Je poursuis la réflexion entamée le 14 février dernier dans mon article de blog, « Discussions Trump – Poutine – les nécessités d’un recadrage ».
Dans cette situation nouvelle, des discours inquiétants appellent à renforcer militairement l’Union européenne, à créer une véritable « défense européenne », en augmentant considérablement les dépenses militaires en créant ainsi un nouveau bloc militarisé.
C’est une erreur au moins pour deux raisons. La première est que l’avenir de la paix dans le monde et d’une sécurité mutuelle solide, ne reposera pas demain sur la création et l’affrontement de blocs antagonistes aux alliances fluctuantes. La seconde est que la sécurité en Europe ne peut être que commune et collective englobant tous les pays du continent, y compris la Russie.
Mutipolarité ou multilatéralisme ?
Le monde multipolaire est une illusion, ce serait la répétition de la situation chaotique des alliances avant la guerre 1914, qui a provoqué le déclenchement de la 1ère Guerre mondiale. L’avenir de la paix dans le monde repose sur le renforcement, non de la multipolarité et de la compétition mais du multilatéralisme et de la coopération. Il importe de ne pas confondre les deux notions. La première notion est une survivance de la vieille notion du choc des puissances, datant d’avant les deux Guerres mondiales. La seconde notion s’est vivifiée, il y a 80 ans, après le choc de la 2e Guerre mondiale, avec la création des Nations unies, appuyée sur leur Charte. Cette idée neuve d’unir les peuples de la planète, autour d’une « copropriété commune », la structure onusienne, avec un « règlement de copropriété », la Charte des Nations unies s’est heurtée pendant huit décennies, à des oppositions énormes de toutes les puissances, politiques et économiques. Celles-ci ont cherché, en permanence, à minimiser la place des peuples dans la gouvernance internationale. Malgré cela, en créant un réseau onusien embrassant toutes les activités humaines de notre planète, en développant un droit international de plus en plus présent, le multilatéralisme demeure l’idée neuve du 21e siècle. Il constitue la seule perspective d’avenir, face aux nostalgiques de la puissance étatique qui se manifestent de temps à autre. Les coups de boutoir, donnés par MM Trump et Poutine, cette semaine à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité, ne sont que des péripéties à l’échelle de l’histoire.
Se battre pour le multilatéralisme implique d’agir vigoureusement pour la démilitarisation des relations internationales, le renforcement des traités de désarmement et du droit international, la revalorisation de la place des Nations Unies comme enceinte planétaire.
Refuser que l’Europe s’inscrive dans une politique des blocs ne signifie pas que l’Union européenne s’efface, mais que son potentiel politique soit mis pleinement au service des Nations unies, de leur action pour la paix et le respect du droit international. Soyons clairs, cela ne signifie pas non plus que l’Europe se désarme mais que son potentiel militaire, ses pôles d’excellence (capacité d’observation, de cybersécurité, d’actions de maintien ou de consolidation de la paix fournissent réellement une boîte à outils pour des engagements plus efficaces de l’ONU dans ses missions de préservation et de consolidation de la paix.
Quelle sécurité commune ?
L’avenir de l’Europe suppose un débat non biaisé (contrairement à celui d’aujourd’hui) sur les conditions de la sécurité commune en Europe. Il y aura cinquante ans cette année, en juillet 1975, après des années de discussions et négociations, tous les pays d’Europe, de l’Ouest et de l’Est, réussirent à conclure les accords d’Helsinki qui jetaient les bases d’une sécurité commune sur le continent. Cela a duré pendant vingt ans jusqu’à ce que les pays occidentaux considèrent, après la fin de la Guerre froide et la chute du mur de Berlin, qu’ils avaient gagné un affrontement sur les anciens pays de l’Est. Ils en déduisirent que la sécurité collective n’avait plus besoin d’être commune mais qu’elle pouvait reposer sur les seules épaules du vainqueur, l’OTAN et sur le plan économique, l’Union européenne. C’est de ce changement de paradigme que découlent les crises des trois dernières décennies. Et même si, en face, des « monstres » comme Poutine ou Loukachenko, sont apparus et qu’ils portent l’entière responsabilité de leurs actes, ce sont eux qui ont créé le contexte du nouveau théâtre d’opérations.
Il est temps de dire et de comprendre qu’il n’y aura pas d’issue militaire aux crises en Europe, comme il n’y en avait pas au début des années 70 et qu’il est temps, et même urgent, de remettre en chantier, la définition de la sécurité collective commune en Europe.
Cela passe par des accords de paix provisoires en Ukraine, qui ne pérennisent aucune entorse au droit international, par des conférences de paix thématiques sur les grandes questions économiques comme l’énergie, les questions cyber, par la relance d’accords de désarmement et de démilitarisation. Ce travail diplomatique acharné pourrait déboucher demain sur la tenue d’une grande Conférence paneuropéenne de sécurité collective et sur un nouvel accord global de sécurité commune. Cet accord devrait avoir parmi ses buts prioritaires de refonder et renforcer l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), principal outil au service de la sécurité collective européenne.
Cela ne sera pas simple, ne serait-ce que par le niveau de désinformation et de propagande généré par les deux blocs. Cela suppose une action politique vigoureuse dans les opinions publiques pour dévoiler toutes les données ou démonter certaines idées reçues.
S’inscrire résolument dans la vision d’un monde vraiment multilatéral et dans la construction d’une sécurité commune collective en Europe justifie que les futures forces de maintien de la paix en Ukraine doivent avoir une dimension onusienne.
Comme je l’ai déjà écrit, la paix en Europe, ne concerne pas que les Européens. Les autres continents sont soucieux des risques d’un durcissement de la guerre en Europe.
Les dirigeants politiques européens
sont assez intelligents dans leur majorité pour voir les risques et
les conséquences des choix en débat actuellement. Les intentions
nobles affichées par eux, de défense de la paix et de la sécurité
en Europe, sont-elles les seules raisons de cette course aux
militarisations ? J’y reviendrai dans un prochain article.
Daniel Durand – IDRP
27 février 2025
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