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jeudi 27 février 2025

Discussions Trump - Poutine - Pour la paix, l’Europe est-elle l’horizon ultime ? (suite - 2)

 Je poursuis la réflexion entamée le 14 février dernier dans mon article de blog, « Discussions Trump – Poutine – les nécessités d’un recadrage ».

Dans cette situation nouvelle, des discours inquiétants appellent à renforcer militairement l’Union européenne, à créer une véritable « défense européenne », en augmentant considérablement les dépenses militaires en créant ainsi un nouveau bloc militarisé.

C’est une erreur au moins pour deux raisons. La première est que l’avenir de la paix dans le monde et d’une sécurité mutuelle solide, ne reposera pas demain sur la création et l’affrontement de blocs antagonistes aux alliances fluctuantes. La seconde est que la sécurité en Europe ne peut être que commune et collective englobant tous les pays du continent, y compris la Russie.

Mutipolarité ou multilatéralisme ?

Le monde multipolaire est une illusion, ce serait la répétition de la situation chaotique des alliances avant la guerre 1914, qui a provoqué le déclenchement de la 1ère Guerre mondiale. L’avenir de la paix dans le monde repose sur le renforcement, non de la multipolarité et de la compétition mais du multilatéralisme et de la coopération. Il importe de ne pas confondre les deux notions. La première notion est une survivance de la vieille notion du choc des puissances, datant d’avant les deux Guerres mondiales. La seconde notion s’est vivifiée, il y a 80 ans, après le choc de la 2e Guerre mondiale, avec la création des Nations unies, appuyée sur leur Charte. Cette idée neuve d’unir les peuples de la planète, autour d’une « copropriété commune », la structure onusienne, avec un « règlement de copropriété », la Charte des Nations unies s’est heurtée pendant huit décennies, à des oppositions énormes de toutes les puissances, politiques et économiques. Celles-ci ont cherché, en permanence, à minimiser la place des peuples dans la gouvernance internationale. Malgré cela, en créant un réseau onusien embrassant toutes les activités humaines de notre planète, en développant un droit international de plus en plus présent, le multilatéralisme demeure l’idée neuve du 21e siècle. Il constitue la seule perspective d’avenir, face aux nostalgiques de la puissance étatique qui se manifestent de temps à autre. Les coups de boutoir, donnés par MM Trump et Poutine, cette semaine à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité, ne sont que des péripéties à l’échelle de l’histoire.

Se battre pour le multilatéralisme implique d’agir vigoureusement pour la démilitarisation des relations internationales, le renforcement des traités de désarmement et du droit international, la revalorisation de la place des Nations Unies comme enceinte planétaire.

Refuser que l’Europe s’inscrive dans une politique des blocs ne signifie pas que l’Union européenne s’efface, mais que son potentiel politique soit mis pleinement au service des Nations unies, de leur action pour la paix et le respect du droit international. Soyons clairs, cela ne signifie pas non plus que l’Europe se désarme mais que son potentiel militaire, ses pôles d’excellence (capacité d’observation, de cybersécurité, d’actions de maintien ou de consolidation de la paix fournissent réellement une boîte à outils pour des engagements plus efficaces de l’ONU dans ses missions de préservation et de consolidation de la paix.

Quelle sécurité commune ?

L’avenir de l’Europe suppose un débat non biaisé (contrairement à celui d’aujourd’hui) sur les conditions de la sécurité commune en Europe. Il y aura cinquante ans cette année, en juillet 1975, après des années de discussions et négociations, tous les pays d’Europe, de l’Ouest et de l’Est, réussirent à conclure les accords d’Helsinki qui jetaient les bases d’une sécurité commune sur le continent. Cela a duré pendant vingt ans jusqu’à ce que les pays occidentaux considèrent, après la fin de la Guerre froide et la chute du mur de Berlin, qu’ils avaient gagné un affrontement sur les anciens pays de l’Est. Ils en déduisirent que la sécurité collective n’avait plus besoin d’être commune mais qu’elle pouvait reposer sur les seules épaules du vainqueur, l’OTAN et sur le plan économique, l’Union européenne. C’est de ce changement de paradigme que découlent les crises des trois dernières décennies. Et même si, en face, des « monstres » comme Poutine ou Loukachenko, sont apparus et qu’ils portent l’entière responsabilité de leurs actes, ce sont eux qui ont créé le contexte du nouveau théâtre d’opérations.

Il est temps de dire et de comprendre qu’il n’y aura pas d’issue militaire aux crises en Europe, comme il n’y en avait pas au début des années 70 et qu’il est temps, et même urgent, de remettre en chantier, la définition de la sécurité collective commune en Europe.

Cela passe par des accords de paix provisoires en Ukraine, qui ne pérennisent aucune entorse au droit international, par des conférences de paix thématiques sur les grandes questions économiques comme l’énergie, les questions cyber, par la relance d’accords de désarmement et de démilitarisation. Ce travail diplomatique acharné pourrait déboucher demain sur la tenue d’une grande Conférence paneuropéenne de sécurité collective et sur un nouvel accord global de sécurité commune. Cet accord devrait avoir parmi ses buts prioritaires de refonder et renforcer l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), principal outil au service de la sécurité collective européenne.

Cela ne sera pas simple, ne serait-ce que par le niveau de désinformation et de propagande généré par les deux blocs. Cela suppose une action politique vigoureuse dans les opinions publiques pour dévoiler toutes les données ou démonter certaines idées reçues.

S’inscrire résolument dans la vision d’un monde vraiment multilatéral et dans la construction d’une sécurité commune collective en Europe justifie que les futures forces de maintien de la paix en Ukraine doivent avoir une dimension onusienne.

Comme je l’ai déjà écrit, la paix en Europe, ne concerne pas que les Européens. Les autres continents sont soucieux des risques d’un durcissement de la guerre en Europe.

Les dirigeants politiques européens sont assez intelligents dans leur majorité pour voir les risques et les conséquences des choix en débat actuellement. Les intentions nobles affichées par eux, de défense de la paix et de la sécurité en Europe, sont-elles les seules raisons de cette course aux militarisations ? J’y reviendrai dans un prochain article.

Daniel Durand – IDRP

27 février 2025

mercredi 23 septembre 2020

75e anniversaire ONU : si elle n'existait pas, il faudrait l'inventer...

En 2015, nous avons commémoré le 70e anniversaire des Nations unies en ayant tous en tête un autre anniversaire : celui de la fin de la 2e Guerre mondiale. Nous avons alors émis des critiques, fait des propositions pour une plus grande efficacité de l'ONU, mais, je dirais, sur un mode "tranquille", en ayant le sentiment que le temps nous appartenait pour façonner un monde meilleur.
En 2020, nous ne pouvons pas célébrer le 75e anniversaire de l'organisation de la même manière. La donne a changé considérablement avec la pandémie de la Covid-19 : celle-ci ébranle les solidarités internationales, creuse la pauvreté et les inégalités, favorise de nouvelles insécurités, en bref, met à mal le multilatéralisme.
Un constat me semble largement partagé : nous avons besoin plus que jamais, de solidarités mondiales, d'approches globales face à ces phénomènes de pandémies, de réchauffement climatiques, de flux de réfugiés, phénomènes qui dépassent les frontières des États, les limites mêmes des continents. Cette grande leçon d'interdépendance infligée par la pandémie avec ses conséquences sur l'emploi, la scolarisation, renforce le besoin d'enceintes où puissent se rencontrer tous les pays, d'organismes qui coordonnent les efforts sur les plans du sanitaire, du développement, de l'aide aux enfants et aux réfugiés, d'un ensemble d'accords et de traités pour réguler tout cela.
Seuls les aveugles ou les fous ne voient pas que nous avons déjà sous la main, tous ces outils avec l'Organisation des Nations unies, régie par une Charte exemplaire, avec des dizaines d'institutions couvrant tous les secteurs de la vie des populations mondiales, avec la définitions de normes, d'accords et de traités multiples qui tissent un filet de protection et de sécurité tel que l'humanité ne l'a jamais connu de son histoire. On voit bien que si l'ONU n'existait pas, il faudrait l'inventer...

Il s'agit d'une telle évidence qu'à l'ouverture de la nouvelle session de l'Assemblée générale ce 21 septembre, TOUS les pays ont adopté par consensus une déclaration commune qui dit : « Il n’existe pas d’autre organisation mondiale qui ait la légitimité, la puissance de rassemblement et le pouvoir normatif de l’Organisation des Nations Unies. Il n’en existe pas d’autre qui puisse donner à autant de personnes l’espoir d’un monde meilleur et faire que l’avenir que nous voulons se réalise. Il a rarement été aussi vital que tous les pays se rassemblent pour tenir la promesse des nations unies ».
Oui, aucun chef d'État n'a été assez fou pour s'opposer à cette affirmation même s'il n'en pense pas moins !
Cela signifie à mon sens que la question centrale du débat n'est pas comme certains voudraient le faire croire :  "l'ONU,  à quoi ça sert ?" mais, dès aujourd'hui, "à quoi cela doit-il servir ?".
Les agences de l'ONU ont mené une grande consultation mondiale depuis le 1er janvier auprès d'un million de personnes : que disent celles-ci ? Comme l'a dévoilé le Secrétaire général, M. Gutterès, « Les participants [..] estiment que la coopération internationale est indispensable pour faire face aux réalités de notre époque ». « Ils ont relevé que la pandémie de Covid-19 rendait cette solidarité plus urgente encore. Et ils ont souligné que le monde avait besoin de systèmes de santé et de services de base universels », a-t-il ajouté. « Les gens craignent la crise climatique, la pauvreté, les inégalités, la corruption et la discrimination systémique fondée sur la couleur de peau ou le genre ».
Les chefs d'État de la planète ont ainsi une feuille de route toute tracée. Chacun doit prendre ses responsabilités. Antonio Guetterès a souligné que  "personne ne souhaite de gouvernement mondial – mais nous devons œuvrer de concert pour améliorer la gouvernance mondiale ».
Cet appel à la responsabilité ne concerne pas que les chefs d'États : « Nous avons également besoin d’un multilatéralisme qui soit inclusif et s’appuie sur la société civile, les villes, les entreprises, les collectivités et la jeunesse », a-t-il ajouté.
 
Face aux coups de boutoir portés par le Covid-19, il faut reformuler sans attendre clairement les priorités d'abord à la jeunesse, à l'éducation. Selon l'Unesco, actuellement, 50 % des enfants du monde n'iraient pas à l'école à cause de la Covid-19 ! Et le Président Macron ne dit pas un mot dans sa déclaration à l'Assemblée générale, ce lundi, pour proposer, par exemple, au nom de la France que soit organisée une grande conférence internationale de soutien et de relance de la scolarisation de tous les enfants du monde ? Impensable !

Une autre priorité est celle des populations les plus faibles. Selon un rapport publié par le Haut Commissariat aux Réfugiés, la pandémie de Covid-19 constitue un « véritable effet multiplicateur », augmentant les besoins des réfugiés dans de nombreux pays, tout en les rendant encore plus difficiles à satisfaire. A ce jour, le HCR n’a reçu que 49% (soit 4,5 milliards de dollars) sur le montant de 9,1 milliards de dollars nécessaires à ses opérations mondiales cette année.
La question des financements est cruciale : ne faut-il pas insister sur l'idée de mobiliser l'argent réel sur les plans nationaux et internationaux, notamment en exigeant une action concertée européenne contre les profits exagérés comme ceux des GAFA ?
L'autre action d'urgence de recherche de financement ne doit-elle pas être de s'attaquer enfin franchement aux dépenses improductives et nuisibles que constituent les dépenses d'armement qui dépassent aujourd'hui les 1700 Mds de dollars annuels ?
Le Secrétaire général des Nations unies avait déjà appelé fin mars à un cessez-le-feu mondial afin de combattre plus efficacement la pandémie.
N'est-il pas temps d'appeler d'urgence à un moratoire, un gel mondial sur les dépenses d'armement et les budgets militaires, une sorte de "moratoire COVID" ?
Être lucide sur la durée de la pandémie n'oblige pas, à mon sens, à rétrécir notre horizon mais au contraire à faire preuve d'audace et d'innovation des maintenant.
Un des grands mérites des Nations unies est d'avoir été et d'être toujours une formidable caisse de résonance pour les grands défis de notre époque. Elles l'ont été pour la décolonisation, pour le développement humain et la sécurité humaine. Elles peuvent l'être pour la démilitarisation du monde à condition de ne pas attendre un hypothétique "post-covid" mais au contraire, d'affirmer : c'est le moment pour que "tout le monde se lève pour l'ONU" !