Le cessez‑le‑feu en vigueur à Gaza, mis en place depuis deux semaines, constitue un répit temporaire mais essentiel dans un conflit qui a déjà causé d’immenses souffrances humaines et des destructions massives.
Rappelons que l’accord, négocié sous l’égide des États‑Unis, du Qatar et de l’Égypte, est entré en vigueur le 19 janvier 2025. Il prévoit une série de mesures échelonnées en trois phases :
– La première phase inclut la libération progressive d’otages israéliens (par exemple, 33 dans le premier lot, pour un total prévu d’environ 98) en échange de la libération de centaines de prisonniers palestiniens.
– Le retrait progressif des forces israéliennes de l’enclave et l’ouverture des passages frontaliers afin de permettre l’acheminement massif d’aide humanitaire (nourriture, médicaments, carburant, etc.) dans une zone ravagée par des bombardements intensifs.
— Ces mesures visent à poser les bases d’un cessez‑le‑feu permanent et, à terme, à ouvrir la voie à une solution politique globale du conflit israélo‑palestinien.
Cette semaine sera cruciale dans les décisions sur le renouvellement ou non de cette accalmie.
Comment apprécier la portée politique de cet accord, qui peut apparaître fragile, et presque dérisoire, face aux défis posés du futur politique de la région, du chantier titanesque de la reconstruction ?
Je pense que le pire danger politique aujourd’hui serait de minimiser et relativiser la portée de ce qui est en train de se passer.
18 otages dont 13 israéliens et 5 thaïlandais ont été libérés après avoir vécu 484 jours de captivité dans des conditions très difficiles. Voyons ce que cela représente de soulagement pour leurs familles après des mois d’angoisse !
Mais il en reste encore 79 dont le sort est incertain.
Du côté palestinien, ce sont 583 détenus dans les prisons israéliennes, certains condamnés, parfois à perpétuité, et d’autres non encore jugés qui ont été libérés et accueillis par leurs familles lors de scènes de liesse.
Ce sont les scènes les plus médiatisées ; mais ces deux semaines de cessez-le-feu ont vu se dérouler d’autres événements dont on sous-estime l’importance.
Le cessez-le-feu a permis l’entrée à Gaza de 2 760 camions depuis le début de la trêve le 19 janvier, dont 2 593 camions transportant de l’aide humanitaire et de secours, et 167 camions transportant du carburant et du gaz de cuisine. 47 camions, seulement, avaient pu entre le 1er janvier et le 19 janvier !
Malgré les difficultés d’information, nous avons appris que près de 500 000 Palestiniens sont revenus dans le nord de la bande de Gaza depuis le 20 janvier, selon le bureau des Affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), après l’autorisation donnée par l’armée israélienne.
Ces civils, ces femmes et enfants ont voulu retourner auprès des ruines de ce qui était leur maison pour retrouver un lien avec leur vie d’avant. Rappelons que les estimations les plus faibles des Nations unies estiment à 47 000 le nombre de morts à Gaza, sur une population de 2,1 millions d’habitants. Cela représente 2,5 % de la population totale gazaouie. Rapporté à la France, cela donnerait le chiffre peu imaginable de 1,7 millions de morts français, soit exactement le même chiffre que le total des morts en France pendant les quatre ans de la 1ʳᵉ guerre mondiale 1914-1918 ! Comment avons pu supporter cela et dormir tranquillement ?
Fin décembre, au moins sept bébés sont morts de froid ! Et pourtant, devant les crèches des églises catholiques, aucune voix morale ou religieuse ne s’est fait entendre pour dire : « Si Jésus était né à Gaza en décembre, il n’aurait pas trouvé d’étable et de paille pour se réchauffer. Il serait sans doute lui aussi mort de froid ! ».
Faire cesser ce carnage en rendant le cessez-le-feu actuel permanent ne devient-il pas une exigence humaine, morale et politique évidente ?
Depuis deux semaines, les familles d’otages israéliens ont repris un espoir fragile de revoir leur proche. Existe-t-il un but politique plus pressant que de poursuivre cette trêve et répondre à leur angoisse ?
Depuis deux semaines, des centaines de milliers de gazaouis ont retrouvé un quotidien sans le bruit et le fracas des bombes. Existe-t-il un objectif politique et humanitaire plus essentiel que de rendre permanent ce désir d’une vie quotidienne, « presque normale » ?
Des centaines de milliers de civils vivaient depuis des mois sous des lambeaux de tentes, au milieu des flaques d’eau, sans chauffage, sans nourriture régulière. Depuis deux semaines, ils commencent à recevoir de quoi manger, des médicaments, la possibilité de bâtir des abris provisoires plus solides en attendant de reconstruire leur habitat, leur vie tout simplement. Existe-t-il un objectif politique et humanitaire plus fondamental que de rendre permanente cette sécurité de vie quotidienne ?
J’entends, dans beaucoup de commentaires de journalistes, de politiques, de militants associatifs, des phrases du style : « il y a certes un cessez-le-feu, MAIS… », ce qui peut vouloir dire que le cessez-le-feu n’est pas le plus important, face aux questions en suspens, futur politique, reconstruction, etc.
J’ai envie de dire : « Il y a un cessez-le-feu et c’est fondamental. Il n’y a pour l’instant, aucune question politique plus importante que celle de le prolonger, le renouveler et le rendre permanent » !
Que faisons-nous sur le plan politique, sur le plan de l’intervention citoyenne pour le rendre indestructible et irréversible ?
Quelle pression exerçons-nous auprès des trois négociateurs, États-Unis, Qatar, Égypte et deux belligérants, Israël et Hamas pour que ce cessez-le-feu perdure et permette l’envoi plus massif d’aide humanitaire, permette l’intervention des associations humanitaires internationales, et au premier plan de l’UNWRA, qui seule a les compétences et l’expérience pour intervenir, pour permettre l’envoi de journalistes, pour commencer à déployer des enquêtes sur le terrain pour analyser toutes les atteintes aux droits de l’homme, voire les crimes contre l’humanité, commises par les deux parties ?
Comment faisons-nous enfin du soutien à un cessez-le-feu permanent, un mouvement irrésistible, unissant toutes les bonnes volontés, dépassant les divergences secondaires sur l’avenir géo-politique de la région ? Comment multiplions-nous les initiatives diverses pour faire du sauvetage de cette région, de la sécurité commune des populations qui y vivent, une préoccupation de la communauté internationale ? N’est-ce pas un des seuls moyens dont nous disposons pour rendre plus difficile à Netanyahou, au Hamas, à Trump la possibilité d’interrompre cet accord ?
Comment construisons-nous le rassemblement le plus large à l’échelle internationale, qui devrait se manifester évidemment, par l’envoi de troupes d’interposition des Nations unies, avec des mandats robustes pour se défendre et protéger les populations.
Il faudra certes discuter du statut futur de Gaza, de la reconnaissance pleine et entière de la Palestine, de la démilitarisation de celle-ci, de l’apport massif de fonds pour financer la reconstruction au service des populations et non des affairistes et requins de la finance. Cela sera difficile, il y aura des affrontements politiques mais, voyons l’enjeu aujourd’hui pour les populations qu’elles soient gazaouies ou israéliennes.
Ne nous trompons pas d’objectif politique prioritaire !
Nous sommes devant ce défi de taille : avec la bataille pour la permanence du cessez-le-feu à Gaza, allons-nous enfin construire un vrai rapport de force pérennisant le silence des armes et permettant de construire les bases permettant la construction d’une paix, d’une sécurité, d’une communauté de vie entre les peuples du Moyen-Orient ?
Daniel Durand - 2 février 2025
Une version condensée de cet article est publiée en tribune libre dans la rubrique "En débat" sur le site du journal L'Humanité au lien suivant
https://www.humanite.fr/en-debat/bande-de-gaza/gaza-prolonger-le-cessez-le-feu-une-priorite
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