mardi 27 février 2024

Ukraine : le droit international, pas les troupes

« Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée, des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre », a déclaré le 26 février dernier, le président Emmanuel Macron, lors d’une conférence de chefs d’États européens, réunis à Madrid.
Pour le quotidien espagnol, El Païs, “ce qui est significatif, c’est que Macron, en résumant les résultats du sommet, l’a considéré comme une hypothèse plausible”.
Le président français a « brisé un tabou » selon le journal « Courrier international ».
« Irresponsabilité, folie », les réactions politiques en France, à ces propos, sont très négatives. À l’étranger, on peut noter que le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a été plus prudent et a déclaré que l’Alliance militaire n’avait pas l’intention d’envoyer des troupes de combat en Ukraine. « Les alliés de l’OTAN apportent un soutien sans précédent à l’Ukraine. Nous le faisons depuis 2014 et nous avons intensifié nos efforts après l’invasion à grande échelle. Mais il n’est pas prévu que des troupes de combat de l’OTAN soient déployées sur le terrain en Ukraine».
Mélanges de « comm » et d’approximation diplomatique, nous connaissons toutes les déclarations, suivies de marches arrières, sur la Russie en 2022, sur l’engagement au Sahel, de ce président, qui ignore tout des « temps longs » de la diplomatie, au profit des « coups » de communication, au risque de « retours de bâton » brutaux, comme il vient d’en essuyer un avec les agriculteurs français.

Au delà de l’irresponsabilité du président Macron qui envisage l’envoi de troupes en Ukraine, c’est-à-dire en fait, décide une entrée en guerre avec la Russie, sans consultation du Parlement français, notons-le, je voudrais insister sur un autre aspect.
Par cette déclaration de « bravache », il confirme en fait, qu’il ferme la porte à toute issue diplomatique et pacifique à la guerre russo-ukrainienne. « Empêcher la Russie de gagner » devient de fait, une simple clause de style. Emmanuel Macron estime, au travers de ces déclarations, que l’option militaire est la seule qui reste sur la table et donc que cette crise doit se terminer par une victoire totale du camp occidental sur la Russie, en l’occurrence.
Quelle illusion ! Premièrement, de nombreux spécialistes militaires disent que le conflit va durer plusieurs années, ce qui signifie que, pendant ce temps, les populations civiles ukrainiennes vont continuer de payer le lourd prix des morts et des destructions.
Deuxièmement, l’expérience des conflits des deux premières décennies de ce siècle montre que, partout, où ce sont des solutions militaires qui ont été priorisées, elles ont été en échec. Qu’on pense à la victoire des talibans en Afghanistan, au chaos en Irak, à l’effondrement de l’État en Libye, aux coups d’états militaires, et au renvoi peu glorieux des troupes françaises au Sahel.
Veux-t-on, là aussi, créer puis laisser subsister une crise, un abcès purulent, en Europe comme le sont devenus la Libye pour l’Afrique ou l’Afghanistan pour l’Asie du Sud-Est ?
Troisièmement, le point, peut-être le plus important pour moi, est que le président Macron, en écartant de fait toute perspective de solution diplomatique, démontre que les grandes puissances ne respectent pas le droit international et l’article Un de la Charte des Nations Unies. Celui-ci dit :
« Maintenir la paix et la sécurité internationale et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ».
Cette obligation du droit international de régler les conflits par la diplomatie s’impose à tous, à toutes les parties et à toutes les grandes puissances en particulier.
Malgré les campagnes d’intoxication médiatique les plus extravagantes, dans lesquelles, on nous ressort, par exemple, la menace des chars russes sur les Champs-Élysées. il faut garder la tête froide.
Ce qu’écrivait déjà, en septembre dernier, le journaliste suisse, spécialiste de la Russie, Éric Hoesli, dans le journal Le Temps, est toujours vrai : « La guerre ne va pas venir jusqu’à nous, la Russie ne va pas, comme certains le prédisaient dans les semaines suivant l’invasion, conquérir la Pologne ou les pays baltes. Il n’y a plus grand monde même pour penser que l’ensemble de l’Ukraine soit menacé. Dans les esprits, l’enjeu s’est circonscrit et comme rétréci au Donbass et à la Crimée. Même en Russie, il n’y a plus que quelques ultras échauffés pour rêver d’une conquête de Kiev, de Dnipro ou de Kharkiv ».
La situation concrète est celle-ci : à l’est de l’Europe, un pays, la Russie, a contrevenu gravement au droit international et à la Charte des Nations unies. Il faut donc défendre fermement la souveraineté et l’intégrité de l’Ukraine. Cette défense doit se faire en déployant tous les moyens politiques et diplomatiques que le droit international nous propose.
Selon une étude menée par Datapaxis et YouGov pour le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), seuls 10 % des Européens croient en une victoire ukrainienne, alors qu’ils sont 20 % à penser que la Russie va l’emporter. Mais pour quasiment un Européen sur quatre, ce ne sont pas les armes qui mettront fin à la guerre. Ainsi, 37 % estiment qu’elle se soldera par un accord entre les deux pays. 41 % des Européens considèrent même que l’Union européenne devrait pousser l’Ukraine à négocier un accord de paix.
Comment y arriver en créant un rapport de forces à l’échelle internationale ? Je crois qu’il y a besoin d’un sursaut politique et éthique au niveau des états aux Nations unies, en s’appuyant en particulier sur les états du sud (« the Global South ») et les états émergents (comme les BRICS), les opinions publiques et les réseaux d’ONG pour créer une « coalition des bonnes volontés » (« coalition of the will »), promouvant l’exigence de solutions politiques au cœur de tous les efforts internationaux. Cela signifie de tourner le dos aux scénarios récents de réunions internationales, visant le renforcement des dépenses et équipements militaires, le renforcement des alliances militaires, la fuite en avant au seul bénéfice des lobbies militaro-industriels.
C’est cette démarche de bonne volonté qui honorerait le Président français, espérons que nombreux seront les parlementaires à l’exiger, si se tient, comme cela vient d’être annoncé ce lundi 27 février, une session de l’Assemblée nationale pour discuter d’une déclaration du gouvernement, « relative à l’accord bilatéral de sécurité conclu avec l’Ukraine » le 16 février, qui sera suivie d’un débat et d’un vote.
Daniel Durand

Président de l’IDRP – 27 février 2024

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