Le 25 avril 1945, s’ouvrait la conférence de San Francisco. Celle-ci adoptait dans sa séance finale, le 26 juin 1945, la Charte des Nations unies. La ratification définitive de celle-ci eut lieu le 24 octobre 1945 et permettait la création de l’ONU.
Le principe fondamental du texte réside dans l’affirmation que les relations entre les États, le règlement des différends, ne doivent plus reposer sur l’usage de la force mais sur des moyens politiques.
À la fin de la seconde Guerre mondiale, la création des Nations unies reposant sur une Charte commune, avec des structures comme l’Assemblée générale et surtout le Conseil de sécurité pouvait être vue comme une construction un peu extérieure aux peuples, même si sa Charte commence par « Nous, les peuples ». Elle était d’abord un accord, un compromis entre grandes puissances, entre vainqueurs de la guerre. Il faut savoir que les points clés des rapports de puissance (composition du Conseil de sécurité, droit de veto, chapitre VII et utilisation de la force) ont été réglés directement entre USA et URSS). Le contenu général du texte ainsi que son préambule, a été discuté par les 850 représentants et les 2500 conseillers de cinquante-et-un États, lors de la Conférence de San Francisco.
Dès le début, apparaît en arrière-plan, une contradiction entre le fonctionnement du Conseil de sécurité, ses cinq membres permanents, leur « droit de veto » privilégiant la souveraineté des États et le contenu de nombreux articles et du Préambule de la Charte, commençant par « Nous, les peuples ».
Les quatre décennies de la Guerre froide ont vu le fonctionnement des Nations unies en partie bloqué par l’affrontement des deux super-puissances, USA et URSS, même si cela n’a pas empêché l’institution d’être un creuset des luttes de libération des peuples pour la décolonisation.
Après la fin de la Guerre froide, le « Nous, les peuples » a repris vigueur au travers de toutes les grandes conférences internationales, qui ont permis l’émergence de nouveaux concepts (développement humain, sécurité humaine, culture de la paix) et de nouveaux droits (droits des enfants, des femmes, de l’environnement).
Pour autant, les tenants de la puissance étatique ont multiplié les coups de boutoir contre le multilatéralisme : les Trump, Poutine, Netanyahou en sont les derniers avatars.
C’est dans cette situation complexe qu’il faut considérer avec le recul nécessaire le monde d’aujourd’hui.
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Aujourd’hui, la planète a profondément changé : tous les États du monde sont membres des Nations unies (près de 200 aujourd’hui!), tous les grands problèmes posés à l’humanité sont globalisés à l’échelle de la planète (de l’environnement à la guerre), un réseau dense d’organisations onusiennes (OMS, FAO, Unesco..) fournit des normes à tous les aspects économiques, culturels de la planète. Nous pouvons être fiers d’avoir, depuis 80 ans, réussi « à préserver les générations futures du fléau de la guerre » en évitant, jusqu’à présent, une 3e Guerre mondiale, qui serait, compte-tenu des armes accumulées aujourd’hui, la dernière pour notre humanité.
Comprenons que nous avons construit en 80 ans, une « maison commune planétaire », ou, plus précisément, une « copropriété commune planétaire » avec son Conseil syndical (le Conseil de sécurité), son règlement de copropriété (la Charte des Nations unies) et son Assemblée des copropriétaires (l’Assemblée générale). Nous n’en avons pas forcément conscience, mais les faits sont là.
Si nous n’avions pas établi ce règlement de copropriété, cette Charte des Nations unies, en 1945, dans les ruines, mais aussi les espoirs de la Libération, il serait aujourd’hui, impossible, à froid, de refaire ce chantier humain.
Il faut avoir une réflexion renouvelée sur le monde actuel. Dans cette analyse, il faut prendre, comme une chance, plusieurs innovations de la Charte des Nations unies : la création des bases d’un monde « multilatéral » puisque les votes à l’Assemblée générale reposent sur le principe « un membre, une voix », même si, au Conseil de sécurité, c’est une sorte de représentation « par tantième » (les cinq membres permanents et leur « droit de veto ») qui a été imposée au départ.
Nous pouvons être fiers que depuis 80 ans, nous ayons réussi « à préserver les générations futures du fléau de la guerre » en évitant, jusqu’à présent une 3e Guerre mondiale, qui serait la dernière.
Nous n’avons pas à rougir de cet outil, de ce règlement de copropriété, puisqu’il établit comme priorité absolue de « réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international » le règlement des conflits. Cette exigence absolue se retrouve partout dans la Charte y compris pour encadrer le droit de « légitime défense » dans l’article 51 ou pour appuyer la recommandation de limiter au maximum les dépenses militaires (« en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde ») dans l’article 26
C’est cette exigence absolue du droit international qu’essaient de cacher, de travestir, affaiblir les grandes puissances étatiques depuis 80 ans. Nous devons nous imprégner de cette réalité :
« NOUS LES PEUPLES, nous sommes dans notre maison commune, notre copropriété commune. NOUS avons NOTRE règlement de copropriété et NOUS sommes responsables collectivement de le faire appliquer, voire de l’améliorer, face à quelques gros bras qui voudraient nous imposer leur interprétation du règlement de copropriété ».
En 2024, malgré les horreurs de conflits sanglants à Gaza, en Ukraine, au Congo, le droit et la justice internationale, ont fait irruption sur la scène politique mondiale.
Pour la première fois de leur histoire, leurs instances les plus représentatives sont intervenues directement sur des problèmes brûlants d’actualité.
En janvier 2024, la Cour internationale de justice n'a pas hésité à traiter, à enquêter, à juger, à la requête de l'Afrique du Sud, sur des accusations de génocide en Palestine, du fait de la répression israélienne aveugle.En juillet, elle n'a pas hésité à délivrer un avis, établissant enfin clairement, que l'occupation israélienne sur les territoires de Cisjordanie et de Gaza depuis 1967, était illégale et que Israël devait quitter ces territoires occupés. C’est la première fois que la chose est tranchée aussi clairement depuis 1967.
S’il n’y avait pas eu la CIJ, on ne pourrait pas parler de génocide officiellement, on ne pourrait pas affirmer que l’occupation israélienne est illégale.
De son côté, la Cour pénale internationale de création récente, a pris deux décisions capitales : en 2023, elle a lancé un mandat d'arrêt international contre le dirigeant de la Russie, Vladimir Poutine, accusé de déportations d’enfants. Depuis deux ans, le dirigeant d’un des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité, n’a pas pu sortir de son pays sous peine de risquer de se voir arrêter. (en dehors du petit pays voisin, le Kazakhstan). En 2024, la CPI a lancé un mandat d'arrêt contre le Premier ministre israélien et son ministre de la Défense et contre deux dirigeants principaux du Hamas, tous accusés de crimes de guerre. Là encore ces personnages risquent, s'ils sortent des frontières de leur pays, d'être arrêtés dans tous les pays d'Europe et dans d'autres pays de notre planète. Certes, ils y ont échappé jusqu’à présent, avec la complicité de dirigeants tels Trump ou Orban mais, là encore, ce sont des décisions inédites.
S’il n’y avait pas eu la CPI, l’impunité des chefs d’État, criminels de guerre, ne serait pas mise dans le débat politique.
Voyons bien que le respect et l’application de ces décisions progresseront parallèlement à la perception que nous sommes dans une communauté mondiale et qu’il est normal d’y appliquer des règles.
80 ans après la fin de la seconde Guerre mondiale, il faut mettre à jour notre logiciel d’approche des relations internationales ! Il faut changer de perspective et passer d’une perception « extériorisée » des Nations unies à une perception « intériorisée » des Nations unies, de leur Charte comme notre règle de vie commune.
Il me semble que nous ne pouvons pas nous contenter de répéter des slogans comme « refonder les institutions internationales » qui avaient une validité, il y a cinquante ans, dans le cadre de la guerre froide, lorsque les deux « Grands » instrumentalisaient le système des Nations unies, sans tenir compte aujourd’hui dans nos analyses, des changements profonds du monde.
Si nous avons cette vision intériorisée, cette volonté de s’approprier notre copropriété commune, nous lèverons des obstacles dans les esprits à la construction de grandes luttes pour la paix. Il deviendra possible de développer des campagnes d’opinion et des actions plus puissantes à l’échelle mondiale.
L’action pour gagner des réformes de structure (réforme du Conseil de sécurité ou place de la société civile) changera de nature. Nous possédons notre « copropriété commune », mais, il y a dans le « Conseil syndical », une minorité de blocage qui empêche un fonctionnement profitable à tous. Nous devons isoler cette minorité, faire prendre les bonnes décisions, pour la paix, le développement, la sauvegarde de la planète. Si nous faisons comprendre ces enjeux, aujourd’hui, la puissance peut changer de camp. C’est cela, grâce aux Nations unies et au droit international, notre chemin d’horizon.
Cette approche renouvelée des relations internationales suscite beaucoup de questions et mérite un large débat. Profitons de l'opportunité de cette année 2025, année du 80e anniversaire de la création des Nations unies et de leur Charte !
Daniel Durand – chercheur en relations internationales
Président de l’IDRP – 15 avril 2025
Ce blog est dédié aux problématiques de la paix et du désarmement, des institutions internationales (ONU, OTAN), à la promotion d'une culture de la paix. Textes sous license Creative Commons by-nc-sa
mardi 15 avril 2025
L’ONU 80 ans après : changeons notre logiciel d’analyse !
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