn, que le risque d'un conflit nucléaire "accidentel" n'a jamais été aussi élevé.
Les échanges de ce jeudi 26 septembre à New-York auront aussi en toile de fond la préparation des positionnements des États avant la Conférence d'examen du TNP (Traité de non-prolifération nucléaire) qui aura lieu en mai 2020, soit 25 ans après la décision de prorogation indéfinie de ce Traité. Enfin, beaucoup de diplomates du désarmement penseront à la dynamique qui se développe progressivement autour de la ratification du TIAN (Traité d'interdiction des armes nucléaires). Celui-ci atteint maintenant la moitié des signatures de ratification nécessaires pour son entrée en vigueur. On peut penser que les fameuses 50 signatures seront obtenues justement avant l'ouverture de la Conférence du TNP. Nous serons donc dans une configuration inédite : l'apparition d'une nouvelle norme internationale en matière d'armes nucléaires, l'interdiction juridique, venant renforcer et donner substance à l'obligation déjà contenue dans l'article VI du TNP et jamais mise en oeuvre : "Chacune des Parties au Traité s'engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace".
Un fossé irrémédiable se creusera-t-il entre les puissances nucléaires, officielles (les P5) et non-officielles (Corée du nord, Inde, Israël, Pakistan) et les États non-nucléaires dont l'immense majorité (122 pays) avaient voté en 2017 en faveur du fameux TIAN ? Les puissances nucléaires s'opposeront-elles au droit international et à l'interdiction des armes nucléaires au nom de la défense d'une "sécurité non-diminuée pour tous" ? Ce fossé avivera-t-il les tensions, néfastes à la paix que nous voulons renforcer ? L'enjeu est de taille !
Cette perspective ne doit-elle pas inciter toutes les forces attachées au désarmement, à la promotion de la paix, à réfléchir dès maintenant, voire même à travailler concrètement sur "l'après TIAN" ?
Certes, il ne s'agit pas de "vendre la peau de l'ours" avant de l'avoir tué ! Tous les efforts diplomatiques, politiques doivent continuer et s'intensifier pour que les conditions de l'entrée en vigueur du TIAN soient réunies au plus vite, dès le début de l'année 2020 mais, parallèlement, ne faut-il pas développer les débats pour rendre plus forte l'idée que l'interdiction des armes nucléaires RENFORCERA la sécurité collective et ne l'affaiblira pas, qu'elle permettra de construire un monde plus sûr parce que moins militarisé. Ce travail a certes commencé dans plusieurs colloques récents comme celui d'ICAN à Bruxelles le 14 septembre, mais cette réflexion doit, me semble-t-il, s'élargir.
La question centrale est bien sûr de créer les conditions pour que les puissances nucléaires adoptent une attitude plus ouverte vis à vis du TIAN, qu'elles relancent le processus de réduction du nombre d'armes nucléaires (d'abord américaines et russes, certes, mais en trouvant un moyen d'y associer les autres pays nucléaires) même si elles ne signent pas toute de suite le Traité. Il faut faire pression pour qu'elles acceptent de favoriser la finalisation et l'entrée en vigueur de deux traités nucléaires, "annexes" mais essentiels : le Traité d'interdiction des essais nucléaires (TICE) déjà ratifié par 168 États, mais dont cinq pays "bloquent" l'entrée en vigueur (Chine, Égypte, États-Unis, Iran, Israël) ; le Traité sur l'interdiction de fabrication et la destruction des stocks de matières fissiles (FMCT) en panne à la Conférence du désarmement de Genève.
Il est vital de faire grandir dans les opinions que le choix n'est pas TIAN ou TNP comme le prône un État nucléaire comme la France, mais TIAN ET TNP.
Des États nucléaires comme la France et la Chine pourraient jouer un rôle de "facilitateurs" entre ces deux positionnements puisque les doctrines officielles des deux pays proclament ne menacer personne.
Les mesures proposées par de nombreux experts visant à rétablir la confiance et des échanges entres États-Unis et Russie, l'allongement des temps de réponse des missiles, la relance du Traité de réduction des missiles NEW START, la négociation d'une feuille de route impliquant toutes les puissances nucléaires liée au renforcement des mesures de garantie et de contrôle prévues dans le TNP, toutes ces mesures ne s'opposent pas aux positions défendues publiquement par ces deux États.
L'année 2020 sera cruciale pour que TNP et TIAN soient vus comme complémentaires et non opposés, pour que cette connexion entre ces deux Traités soit la base d'une nouvelle "assurance vie" pour tous les États, grands ou petits, de la planète.
Les militants français pour le désarmement, militants associatifs, militants politiques, ont une responsabilité particulière. La première est de rendre crédible dans l'opinion que la meilleure posture internationale pour la France est d'être en pointe pour la démilitarisation des relations internationales, notamment par le désarmement nucléaire, de jouer un rôle de "puissance positive", tout comme elle se veut en pointe pour la lutte contre le réchauffement climatique. Le président Macron affirme haut et fort que seul le multilatéralisme peut permettre un monde viable. Pour être crédible dans cette position, il doit ré-orienter les positions françaises en matière de relance du désarmement nucléaire. Par exemple, il s'honorerait en décidant que la France participera comme observatrice à la future conférence du TIAN en 2020.
La deuxième responsabilité des militants français est d'améliorer la mobilisation citoyenne en France pour le désarmement nucléaire. Certes, sur une interrogation globale, en 2018, 67% des Français se déclaraient favorables à la signature par la France d'un TIAN (IFOP - La Croix - Mouvement de la paix). Ce chiffre s'opposait à ceux publiés en 2017 par le Ministère des armées, qui estimaient que 60 % des sondés souhaitaient moderniser les forces nucléaires. Chiffres préoccupants aussi que ceux publiés par les chercheurs Benoît Pelopidas et Frédéric Ramel dans un sondage de 2018 qui montrent de grosses lacunes dans la connaissance des Français des armes nucléaires : ainsi  "31% des sondés en France ne citent pas la France comme État doté d’armes nucléaires et 77% des sondés nous disent ne pas savoir combien il y a d’armes nucléaires dans le pays. Enfin, alors que les États-Unis et la Russie possèdent plus de 92% des armes nucléaires sur la planète, seuls 64% des sondés Français les citent comme États dotés ; moins de 25% citent l’Inde et le Pakistan. A contrario, plus de 35% citent l’Iran comme déjà doté d’armes nucléaires, reflétant la focalisation commune aux journalistes, experts et officiels français sur l’Iran comme problème de prolifération depuis 2006" (Humanité du 6/08/2019).
La création d'un courant d'opinion suffisamment puissant et efficace pour influencer la politique française en matière de dissuasion nucléaire a certes une dimension de mobilisation militante, et donc souvent simplificatrice, mais aussi, il y a un besoin urgent de faire un effort nouveau en matière "d'éducation populaire de masse" sur le nucléaire militaire.
Alors, oui, les partisans français de l'élimination complète des armes nucléaires sont, 70 ans après le fameux meeting de Pleyel, à Paris, qui lança le mouvement anti-nucléaire, devant une période passionnante : remporter avec la communauté mondiale une première victoire celle d'un Traité d'élimination des armes nucléaires, et, dès maintenant, penser "l'après", pour construire sa réussite, c'est-à-dire, la disparition concrète, organisée, de l'arme nucléaire.

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*ENGLISH VERSION

The 74th session of the United Nations General Assembly has just opened. Two topics dominate the debates in New York this week: global warming on Monday and nuclear disarmament on Thursday, September 26.

On the latter point, the debates will not be able to escape the darkening of the international situation: the ongoing crisis in North Korea, the growing tension between the United States and Iran, the deterioration of relations between the United States and Russia after the INF Treaty on medium-range missiles was put up for auction, followed by the launch of a new missile by the United States. The weakening of regulatory mechanisms, arms control treaties, plus the deterioration of trust between the two "Great Ones", as well as the emergence of new technologies such as cyber attacks, have led American specialists and former leaders Ernest J. Moniz and Sam Nunn to say that the risk of an "accidental" nuclear conflict has never been higher.

The discussions on Thursday, September 26 in New York will also take place against the backdrop of the preparation of States' positions before the NPT (Nuclear Non-Proliferation Treaty) Review Conference in May 2020, 25 years after the decision to extend the Treaty indefinitely. Finally, many disarmament diplomats will think of the dynamic that is gradually developing around the ratification of the NPT (Nuclear Weapons Ban Treaty). It now reaches half of the ratification signatures required for its entry into force. It is expected that the famous 50 signatures will be obtained just before the opening of the NPT Conference. We will therefore be in a new configuration: the emergence of a new international norm on nuclear weapons, the legal prohibition, reinforcing and giving substance to the obligation already contained in article VI of the NPT and never implemented: "Each Party to the Treaty undertakes to pursue negotiations in good faith on effective measures relating to cessation of the nuclear arms race at an early date and nuclear disarmament and on a treaty on general and complete disarmament under strict and effective international control".

Will an irremediable gap widen between the official (P5) and unofficial (North Korea, India, Israel, Pakistan) nuclear powers and the non-nuclear states, the vast majority of which (122 countries) voted in 2017 in favour of the famous NPT? Will the nuclear powers oppose international law and the prohibition of nuclear weapons in the name of defending "undiminished security for all"? Will this gap increase the tensions that are harmful to the peace we want to strengthen? The stakes are high!

Shouldn't this perspective encourage all the forces committed to disarmament, peacebuilding, to think now, and even to work concretely on the "post-NATO" period?

Of course, it is not a question of "selling the bear's skin" before killing it! All diplomatic and political efforts must continue and intensify so that the conditions for the entry into force of the NPT are met as soon as possible, from the beginning of 2020, but, at the same time, should we not develop the debates to strengthen the idea that the prohibition of nuclear weapons will STRENGTHEN collective security and will not weaken it, that it will make it possible to build a more secure world because it is less militarized. This work has certainly begun in several recent symposia such as ICAN's in Brussels on 14 September, but this reflection must, it seems to me, be broadened.

The central issue is of course to create the conditions for the nuclear powers to adopt a more open attitude towards the NPT, to relaunch the process of reducing the number of nuclear weapons (first of all American and Russian, of course, but by finding a way to involve the other nuclear countries) even if they do not immediately sign the Treaty. Pressure must be put on them to agree to promote the finalization and entry into force of two nuclear treaties, which are "annexes" but essential: the Nuclear-Test-Ban Treaty (CTBT) already ratified by 168 States, but with five countries "blocking" its entry into force (China, Egypt, Iran, Israel, United States); and the FMCT, which is inoperative at the Geneva Conference on Disarmament.

It is vital to raise awareness that the choice is not TIAN or NPT as advocated by a nuclear state like France, but TIAN AND NPT.

Nuclear states such as France and China could play a role as "facilitators" between these two positions since the official doctrines of both countries proclaim that they do not threaten anyone.

The proposed measures

Translated with www.DeepL.com/Translator (free version)

lundi 1 février 2016

Sécurité : vous avez dit sécurité ?


Le mot « sécurité » est aujourd'hui omniprésent. Dans un colloque organisé le 30 janvier dernier, par le Mouvement de la paix et la CGT, j'ai rappelé les différentes évolutions du concept dans le siècle dernier, d'un point de vue d'internationaliste.
Une définition d’abord : si l’on regarde une encyclopédie ou Wikipedia, on lit que, psychiquement, la sécurité est « l’état d’esprit d’une personne qui se sent tranquille et confiante ». Pour l’individu ou un groupe, c’est « le sentiment (bien ou mal fondé) d’être à l'abri de tout danger et risque ».
On voit que cette définition comporte deux facteurs : une appréciation subjective, celle du degré ou du type de sécurité que l’on souhaite obtenir à un moment donné et un second facteur plus matériel, le danger ou le risque contre lequel, on veut être protégé.
Traditionnellement, on a distingué deux types de sécurité : celle sur le plan extérieur, international, des relations entre des états et celle sur le plan intérieur des relations entre des individus dans un état, ou entre des individus et cet état.
Si on raisonne sous l’angle des menaces, des dangers :
La sécurité face au danger, à la menace pour les individus, c’est la protection contre l’oppression, la liberté de vivre, travailler, faire vivre une famille, être protégé contre l’arbitraire, violence, voire les guerres donc vivre en paix et en liberté.
Cette sécurité intérieure renvoie aux notions d’ordre, de liberté et de justice donc à deux institutions, la police et la justice.
La sécurité pour des États, c’est vivre en paix, sans guerre, c'est l’absence de menace contre son existence et ses valeurs. La paix est donc, dans ce cas, d'abord, absence de guerre : être protégé d’une guerre, c'est être en sécurité. Pour un État, la protection de ses valeurs a renvoyé dans tous les siècles passées à la notion de force militaire, de défense et d’armée.

Je ne m’étendrai pas sur les évolutions de la sécurité intérieure, dans l’histoire, pour un pays comme la France ou pour tous les pays, en général, : elle a varié suivant les périodes, les systèmes politiques, les avancées ou les reculs de la démocratie.
Sur le plan de la sécurité extérieure, les évolutions du concept de sécurité ont été considérables au cours du dernier siècle.
Schématiquement, jusqu’à la guerre de 14-18, chaque État assure sa protection, sa sécurité, seul ou au travers d’alliances avec deux-trois- quatre autres états contre d’autres.
La grande évolution a lieu en 1945 avec l’adoption de la Charte des Nations unies et la création de l’ONU. Deux principes majeurs sont posés : tous les peuples, donc tous les états, font partie de la même communauté mondiale, la force armée et la guerre sont bannies de leurs relations. De ce fait, la communauté défend l’un des siens si elle estime qe la sécurité et la paix internationales sont menacées. Elle peut même employer la force armée : c'est le fondement du chapitre 7 de la Charte des Nations unies. C'est le principe d'une sécurité collective qui est posé.
La deuxième grande évolution a lieu après la fin de la guerre froide. On se rend compte que la paix, la sécurité internationale, peuvent être affectées par de nouveaux défis ou nouvelles menaces. On va parler de sécurité environnementale, sociétale, économique…
Cette évolution est très bien reflétée par le rapport remis en 2005 par le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan : intitulé « Dans une liberté plus grande », et qui dit en préambule : « Il n’y a pas de sécurité sans développement, il n’y a pas de développement sans sécurité, et il ne peut y avoir ni sécurité, ni développement si les droits de l’homme ne sont pas respectés. »
La sécurité doit donc être collective, mais aussi globale.
La dernière évolution du concept a lieu dans la première décennie du XXIe siècle avec un nouveau questionnement : peut-il y avoir une sécurité globale planétaire sans que les humains en tant qu’individus ne soient eux-mêmes en sécurité, c’est-à-dire sans qu’ils ne soient tous capables de vivre à l’abri de la peur (« free of fear »), de la menace mais aussi en étant capables de vivre leur émancipation, de réaliser leurs potentialités. C’est ainsi que se développe le nouveau concept de sécurité humaine. C’est dans ce contexte que sera adopté par le Conseil de sécurité la notion du « devoir de protéger » des populations contre une menace de génocide, tant extérieure que intérieure.

Une autre évolution majeure se produit dans cette même décennie.
L’apparition du danger terroriste avec l’attentat contre les Twin towers en 2001, le développement du réseau Ben Laden, puis Daesh, pose un problème nouveau : ce sont des entités non-étatiques les adversaires, mais qui utilisent des moyens qui peuvent être assimilés à des moyens militaires.
Aux États-Unis dès 2001, avec le Patriot Act, en France, dès 2008 avec la LPM, puis plus tard, avec la loi sur le Renseignement, est avancée l’idée de fusion de la sécurité intérieure et de la sécurité extérieure dans le concept de « sécurité nationale ». Y sont intégrées la lutte contre le terrorisme mais aussi la lutte contre la cyberguerre qui, elle-aussi, n’est pas le fait forcément d'entités étatiques, mais qui peut avoir des buts militaires : destructions d'équipement, de communications.
Quelles conséquences ? Le concept de sécurité nationale va mêler ce qui était distinct auparavant : la Défense et l’Intérieur. Des organismes de coopération sont mis en place.
Cela remet en cause la place du contrôle des procédures par la justice . On sait bien que la garantie individuelle des citoyens pèse peu en temps de guerre.
C’est dans l’évolution de ce contexte qui ne date pas de novembre dernier qu’il faut placer la réflexion sur la sécurité aujourd’hui.

Deux ou trois réflexions pour finir à propos de la « sécurité absolue » et des enjeux de « sécurisation sociale ».
Il y a un débat récurrent et démagogique : peut-on assurer une sécurité absolue, totale, à 100 % : je réponds NON et non. La seule sécurité absolue, c’est la destruction totale de l'autre. Sauf que c'est pratiquement impossible et que le but, c'est d'être en sécurité et de vivre en paix. Or, si votre relation avec l'autre, les autres, a été d'essayer de les détruire, vous n'arriverez jamais à vivre ensemble un jour, et à construire ensemble la paix. C'est ce qui avait amené le philosophe Kant, à poser ce postulat : la seule sécurité, c'est de créer la confiance entre les acteurs pour construire la paix. Donc la préoccupation première est de réfléchir, non seulement à sa propre sécurité, mais aussi et surtout à quoi faire pour que l'autre soit en confiance, donc à quoi faire pour qu'il se sente en sécurité.
C’est cela l’assise théorique du primat de la négociation politique pour résoudre un conflit : créer les conditions de la confiance entre les acteurs, donc penser prioritairement à la sécurité de l’autre.
Dans la lutte contre Daesh, évidemment, le problème est plus complexe. Nous sommes devant des criminels donc la justice doit être impitoyable, pour les mettre hors d'état de nuire, pour que les populations victimes puissent retrouver un jour la paix, la sécurité et la confiance. En effet, la lutte contre Daesh doit être menée pour isoler la poignée de criminels de ceux qui gravitent autour (populations sous influences, pays et acteurs de la région, jeunes tentés par la radicalisation), afin qu’ils acceptent de ne pas soutenir Daesh et d'aider à une construction politique, basée sur les négociations et la reconstruction.
Dans ce rétablissement de la confiance pour tous les acteurs au Moyen-Orient, figure la reconnaissance de l’État de Palestine et la sécurité de la population d’Israël, la création d'une zone exempte d'armes de destruction massive, dans la foulée de l'accord sur le nucléaire iranien.
Le mot voisin de sécurité est « sécurisation » : un concept qui implique une action volontaire, pour qu'un objectif soit en sécurité. Cela peut être un enjeu de politique internationale, économique, purement militaire mais, aujourd'hui, ce terme est employé aussi dans la vie sociale : sécurisation des parcours professionnels, des parcours de formation.
Toute sécurisation, pour réussir, doit faire du but choisi un enjeu de sécurité, reconnu comme fondamental, auprès de l'opinion publique.
Mais, voyons bien qu'en terme de vocabulaire, le concept de sécurité renvoie une perception positive, rassurante mais qui peut avoir un double effet pervers :
- soit, il permet de justifier n'importe quelle mesure, y compris au détriment d'une autre valeur essentielle : c'est le cas de l'opposition état d'urgence et libertés démocratiques.
- soit, il peut produire un forme d'attentisme, celle où l'on revendique une protection individuelle, égoïste, sans se préoccuper des causes qui produisent cette insécurité, donc sans agir pour des changements du contexte.
En France, où existe, jusqu'à présent, un maillage de protection sociale, un filet de sécurité, comment faire bouger les citoyens pour ne pas se contenter de défendre la sécurité sociale, mais d'agir sur les prix des médicaments et les agissements des laboratoires pharmaceutiques ?
Si l'on parle de sécurisation des parcours professionnels de la formation et de l'emploi, comment faire agir, non seulement sur l'amélioration de l'indemnisation du chômage, mais aussi pour la modification du contexte économique : contre la financiarisation, la concurrence entre travailleurs à l'échelle européenne et mondiale ?
Si l'on parle de sécurité humaine, règlement politique des conflits, comment faire agir pour donner des moyens aux Nations unies pour des moyens efficaces d'alerte et de prévention des crises, par exemple, sans se contenter des expéditions de rétablissement de l'ordre et de la sécurité, a posteriori ?
Nous devons ainsi avoir l'exigence de refuser la démagogie : non, la sécurité absolue, celle qui isole et repousse les autres, n'existe pas.
Il n'y a pas de recette miracle de sécurité mais un ensemble complexe de sécurisation par le renforcement du droit social, et du droit international, mais en même temps par le développement d'actions pour modifier les rapports de force sociaux et les environnements stratégiques, politiques, économiques dans lesquels nous construirons une sécurité participative, ouverte et en mouvement





lundi 24 novembre 2014

Quel bilan d'étape du désarmement mondial (fin) ? les questions nouvelles liées aux nouvelles technologies militaires..

Comme le relève le Comité international de la Croix-Rouge sur son site, les progrès technologiques ont donné naissance à de nouveaux moyens et méthodes de guerre, tels que les cyberattaques, les robots et les drones armés, ce qui pose des défis humanitaires, juridiques, politiques et militaires inédits.
Quelle conséquence sur la paix d'une région ou du monde après la mise au point d'une nouvelle arme, quelle stratégie de contrôle, voire d'interdiction et de désarmement, quelle conformité au droit international humanitaire ?
On peut considérer plusieurs types d'armes.
Les drones armés : ils permettent aux combattants d'être physiquement absents du « champ de bataille ». Ces systèmes d'armes, bien que situés à des distances souvent très importantes de la cible, restent sous le contrôle des opérateurs humains qui sélectionnent les cibles et activent, dirigent et déclenchent les munitions se trouvant à bord du drone. L’usage de drones dans les conflits soulève des problèmes politiques, juridiques, éthiques et de sécurité internationale. Ces armes télécommandées favorisent l'emploi extraterritorial de la force. Dans une résolution du 27 février 2014 (2014/2567(RSP)), le Parlement européen a estimé que "les frappes de drones, alors qu'aucune guerre n'a été déclarée, menées par un État sur le territoire d'un autre État sans le consentement de ce dernier ou du Conseil de sécurité des Nations unies, constituent une violation du droit international ainsi que de l'intégrité territoriale et de la souveraineté de cet État".
Il faut obtenir que tous les États utilisateurs de drones se conforment au droit international humanitaire, aux droits de l’homme et à l’interdiction de l’usage de la force, imposée par la Charte des Nations unies. N'oublions pas que des États dictatoriaux et des groupes armés non étatiques risquent d'utiliser un jour des drones armés en s'appuyant, pour se justifier, sur les pratiques des États utilisateurs actuels.
Pax Christi a demandé un moratoire sur leur usage en dehors des conflits réguliers jusqu’à l’établissement d’un cadre clair. Il semble urgent que la question des drones armés soit intégrée dans les enceintes traitant du désarmement au sein des Nations unies pour progresser sur les voies du contrôle, de la limitation d'usage voire de l'interdiction de ces nouvelles armes.

Contrairement aux drones armés, les systèmes d’armes létaux autonomes (SALA), communément appelés « robots tueurs », sont conçus pour fonctionner avec peu ou pas de contrôle humain. Ils suscitent de nombreuses interrogations et inquiétudes sur les plans juridiques, éthiques et sociétal sur lesquelles l’ONU travaille actuellement.
Pour être conformes au droit international humanitaire, elles devraient être capables de faire la distinction entre civils et combattants. Peut-on accepter en conscience que les machines puissent avoir un pouvoir de vie et de mort sur le champ de bataille ? Qui serait responsable dans le cas où l'utilisation d'une arme autonome entraînerait un crime de guerre : le programmeur, le fabricant ou bien le chef militaire qui déploie l'arme ?
L’emploi de « robots tueurs » modifie le rapport des autorités politiques au recours à la force. «Envoyer des robots plutôt que des personnes sur la ligne de feu […] reviendrait à faciliter la décision d’entrer en guerre, générant ainsi davantage de conflits» s’inquiète un membre de la coalition « Stop killer robots ». 53 ONG venant de 25 pays se sont en effet rassemblées depuis avril 2013 au sein d’une coalition intitulée « Campaign to stop killer robots »
Une réunion a eu lieu à Genève en mai 2014 dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC). M. Jean-Hugues SIMON-MICHEL, Représentant Permanent de la France auprès de la Conférence du désarmement, a été chargé de préparer un rapport de l'état des discussions.
Selon les sources, entre 4 et 8 pays développeraient actuellement des SALA ou auraient déjà déployé des systèmes aux degrés d’autonomie divers (Allemagne, Chine, Corée du Sud, Etats-Unis, Inde, Israël, Royaume-Uni, Russie).
En 2013, un Rapporteur spécial des Nations unies sur cette question avait suggéré la mise en place de moratoires nationaux sur le test, la production, l’assemblage, le transfert, l’acquisition, le déploiement et l’utilisation de SALA. Une interdiction totale sera sans doute difficile à obtenir, compte-tenu de la complexité de la question, mais, selon certains responsables militaires invités à s’exprimer à Genève, ces armes pourraient être encadrées par des mécanismes de contrôle des armements.

Autres technologies : de nouvelles armes en développement soulèvent les mêmes questions de rapport à la paix et à la sécurité, au droit international.
Les bombes électromagnétiques appartiennent à la catégorie des armes dites à énergie directe qui viseraient à atteindre les câbles, les réseaux, les serveurs, les circuits de communications électroniques, les processeurs, les commutateurs, les ordinateurs. Elles provoqueraient l’interruption momentanée ou définitive des communications, des échanges de données, des systèmes de commande, des appareils de détection, de mesure et de contrôle. Leur emploi viserait, dans le cadre d’une offensive aérienne ou terrestre, à isoler l’ennemi, à le placer dans l’incapacité de contrôler ses moyens et ses forces ou de s’informer de l’état de la bataille en cours.
Les menaces de cyber-guerre, en d’autres termes, des moyens et méthodes de guerre qui reposent sur la technologie de l'information, sont plus médiatisées. L'interconnectivité des réseaux informatiques militaires et civils peut engendrer bon nombre de défis importants : par exemple, la difficulté pour la partie qui lance une cyberattaque de faire la distinction entre objectifs militaires et biens de caractère civil ou d'évaluer les effets indirects sur les réseaux civils. Le fait qu’un nombre croissant de pays développe des capacités de cyberguerre, défensives ou offensives, ne fait que renforcer l'urgence de développer des réflexions approfondies pour faire face à ces nouveaux défis de militarisation.
Il y a encore de grandes divergences au plan international sur l'approche à adopter concernant la cyberguerre. Faut-il comme le recommande un document de l'OTAN, adopté en 2013, considérer que la cyberguerre est un élément à incorporer comme une nouvelle donnée dans les conflits et donc à la soumettre aux réglementations existantes du droit de la guerre. Une attaque serait assimilée à un « usage de la force » ou à une « attaque armée », ce qui donne à l'État victime le droit à l'auto-défense, y compris en utilisant des armes conventionnelles.
Faut-il au contraire, comme le défendent les experts russes, refuser ce qui serait la légitimation du concept de cyberguerre et empêcher la militarisation de l'espace cybernétique ? Le débat reste ouvert et se limite donc pour l'instant aux mesures et réflexions pour la sécurisation des réseaux internationaux.

En conclusion provisoire de ce dossier rapide, je voudrais faire remarquer combien est complexe la problème du désarmement international. L'interdiction et l'élimination des armes de destruction massive, et en urgence, des armes nucléaires, est une priorité : il en va de la paix mondiale et de la survie de la planète. Pour autant, le contrôle, voire l'interdiction de certaines armes classiques est également importante car elle impacte la vie quotidienne et l'existence même de millions d'hommes, de femmes, d'enfants. La nécessité, les préoccupations, souvent égoïstes, des États devant les conséquences dramatiques de certains conflits locaux, les pressions des ONGs qui se sont multipliées, ont permis le développement de dizaines de négociations de désarmement qui obtiennent des résultats souvent considérables.
Ce mouvement international a conduit (pour ne pas dire "obligé") les États à s'interroger de manière plus globale sur "la violence armée" et à discuter dans les enceintes internationales des manières de la limiter.
En juin 2006, une réunion internationale organisée par la Suisse et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a abouti à la signature de la "Déclaration de Genève sur la violence armée et le développement", qui reconnaît que la violence armée est à la fois une cause et une conséquence du sous-développement et constitue un obstacle majeur à la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement. Depuis 2006, 108 États – dont la France – ont signé la Déclaration de Genève et se sont engagés à prendre des mesures tangibles pour réduire les effets et les causes de la violence armée pour 2015, en accord avec les objectifs du millénaire pour le développement.
Dans cet objectif, l'entrée en vigueur le 24 décembre prochain du Traité sur le commerce des armes, va constituer une étape de première importance.
La démilitarisation des relations internationales est donc un processus à la fois complexe mais très concret. Nous sommes loin d'une simple démarche "généreuse", (mais sous-entendue irréaliste) comme l'a qualifiée avec condescendance le ministre de la Défense français à propos de l'élimination des armes nucléaires (voir http://culturedepaix.blogspot.fr/2014/11/lagenda-de-la-quinzaine-17-30112014.html).
La démilitarisation des relations internationales, c'est-à-dire la multiplication et le renforcement des traités et accords de désarmement, le renforcement du droit international, est bien un axe majeur de toute politique étrangère progressiste, tout comme le renforcement du multilatéralisme et de la place centrale des Nations unies dans la "gouvernance" de notre planète commune.