En 2015, nous avons commémoré le 70e anniversaire des Nations unies en ayant tous en tête un autre anniversaire : celui de la fin de la 2e Guerre mondiale. Nous avons alors émis des critiques, fait des propositions pour une plus grande efficacité de l'ONU, mais, je dirais, sur un mode "tranquille", en ayant le sentiment que le temps nous appartenait pour façonner un monde meilleur.
En 2020, nous ne pouvons pas célébrer le 75e anniversaire de l'organisation de la même manière. La donne a changé considérablement avec la pandémie de la Covid-19 : celle-ci ébranle les solidarités internationales, creuse la pauvreté et les inégalités, favorise de nouvelles insécurités, en bref, met à mal le multilatéralisme.
Un constat me semble largement partagé : nous avons besoin plus que jamais, de solidarités mondiales, d'approches globales face à ces phénomènes de pandémies, de réchauffement climatiques, de flux de réfugiés, phénomènes qui dépassent les frontières des États, les limites mêmes des continents. Cette grande leçon d'interdépendance infligée par la pandémie avec ses conséquences sur l'emploi, la scolarisation, renforce le besoin d'enceintes où puissent se rencontrer tous les pays, d'organismes qui coordonnent les efforts sur les plans du sanitaire, du développement, de l'aide aux enfants et aux réfugiés, d'un ensemble d'accords et de traités pour réguler tout cela.
Seuls les aveugles ou les fous ne voient pas que nous avons déjà sous la main, tous ces outils avec l'Organisation des Nations unies, régie par une Charte exemplaire, avec des dizaines d'institutions couvrant tous les secteurs de la vie des populations mondiales, avec la définitions de normes, d'accords et de traités multiples qui tissent un filet de protection et de sécurité tel que l'humanité ne l'a jamais connu de son histoire. On voit bien que si l'ONU n'existait pas, il faudrait l'inventer...
Il s'agit d'une telle évidence qu'à l'ouverture de la nouvelle session de l'Assemblée générale ce 21 septembre, TOUS les pays ont adopté par consensus une déclaration commune qui dit : « Il n’existe pas d’autre organisation mondiale qui ait la légitimité, la puissance de rassemblement et le pouvoir normatif de l’Organisation des Nations Unies. Il n’en existe pas d’autre qui puisse donner à autant de personnes l’espoir d’un monde meilleur et faire que l’avenir que nous voulons se réalise. Il a rarement été aussi vital que tous les pays se rassemblent pour tenir la promesse des nations unies ».
Oui, aucun chef d'État n'a été assez fou pour s'opposer à cette affirmation même s'il n'en pense pas moins !
Cela signifie à mon sens que la question centrale du débat n'est pas comme certains voudraient le faire croire : "l'ONU, à quoi ça sert ?" mais, dès aujourd'hui, "à quoi cela doit-il servir ?".
Les agences de l'ONU ont mené une grande consultation mondiale depuis le 1er janvier auprès d'un million de personnes : que disent celles-ci ? Comme l'a dévoilé le Secrétaire général, M. Gutterès, « Les participants [..] estiment que la coopération internationale est indispensable pour faire face aux réalités de notre époque ». « Ils ont relevé que la pandémie de Covid-19 rendait cette solidarité plus urgente encore. Et ils ont souligné que le monde avait besoin de systèmes de santé et de services de base universels », a-t-il ajouté. « Les gens craignent la crise climatique, la pauvreté, les inégalités, la corruption et la discrimination systémique fondée sur la couleur de peau ou le genre ».
Les chefs d'État de la planète ont ainsi une feuille de route toute tracée. Chacun doit prendre ses responsabilités. Antonio Guetterès a souligné que "personne ne souhaite de gouvernement mondial – mais nous devons œuvrer de concert pour améliorer la gouvernance mondiale ».
Cet appel à la responsabilité ne concerne pas que les chefs d'États : « Nous avons également besoin d’un multilatéralisme qui soit inclusif et s’appuie sur la société civile, les villes, les entreprises, les collectivités et la jeunesse », a-t-il ajouté.
Face aux coups de boutoir portés par le Covid-19, il faut reformuler sans attendre clairement les priorités d'abord à la jeunesse, à l'éducation. Selon l'Unesco, actuellement, 50 % des enfants du monde n'iraient pas à l'école à cause de la Covid-19 ! Et le Président Macron ne dit pas un mot dans sa déclaration à l'Assemblée générale, ce lundi, pour proposer, par exemple, au nom de la France que soit organisée une grande conférence internationale de soutien et de relance de la scolarisation de tous les enfants du monde ? Impensable !
Une autre priorité est celle des populations les plus faibles. Selon un rapport publié par le Haut Commissariat aux Réfugiés, la pandémie de Covid-19 constitue un « véritable effet multiplicateur », augmentant les besoins des réfugiés dans de nombreux pays, tout en les rendant encore plus difficiles à satisfaire. A ce jour, le HCR n’a reçu que 49% (soit 4,5 milliards de dollars) sur le montant de 9,1 milliards de dollars nécessaires à ses opérations mondiales cette année.
La question des financements est cruciale : ne faut-il pas insister sur l'idée de mobiliser l'argent réel sur les plans nationaux et internationaux, notamment en exigeant une action concertée européenne contre les profits exagérés comme ceux des GAFA ?
L'autre action d'urgence de recherche de financement ne doit-elle pas être de s'attaquer enfin franchement aux dépenses improductives et nuisibles que constituent les dépenses d'armement qui dépassent aujourd'hui les 1700 Mds de dollars annuels ?
Le Secrétaire général des Nations unies avait déjà appelé fin mars à un cessez-le-feu mondial afin de combattre plus efficacement la pandémie.
N'est-il pas temps d'appeler d'urgence à un moratoire, un gel mondial sur les dépenses d'armement et les budgets militaires, une sorte de "moratoire COVID" ?
Être lucide sur la durée de la pandémie n'oblige pas, à mon sens, à rétrécir notre horizon mais au contraire à faire preuve d'audace et d'innovation des maintenant.
Un des grands mérites des Nations unies est d'avoir été et d'être toujours une formidable caisse de résonance pour les grands défis de notre époque. Elles l'ont été pour la décolonisation, pour le développement humain et la sécurité humaine. Elles peuvent l'être pour la démilitarisation du monde à condition de ne pas attendre un hypothétique "post-covid" mais au contraire, d'affirmer : c'est le moment pour que "tout le monde se lève pour l'ONU" !
Ce blog est dédié aux problématiques de la paix et du désarmement, des institutions internationales (ONU, OTAN), à la promotion d'une culture de la paix. Textes sous license Creative Commons by-nc-sa
mercredi 23 septembre 2020
75e anniversaire ONU : si elle n'existait pas, il faudrait l'inventer...
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