dimanche 5 septembre 2021

BERLIN - KABOUL, LA FIN D'UN CYCLE ? L'OPPORTUNITÉ D'UNE NOUVELLE ÈRE HUMAINE ?

L'entrée des talibans dans Kaboul, le départ dans la hâte des dernières troupes états-uniennes de la ville ont frappé les esprits. Les commentaires sont nombreux et divers : sur la défaite militaire US, sur la tragédie humaine et démocratique qui risque de s'ouvrir, sur les relations à avoir ou non avec les nouveaux maîtres de l'Afghanistan. Il me semble pour ma part que les événements de Kaboul résonnent plus fort qu'une simple péripétie de fin de conflit. Au-delà des simples commentaires politiciens pro ou anti-américains, en prenant du recul, cet événement sonne, je pense, la fin d'un cycle  qui s'est ouvert, il y a environ trois décennies, symbolisé en gros par la chute du mur de Berlin, suivi assez vite de la fin de cette période qu'on appelait la "Guerre froide". Cette fin de cycle historique est-elle susceptible d'ouvrir l'opportunité de remettre sur le chantier un nouveau multilatéralisme plus inclusif, développé autour d'une système onusien revigoré et démocratisé ? C'est, je crois, un des enjeux possibles de la période qui s'ouvre dans les relations internationales.
C'est ce que je veux essayer de montrer schématiquement dans le cadre étroit de cet article de blog

QUELLE ORGANISATION DU MONDE ?

De 1947 à 1989, pendant quarante ans, le monde s'est quasiment paralysé dans le face-à-face de deux blocs antagonistes, le bloc occidental et états-unien d'une part et le bloc communiste, soviétique d'autre part.
La chute du mur de Berlin en 1989, l'accélération du démantèlement du bloc soviétique après la prise de pouvoir d'Etsine en 1996, ont ouvert alors une période où s'est posée la question de la nouvelle organisation de la planète : comment revoir l'organisation du système international planétaire avec quelle place et autorité pour le système des Nations unies et pour de nouvelles relations entre États, quelle place accorder aux nouveaux acteurs internationaux qui s'étaient développés : ONGs, élus locaux, puissances économiques transnationales ? Pendant ces décennies, les rivalités et affrontements autour de cette problématique se sont multipliés. Avec la bataille de Kaboul, un chapitre vient de se clore : celui du règlement des conflits et de l'imposition de la démocratie par la seule solution militaire.
Durant la première décennie, jusqu'en l'an 2000, les grandes puissances privilégient non sans réticences le cadre multilatéral offert par les Nations unies. L'intervention soviétique unilatérale pour soutenir le gouvernement afghan en 1980 est condamnée partout. En 1991, l'intervention au Koweit contre le coup de force de Sadham Hussein se fait sous mandat onusien. Les négociations de désarmement se déroulent positivement dans les enceintes onusiennes : traité d'interdiction des armes chimiques en 1993, prorogation indéfinie du TNP en 1995, traité d'interdiction des essais nucléaires en 1996 par exemple. Des premiers accrocs se produisent pourtant avec les bombardements de l'OTAN sur la Serbie en 1996 qui ne sont validés par le Conseil de sécurité qu'a posteriori. C'est autour de la première intervention en Irak et de l'intervention internationale dans les conflits intra-yougoslaves qui est menée d'abord par la Forpronu, forces sous commandement onusien remplacée ensuite par les troupes de l'OTAN que naît le concept "d'imposition de la démocratie" y compris par la force.
On assiste de fait à une course de vitesse entre les interventions des grandes puissances qui commencent à devenir de plus en plus unilatérales et l'intervention grandissante des opinions publiques dans les relations internationales.
Les ONGs profitent de cette période favorable : en 1992, plus de 1500 ONGs participent au Sommet de la Terre, lors de la Conférence de Rio sur l'environnement et le développement, en 1995 à Copenhague pour le Sommet sur le développement social et la même année à Pékin pour les droits de la femme. Ces rencontres sont l'occasion de « contre-sommets »,  de rencontres entre ONG venues de pays ou de continents très différents, elles vont contribuer progressivement à faire émerger la notion, encore très floue et contestée, de « société civile internationale ».
Toutes les conférences et travaux de cette époque débouchent sur des normes qui placent la notion d'individu, d'humain au centre des préoccupations. On parle alors de développement humain, de droits humains et même de sécurité humaine. Ces notions sont portées par les ONG mais aussi par des diplomates ou des élites des pays en voie de développement et par certains organismes des Nations unies.
Cette décennie de montée des droits humains est couronnée par le vote de la résolution de l'ONU, le 13 septembre 1999, intitulée « Déclaration et Programme d'action sur la culture de la paix». Cette notion est capitale car elle identifie les domaines dans lesquels les racines des conflits se trouvent et comment on peut les dépasser. C'est la première fois que le développement durable, la sauvegarde des droits humains, l'égalité entre les hommes et les femmes, le processus démocratique, la tolérance et la solidarité, la libre circulation de l'information et des connaissances, et la sécurité humaine, sont pris en compte et articulés dans un seul et unique concept avec soutien de puissances moyennes.

IMPOSER LA DÉMOCRATIE ?

Les attentats de 11 septembre 2001 vont conduire à un basculement progressif en faveur des politiques de puissances unilatérales des États. Une coalition internationale menée par les États-Unis, intervient en Afghanistan en raison de son refus de livrer le chef d'Al-Qaïda Oussama ben Laden, responsable des attentats des Twin towers de New-York.
Le nouveau président Bush est très influencé par les milieux néo-conservateurs qui estiment qu'on peut exporter la démocratie occidentale à coup de chasseurs bombardiers. Le 20 mars 2003, les États-Unis interviennent en Irak, malgré une très forte opposition des opinions publiques dans le monde, sous le prétexte de parer à la menace des armes de destruction massive dont l'administration Bush affirme à tort détenir la preuve dans un rapport présenté au Conseil de sécurité de l'ONU le 12 septembre 2002 (il s'agit d'un rapport faussé et truqué comme cela sera démontré plus tard).
C'est la même conception qu'on peut rapprocher de pensées de la fin du 19e siècle, ce que Jules Ferry appelait «la mission civilisatrice» de l'Occident: il s'agissait d'apporter les Lumières françaises à un maximum de territoires possibles.
Plusieurs fronts militaires s'ouvrent ainsi successivement : en 2011, une résolution des Nations unies crée une zone d'exclusion aérienne pour protéger les manifestants civils libyens des bombardement de Khadafi. Mais les dirigeants français (Sarkozy), britanniques détournent l'esprit de cette résolution et débarquent des commandos au sol et à partir du 31 mars 2011, l'ensemble des opérations sont conduites par l'OTAN dans le cadre de l'opération Unified Protector. Cette opération va conduire progressivement à un éclatement complet du pays, une guerre civile toujours en cours et le passage facilité pour les djihadistes et terroristes pour circuler vers le Sahara et le Mali.
À la même période, une répression sanglante est exercée par le régime syrien contre les manifestants civils, une répression féroce est menée contre les organisations démocratiques, les partis islamistes et les minorités kurdes.
En septembre 2014, menée par les États-Unis, une coalition internationale est formée contre l'État islamique, commence à mener des bombardements en Syrie et décide d'appuyer les forces kurdes. Au printemps 2014, le président français François Hollande n'hésite pas à envisager une opération militaire pour arrêter le conflit. C'est ce qu'il explique lors d'un entretien sur France 2 le 29 mai : "Une intervention armée (en Syrie) n'est pas exclue à condition qu'elle se fasse dans le respect du droit international, c'est-à-dire par une délibération du Conseil de sécurité.".
Le soutien russe au régime syrien stabilise le conflit, l'État islamique qui s'est créé est détruit mais la situation du pays reste catastrophique après sans doute 500 000 morts, des attaques à l'arme chimique, de nombreux massacres, crimes de guerre et crimes contre l'humanité, commis, principalement par le régime syrien et par l'État islamique
Le continent africain n'est pas épargné par les interventions de troupes étrangères, avec une opération militaire menée au Sahel et au Sahara par l'armée française, avec une aide secondaire d'armées alliées. Cette opération appelée Barkhane vise à lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes dans toute la région du Sahel. Lancée le 1er août 2014, elle remplace les opérations Serval et Épervier. En 2021, le constat est fait que les groupes terroristes n'ont pas été vraiment démantelés et continuent de mener des opérations contre des civils, le gouvernement malien est renversé par des militaires. la France annonce en juin 2021, sinon un abandon, mais à tout le moins une pause dans son opération Barkhane avec une réduction des troupes engagées.
D'autres interventions militaires unilatérales ont lieu en Ukraine où commence en 2014 une crise se déroulant à l'Est de l'Ukraine (Ukraine orientale) dans le Donbass. L'opposition des habitants russophones de cette région de Crimée aux autorités de Kiev aboutit à un référendum local du 16 mars 2014 sur le rattachement de la Crimée à la Russie mais dont la légalité n'est pas reconnue par l'Ukraine et la grande majorité de la communauté internationale. Les habitants de cette région autonome sont soutenus par la présence plus ou moins ouvertes des troupes militaires russes.

DES ENSEIGNEMENTS À DÉGAGER

L'examen de tous ces conflits montre l'échec des solutions exclusivement militaires pour imposer ou rétablir la démocratie et le droit.
Robespierre avait raison quand il s'écria dans son discours sur la guerre prononcé à la Société des Amis de la Constitution, le 2 janvier 1792 : "La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique, est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger, pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis."
On m'objectera que grâce à ces interventions le développement du terrorisme a été bloque ou freiné : Ben Laden a été tué et ses projets de déstabiliser le Pakistan, voire de s'emparer de ses armes nucléaires, déjoués. Les tentatives d'imposer des États islamistes ou Khalifats ont été brisées, mais à quel prix ? Dans tous les cas cités, les structures étatiques ont été détruites ou très affaiblies. Ces pays connaissent des situations de guerre civile ouverte ou latente, la multiplication des réfugiés, l'extension de la corruption, la multiplication des violences. Parallèlement, dans le monde, le niveau des dépenses militaires a explosé, revenant au-dessus des records établis pendant la Guerre froide.
Ces trente années aboutissent à un constat sans appel : la force militaire ne règle aucun problème international, seules les solutions politiques négociées peuvent permettre de trouver des solutions pérennes et celles-ci ne peuvent se développer que dans un cadre institutionnel adapté, comme celui que fournissent les structures multiples des Nations unies.
Nous sommes à un tournant historique comme nous l'étions après la fin de la seconde guerre mondiale, comme nous l'étions après la chute de l'affrontement entre les deux blocs issus de la Guerre froide.
Ne soyons pas naïfs : les grandes puissances, les intérêts d'État, ne prononceront pas d'elles-mêmes des mea-culpa, des décisions politiques de contribution même si on voit bien les hésitations en ce milieu 2021 dans les revirements politiques de Jo Biden et d'Emmanuel Macron, les prudences de Vladimir Poutine ou de Xi Jinping. Dans les années 1990, les intérêts égoïstes des États ont vite gâché les chances d'alors de renforcer les coopérations internationales pacifiques, de développer un système multilatéral efficace.
Le défi n'est pas seulement dans les mains des puissances étatiques, il repose en grande partie dans les nouveaux  acteurs internationaux : ONGs bien sûr, dont les réseaux se sont encore renforcés depuis les années 1990. Les opinions publiques internationales disposent aujourd'hui de moyens d'information et de liaison qui n'existaient pas il y a trente ans : les réseaux sociaux, formidables outils de résonance et d'action. Enfin un sentiment d'appartenance à une communauté mondiale a grandi avec les préoccupations climatiques sur l'avenir de notre planète.
Il y va donc de la responsabilité des acteurs politiques et sociaux de comprendre la nouveauté de la situation internationale, de saisir les nouvelles opportunités pour construire une paix durable, pour créer les conditions d'un nouveau progrès humain sur notre planète et de prendre des initiatives politiques originales. Il y a un calendrier des sommets mondiaux prévus pour le climat mais quid d'un calendrier du désarmement nucléaire pour rendre le TIAN universel, d'un calendrier pour la réduction généralisée et le plafonnement des dépenses militaires, de la mise en oeuvre d'une interdiction plus forte du commerce des armes que celle promue actuellement dans le Traité existant ?
À ceux qui crieraient à l'utopie, je réponds : qui pensait, il y a dix ans, que les États-Unis, avec Jo Biden, seraient porteurs d'une proposition d'impôt exceptionnel sur les profits des grands groupes économiques transnationaux, ou qui pouvait prévoir que la proposition de suspendre, voire supprimer, les brevets sur les vaccins recueillerait tant d'écho en France et dans le monde ?
L'an 2025 marquera le 80e anniversaire de la création des Nations unies et de leur Charte : pourquoi cet anniversaire ne serait-il pas l'occasion d'une Assemblée générale extraordinaire des Nations unies pour rassembler, faire le point et booster les avancées de la démilitarisation de notre planète, de la réduction des dépenses d'armement, des décisions pour lutter contre le réchauffement climatique, de l'achèvement des objectifs du développement durable, de la mise en oeuvre de programmes généralisés d'éducation à une véritable culture de la paix universelle ?  Cette Assemblée générale extraordinaire pourrait être doublée comme en l'an 2000 d'une Assemblée des peuples qui permettrait aux opinons publiques mondiales, aux ONGs, aux élus locaux de s'exprimer et faire pression sur tous ces sujets. Il ne reste pas beaucoup de temps pour saisir cette occasion !

Daniel Durand - 5 septembre 2021

samedi 27 février 2021

Planifier la guerre ou planifier la paix ?

Ce samedi 27 février avait lieu dans la commune d'Ambierle (Loire) une cérémonie d'hommage à l'occasion du 100e anniversiare de la réhabilitation de « ceux de Vingré », fusillés pour l'exemple en novembre 1914. Deux des six soldats fusillés étaient originaires de cette commune. Voici l'intervention que j'ai prononcée à cette occasion :
Monsieur le Maire, Mesdames et messieurs les élus nationaux et départementaux, les responsables d’associations, chers amis et camarades,
Je suis très fier de participer, tant au nom du Comité de la Loire du Mouvement de la paix qu’au nom du Mouvement de la paix national à cette initiative de célébration du centenaire de la réhabilitation des fusillés et martyrs de Vingré. Nous avons toujours soutenu depuis des années l’action pour la réhabilitation de tous les « fusillés pour l’exemple » menée par la Libre pensée et les associations de mémoire et nous continuerons à le faire.
La guerre de 1914-18 a été une immense boucherie, nous le savons, elle a décimé des générations entières de paysans, de travailleurs, d’instituteurs dans nos communes. Quant aux fusillés pour l’exemple, 97 % d’entre eux étaient, comme Jean Blanchard et Francisque Durantet,  des soldats issus de ces catégories sociales. Les officiers, lorsqu’ils furent jugés responsables comme à Vingré, ont seulement été relevés de leurs fonctions.
Mais je ne veux pas répéter ce que les orateurs précédents ont dit. 

Je veux vous faire plutôt partager ma colère d’hier, vendredi. Les chiffres annuels d’un institut de défense britannique ont été publiés ce vendredi. Ils indiquent que les dépenses militaires mondiales se sont élevées à 1830 milliards de dollars en 2020 malgré la pandémie et la crise économique : 4 % de plus que l’année précédente mais surtout près de 2 fois et demi plus que celles de 1997 quelques années après la fin de la Guerre froide. Je suis d’autant plus en colère que la France va dépenser 39,2 mds d’euros en 2021 pour ses dépenses d’armements, soit 4,5 % de plus qu’en 2020 et 22 % de plus qu’en 2017, selon le journal Les Échos, et cela aussi malgré le Covid, malgré la crise économique.
Mais ma colère en fait date d’environ un mois : depuis que la presse a fait largement écho aux discussions pour la mise en œuvre de la planification pour 2040 (dans 20 ans) du futur avion de combat européen SCAF, pour un coût minimum de 80 milliards d’euros. On a annoncé également, il y a un mois, le début de la planification pour 2038 (dans presque 20 ans aussi) d’un nouveau porte-avions nucléaire français qui nous coûtera au moins 10 Mds d’euros

Cela signifie qu’on est capable de planifier vingt ans à l’avance les guerres du futur, qu’on y affecte des sommes faramineuses mais par contre, qu’on est incapable de planifier une sortie de crise sanitaire sur les trois mois, voire l’année à venir. C’est le même scandale à l’échelle internationale : les Nations unies essaient de mettre en œuvre des objectifs de développement durable jusqu’en 2030, et là, les grandes puissances tergiversent, traînent les pieds pour tenir leurs promesses, prendre des engagements fermes. 

Est-ce qu’il n’y a pas à réfléchir sur les priorités de notre société, de notre monde ? Que faut-il planifier en priorité ? Les guerres de demain, les morts de demain ou la paix d’aujourd’hui et de demain, en mettant au centre les besoins des femmes et des hommes, leur santé, leur alimentation, leur instruction, leur coopération et la préservation de leur planète : bref, la construction d’une paix mondiale solide et durable. 

Si cette commémoration du sacrifice de Jean Blanchard et Francisque Durantet pouvait aider non seulement à réfléchir, mais aussi à agir, nous n’aurions pas perdu notre temps aujourd’hui. Merci. 

Daniel Durand – ancien Secrétaire national du Mouvement de la paix - 27/02/2021




mardi 12 janvier 2021

Avec BIDEN, les USA de retour dans le concert international ?

Les quatre ans de mandat de Donald Trump ont vu les USA adopter une politique du "cavalier seul" qui les a conduit à quitter plusieurs organismes internationaux ou à ne plus les financer (OMS, UNESCO, UNRWA), à se retirer de plusieurs accords ou Traités (accord nucléaire iranien, Traité INF ou "euro-missiles", accord de Paris sur le climat). Enfin, les principales initiatives de l'administration Trump ont toutes été unilatérales et ont piétiné des accords ou des positions parfois anciennes de la diplomatie américaine : soutien déséquilibré à Israël aux dépens des droits du peuple palestinien, soutien au roi du Maroc en faisant fi des résolutions de l'ONU sur le Sahara occidental, etc...). Que peut changer l'arrivée du président Biden ? 

Cette question est au coeur des préoccupations non seulement des diplomates des grands pays, mais aussi des gouvernements et peuples de multiples pays, souvent petits, et qui dépendent beaucoup des orientations politiques des États-Unis. Pour avoir un cadre de référence sur les possibles orientations futures du nouveau président des États-Unis d'Amérique, il faut retourner à la source. Le document le plus détaillé des propositions de Jo Biden réside dans le long papier qu'il a donné à la revue Foreig Affairs le 23 janvier 2020 sous le titre "Why America Must Lead Again" ("Pourquoi l'Amérique doit à nouveau diriger") (lire foreignaffairs.com/articles/united-states/2020-01-23/why-america-must-lead-again). Ce texte fondateur sera soumis comme toutes les déclarations électorales à l'épreuve de vérité de la mise en oeuvre concrète une fois l'homme élu, mais il est utile à connaître, ne serait-ce que pour comparer promesses d'hier et réalisé de demain ! 

À la lecture de cet article, on peut résumer ainsi la pensée de Jo Biden : la future politique étatsunienne marquera certainement au retour au multilatéralisme même si la défense des intérêts nationaux restera une priorité. Les USA continueront de s'affirmer comme puissance militaire même si on peut espérer un retour à la table de négociation sur le désarmement. Enfin, l'administration Biden reviendra sur une posture plus traditionnelle avec ses alliés de l'OTAN et désignera clairement la Russie comme menace numéro 1, la Chine en numéro 2 tant sur le plan économique que militaire

Jo Biden utilise dès le début une formule claire : "En tant que président, je prendrai des mesures immédiates pour rénover la démocratie et les alliances américaines, protéger l'avenir économique des États-Unis, et faire que l'Amérique redevienne le leader mondial". Sur le plan du multilatéralisme, deux engagements sont à noter. 

Premièrement, Jo Biden veut restaurer l'image des USA sur le terrain international des droits de l'homme. Il annonce qu'au cours de sa première année de mandat, "les États-Unis organiseront et accueilleront un sommet mondial pour la démocratie afin de renouveler l'esprit et partager l'objectif commun des nations du monde libre. Il rassemblera les démocraties du monde entier pour renforcer nos institutions démocratiques, se confronter honnêtement aux nations qui reculent, et forger un agenda commun". 

Deuxièmement, Biden, contrairement à Trump veut inscrire son pays dans le courant mondial pour la préservation de la planète et pense que les intérêts économiques américains seront mieux défendus dans la future sphère des énergies renouvelables et des industries "propres"du futur. Il annonce donc, dès maintenant, qu'il "rejoindra le groupe de travail de Paris de l'accord sur le climat le premier jour d'une administration Biden", puis qu'il "convoquera un sommet des principaux émetteurs de carbone du monde". S'il annonce une volonté de voir les USA arriver à la neutralité carbone en 2050, sa position n'est pas complètement désintéressée dans l'affrontement économique mondial puisqu'il ajoute : "Nous prendrons des mesures énergiques pour que les autres nations ne puissent pas faire moins que ce que font les États-Unis sur le plan économique, car nous respectons nos propres engagements. Il s'agit notamment d'insister pour que la Chine - le plus grand émetteur de carbone - arrête de subventionner les exportations de charbon et d'externaliser la pollution vers d'autres pays en finançant avec des milliards de dollars des projets d'énergie fossile sale par le biais de son initiative des "Routes de la soie". 

On peut relier aussi à cette volonté de relancer une politique plus multilatérale l'annonce faite par Jo Biden de reconsidérer la position des USA vis à vis du traité conclu avec l'Iran pour contrôler son programme nucléaire ainsi que la discussion sur le futur traité NEW START avec la Russie. Jo Biden fait le constat que "En matière de non-prolifération et de sécurité nucléaire, les États-Unis ne peuvent pas être une voix crédible quand qu'ils abandonnent les accords qu'ils ont négocié". Cela ne signifie pas un tournant sur le fond des positions des USA sur les grands dossiers du désarmement, de la non-prolifération même si le nouveau Président annonce dans cet article de début 2020 : "je prendrai d'autres mesures pour démontrer notre engagement à réduire le rôle des armes nucléaires. Comme je l'ai déclaré en 2017, je pense que le seul objectif de l'arsenal nucléaire américain devrait être la dissuasion". 

Qu'on ne compte pas sur les USA pour signer ou s'associer au processus du TIAN, mais, peut-être, peut-on espérer que le futur représentant américain sera plus ouvert dans les discussions du TNP que l'était par exemple John Bolton dans les années 2000 quand il déclarait que le TNP n'avait que deux et pas trois "piliers" : la non-prolifération et le nucléaire civile, en abandonnant le volet désarmement ! 

Bref, on peut penser que la diplomatie américaine va retrouver son sérieux et une certaine mesure, y compris avec des diplomates plus expérimentés. Dans cette déclaration au Foreign Affairs, Jo Biden insiste sur le fait qu'il "élèverait la diplomatie au rang de principal outil de la politique étrangère des États-Unis. Je vais réinvestir dans le corps diplomatique, que cette administration a vidé de sa substance, et remettre la diplomatie américaine entre les mains de véritables professionnels". Depuis, les noms annoncés pour son équipe confirment cette volonté de faire appel à l'expérience de politiques rompus au multilatéralisme. 

Désormais au poste-clé de secrétaire d'État, Antony Blinken était le numéro deux du département d'État sous le président Barack Obama et l'un des principaux conseillers en diplomatie de Joe Biden. Fervent partisan du multilatéralisme, il devrait s'attaquer en priorité au dossier du nucléaire iranien et au retour des États-Unis dans l'accord de Paris sur le climat. S'il est confirmé par le Sénat, il succédera à Mike Pompeo, le sulfureux chef de la diplomatie de Donald Trump. Linda Thomas-Greenfield deviendra ambassadrice à l'ONU. Diplomate afro-américaine chevronnée de 68 ans, elle a déjà occupé le poste de secrétaire d'État adjointe pour l'Afrique. Enfin l'ancien secrétaire d'État de Barack Obama, John Kerry, sera l'émissaire spécial du président américain sur le climat, signe de l'importance qu'accorde Joe Biden à ce dossier. 

 Jo Biden a une longue expérience politique et diplomatique, ces déclarations d'intention au début de la campagne électorale ont bien sûr tenu compte des compromis entre les différentes tendances du parti démocrate. Une fois élu, il sera face à la gestion du principe de réalité, nous verrons aussi quel est le rôle et l'influence de sa vice-présidente Kamala Harris. Il sera vite confronté à quelques dossiers chauds, comme par exemple, son positionnement en Israël et au Moyen-Orient après la série de décisions prises par Trump. Dans ce dossier, même s'il ne remettra sans doute pas en question toutes les décisions de Trump, il prendra probablement des gestes d’apaisement tels que la restauration des programmes d’assistance, de coopération sécuritaire et de développement économique en faveur des Palestiniens. L’accession de Joe Biden à la présidence des États-Unis permettra aux Palestiniens de se faire entendre à nouveau. Elle ne garantit pas qu’ils seront écoutés ! 

Une chose est certaine : le retour à un multilatéralisme élargi à l'échelle mondiale avec la participation de la principale puissance de la planète que sont les USA, offrira des fenêtres d'intervention plus importantes pour les pays qui voudront jouer un rôle diplomatique, des opportunités nouvelles pour la pression des ONG sur de nombreux dossiers : on verra ce qui se passera à propos du climat, à propos du désarmement nucléaire, même si ce sera beaucoup plus compliqué dans ce dernier domaine. Une année 2021 plus "déverrouillée" pour l'intervention des citoyens et citoyennes du monde ? Ce serait au moins une des bonnes nouvelles de ce début d'année ! 

Le 12 janvier 2021

mercredi 6 janvier 2021

Halte à la tentative de putsch réactionnaire aux USA !

 Halte à la tentative de putsch réactionnaire aux USA ! Soutien et solidarité au peuple et aux progressistes américains !
Le verdict des urnes doit être respecté. Jo Biden et Kamala Harris déclarés élus ! #Biden #Trump #democracy #USA #Macron #democratie https://t.co/5WcbyOR1NY
(https://twitter.com/ddurand42/status/1346928709224329230?s=03)

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Mercredi 6 janvier 2021 - 21 h 30

mardi 5 janvier 2021

"2021 - Année internationale de la paix et de la confiance ? - CHICHE !

En ce début d'année 2021, il est difficile de s'abstraire du contexte sanitaire pesant, de ses contraintes et de ses incertitudes. Mais il faut être conscient que cette crise pandémique fait maintenant partie de notre quotidien et même après la victoire sur ce méchant virus grâce aux vaccins qui se répandront inexorablement, nous aurons à faire face demain à d'autres crises inédites qu'elles soient sanitaires ou climatiques, par exemple.
En consultant mes notes pour préparer cet article, j'ai retrouvé une information que l'année 2020 et la pandémie nous avaient fait passer sous la table. Quelle est-elle ? C'est la résolution extraordinairement porteuse de sens de l'Assemblée générale des Nations unies qui a décidé le 12 septembre 2019 que 2021 serait "Année internationale de la paix et de la confiance" afin de mobiliser les efforts de la communauté internationale pour faire régner durablement la paix, la solidarité et l’harmonie comme elle dit dans la résolution.
Cette décision a été prise plusieurs mois avant que ne démarre le chaos créé par l'épidémie de la COVID-19. Avec le recul, en ce début 2021, quelle est sa validité ? Certains crieront, n'en doutez-pas, au "hors-sujet" ? Mais en considérant tous les enseignements que nous pouvons commencer à tirer de l'année 2020, on peut estimer que l'idée de faire de "2021, l'année de la paix" représente une formidable opportunité pour les peuples de la planète.
2020 nous a montré que le monde avait besoin de beaucoup de solidarité pour faire face aux grands problèmes de notre humanité. Hier et aujourd'hui, une pandémie mondialisée ; aujourd'hui et demain, un réchauffement climatique qui serait catastrophique ; hier, aujourd'hui, demain, un risque d'embrasement guerrier soudain avec les dizaines de milliers de têtes nucléaires toujours en état d'alerte et de moins en moins contrôlées par certains pays.
Solidarité mondiale, cela signifie développement des coopérations : coopération pour mettre partout à disposition des populations un vaccin bon marché et efficace, coopération pour relancer le développement, bloqué dans de très nombreux pays à cause de la pandémie, solidarité pour réactiver partout les programmes d'aide à la scolarisation, à l'accueil des réfugiés ou migrants. Ces solidarités, ces coopérations ont besoin d'institutions internationales fortes, donc d'une ONU revigorée, d'un multilatéralisme renforcé.
Comment le faire sans la paix et la confiance ?
Une autre conséquence de la crise relancée en 2020 est l'énorme besoin de ressources financières pour financer tous ces programmes, dans les pays en voie de développement mais aussi dans les pays industrialisées. Des milliards de dollars de dépenses ont été engagés, il faudra trouver de quoi les rembourser sans que cela ne retombe sur les salariés et les simples gens. Face à cette exigence, les 1 800 milliards de dollars engagés dans des dépenses militaires chaque année apparaissent encore plus incongrus et scandaleusement déplacés.
Il faut réduire drastiquement les budgets militaires mais pour cela cela, il faut renforcer la sécurité internationale.
Comment le faire sans la paix et la confiance ?
Relancer, dynamiser les grands accords et les grandes négociations internationales, sur le climat et l'accord de Paris, sur la paix au Moyen-Orient avec un État pour le peuple palestinien, avec la consolidation de l'accord sur le nucléaire iranien sont des grandes nécessités. Sans croire au miracle, le changement de président aux États-Unis le 21 janvier va représenter une opportunité politique pour remettre des processus diplomatiques sur des rails plus classiques.
Une autre grande "fenêtre d'action" se présentera le lendemain 22 janvier avec l'entrée en vigueur du traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN).
L'illégalité des armes nucléaires, de leur emploi, de leur possession, de leur construction, de leur stationnement va entrer dans le droit international. Bien sûr, au départ, cela ne concernera que les signataires, les États-parties, et les États nucléaires, qui n'ont pas signé ce Traité, n'y seront pas au début théoriquement soumis. Mais qui peut croire qu'une nouvelle ère ne va pas s'ouvrir dans le monde ? Le bon droit, le droit international aura changé de côté ! Chaque État nucléaire, la France comme les autres, devra répondre de sa posture. Pourquoi n'adhèreraient-ils pas à cette nouvelle norme mondiale ? Pourquoi s'arrogeraient-ils le droit de rester en dehors du droit ?
Chaque citoyen de chaque peuple, dans chacun des pays nucléaires, sera en droit d'interpeller son gouvernement. Pourquoi restons-nous hors-la-loi ? Que fait-on pour créer les conditions, de sécurité, de coopération, de contrôle afin que notre pays rejoigne la communauté du droit ?
L'hypothèque Trump levée aux USA, le TIAN en vigueur, oui, 2021 devrait connaître de nouvelles opportunités politiques pour les peuples, les militants pour un monde de paix, de justice et de coopérations, afin de développer de nouveaux rapports de forces. Oui, s'appuyer sur l'idée de "2021 - année internationale de la paix et de la confiance" sera un puissant levier pour nous donner la force de sortir du trouble et des brumes de cette "annus horribilis" qu'a été 2020 !

vendredi 1 janvier 2021

 


Traité d'interdiction des armes nucléaires, changement de président aux USA.... Une année d'opportunités nouvelles à saisir !
Daniel Durand