jeudi 7 avril 2022

Guerre(s) Russie - Ukraine : la "guerre informationnelle" (III)

(English translation below)

Dans mon premier article sur la Guerre d'Ukraine, je parlais de "trois guerres en une" pour qualifier la superposition à une guerre classique, employant la force brutale, celle de l'armée russe en l'occurrence, d'une deuxième guerre qui ne veut pas dire son nom mais en est une véritable, la "guerre économique", juxtaposée à une nouvelle forme d'engagement des sociétés civiles, d'une autre guerre qui serait "sociétale". Pour être complet, il faut aussi enrober cela d'une bataille ancienne, celle qu'on appelait autrefois la "guerre de propagande" mais qui prend de tels degrés de diversités et de sophistication aujourd'hui qu'elle devient nouvelle, c'est la "guerre de l'information", la "guerre informationnelle" ou encore la guerre de la "communication", la "stratcom", la "guerre d'influence" des militaires.

La propagande de guerre est bien connue : les historiens de la guerre de 14-18 l'ont étudiée. La période de la 2e Guerre mondiale a vu exploser cette propagande : les affiches caricatures du juif, de la "5e colonne" sont dans les mémoires. On se souvient de Radio-Londres répondant à Radio-Paris "Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand".

La propagande repose sur la construction d'un "récit" servant d'appui, de justification aux actes. Ce récit repose toujours sur une vision binaire, "les gentils/les méchants", En France, trente ans après la fin de la guerre froide, les Russes sont toujours "les méchants" dans une majorité de l'opinion, tout comme ces mystérieux chinois.
Dans le cas de l'Ukraine, le pouvoir de Vladimir Poutine n'a pas lésiné sur les exagérations et les manipulations : la menace de "génocide" des populations russophones du Donbass, la nécessaire "dénazification" du pouvoir de Kiev, etc..

A-t-il été crédible ? j'en doute. La diffusion d'informations mensongères parfois grossières est efficace surtout sur les populations "captives" de l'information d'un pouvoir : en Russie, les plus sensibles sont les personnes âgées, les populations des villes moyennes et des zones rurales. Ce sont des populations où les sources d'information restent traditionnelles : journaux, télévision, radio. En Russie comme toujours dans l'histoire des guerres, cela passe par le contrôle des médias, voire l'interdiction des indociles et la censure. Les populations urbaines ou plus jeunes utilisent d'autres moyens d'information avec les réseaux sociaux. C'est pourquoi le pouvoir russe a fermé Facebook, mais d'autres réseaux cryptés comme Telegram permettent d'échapper pour une part à cette censure absolue. Nous avons hélas connu cela en France pendant la guerre d'Algérie : là aussi, le gouvernement français ne menait pas une "guerre" mais une "opération de pacification" et les journaux d'opposition comme l'Humanité, Combat étaient souvent interdits de parution ou paraissaient avec des grandes zones blanches à la place des articles censurés.
Cette propagande classique est utilisée par les deux pouvoirs, russes comme nous l'avons vu, comme ukrainien qui a, lui aussi, diffusé de fausses nouvelles (le pilote de chasse "fantôme", les 13 marins héroïques, etc...).
Cette guerre de propagande a pris dans ce conflit des formes nouvelles, marquant une évolution commencée depuis les années 90.
Les sources d'information et les canaux de diffusion se sont aujourd'hui diversifiés et pour une part, individualisés. Les sources d'infos peuvent êtres des messages, des "posts" sur Facebook, assortis de vidéos sur Twitter ou Instagram. Ces messages relaient des images truquées, prises hors contexte (images de guerre construites à partir de jeux vidéos par ex).  Les grands médias reconnaissent que les vidéos d'amateurs, prises par les smartphones, et qui circulent sur les réseaux sociaux, deviennent des sources qui vont alimenter ensuite médias classiques, télés et journaux papier.
Ces images, ces vidéos peuvent provenir de citoyens, qui peuvent être des témoins précieux, mais qui peuvent être aussi des militants d'une cause et qui vont essayer, en trichant, de peser sur l'interprétation de la réalité. De plus en plus, une partie importante de ces messages sont fournis par des salariés, véritables "soldats informationnels", chargés de peser sur la perception des événements par l'opinion publique au travers des réseaux sociaux, et cela tant du côté russe qu'ukrainien.
La question de la vérification des informations véhiculées par les réseaux sociaux (le fact-check, "examen des faits") devient donc une question centrale.
Il faut reconnaître que cette question a traversé beaucoup de rédactions de presse et interrogé beaucoup de journalistes :ces uns pour des exigences déontologiques, les autres par souci de garder une crédibilité nécessaire pour conserver la confiance des lecteurs.
Ces réflexions ont abouti à la construction d'une plateforme sur internet qui réunit des fact-checks de médias français de référence – l'AFP, 20 Minutes, Libération, Les Surligneurs, Franceinfo – ainsi que des tutoriels, des analyses et des outils pour aider enseignants, chercheurs et grand public à décrypter les fake news.
La plateforme française, membre du collectif international EDMO, s'appelle DE FACTO. Elle est portée par Sciences Po, l'AFP, le CLEMI – Centre pour l’éducation aux médias et à l’information, et XWiki SAS : https://defacto-observatoire.fr/Main/#
De nombreux journaux ont aussi leur page spéciale de checknews. en voici une liste non-exhaustive :
https://c.leprogres.fr/societe/desinfox
https://www.liberation.fr/checknews/
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/04/guerre-en-ukraine-notre-guide-pour-detecter-les-infox-et-les-fausses-images_6116197_4355770.html
https://factuel.afp.com/
https://factuel.afp.com/fact-checking-search-results?keywords=ukraine
L'association Acrimed a monté également un site de critique des médias : https://www.acrimed.org/

Dans les mois précédant le conflit, beaucoup d'articles circulaient sur la capacité des Russes à manipuler ainsi l'opinion. Il faut pourtant constater un relatif échec de la propagande russe, qui fait penser que, tout comme sur le plan militaire, la Russie est peut-être plus un "tigre de papier" que la menace épouvantable dont on a tant agité l'épouvantail.

Depuis le début de la guerre, on constate que la partie ukrainienne a reçu le renfort de nombreuses sociétés ou groupes anglo-saxons qui font que, de plus en plus, c'est le "récit" ukrainien qui domine sur tous les canaux d'information. Participe de cette "guerre informationnelle" l'engagement médiatique sans précédent des dirigeants politiques occidentaux, notamment du trio, Jo Biden, Boris Johnson, Emmanuel Macron, dont l'empressement à trouver des formules choc pour faire le "buzz", a pu conduire à des déclarations hasardeuses, "limites" sur le plan diplomatique par Jo Biden ("le boucher", "remplacer Poutine").
Il s'agit bien, en fait, d'une véritable guerre qui a aussi des côtés matériels avec la cyberguerre, l'utilisation d'informaticiens, de "hackers", pour lancer des attaques virales contre des institutions, des systèmes de gestion bancaires, des installations industrielles ou étatiques ; une guerre qui suppose de disposer des outils pour répercuter ces "informations". C'est ainsi que le soutien du milliardaire Elon Musk et de son réseau de satellites a été décisif pour Zélensky, pour conserver le contrôle de ses communications.
Il y a ainsi un déplacement du champ de bataille, celui-ci n'est plus seulement sur terre avec les chars et lance-missiles, ni dans le ciel avec les chasseurs-bombardiers, il est dans les esprits et donc, dans les opinions publiques.
Seuls les spécialistes ont prêté attention aux interventions du général Thierry Burkhard, nouveau chef d'État-major français à l'automne dernier, qui, en parlant du nouveau "concept stratégique français", a déclaré qu'il fallait aujourd'hui : "gagner la guerre avant la guerre" !
« Avant, les conflits s’inscrivaient dans un schéma paix / crise / guerre”. Désormais, c’est plutôt un triptyque compétition / contestation / affrontement. […] La compétition est devenue l’état normal, que ce soit dans le champ économique, militaire, culturel ou politique, et les conflits dits périphériques appartiennent à cette compétition. On a vécu vingt ans durant lesquels la logique était l’engagement sur le terrain, mais aujourd’hui ce n’est plus l’unique solution », a ainsi développé le général Burkhard devant la presse.
Voyons donc que, dans cette logique, l'état de paix n'existe plus mais est remplacé par une compétition "pacifico-guerrière" permanente ! Il y a là un nouveau sujet de réflexion pour les militants pour la paix et les organisations internationales! Que deviennent des notions comme le "maintien de la paix", le "rétablissement de la paix", etc.. ?
Quelles premières conclusions en tirer ?
Nous vivons actuellement, même dans notre pays, un régime "d'information de guerre", même s'il est différent de celui des pays impliqués à fond dans le conflit. Cela appelle beaucoup de vigilance, de la lucidité nécessaire. Par exemple, malgré les efforts de recherches d'informations objectives, les médias français ont une tendance quasi naturelle à privilégier les informations venant du côté des victimes, ici le côté  ukrainien. Certaines informations sont ainsi reprises telles quelles pendant plusieurs heures avant que les vérifications soient effectuées, et les rectificatifs, alors que certains sont nécessaires passent beaucoup plus inaperçus.
Il faut donc un effort permanent pour aller vérifier toutes les informations importantes publiées, par exemple sur les sites de checknews.
Une boussole permanente doit nous guider, juger toutes les décisions politiques et actions internationales à l'aune du droit international. J'avais ainsi fait part de mes réserves dans un précédent article sur la multiplication de sanctions internationales unilatérales hors de toutes normes claires de droit. Les évolutions récentes de celles-ci, s'appuyant sur les images révoltantes du massacre de Bourcha, aggravent ces distorsions. Cela m'amène à penser qu'on ne combat pas le comportement de voyou de Poutine par d'autres méthodes de voyou. Cela risque de d'avoir des conséquences dommageables pour la vie internationale de demain. Ce n'est pas ainsi qu'on renforcera la justice internationale.
Je reviendrai dans un IVe et dernier article sur les problèmes nouveaux posés par ce conflit aux partisans de la paix et d'un monde multilatéral.
Daniel Durand
7 avril 2022

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In my first article on the War in Ukraine, I spoke of "three wars in one" to qualify the superimposition on a classical war, employing brutal force, that of the Russian army in this case, of a second war which does not want to say its name but is a real one, the "economic war", juxtaposed to a new form of engagement of civil societies, another war which would be "societal". To be complete, we must also include an old battle, the one that used to be called the "propaganda war" but which is taking on such degrees of diversity and sophistication today that it is becoming new, it is the "information war", the "informational war" or even the war of "communication", the "stratcom", the "war of influence" of the military.

War propaganda is well known: historians of the 14-18 war have studied it. The period of the Second World War saw an explosion of this propaganda: the posters caricaturing the Jew, the "5th column" are remembered. We remember Radio-London answering Radio-Paris "Radio-Paris lies, Radio-Paris is German".

Propaganda is based on the construction of a "narrative" that serves as a support and justification for actions. In France, thirty years after the end of the Cold War, the Russians are still "the bad guys" in a majority of the opinion, just like these mysterious Chinese.
In the case of Ukraine, the power of Vladimir Putin has not skimped on exaggerations and manipulations: the threat of "genocide" of the Russian-speaking populations of Donbass, the necessary "denazification" of the power in Kiev, etc..

Was he credible? I doubt it. The dissemination of misleading information, which is sometimes crude, is especially effective on populations that are "captive" to the information of a power: in Russia, the most sensitive are the elderly, the populations of medium-sized cities and rural areas. These are populations where the sources of information remain traditional: newspapers, television, radio. In Russia, as always in the history of wars, this is done by controlling the media, even banning the indociles and censorship. The urban and younger populations use other means of information with social networks. This is why the Russian government has closed Facebook, but other encrypted networks such as Telegram allow to escape this absolute censorship. Unfortunately, we experienced this in France during the Algerian war: there too, the French government was not waging a "war" but a "pacification operation" and opposition newspapers such as L'Humanité and Combat were often banned from publication or appeared with large white areas in place of the censored articles.
This classic propaganda is used by both powers, Russian as we have seen, as well as Ukrainian, which also disseminated false news (the "phantom" fighter pilot, the 13 heroic sailors, etc...).
This propaganda war has taken on new forms in this conflict, marking an evolution that began in the 1990s.
The sources of information and the channels of diffusion have now diversified and, in part, individualized. The sources of information can be messages, "posts" on Facebook, accompanied by videos on Twitter or Instagram. These messages relay fake images, taken out of context (e.g. war images constructed from video games).  The mainstream media recognize that amateur videos taken by smartphones and circulating on social networks are becoming sources that will then feed the traditional media, TV and newspapers.
These images, these videos can come from citizens, who can be precious witnesses, but who can also be militants of a cause and who will try, by cheating, to influence the interpretation of reality. More and more, an important part of these messages are provided by employees, real "informational soldiers", in charge of influencing the perception of the events by the public opinion through social networks, and this both on the Russian and Ukrainian sides.
The question of the verification of the information conveyed by social networks (the fast-check) thus becomes a central issue.
It is necessary to recognize that this question has crossed many editors and questioned many journalists: some for deontological requirements, the others by concern to keep a credibility necessary to keep the readers' trust.
These reflections have led to the construction of an internet platform that brings together fact-checks from leading French media - AFP, 20 Minutes, Libération, Les Surligneurs, Franceinfo - as well as tutorials, analyses and tools to help teachers, researchers and the general public to decipher fake news.
The French platform, a member of the international EDMO collective, is called DE FACTO. It is supported by Sciences Po, AFP, CLEMI - Centre pour l'éducation aux médias et à l'information, and XWiki SAS: https://defacto-observatoire.fr/Main/#
Many newspapers also have their own checknews page. Here is a non-exhaustive list:ttps://c.leprogres.fr/societe/desinfox
https://www.liberation.fr/checknews/
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/04/guerre-en-ukraine-notre-guide-pour-detecter-les-infox-et-les-fausses-images_6116197_4355770.html
https://factuel.afp.com/
https://factuel.afp.com/fact-checking-search-results?keywords=ukraine
The association Acrimed has also set up a media criticism site: https://www.acrimed.org/

In the months preceding the conflict, many articles were circulating about the ability of the Russians to manipulate opinion in this way. However, it is necessary to note a relative failure of Russian propaganda, which makes us think that, just as on the military level, Russia is perhaps more of a "paper tiger" than the terrible threat that has been so much agitated.

Since the beginning of the war, we note that the Ukrainian side has received the reinforcement of many Anglo-Saxon companies or groups which make that, more and more, it is the Ukrainian "story" which dominates on all the information channels. Part of this "informational war" is the unprecedented media involvement of Western political leaders, especially the trio Jo Biden, Boris Johnson and Emmanuel Macron, whose eagerness to find shocking formulas to create a "buzz" has led to hazardous statements, "borderline" in diplomatic terms by Jo Biden ("the butcher", "replacing Putin").
In fact, this is a real war that also has material sides with cyberwarfare, the use of computer scientists, of "hackers", to launch viral attacks against institutions, banking management systems, industrial or state installations; a war that supposes having the tools to pass on this "information". This is how the support of billionaire Elon Musk and his network of satellites was decisive for Zélensky, in order to keep control of his communications.
There is thus a shift in the battlefield, which is no longer only on the ground with tanks and missile launchers, nor in the sky with fighter-bombers, it is in the minds and therefore, in public opinion.
Only specialists have paid attention to the interventions of General Thierry Burkhard, the new French Chief of Staff last autumn, who, speaking of the new "French strategic concept", declared that today it was necessary to "win the war before the war"!
"Before, conflicts were part of a peace/crisis/war pattern. From now on, it is rather a triptych of competition / contestation / confrontation. [Competition has become the normal state of affairs, whether in the economic, military, cultural or political fields, and the so-called peripheral conflicts belong to this competition. We have lived through twenty years during which the logic was engagement on the ground, but today this is no longer the only solution," General Burkhard thus developed before the press.
So let us see that, in this logic, the state of peace no longer exists but is replaced by a permanent "peace-warrior" competition! This is a new subject for reflection for peace activists and international organizations! What is happening to concepts like "peacekeeping", "peacemaking", etc.?
What are the first conclusions to be drawn?
We are currently living, even in our country, in a regime of "war information", even if it is different from that of the countries fully involved in the conflict. This calls for a great deal of vigilance and the necessary lucidity. For example, despite the efforts to seek objective information, the French media have an almost natural tendency to favor information from the side of the victims, here the Ukrainian side. Some information is thus repeated as it is for several hours before verifications are made, and corrections, although some are necessary, go much more unnoticed.
It is therefore necessary to make a permanent effort to check all the important information published, for example on the checknews sites.
A permanent compass must guide us, judging all political decisions and international actions by the yardstick of international law. In a previous article, I expressed my reservations about the multiplication of unilateral international sanctions outside of any clear legal norms. The recent evolution of these sanctions, based on the revolting images of the Bourcha, aggravate these distortions. This leads me to believe that we do not fight Putin's rogue behavior with other rogue methods. This could have damaging consequences for the international life of tomorrow. This is not the way to strengthen international justice.
I will return in a fourth and final article to the new problems posed by this conflict to the supporters of peace and a multilateral world.
Daniel Durand
April 7, 2022


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