mardi 16 avril 2024

Iran – Israël : Ni « droit de riposte », ni « auto-défense », mais « droit international » !

« Le Moyen-Orient est au bord du gouffre. La population de la région fait face au danger réel d’un conflit à grande échelle dévastateur », a déclaré le secrétaire général de l’ONU lors de la réunion du Conseil de sécurité, demandée par Israël à la suite de l’attaque de l’Iran. « C’est le moment de désamorcer et d’une désescalade », a-t-il ajouté.
Rappelons les faits.
Le 2 avril dernier, six missiles ont été tirés par des chasseurs F-35 israéliens sur la section consulaire de l’ambassade d’Iran à Damas, en Syrie, dont il ne reste plus qu’un amas de ruines Cette agression a fait au moins 13 morts. Parmi ceux-ci, sept officiers iraniens des Gardes de la révolution, dont deux importants commandants, ont été tués, dans cette opération qui ressemble fort à un assassinat ciblé, ce qui est un acte coutumier du gouvernement israélien.
Cette attaque d’un bâtiment diplomatique d’un pays, situé de plus sur le territoire d’un autre pays, représente une atteinte grave et inédite au droit international. Rappelons que le statut des consulats a été précisé en 1963 par un traité international, la « Convention de Vienne sur les relations consulaires ». Comme pour les ambassades, juridiquement, ces locaux sont « inviolables ».
L’article 31 stipule ainsi que « les autorités de l’État de résidence ne peuvent pénétrer dans la partie des locaux consulaires que le poste consulaire utilise exclusivement pour les besoins de son travail, sauf avec le consentement du chef de poste consulaire, de la personne désignée par lui ou du chef de la mission diplomatique de l’État d’envoi ».
Examinons un scénario de fiction : quelle aurait été la réaction de la France face à la destruction ciblée de son consulat au Mali après une frappe de l’aviation du Niger ? Dans ce cas d’école, elle aurait sûrement remué ciel et terre pour obtenir une réunion et une condamnation du Conseil de sécurité des Nations unies. J’ose espérer que la France, dans cette situation imaginaire, n’aurait pas procédé à une riposte militaire sur le sol du pays agresseur (Niger dans mon hypothèse).
Dans la « vraie vie », en l’occurrence, début avril, France et USA se sont opposées à toute condamnation du gouvernement israélien lors de la réunion du Conseil de sécurité qui a suivi.
Même si l’attaque israélienne n’avait pas visé un bâtiment diplomatique, il faut rappeler que toute action militaire menée par un pays sur le territoire d’un pays tiers sans son accord, est illégale selon le droit international, puisqu’elle viole la souveraineté de ce pays.
Dans les deux dernières décennies, nous nous sommes habitués à ces atteintes au droit international que constituent ces assassinats ciblés. Plusieurs ont été commis par les États-Unis au nom de la lutte anti-terroriste, notamment contre Ben Laden et ses complices, par Israël dans ses actions contre le Hamas et le Hezbollah, par la Russie contre certains opposants politiques, par la France en Afrique, par la Turquie, l’Arabie saoudite, etc. L’utilisation de drones facilitent maintenant ce type d’action.
N’est-il pas temps de remettre ce problème sur le devant de la scène : comment qualifier systématiquement toutes ces actions de crimes de guerre, comment les rendre justifiables d’un passage systématique devant la Cour pénale internationale pour en condamner les responsables, chefs des armées ou chefs de gouvernement ?
C’est un enjeu d’assainissement des relations internationales aujourd’hui.

********

L’absence de condamnation de l’acte israélien début avril, accompli au mépris du droit international est choquante. La survenue d’une riposte militaire iranienne, toute aussi illégale d’ailleurs en regard du droit international, est alors devenu prévisible pour tous les observateurs. Le bombardement de ce consulat a fait s’interroger de nombreux observateurs ou chercheurs sur les buts réels poursuivis à Damas par l’aviation israélienne.
Ainsi, dès le 2 avril, Elena Aoun, professeure et chercheuse en relations internationales à l’Université Catholique de Louvain déclarait : « à chaque nouvelle escalade de la part d’Israël, il est à craindre que ses ennemis soient poussés un peu plus dans leurs retranchements ». […] « Israël n’attend que l’escalade quelque part qui, de manière évidente, viendrait desserrer quelque part l’étau par rapport à son opération à Gaza ».
La suite de l’actualité lui a hélas donné raison.
Ce 13 avril, l’Iran a procédé à l’envoi massif de drones et de missiles sur Israël, estimant user “du droit inhérent à l’autodéfense”, selon les propos de l’ambassadeur iranien. Il est évident qu’en lançant une attaque directement sur le sol de son adversaire, l’Iran a enclenché une spirale guerrière dangereuse. Cette action doit être condamnée fermement par la communauté internationale. Elle n’a aucune justification légale.
Il n’existe pas de « droit de riposte » ou de « droit inhérent à l’autodéfense » dans la Charte des Nations unies et donc, dans le droit international.
Il faut redire et répéter que le « droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations unies est l’objet d’une agression armée », évoqué dans l’article 51 de la Charte, est limité strictement et ne doit s’exercer que « jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales ».
Cela signifie clairement que ce droit de légitime défense ne peut s’exercer que pour répondre à une menace en cours, en développement, qu'il faut donc stopper, comme l’était l’attaque russe en Ukraine en février 2022, et non à un acte, ciblé, terminé et non susceptible de prolongement immédiat.
Dans les deux cas examinés ici, bombardement israélien du consulat iranien, et envoi iranien de drones et de missiles (qui ont été anéantis en quasi totalité par la défense anti-aérienne), la menace a cessé après l’acte délictueux commis.
Le bombardement israélien n’a été suivi d’aucune autre action. De son côté, l’ambassadeur iranien à L’ONU a déclaré dès l’envoi des drones et missiles que « l’opération était terminée ». Selon plusieurs experts militaires, il semble que l’attaque iranienne était très très mesurée et que les gouvernements occidentaux, notamment les USA, avaient été avertis et prévenus à l’avance pour qu’ils puissent la contrôler).
La responsabilité des réponses à ces deux actes, bombardement israélien et agression aérienne iranienne, doit donc être remise dans les mains du Conseil de sécurité. Aucun pays ne doit s’arroger un quelconque « droit de réponse ».
La responsabilité, alors, du Conseil de sécurité, est claire. Il doit agir ainsi que l’indique l’article 1 de la Charte des Nations unies pour « Maintenir la paix et la sécurité internationale et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ».
La réponse à une agression d’un État contre un autre ne réside donc pas dans un imaginaire « droit de riposte » mais dans la mise en œuvre d’un processus diplomatique pour résoudre le différend par la voie diplomatique.
C’est cela l’obligation politique qui incombe, notamment aux grandes puissances, membres permanents, du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le scénario politique qui s’est mis en place : absence de condamnation politique de la première action commise par Israël, sur-réaction politique par contre à l’attaque aérienne iranienne contre le sol israélien risque d’enclencher un engrenage dangereux et mortifère dont personne ne peut dire, s’il ne risque pas de devenir incontrôlable.

****************************

Il est encore temps d’éviter les scénarios catastrophes : il est possible d’imposer la retenue aux deux parties à condition de cesser l’approche du « double standard ». Il est possible d’assainir la situation géopolitique régionale en avançant sur la voie d’une solution au problème palestinien.
Cela peut se faire en respectant d’abord les recommandations de la Cour internationale de justice et la dernière résolution du Conseil de sécurité sur le cessez-le-feu immédiat à Gaza, l’aide humanitaire et la libération des otages israéliens et des prisonniers palestiniens. Même si elle sera difficile, il faudra construire rapidement les conditions d’une solution à deux États.
Dans ce but, l’action de la France doit être beaucoup plus claire et ferme.
Le cessez-le-feu et le déblocage total de l’aide humanitaire sont décisifs : les pays occidentaux doivent augmenter la pression sur le gouvernement Netanyahou en bloquant toute aide militaire à celui-ci et en suspendant l’accord d’association UE-Israël. Si les occidentaux font ces démarches, ils seront fondés de demander au Qatar et à l’Arabie saoudite de suspendre leur aide au Hamas.
Parallèlement, la France doit franchir le pas de la reconnaissance officielle de la République de Palestine et soutenir le dossier que celle-ci vient de redéposer pour demander son admission comme membre à part entière des Nations unies.
Pour obtenir cet infléchissement de l’action de la France, il serait évidemment souhaitable que l’action des organisations et associations françaises se concentre sur ces demandes précises auprès du Président de la République française, en cessant d’avoir une position ambiguë sur la question des deux États.

Daniel Durand – 16 avril 2024

chercheur en relations internationales
Président de l’IDRP

NB : pour information

Hier soir, lundi 15 avril, à Tel Aviv, les militants de Peace Now ont manifesté devant l'ambassade des Etats-Unis en scandant ces mots d'ordre :

"Oui à un accord régional et à une solution à deux États ! Non à la guerre !"

mardi 27 février 2024

Ukraine : le droit international, pas les troupes

« Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée, des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre », a déclaré le 26 février dernier, le président Emmanuel Macron, lors d’une conférence de chefs d’États européens, réunis à Madrid.
Pour le quotidien espagnol, El Païs, “ce qui est significatif, c’est que Macron, en résumant les résultats du sommet, l’a considéré comme une hypothèse plausible”.
Le président français a « brisé un tabou » selon le journal « Courrier international ».
« Irresponsabilité, folie », les réactions politiques en France, à ces propos, sont très négatives. À l’étranger, on peut noter que le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a été plus prudent et a déclaré que l’Alliance militaire n’avait pas l’intention d’envoyer des troupes de combat en Ukraine. « Les alliés de l’OTAN apportent un soutien sans précédent à l’Ukraine. Nous le faisons depuis 2014 et nous avons intensifié nos efforts après l’invasion à grande échelle. Mais il n’est pas prévu que des troupes de combat de l’OTAN soient déployées sur le terrain en Ukraine».
Mélanges de « comm » et d’approximation diplomatique, nous connaissons toutes les déclarations, suivies de marches arrières, sur la Russie en 2022, sur l’engagement au Sahel, de ce président, qui ignore tout des « temps longs » de la diplomatie, au profit des « coups » de communication, au risque de « retours de bâton » brutaux, comme il vient d’en essuyer un avec les agriculteurs français.

Au delà de l’irresponsabilité du président Macron qui envisage l’envoi de troupes en Ukraine, c’est-à-dire en fait, décide une entrée en guerre avec la Russie, sans consultation du Parlement français, notons-le, je voudrais insister sur un autre aspect.
Par cette déclaration de « bravache », il confirme en fait, qu’il ferme la porte à toute issue diplomatique et pacifique à la guerre russo-ukrainienne. « Empêcher la Russie de gagner » devient de fait, une simple clause de style. Emmanuel Macron estime, au travers de ces déclarations, que l’option militaire est la seule qui reste sur la table et donc que cette crise doit se terminer par une victoire totale du camp occidental sur la Russie, en l’occurrence.
Quelle illusion ! Premièrement, de nombreux spécialistes militaires disent que le conflit va durer plusieurs années, ce qui signifie que, pendant ce temps, les populations civiles ukrainiennes vont continuer de payer le lourd prix des morts et des destructions.
Deuxièmement, l’expérience des conflits des deux premières décennies de ce siècle montre que, partout, où ce sont des solutions militaires qui ont été priorisées, elles ont été en échec. Qu’on pense à la victoire des talibans en Afghanistan, au chaos en Irak, à l’effondrement de l’État en Libye, aux coups d’états militaires, et au renvoi peu glorieux des troupes françaises au Sahel.
Veux-t-on, là aussi, créer puis laisser subsister une crise, un abcès purulent, en Europe comme le sont devenus la Libye pour l’Afrique ou l’Afghanistan pour l’Asie du Sud-Est ?
Troisièmement, le point, peut-être le plus important pour moi, est que le président Macron, en écartant de fait toute perspective de solution diplomatique, démontre que les grandes puissances ne respectent pas le droit international et l’article Un de la Charte des Nations Unies. Celui-ci dit :
« Maintenir la paix et la sécurité internationale et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ».
Cette obligation du droit international de régler les conflits par la diplomatie s’impose à tous, à toutes les parties et à toutes les grandes puissances en particulier.
Malgré les campagnes d’intoxication médiatique les plus extravagantes, dans lesquelles, on nous ressort, par exemple, la menace des chars russes sur les Champs-Élysées. il faut garder la tête froide.
Ce qu’écrivait déjà, en septembre dernier, le journaliste suisse, spécialiste de la Russie, Éric Hoesli, dans le journal Le Temps, est toujours vrai : « La guerre ne va pas venir jusqu’à nous, la Russie ne va pas, comme certains le prédisaient dans les semaines suivant l’invasion, conquérir la Pologne ou les pays baltes. Il n’y a plus grand monde même pour penser que l’ensemble de l’Ukraine soit menacé. Dans les esprits, l’enjeu s’est circonscrit et comme rétréci au Donbass et à la Crimée. Même en Russie, il n’y a plus que quelques ultras échauffés pour rêver d’une conquête de Kiev, de Dnipro ou de Kharkiv ».
La situation concrète est celle-ci : à l’est de l’Europe, un pays, la Russie, a contrevenu gravement au droit international et à la Charte des Nations unies. Il faut donc défendre fermement la souveraineté et l’intégrité de l’Ukraine. Cette défense doit se faire en déployant tous les moyens politiques et diplomatiques que le droit international nous propose.
Selon une étude menée par Datapaxis et YouGov pour le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), seuls 10 % des Européens croient en une victoire ukrainienne, alors qu’ils sont 20 % à penser que la Russie va l’emporter. Mais pour quasiment un Européen sur quatre, ce ne sont pas les armes qui mettront fin à la guerre. Ainsi, 37 % estiment qu’elle se soldera par un accord entre les deux pays. 41 % des Européens considèrent même que l’Union européenne devrait pousser l’Ukraine à négocier un accord de paix.
Comment y arriver en créant un rapport de forces à l’échelle internationale ? Je crois qu’il y a besoin d’un sursaut politique et éthique au niveau des états aux Nations unies, en s’appuyant en particulier sur les états du sud (« the Global South ») et les états émergents (comme les BRICS), les opinions publiques et les réseaux d’ONG pour créer une « coalition des bonnes volontés » (« coalition of the will »), promouvant l’exigence de solutions politiques au cœur de tous les efforts internationaux. Cela signifie de tourner le dos aux scénarios récents de réunions internationales, visant le renforcement des dépenses et équipements militaires, le renforcement des alliances militaires, la fuite en avant au seul bénéfice des lobbies militaro-industriels.
C’est cette démarche de bonne volonté qui honorerait le Président français, espérons que nombreux seront les parlementaires à l’exiger, si se tient, comme cela vient d’être annoncé ce lundi 27 février, une session de l’Assemblée nationale pour discuter d’une déclaration du gouvernement, « relative à l’accord bilatéral de sécurité conclu avec l’Ukraine » le 16 février, qui sera suivie d’un débat et d’un vote.
Daniel Durand

Président de l’IDRP – 27 février 2024

mardi 20 février 2024

Ukraine - La paix, but central de notre action

Il y a deux ans exactement, la Russie lançait son agression contre l'Ukraine. Elle était ainsi, au début de ce 21e siècle, après les États-Unis en Irak en 2003, la deuxième grande puissance du Conseil de sécurité à violer ouvertement le droit international et la Charte des Nations unies (comme elle l'avait déjà fait en 2014 en occupant la Crimée).
Très vite,comme je l'ai écrit, il y a un an, deux scénarios se sont affrontés, si on écarte d’entrée celui qui aurait consisté à accepter sans protester le fait accompli de l’agression russe contre un pays indépendant, membre des Nations unies,
Le premier scénario, celui de rechercher une sortie de crise politique au conflit, a été quasiment étouffé dans l’œuf sous l'accusation de faire le jeu de Poutine. Les expressions ou initiatives pour la paix du Pape François, du premier ministre israélien, de la Turquie, de la Chine, de l'Inde, de l'Arabie saoudite, ont été rejetées sans discussion. Un "main stream", une pensée dominante, s'est installée dans les médias européens, reprenant presque tous les vieux poncifs de la propagande de guerre, décrits par l'universitaire Anna Morelli dans son ouvrage " Principes élémentaires de propagande de guerre".
C’est un second scénario, qui a été choisi très rapidement, par les pays européens et les États-Unis, qui ont formé un nouveau "bloc occidental". Il a été décidé, même si cela n’est pas assumé officiellement, de répondre "à la guerre par la guerre", en multipliant les sanctions économiques et politiques contre la Russie et en accordant une aide militaire de plus en plus importante au gouvernement ukrainien, tant sous forme de crédits que de fournitures d'armes.
Au bout de deux ans, il faut constater que cette option militaire, soutenue et choisie par les occidentaux, est en échec : chaque jour voit de nouvelles victimes militaires ou civiles, de nouvelles destructions. Des sources américaines estiment à environ 300 000 le nombre de militaires, tués, dont deux-tiers côté russe. Le HCR estime à plus de 10 000 le nombre de civils ukrainiens tués. Avec cynisme, l’armée russe s'est adaptée à ces combats stagnants et détruit méthodiquement des installations tant militaires que civiles, en commettant, de ce fait, de plus en plus de crimes de guerre. C'est la logique implacable de toutes les guerres : nous l'avons constaté en Irak, en Syrie, etc..
Cette option militaire du bloc occidental s'effectue de plus en plus en contradiction avec le droit international.
En effet, les grandes puissances du Conseil de sécurité des Nations unies, n'ont pas fait le maximum pour aboutir à l'arrêt des combats et à une solution diplomatique négociée, comme les y oblige l'article 1 de la Charte des Nations unies :
"Maintenir la paix et la sécurité internationale et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix".
C'est là que réside le coeur du droit international, le but central de la création des Nations unies. Il existe bien sûr un droit pour une nation agressée de se défendre, mais ce droit n'est que temporaire en attendant la mise en oeuvre de mesures pour "réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends".
Ce droit n'est d'ailleurs énoncé que dans l'article 51, à la fin du Chapitre VII (articles 39 à 51) et il dit précisément :
"Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales".
En ne menant aucun effort diplomatique sérieux pour ouvrir la voie à un processus de paix, les puissances occidentales ont conforté la Russie dans sa posture scandaleuse de pays qui se défend contre "les méchants occidentaux" et ont instrumentalisé le conflit et enclenché une surenchère de surarmement, pour gagner des avantages militaires et stratégiques, dans le cadre d'un futur affrontement qu'elles ne cherchent même plus à cacher, demain, contre la Chine. 

Tous ces choix politiques ont été faits, soyons clairs, sur le dos du peuple ukrainien que chaque jour de guerre supplémentaire enfonce dans ses souffrances, même si de nombreux experts militaires disent froidement que le conflit peut durer longtemps, voire de "très nombreuses années" (déclaration du secrétaire général de l'OTAN, Jens Stotenberg, 15 février 2023).
On assiste à une situation où la prolongation de la guerre fait le bonheur des lobbies d'armement tant russes et bien sûr iranien, nord-coréen, chinois que états-uniens, français, britanniques ou allemands.
Les déclarations alarmistes de dirigeants de pays européens ou de l'OTAN se multiplient sur la guerre probable en Europe et visent à créer une atmosphère alarmiste, justifiant une relance du surarmement.
Depuis maintenant des semaines, le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius [SPD], martèle sur toutes les ondes que l’Allemagne doit se préparer à une éventuelle guerre en Europe, estimant possible une confrontation avec la Russie d’ici cinq ans.
"Une défense forte nécessite une base industrielle solide. Celle-ci verra le jour si nous, Européens, regroupons nos commandes, si nous mettons en commun nos moyens et donnons ainsi à l'industrie des perspectives pour les 10, 20 ou 30 prochaines années", a souligné le chancelier Olaf Scholz, le 12 février dernier, en visitant l'usine d'obus Rheinmetall.
La présidente de l’exécutif européen, Ursula von der Leyen a estimé samedi 17 février qu'un nouveau poste de commissaire européen à la Défense devrait être créé au sein de la prochaine Commission européenne.
Ce choix de l'escalade militaire se manifeste en France par la décision du Président Macron d'accorder trois milliards d'euros de crédits militaires supplémentaires à l'Ukraine ce week-end et par, le lendemain, l'annonce du ministre Lemaire de couper un milliard d'euros dans le Fonds d'aide au développement pour les pays pauvres !
En définitive, si on rapproche ces deux constations : la première que la guerre va durer plusieurs années sans avantages décisifs pour une partie, la seconde qu’il y aura une intensification des dépenses d’armement et des fournitures d’armes ; la conclusion semble évidente. L’option militaire, malgré les beaux discours dans les forums inter-ministériels ou les couloirs de l'OTAN ne vise donc pas à abréger les souffrances de la population ou à raccourcir la durée de la guerre.
Il est nécessaire plus que jamais de sortir de cette impasse mortifère : agir pour la paix et l’arrêt des combats est une exigence éthique et morale, c'est la mise en oeuvre prioritaire du droit international et de l'article 1 de la Charte des nations unies qui s'impose à tous : "réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends".
Ceux qui déclarent que tout cessez-le-feu serait « déposer les armes », « entériner l’occupation » du territoire ukrainien, soient font fi des souffrances quotidiennes de la population lorsqu’il s’agit de “conseilleurs” extérieurs au pays, soient s’enferment dans une position nihiliste sans issue.
Une situation diplomatique n’est jamais figée définitivement, son évolution dépend des volontés politiques mises en œuvre. Travailler à des formules de cessez-le-feu global ou partiel ou temporaire n’est pas remettre en cause la souveraineté de l’Ukraine.
Cette exigence doit se tourner en priorité aujourd'hui vers le Président Macron et les dirigeants occidentaux pour qu'ils agissent conformément au droit international, pour mettre la pression diplomatique sur la Russie.
La mobilisation de l'opinion publique en France n'est pas à la hauteur des exigences. On constate même à la lecture de certaines déclarations, syndicales notamment, qu'on s'appuie sur la position d’« union sacrée » d’une partie des forces syndicales et militantes ukrainiennes pour appeler au soutien de cette résistance populaire (allant pour certains jusqu'à pour certains le soutien à la poursuite des fournitures d'armement), en ne rappelant pas l'urgence de l'ouverture d'un processus diplomatique pour la paix ou en y mettant des conditions préalables.  C’est une impasse politique qui nous ramènerait aux heures sombres de "l'union sacrée" de 1914.
Agir pour faire aboutir l'arrêt des combats en Ukraine et le démarrage d'une processus de paix doit être notre priorité, en ayant à l'esprit lés paroles d'Antonio Gutteres, Secrétaire général des nations unies, cette semaine, à la Conférence de Munich sur la sécurité : « Nous avons désespérément besoin d’une paix juste et durable pour l’Ukraine, pour la Russie et pour le monde. Une paix conforme à la Charte des Nations Unies et au droit international, qui établit l'obligation de respecter l'intégrité territoriale des États souverains".

Daniel Durand

Président de l'IDRP
20 février 2020