La première constatation est celle-ci : oui, le monde bouge, oui, il porte des incertitudes au quotidien mais oui, le droit international progresse, oui, le multilatéralisme et le poids des institutions internationales progressent, oui, les opinions publiques accèdent plus à l'expression démocratique. Le monde ne se désagrège pas mais se construit même si c'est au travers de contradictions, d'avancées et de reculs.
Dans ce cadre, les priorités de la politique étrangère et de la politique de défense de la France ne peuvent être dissociées. Trois objectifs paraissent fondamentaux : aider concrètement, et non pas seulement dans les discours, l'organisation des Nations unies à construire un monde multilatéral, de justice et de co-développement, la réussite de la démilitarisation des relations internationales en favorisant la réussite des processus de désarmement, le développement des interdépendances européennes et mondiales (aujourd'hui, la "souveraineté" (les vieilles fonctions "régaliennes" des États ) est très largement "partagée" sur les plans politique, économique, social, juridique y compris l'emploi de la force par la Charte de l'ONU, et ce mouvement est irréversible).
Ces objectifs sont inséparables du développement d'une vraie "diplomatie d'influence" politique, économique, culturelle (s'appuyant sur la promotion des droits humains et de la culture de la paix).
Laurent Fabius en avait proposé une approche intéressante le 6 septembre 2012, à la Conférence inaugurale de l’École des Affaires internationales (Sciences-Po). Il y déclarait : "Dans ce monde à la puissance éclatée, la France possède des atouts pour jouer un rôle majeur. On a parlé, à propos de divers pays, de « soft power », de « hard power », de « smart power ». Pour rendre compte de la situation singulière de la France, je parlerai volontiers d’« influential power » : notre pays est « une puissance d’influence (...) l’influence est un vecteur qui permet de faire valoir nos préoccupations et nos valeurs, dans notre intérêt et celui de la régulation mondiale". Cette approche mériterait d'être approfondie car elle pose le principe du primat du politique sur le militaire.
C'est en fonction de la clarté des objectifs politiques que l'outil militaire doit être adapté avec les différentes étapes, nécessitées par l'évolution de la situation et non l'inverse.
Si la diplomatie française décidait de mener une diplomatie active pour l'élimination totale des armes nucléaires, ce qu'estime possible nombre de personnalités, qu'ils soient anciens ministres (Michel Roccard, Paul Quilès, et sous d'autres formes Hervé de Charrette ou Alain Juppé) ou anciens généraux (Bernard Norlain), elle pourrait dans ce cadre, un jour rapproché, mettre dans la balance, la suppression de ses missiles aéroportés de la 2e composante nucléaire, comme l'a fait le Royaume-Uni, la réduction du nombre des missiles et des têtes nucléaires sur ses sous-marins nucléaires. Elle pourrait développer, sur ce terrain, une véritable "diplomatie d'influence" qui favoriserait l'évolution de la crise iranienne et celle de la création d'une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient, ainsi que la réunion des conditions de la ratification complète du Traité d'interdiction des essais nucléaires.
Dans le cadre d'un respect clair et affirmé hautement du droit international et de la prééminence des Nations unies, les forces de projection françaises acquerraient une légitimité nouvelle et les coopérations nécessaires, pour en étoffer certains moyens en coopération et mutualisation (avion gros porteur, 2e porte-avions avec le Royaume-Uni), trouver des solutions facilitées et plus économiques.
Le développement renforcé de politiques de maintien et consolidation de la paix civilo-militaires au niveau de l'Union européenne serait un stimulant aux coopérations européennes, les pays anglo-saxons étant très soucieux de ces dimensions.
L'élimination mondiale des armes nucléaires, la démilitarisation progressive des relations internationales, le renforcement des traités multilatéraux et de leurs dispositifs de vérification et contrôle sont la seule réponse, certes de long terme mais crédible, au maintien de la fameuse "sécurité non diminuée pour tous" évoquée par les diplomates français dans les enceintes onusiennes. C'est la seule perspective permettant d'envisager, dans un avenir le plus rapproché possible, la disparition de l'Alliance atlantique (OTAN) au profit du rôle sécuritaire global que doivent assumer les Nations unies tel que prévu dans leur Charte constitutive.
C'est la seule perspective permettant de ré-enclancher en France et dans le monde, une baisse des dépenses militaires mondiales en cette période de crise, alors que les financements manquent pour entamer la seconde phase des Objectifs du millénaire, pour l'éradication complète de la pauvreté dans le monde.
Cela impose une volonté politique forte, un travail acharné, mais l'évocation des obstacles à une telle évolution ne peut servir d'excuse à retarder et renoncer à de telles orientations et à se maintenir dans l'état d'insécurité de fait qui pèse sur le monde du fait du maintien de plus de 15 000 bombes nucléaires et de dépenses militaires mondiales s'approchant des 1 500 Mds de dollars par an.
En France,c'est aussi en fonction d'une telle "vision" politique que peut se (re?)construire un lien armée-nation réel car il ne suffit pas, comme l'a déclaré le président Hollande, de plus associer la société française à la "connaissance" de l’institution militaire : nous sommes alors dans la propagande militariste et non dans le débat citoyen. C'est la même passivité démocratique que l'on relève lorsque le Président évoque les prochaines commémorations de la Guerre de 14-18 où il espère "en faire des évocations citoyennes pour que les jeunes sachent bien ce qu’est la guerre, pour mieux apprécier ce qu’est la paix." Non, il ne s'agit pas d'évocation statique, de simple développement de la mémoire historique et civique, mais de mises en oeuvre nécessaires de véritables programmes de culture de la paix, au sein des futurs programmes de morale civique évoqués par Vincent Peillon, avec des temps forts comme une "semaine de la culture de paix", comme il existe déjà une semaine de la solidarité internationale ou une semaine de l'anti-racisme.
Ce blog est dédié aux problématiques de la paix et du désarmement, des institutions internationales (ONU, OTAN), à la promotion d'une culture de la paix. Textes sous license Creative Commons by-nc-sa
dimanche 2 juin 2013
Livre Blanc : Pensée unique ? (4)
Dans l'article précédent consacré au Livre Blanc, je me demandais si la "pensée unique" en terme de défense, de sécurité et de paix était vraiment inévitable. La lecture de l'intervention de François Hollande sur la politique de Défense à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale le 23 mai dernier semble l'affirmer.
Celui-ci s'est livré pour l'essentiel à une simple "défense et illustration" du Livre blanc sur la Défense et la sécurité, encore plus schématique d'ailleurs du fait de la brièveté du propos.
Finies les nuances, l'accent est mis uniquement sur les menaces pour justifier les équipements devant l'opinion : "La France a besoin d’une défense forte parce que le monde n’est pas plus sûr qu’hier". Oubliée, cette réflexion profondément juste du même François Hollande, 27 août 2012, à la XXe Conférence des ambassadeurs de France : "le monde est aussi porteur d’espoir, il y a la vitalité des peuples, leur aspiration démocratique, les exigences d’une bonne gouvernance et la capacité d’innovation que trouvent toujours les êtres humains. Il y a des lignes qui bougent et des dictateurs qui tombent. En cela, le monde évolue dans un sens qui est celui du progrès".
De la même façon, les priorités deviennent moins claires qu'en 2012 quand le Président affirmait : "Nous fondons notre démarche sur le droit, en s’inscrivant dans le long mouvement de l’organisation de la société internationale. Je veux continuer, au nom de la France, à faire de l’organisation des Nations unies l’instance centrale de la gouvernance mondiale pour préserver la paix, mais aussi pour protéger les populations". Cela devient aujourd'hui : "Face à ces menaces, la France doit se donner un objectif, un seul : à tout moment assurer sa sécurité, répondre aux attentes de ses partenaires comme de ses alliés, et préserver la paix dans le monde".
On observe la même modification des priorités dans cette remarque : "La France y a vocation parce qu’elle est dépositaire par son histoire, d’une capacité militaire et diplomatique, qu’elle met au service de ses propres intérêts – et nous devons les revendiquer – et du droit international."
L'ordre des objectifs n'est pas anodin : "paix" et "droit international" ne sont plus là qu'en dernière position de la liste, presqu'à titre symbolique.
Il faut cesser les porte-à-faux conceptuels : pourquoi l'affirmation qui semblait claire de François Hollande en août 2012 dans le même discours aux ambassadeurs "Nous nous inscrivons dans la légalité internationale et je confirme ici que notre pays ne participe à des opérations de maintien de la paix ou de protection des populations qu’en vertu d’un mandat et donc d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies" n'est-elle pas reprise en préalable de toutes les dispositions organisant les forces militaires prévues au titre des interventions extérieures ?
En se contentant d'illustrer les conclusions du Livre Blanc sans les recadrer dans un projet politique clair, le Chef de l'État confirme ainsi indirectement qu'un Livre Blanc est un compromis fait sous influence et qu'il y a nécessité que soit restauré un vrai primat de la politique sur le lobby politico-militaire.
Comment se satisfaire de cette proclamation : "Notre doctrine est fondée sur le principe de stricte suffisance. Cela permet à la France de montrer l’exemple en matière de désarmement nucléaire" alors que la France renouvelle à marche forcée ses missiles et sous-marins nucléaires, développe des recherches en laboratoire, met en route des collaborations nucléaires avec la Grande-Bretagne (traité Teutatès) pour au moins cinquante ans ?
Comment se contenter de cette affirmation lapidaire : "Il faut « dépenser juste »", alors que les dépenses prévues, les fameux 365 Mds€ 2013 pour dix ans, continuent de faire des dépenses d'armement le second budget de l'État pour des objectifs politiques qui sont discutables ? "Dépenser juste" n'est-ce pas éviter les renouvellements trop rapides de gammes d'armements ou la facilité des "achats sur étagères" (ex du remplacement des missiles Milan) au détriment de l'amélioration de l'entretien et de l'évolution technique dans les établissements de la défense français (même si ceux doivent être préparés clairement aux réductions de charges et aux conversions qui seront nécessaires) ?
Peut-on en rester au voeu pieux que "la France veut ouvrir une nouvelle étape de l'Europe de la défense" si des initiatives plus fortes de coopération sur les points faibles de nos forces militaires au service du maintien de la paix sous égide onusien (transports de troupes, surveillance satellitaire, vigilance informatique) ne sont pas lancées ?
Le Président de la République a reconnu aussi, peut-être sans mesurer les conséquences du propos, qu'avec 250 000 personnels de la défense, la France possédait "l’effectif le plus important d’Europe". Celui-ci est-il justifié par les réalités des menaces sur le territoire national, par exemple ? Peut-on se satisfaire de la "bouillie" idéologique faite dans le Livre blanc où l'armée, les forces d'actives et les réserves se retrouvent pêle-mêle dans les réflexions sur le plan Vigie-Pirate, les cyber-menaces, la présence de réservistes dans les quartiers sensibles, la prévention des risques naturels, etc...
Il y a vraiment besoin d'un vrai débat public sur la vision du monde et la politique qui doit être celle de la France, même après la publication de ce Livre Blanc, puisque ce débat n'a pas eu lieu. Que pourrait-on verser dans ce débat ? (à suivre...)
Celui-ci s'est livré pour l'essentiel à une simple "défense et illustration" du Livre blanc sur la Défense et la sécurité, encore plus schématique d'ailleurs du fait de la brièveté du propos.
Finies les nuances, l'accent est mis uniquement sur les menaces pour justifier les équipements devant l'opinion : "La France a besoin d’une défense forte parce que le monde n’est pas plus sûr qu’hier". Oubliée, cette réflexion profondément juste du même François Hollande, 27 août 2012, à la XXe Conférence des ambassadeurs de France : "le monde est aussi porteur d’espoir, il y a la vitalité des peuples, leur aspiration démocratique, les exigences d’une bonne gouvernance et la capacité d’innovation que trouvent toujours les êtres humains. Il y a des lignes qui bougent et des dictateurs qui tombent. En cela, le monde évolue dans un sens qui est celui du progrès".
De la même façon, les priorités deviennent moins claires qu'en 2012 quand le Président affirmait : "Nous fondons notre démarche sur le droit, en s’inscrivant dans le long mouvement de l’organisation de la société internationale. Je veux continuer, au nom de la France, à faire de l’organisation des Nations unies l’instance centrale de la gouvernance mondiale pour préserver la paix, mais aussi pour protéger les populations". Cela devient aujourd'hui : "Face à ces menaces, la France doit se donner un objectif, un seul : à tout moment assurer sa sécurité, répondre aux attentes de ses partenaires comme de ses alliés, et préserver la paix dans le monde".
On observe la même modification des priorités dans cette remarque : "La France y a vocation parce qu’elle est dépositaire par son histoire, d’une capacité militaire et diplomatique, qu’elle met au service de ses propres intérêts – et nous devons les revendiquer – et du droit international."
L'ordre des objectifs n'est pas anodin : "paix" et "droit international" ne sont plus là qu'en dernière position de la liste, presqu'à titre symbolique.
Il faut cesser les porte-à-faux conceptuels : pourquoi l'affirmation qui semblait claire de François Hollande en août 2012 dans le même discours aux ambassadeurs "Nous nous inscrivons dans la légalité internationale et je confirme ici que notre pays ne participe à des opérations de maintien de la paix ou de protection des populations qu’en vertu d’un mandat et donc d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies" n'est-elle pas reprise en préalable de toutes les dispositions organisant les forces militaires prévues au titre des interventions extérieures ?
En se contentant d'illustrer les conclusions du Livre Blanc sans les recadrer dans un projet politique clair, le Chef de l'État confirme ainsi indirectement qu'un Livre Blanc est un compromis fait sous influence et qu'il y a nécessité que soit restauré un vrai primat de la politique sur le lobby politico-militaire.
Comment se satisfaire de cette proclamation : "Notre doctrine est fondée sur le principe de stricte suffisance. Cela permet à la France de montrer l’exemple en matière de désarmement nucléaire" alors que la France renouvelle à marche forcée ses missiles et sous-marins nucléaires, développe des recherches en laboratoire, met en route des collaborations nucléaires avec la Grande-Bretagne (traité Teutatès) pour au moins cinquante ans ?
Comment se contenter de cette affirmation lapidaire : "Il faut « dépenser juste »", alors que les dépenses prévues, les fameux 365 Mds€ 2013 pour dix ans, continuent de faire des dépenses d'armement le second budget de l'État pour des objectifs politiques qui sont discutables ? "Dépenser juste" n'est-ce pas éviter les renouvellements trop rapides de gammes d'armements ou la facilité des "achats sur étagères" (ex du remplacement des missiles Milan) au détriment de l'amélioration de l'entretien et de l'évolution technique dans les établissements de la défense français (même si ceux doivent être préparés clairement aux réductions de charges et aux conversions qui seront nécessaires) ?
Peut-on en rester au voeu pieux que "la France veut ouvrir une nouvelle étape de l'Europe de la défense" si des initiatives plus fortes de coopération sur les points faibles de nos forces militaires au service du maintien de la paix sous égide onusien (transports de troupes, surveillance satellitaire, vigilance informatique) ne sont pas lancées ?
Le Président de la République a reconnu aussi, peut-être sans mesurer les conséquences du propos, qu'avec 250 000 personnels de la défense, la France possédait "l’effectif le plus important d’Europe". Celui-ci est-il justifié par les réalités des menaces sur le territoire national, par exemple ? Peut-on se satisfaire de la "bouillie" idéologique faite dans le Livre blanc où l'armée, les forces d'actives et les réserves se retrouvent pêle-mêle dans les réflexions sur le plan Vigie-Pirate, les cyber-menaces, la présence de réservistes dans les quartiers sensibles, la prévention des risques naturels, etc...
Il y a vraiment besoin d'un vrai débat public sur la vision du monde et la politique qui doit être celle de la France, même après la publication de ce Livre Blanc, puisque ce débat n'a pas eu lieu. Que pourrait-on verser dans ce débat ? (à suivre...)
jeudi 30 mai 2013
Livre blanc : des dépenses, pourquoi faire ? (3)
Les commentaires divergents sur les moyens proposés à la Défense illustrent bien les ambiguïtés du Livre blanc. Des commentateurs ont insisté sur les 34 000 postes supprimés en 2014-2019 (24 000 de plus que prévu) ; de l'autre côté, le texte du Livre blanc affirme (p 137) : "la France continuera à consacrer à sa défense un effort financier majeur".
Effectivement, le refus de voir les évolutions du monde dans toutes leurs contradictions, à la fois comme menaces mais aussi comme évolutions positives, amène à une position de vouloir tout maintenir sans forcément en avoir les moyens. L'exemple le plus flagrant est, bien sûr, le maintien non justifié de la 2e composante nucléaire (missiles aéroportés) sans justification stratégique claire et, en même temps, l'absence temporaire sur "le terrain" d'un porte-avions du fait de l'immobilisation pour entretien de l'unique PAN Charles-de-Gaulle..
Cette position amène à prévoir la somme énorme de 364 Md€(2013) pour la période 2014-2025, dont 179 Md€(2013) pour les 5 années à venir. Ce montant élevé dû à la poursuite de programmes coûteux (renouvellement des missiles nucléaires, le grand public s'est aperçu du coût exorbitant du missile M51 auto-détruit) correspond-il aux besoins réels de la Défense et de la sécurité de la France aujourd'hui ? N'est-il pas provoqué par le manque d'imagination des responsables de la gauche française face au manque de renouvellement de la pensée stratégique française ; responsables trop préoccupés par la peur de se voir taxés par la droite de faiblesse par rapport à la "grandeur" de la France ? Surtout, ne traduit-il pas une faiblesse devant le poids du lobby politico-militaire de l'armement notamment nucléaire et missilier (Paul Quilès et Bernard Norlain le relèvent avec justesse dans leurs dernières publications) ? Le fait que le ministre des Finances, le ministre de la Défense, la Présidente de la commission de la Défense de l'assemblée nationale soient tous trois des parlementaires d'une région dépendant pour une large part de l'économie militaire ne pose-t-il pas problème, quelles que soient par ailleurs leur honnêteté et leur sincérité politique ?
En même temps, les dépenses militaires annoncées pour les années à venir (5,9 Mds€ 2013) dépendent pour une part de la vente des derniers "bijoux de famille" (biens immobiliers de l'armée, vente de fréquences radio, etc...), seront-elles réalisées ? Sinon, acceptera-t-on de faire encore plus appel au budget général ?
On sait que, dans le passé, les engagements annoncés, soient, n'ont pas été tenus, soient, l'ont été au prix d'étalement de programmes, de reports de paiements, avec comme conséquences des renchérissements de prix au final, inacceptables...
La même ambiguïté de posture déclarative existe avec les industries de défense. Il est proclamé que "l'industrie de défense est une composante majeure de l'autonomie stratégique de la France" (p 140). Le Livre blanc propose "le maintien d'un budget significatif en matière de recherche et de développement", l'aide aux entreprises pour "accroître le volume de leurs exportations" ainsi que "l'exploitation systématique de toutes les voies de coopérations". Dans la pratique, malgré quelques exemples isolés, le positionnement français n'a pas permis un développement réel des coopérations européennes, les exportations françaises ont conduit à d'importants transferts de technologies donc de nouvelles concurrences. Le commerce des armes connaît de premières limitations et contrôles, qui devraient se développer encore demain. On apprend ainsi au détour d'une phrase (p 127) que la France a surtout soutenu le Traité d'interdiction et de contrôle des armements parce qu'il "participe à la protection de nos compétences technologiques dans un contexte de concurrence exacerbée"... Bref, parce qu'on espère qu'il nous aidera à vendre plus d'armes ! (désolé pour les naïfs..).
La politique de fabrication d'armements suivie jusqu'à présent : lancement de nouveaux programmes lors de renouvellement à répétition, souvent très coûteux donc très étalés, sans réflexion sur les évolutions du monde (ex des chars Leclerc) a conduit à des restructurations meurtrières en terme d'emplois. D'autres se préparent pour demain, si des réflexions nouvelles sur les conversions civiles nécessaires ne sont pas menées.
Derrière les ambiguïtés relevées dans ce Livre Blanc affleure une question. La pensée unique en terme de défense, de sécurité et de paix est-elle inévitable ? L'intervention de François Hollande le 23 mai à l'IHEDN semble l'affirmer. Y-a-t-il des voies alternatives à explorer ? Cela sera le sujet d'un prochain article.
Effectivement, le refus de voir les évolutions du monde dans toutes leurs contradictions, à la fois comme menaces mais aussi comme évolutions positives, amène à une position de vouloir tout maintenir sans forcément en avoir les moyens. L'exemple le plus flagrant est, bien sûr, le maintien non justifié de la 2e composante nucléaire (missiles aéroportés) sans justification stratégique claire et, en même temps, l'absence temporaire sur "le terrain" d'un porte-avions du fait de l'immobilisation pour entretien de l'unique PAN Charles-de-Gaulle..
Cette position amène à prévoir la somme énorme de 364 Md€(2013) pour la période 2014-2025, dont 179 Md€(2013) pour les 5 années à venir. Ce montant élevé dû à la poursuite de programmes coûteux (renouvellement des missiles nucléaires, le grand public s'est aperçu du coût exorbitant du missile M51 auto-détruit) correspond-il aux besoins réels de la Défense et de la sécurité de la France aujourd'hui ? N'est-il pas provoqué par le manque d'imagination des responsables de la gauche française face au manque de renouvellement de la pensée stratégique française ; responsables trop préoccupés par la peur de se voir taxés par la droite de faiblesse par rapport à la "grandeur" de la France ? Surtout, ne traduit-il pas une faiblesse devant le poids du lobby politico-militaire de l'armement notamment nucléaire et missilier (Paul Quilès et Bernard Norlain le relèvent avec justesse dans leurs dernières publications) ? Le fait que le ministre des Finances, le ministre de la Défense, la Présidente de la commission de la Défense de l'assemblée nationale soient tous trois des parlementaires d'une région dépendant pour une large part de l'économie militaire ne pose-t-il pas problème, quelles que soient par ailleurs leur honnêteté et leur sincérité politique ?
En même temps, les dépenses militaires annoncées pour les années à venir (5,9 Mds€ 2013) dépendent pour une part de la vente des derniers "bijoux de famille" (biens immobiliers de l'armée, vente de fréquences radio, etc...), seront-elles réalisées ? Sinon, acceptera-t-on de faire encore plus appel au budget général ?
On sait que, dans le passé, les engagements annoncés, soient, n'ont pas été tenus, soient, l'ont été au prix d'étalement de programmes, de reports de paiements, avec comme conséquences des renchérissements de prix au final, inacceptables...
La même ambiguïté de posture déclarative existe avec les industries de défense. Il est proclamé que "l'industrie de défense est une composante majeure de l'autonomie stratégique de la France" (p 140). Le Livre blanc propose "le maintien d'un budget significatif en matière de recherche et de développement", l'aide aux entreprises pour "accroître le volume de leurs exportations" ainsi que "l'exploitation systématique de toutes les voies de coopérations". Dans la pratique, malgré quelques exemples isolés, le positionnement français n'a pas permis un développement réel des coopérations européennes, les exportations françaises ont conduit à d'importants transferts de technologies donc de nouvelles concurrences. Le commerce des armes connaît de premières limitations et contrôles, qui devraient se développer encore demain. On apprend ainsi au détour d'une phrase (p 127) que la France a surtout soutenu le Traité d'interdiction et de contrôle des armements parce qu'il "participe à la protection de nos compétences technologiques dans un contexte de concurrence exacerbée"... Bref, parce qu'on espère qu'il nous aidera à vendre plus d'armes ! (désolé pour les naïfs..).
La politique de fabrication d'armements suivie jusqu'à présent : lancement de nouveaux programmes lors de renouvellement à répétition, souvent très coûteux donc très étalés, sans réflexion sur les évolutions du monde (ex des chars Leclerc) a conduit à des restructurations meurtrières en terme d'emplois. D'autres se préparent pour demain, si des réflexions nouvelles sur les conversions civiles nécessaires ne sont pas menées.
Derrière les ambiguïtés relevées dans ce Livre Blanc affleure une question. La pensée unique en terme de défense, de sécurité et de paix est-elle inévitable ? L'intervention de François Hollande le 23 mai à l'IHEDN semble l'affirmer. Y-a-t-il des voies alternatives à explorer ? Cela sera le sujet d'un prochain article.
dimanche 26 mai 2013
Le Livre blanc : dissuasion/intervention, le couple infernal ? (2)
Dans le précédent article sur le Livre Blanc de la Défense et la sécurité nationale 2013, je critiquais ce que j'estime être des ambiguïtés autour du concept global de « sécurité nationale ». J'y critiquais également le manque de cohérence de l'encadrement conceptuel de la politique de défense proposée du fait que l'ensemble des réflexions stratégiques n'est pas inscrit clairement dans la défense prioritaire du droit international et la primauté de la Charte des nations unies. Ces ambiguïtés conduisent à des propositions crispées sur la « protection » d'une souveraineté nationale qui serait menacée par tout mouvement inattendu dans le monde.
Ces conceptions pèsent sur la présentation de la dissuasion nucléaire qui « protège la France contre toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme ». On voit que la formule peut justifier beaucoup d'excès !
Le fait d'affirmer que "la dissuasion nucléaire s’inscrit donc dans le cadre plus global de la stratégie de défense et de sécurité nationale qui prend en compte l’ensemble des menaces, y compris celles qui se situent sous le seuil des intérêts vitaux" renforce la confusion stratégique : il n'y aurait pas de politique de sécurité fiable y compris face à des menaces faibles sans armes nucléaires ? Cela signifie donc que 185 pays sur 194, qui ne possèdent pas d'armes nucléaires, vivent dans l'insécurité ? Quel encouragement indirect pour certains pays en mal de puissance à essayer d'acquérir à tout prix la maîtrise de la technologie nucléaire militaire !
La même ambiguïté demeure ainsi face au désarmement nucléaire puisqu'il est dit que notre pays « œuvre activement en faveur d’un « désarmement général et complet sous un contrôle strict et efficace », objectif fixé par l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ».
Les rédacteurs du Livre Blanc ont juste « oublié » un morceau de la phrase qui est « au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général... » ! Oubli ou falsification ? Rien d'étonnant qu'il soit proposé de maintenir tous les financements de la force nucléaire et que soit maintenu cet anachronisme stratégique que constitue la « 2e composante nucléaire » composée de missiles aéroportés que le Royaume-Uni a abandonnée depuis plusieurs années. On peut regretter aussi que la transparence sur les forces nucléaires françaises reste très limitée : "moins de 300 têtes" selon les propos de Nicolas Sarkozy en 2010 alors que le Royaume-Uni a donné des précisions récentes sur son nombre de missiles installés sur les sous-marins, le nombre exact de têtes nucléaires, etc..
Au-delà de cet aspect, on voit que la politique de défense s'inscrit dans une vision statique et crispée vis a vis des processus de désarmement et des évolutions du monde.
Cette même hésitation à placer résolument toutes les actions de la France dans le cadre du droit international et de la primauté des Nations unies pèse sur toutes les propositions faites sur les interventions extérieures réduites aux objectifs trop vagues de « défendre nos intérêts stratégiques, comme ceux de nos partenaires et alliés, et exercer nos responsabilités internationales ». L'accent mis, dans ce contexte sur la présence française en Afrique et dans le Golfe arabo-persique, laisse interrogateur puisqu'il est écrit que "(..), la France entend disposer des capacités militaires lui permettant de s’engager dans les zones prioritaires pour sa défense et sa sécurité : la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, une partie de l’Afrique - du Sahel à l’Afrique équatoriale -, le Golfe Arabo-Persique et l’océan Indien. "
Tout en constatant à plusieurs reprises le développement des "interdépendances" dans le monde, les auteurs du Livre Blanc ont préféré mettre l'accent sur "l'autonomie" stratégique. Ils estiment que "l’évolution du contexte stratégique pourrait amener notre pays à devoir prendre l’initiative d’opérations, ou à assumer, plus souvent que par le passé, une part substantielle des responsabilités impliquées par la conduite de l’action militaire."
Ils privilégient les cas d'interventions liées à deux modèles : "des opérations de coercition" " des "opérations de gestion de crise", là encore non cadrées directement dans un contexte de maintien de la paix ou rétablissement de la paix sous mandat de l'ONU.
L'interdépendance n'est évoquée et acceptée qu'au niveau européen pour "les capacités spatiales de renseignement électromagnétique et de renseignement image". Nous sommes loin de certaines positions de responsables socialistes comme Patricia Adams, responsable de la commission de la Défense de l'Assemblée nationale qui déclarait en 2010, au magazine DSI : "une révision de nos ambitions ne peut se faire en occultant la question de l'avenir de l'Europe de la défense". Les propositions, sur ce plan, contenues dans le Livre Blanc, sont loin de ces ambitions et beaucoup plus timorées : "Dans l’attente d’une vision stratégique partagée et d’un consensus en matière de politique étrangère, l’Europe de la défense se construira à travers ses opérations dans lesquelles ses capacités civiles et militaires se complèteront et se renforceront mutuellement".
Les hésitations entre une "autonomie" et une "souveraineté" mal définies, voire illusoires, une prise en compte frileuse des "interdépendances" qu'elles soient mondiales ou européennes, conduisent à des propositions en matières de forces et de crédits, guidées plus par les contraintes budgétaires que par la vision stratégique globale. Nous en parlerons dans un prochain article.
Ces conceptions pèsent sur la présentation de la dissuasion nucléaire qui « protège la France contre toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme ». On voit que la formule peut justifier beaucoup d'excès !
Le fait d'affirmer que "la dissuasion nucléaire s’inscrit donc dans le cadre plus global de la stratégie de défense et de sécurité nationale qui prend en compte l’ensemble des menaces, y compris celles qui se situent sous le seuil des intérêts vitaux" renforce la confusion stratégique : il n'y aurait pas de politique de sécurité fiable y compris face à des menaces faibles sans armes nucléaires ? Cela signifie donc que 185 pays sur 194, qui ne possèdent pas d'armes nucléaires, vivent dans l'insécurité ? Quel encouragement indirect pour certains pays en mal de puissance à essayer d'acquérir à tout prix la maîtrise de la technologie nucléaire militaire !
La même ambiguïté demeure ainsi face au désarmement nucléaire puisqu'il est dit que notre pays « œuvre activement en faveur d’un « désarmement général et complet sous un contrôle strict et efficace », objectif fixé par l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ».
Les rédacteurs du Livre Blanc ont juste « oublié » un morceau de la phrase qui est « au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général... » ! Oubli ou falsification ? Rien d'étonnant qu'il soit proposé de maintenir tous les financements de la force nucléaire et que soit maintenu cet anachronisme stratégique que constitue la « 2e composante nucléaire » composée de missiles aéroportés que le Royaume-Uni a abandonnée depuis plusieurs années. On peut regretter aussi que la transparence sur les forces nucléaires françaises reste très limitée : "moins de 300 têtes" selon les propos de Nicolas Sarkozy en 2010 alors que le Royaume-Uni a donné des précisions récentes sur son nombre de missiles installés sur les sous-marins, le nombre exact de têtes nucléaires, etc..
Au-delà de cet aspect, on voit que la politique de défense s'inscrit dans une vision statique et crispée vis a vis des processus de désarmement et des évolutions du monde.
Cette même hésitation à placer résolument toutes les actions de la France dans le cadre du droit international et de la primauté des Nations unies pèse sur toutes les propositions faites sur les interventions extérieures réduites aux objectifs trop vagues de « défendre nos intérêts stratégiques, comme ceux de nos partenaires et alliés, et exercer nos responsabilités internationales ». L'accent mis, dans ce contexte sur la présence française en Afrique et dans le Golfe arabo-persique, laisse interrogateur puisqu'il est écrit que "(..), la France entend disposer des capacités militaires lui permettant de s’engager dans les zones prioritaires pour sa défense et sa sécurité : la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, une partie de l’Afrique - du Sahel à l’Afrique équatoriale -, le Golfe Arabo-Persique et l’océan Indien. "
Tout en constatant à plusieurs reprises le développement des "interdépendances" dans le monde, les auteurs du Livre Blanc ont préféré mettre l'accent sur "l'autonomie" stratégique. Ils estiment que "l’évolution du contexte stratégique pourrait amener notre pays à devoir prendre l’initiative d’opérations, ou à assumer, plus souvent que par le passé, une part substantielle des responsabilités impliquées par la conduite de l’action militaire."
Ils privilégient les cas d'interventions liées à deux modèles : "des opérations de coercition" " des "opérations de gestion de crise", là encore non cadrées directement dans un contexte de maintien de la paix ou rétablissement de la paix sous mandat de l'ONU.
L'interdépendance n'est évoquée et acceptée qu'au niveau européen pour "les capacités spatiales de renseignement électromagnétique et de renseignement image". Nous sommes loin de certaines positions de responsables socialistes comme Patricia Adams, responsable de la commission de la Défense de l'Assemblée nationale qui déclarait en 2010, au magazine DSI : "une révision de nos ambitions ne peut se faire en occultant la question de l'avenir de l'Europe de la défense". Les propositions, sur ce plan, contenues dans le Livre Blanc, sont loin de ces ambitions et beaucoup plus timorées : "Dans l’attente d’une vision stratégique partagée et d’un consensus en matière de politique étrangère, l’Europe de la défense se construira à travers ses opérations dans lesquelles ses capacités civiles et militaires se complèteront et se renforceront mutuellement".
Les hésitations entre une "autonomie" et une "souveraineté" mal définies, voire illusoires, une prise en compte frileuse des "interdépendances" qu'elles soient mondiales ou européennes, conduisent à des propositions en matières de forces et de crédits, guidées plus par les contraintes budgétaires que par la vision stratégique globale. Nous en parlerons dans un prochain article.
lundi 20 mai 2013
Livre blanc : ambiguïtés en série... (1)
Le « Livre blanc 2013 de la défense et de la sécurité nationale » a été publié le 29 avril dernier. Il reprend le même intitulé que le précédent en liant le concept de « sécurité nationale » à celui de Défense. Seulement deux autres documents de ce genre avaient vu le jour : le Livre Blanc sur la Défense Nationale publié en 1972 par Michel Debré, qui avait conceptualisé la force nucléaire française et celui publié en 1994 sous le gouvernement d’Édouard Balladur, qui avait tiré les enseignements de la fin de la Guerre Froide et ouvert le chemin à la professionnalisation des armées en 1996 et au développement des « forces projetables ».
Beaucoup de commentaires ont été faits sur les éventuelles conséquences économiques et sociales des conclusions de ce document en matière de crédits militaires, d'emplois militaires ou dans les industries de défense. Peu ont développé les conceptions stratégiques et politiques proposées au débat national et aux parlementaires dans ce texte.
Or, depuis 1994, les décisions concrètes se traduisent dans un deuxième temps dans une « Loi de programmation militaire » sur cinq ans qui devrait .être votée en fin d'année. La logique voudrait que cette Loi soit la conséquence des orientations générales en matière de stratégie de défense et donc de la vision française du monde d'aujourd'hui et de demain et non l'inverse (c.à.d que les choix stratégiques ne découlent d'abord que des moyens financiers disponibles..).
Quelle est la vision du monde et de la sécurité de la France qui se dégage du Livre Blanc 2013 ? Celui-ci reprend le concept global de « sécurité nationale » qui permet d'amalgamer sous le terme de « menaces à la sécurité nationale » des éléments qui peuvent être des « menaces » militaires comme la prolifération des armes de destruction massive ou le terrorisme, des « menaces » technologiques et des « problèmes » de santé comme des pandémies, des « problèmes » d'environnement et de ressources naturelles (eau, réchauffement climatique), En déclarant ensuite « que l'action militaire reste une donnée essentielle de la sécurité nationale », la plus grande confusion politique et idéologique règne, les dimensions politiques, juridiques, sociales des problèmes mondiaux passent alors au second plan...
C'est là que réside une deuxième grande ambiguïté de ce Livre Blanc, peut-être encore plus grande (malheureusement diront beaucoup) que celles contenues dans le précédent Livre de 2008. Il y a une faiblesse de cohérence politique. L'ensemble des réflexions stratégiques n'est pas inscrit clairement dans la défense prioritaire du droit international et la primauté de la Charte des nations unies malgré une référence (page 22 : « La France est attachée à la consolidation des principes inscrits dans la Charte des Nations unies qui interdisent la menace ou l’emploi de la force dans les relations entre États, à l’exception de l’exercice de la légitime défense et de l’application des résolutions du Conseil de sécurité ») qui semble plus être un rappel « obligé » qu'un élément central de la réflexion. En 2008, le Livre Blanc consacrait un chapitre entier à la Sécurité collective (chap 6, 1ère partie) dans lequel était rappelé que « Le multilatéralisme demeure un principe fondateur », « La centralité de l’Organisation des Nations unies ». Il y était précisé (page 114) que « La charte des Nations unies est la référence fondamentale du droit international concernant l’usage de la force militaire, qu’il s’agisse de la légitime défense individuelle ou collective ». Certes, cette affirmation de 2008 n'a pas empêché l'instrumentalisation par Nicolas Sarkozy de la résolution du Conseil de Sécurité sur la Libye pour les seuls intérêts économico-politiques français, mais le cadre politique et théorique reste fondamental.
Il n'est donc pas anodin que la « Conclusion récapitulative » du Livre Blanc 2013 ne comporte pas le mot « Nations unies » et qu'on y trouve cette définition rabougrie : « Notre stratégie de défense et de sécurité nationale ne se conçoit pas en dehors du cadre de l’Alliance Atlantique et de notre engagement dans l’Union européenne » . On n'y trouve pas, sinon une fois en marge, le mot « paix ». Il est vrai que dans le texte lui-même, la paix vient en dernier de « l'échelle des priorités » : (p 47) : « - protéger le territoire national et les ressortissants français, et garantir
la continuité des fonctions essentielles de la Nation ; - garantir avec nos partenaires et alliés la sécurité de l’Europe et de l’espace nord-atlantique ; - stabiliser avec nos partenaires et alliés les approches de l’Europe ; - participer à la stabilité du Proche-Orient et du Golfe Arabo-Persique ;
- contribuer à la paix dans le monde ».
Cela conduit à une troisième faiblesse conceptuelle de ce Livre Blanc. Comment affirmer que « Le maintien et le développement, chez nos concitoyens, de l’esprit de défense et de sécurité, manifestation d’une volonté collective assise sur la cohésion de la Nation, sont donc une priorité » si les buts de la Défense reposent sur un discours sans vision mobilisatrice et planétaire ? La thématique du Livre Blanc 2013 frise le repli politique frileux sur une « souveraineté nationale » dont le concept mériterait d'être plus largement débattu tout comme la notion d''exercice des « responsabilités internationales » qui seraient celles de la France selon les rédacteurs. Le manque d'adhésion de l'opinion aux idées contenues dans ce document risque d'être renforcé par le rétrécissement de la concertation publique dans son élaboration (pas de consultation des groupes parlementaires, des syndicats, des Ong) qui a pesé négativement sur plusieurs aspects du contenu. La seule manière de combler un peu ce déficit démocratique serait d'ouvrir un large débat dans le pays, avant le débat parlementaire sur la Loi de Programmation militaire qui va concrétiser en termes budgétaires toutes les propositions du Livre Blanc. Celles-ci n'ont pas été abordées dans cette analyse, nous y reviendrons dans de prochains articles : modèle d'armée, avenir de la dissuasion nucléaire, crédits militaires et industries de défense...
Beaucoup de commentaires ont été faits sur les éventuelles conséquences économiques et sociales des conclusions de ce document en matière de crédits militaires, d'emplois militaires ou dans les industries de défense. Peu ont développé les conceptions stratégiques et politiques proposées au débat national et aux parlementaires dans ce texte.
Or, depuis 1994, les décisions concrètes se traduisent dans un deuxième temps dans une « Loi de programmation militaire » sur cinq ans qui devrait .être votée en fin d'année. La logique voudrait que cette Loi soit la conséquence des orientations générales en matière de stratégie de défense et donc de la vision française du monde d'aujourd'hui et de demain et non l'inverse (c.à.d que les choix stratégiques ne découlent d'abord que des moyens financiers disponibles..).
Quelle est la vision du monde et de la sécurité de la France qui se dégage du Livre Blanc 2013 ? Celui-ci reprend le concept global de « sécurité nationale » qui permet d'amalgamer sous le terme de « menaces à la sécurité nationale » des éléments qui peuvent être des « menaces » militaires comme la prolifération des armes de destruction massive ou le terrorisme, des « menaces » technologiques et des « problèmes » de santé comme des pandémies, des « problèmes » d'environnement et de ressources naturelles (eau, réchauffement climatique), En déclarant ensuite « que l'action militaire reste une donnée essentielle de la sécurité nationale », la plus grande confusion politique et idéologique règne, les dimensions politiques, juridiques, sociales des problèmes mondiaux passent alors au second plan...
C'est là que réside une deuxième grande ambiguïté de ce Livre Blanc, peut-être encore plus grande (malheureusement diront beaucoup) que celles contenues dans le précédent Livre de 2008. Il y a une faiblesse de cohérence politique. L'ensemble des réflexions stratégiques n'est pas inscrit clairement dans la défense prioritaire du droit international et la primauté de la Charte des nations unies malgré une référence (page 22 : « La France est attachée à la consolidation des principes inscrits dans la Charte des Nations unies qui interdisent la menace ou l’emploi de la force dans les relations entre États, à l’exception de l’exercice de la légitime défense et de l’application des résolutions du Conseil de sécurité ») qui semble plus être un rappel « obligé » qu'un élément central de la réflexion. En 2008, le Livre Blanc consacrait un chapitre entier à la Sécurité collective (chap 6, 1ère partie) dans lequel était rappelé que « Le multilatéralisme demeure un principe fondateur », « La centralité de l’Organisation des Nations unies ». Il y était précisé (page 114) que « La charte des Nations unies est la référence fondamentale du droit international concernant l’usage de la force militaire, qu’il s’agisse de la légitime défense individuelle ou collective ». Certes, cette affirmation de 2008 n'a pas empêché l'instrumentalisation par Nicolas Sarkozy de la résolution du Conseil de Sécurité sur la Libye pour les seuls intérêts économico-politiques français, mais le cadre politique et théorique reste fondamental.
Il n'est donc pas anodin que la « Conclusion récapitulative » du Livre Blanc 2013 ne comporte pas le mot « Nations unies » et qu'on y trouve cette définition rabougrie : « Notre stratégie de défense et de sécurité nationale ne se conçoit pas en dehors du cadre de l’Alliance Atlantique et de notre engagement dans l’Union européenne » . On n'y trouve pas, sinon une fois en marge, le mot « paix ». Il est vrai que dans le texte lui-même, la paix vient en dernier de « l'échelle des priorités » : (p 47) : « - protéger le territoire national et les ressortissants français, et garantir
la continuité des fonctions essentielles de la Nation ; - garantir avec nos partenaires et alliés la sécurité de l’Europe et de l’espace nord-atlantique ; - stabiliser avec nos partenaires et alliés les approches de l’Europe ; - participer à la stabilité du Proche-Orient et du Golfe Arabo-Persique ;
- contribuer à la paix dans le monde ».
Cela conduit à une troisième faiblesse conceptuelle de ce Livre Blanc. Comment affirmer que « Le maintien et le développement, chez nos concitoyens, de l’esprit de défense et de sécurité, manifestation d’une volonté collective assise sur la cohésion de la Nation, sont donc une priorité » si les buts de la Défense reposent sur un discours sans vision mobilisatrice et planétaire ? La thématique du Livre Blanc 2013 frise le repli politique frileux sur une « souveraineté nationale » dont le concept mériterait d'être plus largement débattu tout comme la notion d''exercice des « responsabilités internationales » qui seraient celles de la France selon les rédacteurs. Le manque d'adhésion de l'opinion aux idées contenues dans ce document risque d'être renforcé par le rétrécissement de la concertation publique dans son élaboration (pas de consultation des groupes parlementaires, des syndicats, des Ong) qui a pesé négativement sur plusieurs aspects du contenu. La seule manière de combler un peu ce déficit démocratique serait d'ouvrir un large débat dans le pays, avant le débat parlementaire sur la Loi de Programmation militaire qui va concrétiser en termes budgétaires toutes les propositions du Livre Blanc. Celles-ci n'ont pas été abordées dans cette analyse, nous y reviendrons dans de prochains articles : modèle d'armée, avenir de la dissuasion nucléaire, crédits militaires et industries de défense...
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mardi 7 mai 2013
TNP 2013 : sortir du statut quo ?
Le Comité préparatoire de la Conférence d'examen de 2015 du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) a terminé ses deux semaines de travaux vendredi dernier 3 mai à Genève. Cette session réunissait 106 États parties, cinq organisations internationales et 53 organisations non gouvernementales sous la présidence de l'ambassadeur Cornel Feruta de Roumanie. La session était le deuxième des trois sessions organisées avant la tenue de Conférence d'examen du TNP de 2015. La prochaine et dernière session aura lieu à New York du 28 avril au 9 mai 2014.
Comme prévu, cette session s'est achevée sans progrès réels et concrets sur nombre des engagements pris à la dernière Conférence de 2010. Il n'y a pas eu de texte final mais un simple relevé des discussions fait par le Président, sous sa seule responsabilité. Ce texte, très prudent, minimise les divergences entre les États, en particulier sur les raisons et les leçons à tirer du report de la conférence prévue en 2012 sur une zone exempte d'armes de destruction massive dans le Moyen-Orient. Aucun nouveau engagement n'a été pris sur le sujet, notamment par les États-Unis, ce qui a entraîné un vif mécontentement de la part du groupe des pays non-alignés et de ceux de la Ligue arabe. Ceux-ci ont trouvé que le Président minorait trop d'ailleurs les difficultés rencontrées et les responsabilités des USA et d'Israël.
Ce qui est bien sur sous-jacent dans les évaluations finales de la présidence est la tension croissante entre les possesseurs d'armes nucléaires P5 et leurs alliés "sous parapluie nucléaire" (comme le Japon) d'une part, et tous les autres pays de l'autre.
Beaucoup de pays non-nucléaires ont estimé également que le fait central de la session : l'appel commun de 80 pays sur les conséquences humanitaires catastrophiques de l'utilisation des armes nucléaires n'est pas mentionné orrectement dans les conclusions de la présidence alors qu'une part plus importante est faite à l'argumentation défensive des cinq pays nucléaires "officiels", les "P5" ! Ainsi, le rapport mentionne que «certains» États ont réaffirmé leur contribution au «processus pragmatique étape par étape de désarmement nucléaire» et que «dans leurs politiques nationales respectives, toute utilisation du nucléaire ne serait considéré que dans des circonstances extrêmes, conformément [avec le droit international humanitaire]". Cette réfutation essaie de répondre aux critiques de plus en plus vives sur la "modernisation" continue des arsenaux, et la persistance du rôle joué par les doctrines nucléaires dans les politiques de défense des P5 et de l'OTAN.
En fait, derrière cela, c'est le "statu quo" entériné par le TNP qui est mis en cause car il aboutit au fait que ce ne sont plus les buts finaux du Traité (c.à.d l'élimination des armes nucléaires) qui recueillent l'essentiel des efforts mais le maintien de l'ordre établi : "tout changer pour que rien ne bouge".
Ce cercle vicieux a été relevée par Mme Angela Kane, Haut Représentant pour les affaires de désarmement des Nations Unies, à la Conférence annuelle de l'OTAN le 6 mai dernier sur les armes de destruction massive : "Personne ne doit penser par principe que tout régime structuré basé un système dotés/non dotés puisse être maintenu pour toujours". Cela s'applique parfaitement au TNP : au lieu de perpétuer le statu quo, qui mine la stabilité du traité, les États parties doivent faire du désarmement nucléaire un objectif stratégique, sous peine de ne voir pas seulement un État-partie (comme l'a fait l'Égypte la semaine dernière en quittant la séance) mais plusieurs autres déclarer forfait dans ce processus.
Pour cela, les États nucléaires devraient éviter de rejeter dédaigneusement le processus lancé par 80 pays pour aboutir à un Traité d'interdiction des armes nucléaires compte tenu de leur impact humanitaire catastrophique sur notre planète en cas d'utilisation. La Conférence de Mexico qui se tiendra début 2014 sera certainement décisive pour cela.
(pour avoir des analyses complémentaires sur cette session, lire comme d'habitude le site de "Reaching Critical Will" et sa revue en-ligne "NPT News in Review 2013" auquel mes articles doivent beaucoup : http://www.reachingcriticalwill.org/disarmament-fora/npt/2013/nir
Comme prévu, cette session s'est achevée sans progrès réels et concrets sur nombre des engagements pris à la dernière Conférence de 2010. Il n'y a pas eu de texte final mais un simple relevé des discussions fait par le Président, sous sa seule responsabilité. Ce texte, très prudent, minimise les divergences entre les États, en particulier sur les raisons et les leçons à tirer du report de la conférence prévue en 2012 sur une zone exempte d'armes de destruction massive dans le Moyen-Orient. Aucun nouveau engagement n'a été pris sur le sujet, notamment par les États-Unis, ce qui a entraîné un vif mécontentement de la part du groupe des pays non-alignés et de ceux de la Ligue arabe. Ceux-ci ont trouvé que le Président minorait trop d'ailleurs les difficultés rencontrées et les responsabilités des USA et d'Israël.
Ce qui est bien sur sous-jacent dans les évaluations finales de la présidence est la tension croissante entre les possesseurs d'armes nucléaires P5 et leurs alliés "sous parapluie nucléaire" (comme le Japon) d'une part, et tous les autres pays de l'autre.
Beaucoup de pays non-nucléaires ont estimé également que le fait central de la session : l'appel commun de 80 pays sur les conséquences humanitaires catastrophiques de l'utilisation des armes nucléaires n'est pas mentionné orrectement dans les conclusions de la présidence alors qu'une part plus importante est faite à l'argumentation défensive des cinq pays nucléaires "officiels", les "P5" ! Ainsi, le rapport mentionne que «certains» États ont réaffirmé leur contribution au «processus pragmatique étape par étape de désarmement nucléaire» et que «dans leurs politiques nationales respectives, toute utilisation du nucléaire ne serait considéré que dans des circonstances extrêmes, conformément [avec le droit international humanitaire]". Cette réfutation essaie de répondre aux critiques de plus en plus vives sur la "modernisation" continue des arsenaux, et la persistance du rôle joué par les doctrines nucléaires dans les politiques de défense des P5 et de l'OTAN.
En fait, derrière cela, c'est le "statu quo" entériné par le TNP qui est mis en cause car il aboutit au fait que ce ne sont plus les buts finaux du Traité (c.à.d l'élimination des armes nucléaires) qui recueillent l'essentiel des efforts mais le maintien de l'ordre établi : "tout changer pour que rien ne bouge".
Ce cercle vicieux a été relevée par Mme Angela Kane, Haut Représentant pour les affaires de désarmement des Nations Unies, à la Conférence annuelle de l'OTAN le 6 mai dernier sur les armes de destruction massive : "Personne ne doit penser par principe que tout régime structuré basé un système dotés/non dotés puisse être maintenu pour toujours". Cela s'applique parfaitement au TNP : au lieu de perpétuer le statu quo, qui mine la stabilité du traité, les États parties doivent faire du désarmement nucléaire un objectif stratégique, sous peine de ne voir pas seulement un État-partie (comme l'a fait l'Égypte la semaine dernière en quittant la séance) mais plusieurs autres déclarer forfait dans ce processus.
Pour cela, les États nucléaires devraient éviter de rejeter dédaigneusement le processus lancé par 80 pays pour aboutir à un Traité d'interdiction des armes nucléaires compte tenu de leur impact humanitaire catastrophique sur notre planète en cas d'utilisation. La Conférence de Mexico qui se tiendra début 2014 sera certainement décisive pour cela.
(pour avoir des analyses complémentaires sur cette session, lire comme d'habitude le site de "Reaching Critical Will" et sa revue en-ligne "NPT News in Review 2013" auquel mes articles doivent beaucoup : http://www.reachingcriticalwill.org/disarmament-fora/npt/2013/nir
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lundi 29 avril 2013
TNP : "77" contre "5" ?
La première semaine de débats de la commission préparatoire à la Conférence du TNP de 2015 s'est terminée vendredi dernier par la discussion des thématiques de non-prolifération et des normes de vérification, après la discussion sur la thématique du désarmement mercredi et jeudi.
La semaine a été marquée par l'événement qu'a constitué le mercredi la déclaration adoptée par 77 États annonçant leur soutien à l'approche humanitaire concernant le désarmement nucléaire et souhaitant aller vers l'interdiction des armes nucléaires. Cette vision, différente bien que complémentaire aux yeux de ses promoteurs, de la démarche de négociations "graduelles" de réductions d'armement, avait été initiée en mars à Oslo et devrait se poursuivre jusqu'à la conférence de Mexico qui aura lieu début 2014.
La Déclaration de ces 77 pays (en fait, ils sont déjà 78 aujourd'hui et d'autres hésitent encore avant de les rejoindre) est certes ambivalente : elle marque à la fois une forte volonté d'un nombre croissant de pays non-nucléaires de sortir du marasme des négociations de désarmement nucléaire tant dans le cadre du TNP que celui de la Conférence du Désarmement et, en même temps, elle peut conduire à un affrontement de pays blocs contre blocs (pays non-nucléaires contre P5) qui pourrait être un obstacle aux avancées vers le désarmement. De manière claire, elle traduit le sentiment majoritaire chez les états non-nucléaires que la responsabilité du manque de progrès sur le plan du désarmement nucléaire est d'abord de la responsabilité des états dotés : plusieurs études montrent que des progrès ont été réalisés en matière de contrôle de la non-prolifération, malgré les crises actuelles de Corée du Nord et d'Iran, mais que les progrès en matière de désarmement ont été très faibles. C'est cette exaspération qui se traduit dans l'intérêt pour des processus alternatifs comme celui de l'interdiction au nom du droit humanitaire. Les pays du P5, responsables en partie de cette crispation par leur boycott de la Conférence d'Oslo, doivent sentir ce mécontentement. Certains pays comme la Grande-Bretagne, la Chine, même la Russie ou les États-Unis ont été très prudents dans leur réaction à la déclaration faite par l'Afrique du Sud, au nom des "77". La France qui a été la première à intervenir et à critiquer les pays qui "créent des enceintes parallèles. elles ne font que fragiliser le plan d'action et le processus d'examen du TNP qui nous réunit ici", a sans doute sous-estimé le mouvement en train de se construire.
Un autre exemple, cette semaine, de la profondeur des critiques faites aux états nucléaires est le fait que cette critique s'est élargie très souvent à la critique de la place persistante tenue par les armes nucléaires dans les doctrines militaires. Les P5 ont été obligés d'essayer de se justifier en affirmant qu'ils avaient réduit au plus bas cette place dans les doctrines. Pour le Royaume-Uni, elles "jouent un rôle très discret et limité" ; les USA ont déclaré que depuis la Revue de politique nucléaire de 2010, ils considéraient "l'utilisation des armes nucléaires seulement dans des circonstances extrêmes pour défendre leurs intérêts vitaux". la France a, elle aussi, affirmé que la dissuasion française avait "pour seul but la sauvegarde de nos intérêts vitaux dans des circonstances extrêmes de légitime défense". Cette notion de circonstances extrêmes peut sembler positive mais elle s'accompagne de la défense des "intérêts vitaux" dont la définition pose de plus en plus problème : jusqu'aux voies de communication ou d'approvisionnement comme l'avait imprudemment affirmé le président Chirac ? Jusqu'à la défense de nos alliés de l'OTAN comme l'ont réaffirmé Royaume-Uni et USA ? Pour "tenir notre rang dans le monde" comme l'a affirmé récemment le Ministre de la Défense Le Drian ? On voit que les marges d'appréciation des fameuses "circonstances extrêmes" peuvent se révéler bien floues...
C'est un petit pays, la Suisse, mais qui connaît bien les vicissitudes des guerres sur le continent européen pour avoir été le refuge de beaucoup de personnes, qui a eu la sagesse de rappeler que les armes nucléaires "ne sont pas une source de sécurité, mais constituent une menace à la fois pour la sécurité internationale et pour la sécurité humaine" et que, "près d'un quart de siècle après la fin de la guerre froide (...), il est nécessaire (...) de les éliminer comme toutes les autres armes de destruction massive"... La seconde semaine qui s'ouvre ce lundi à Genève verra-t-elle le climat s'améliorer et des nouvelles plus positives être annoncées, notamment pour la tenue enfin d'une Conférence pour la création d'une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient ? Le bon sens le voudrait, mais...
La semaine a été marquée par l'événement qu'a constitué le mercredi la déclaration adoptée par 77 États annonçant leur soutien à l'approche humanitaire concernant le désarmement nucléaire et souhaitant aller vers l'interdiction des armes nucléaires. Cette vision, différente bien que complémentaire aux yeux de ses promoteurs, de la démarche de négociations "graduelles" de réductions d'armement, avait été initiée en mars à Oslo et devrait se poursuivre jusqu'à la conférence de Mexico qui aura lieu début 2014.
La Déclaration de ces 77 pays (en fait, ils sont déjà 78 aujourd'hui et d'autres hésitent encore avant de les rejoindre) est certes ambivalente : elle marque à la fois une forte volonté d'un nombre croissant de pays non-nucléaires de sortir du marasme des négociations de désarmement nucléaire tant dans le cadre du TNP que celui de la Conférence du Désarmement et, en même temps, elle peut conduire à un affrontement de pays blocs contre blocs (pays non-nucléaires contre P5) qui pourrait être un obstacle aux avancées vers le désarmement. De manière claire, elle traduit le sentiment majoritaire chez les états non-nucléaires que la responsabilité du manque de progrès sur le plan du désarmement nucléaire est d'abord de la responsabilité des états dotés : plusieurs études montrent que des progrès ont été réalisés en matière de contrôle de la non-prolifération, malgré les crises actuelles de Corée du Nord et d'Iran, mais que les progrès en matière de désarmement ont été très faibles. C'est cette exaspération qui se traduit dans l'intérêt pour des processus alternatifs comme celui de l'interdiction au nom du droit humanitaire. Les pays du P5, responsables en partie de cette crispation par leur boycott de la Conférence d'Oslo, doivent sentir ce mécontentement. Certains pays comme la Grande-Bretagne, la Chine, même la Russie ou les États-Unis ont été très prudents dans leur réaction à la déclaration faite par l'Afrique du Sud, au nom des "77". La France qui a été la première à intervenir et à critiquer les pays qui "créent des enceintes parallèles. elles ne font que fragiliser le plan d'action et le processus d'examen du TNP qui nous réunit ici", a sans doute sous-estimé le mouvement en train de se construire.
Un autre exemple, cette semaine, de la profondeur des critiques faites aux états nucléaires est le fait que cette critique s'est élargie très souvent à la critique de la place persistante tenue par les armes nucléaires dans les doctrines militaires. Les P5 ont été obligés d'essayer de se justifier en affirmant qu'ils avaient réduit au plus bas cette place dans les doctrines. Pour le Royaume-Uni, elles "jouent un rôle très discret et limité" ; les USA ont déclaré que depuis la Revue de politique nucléaire de 2010, ils considéraient "l'utilisation des armes nucléaires seulement dans des circonstances extrêmes pour défendre leurs intérêts vitaux". la France a, elle aussi, affirmé que la dissuasion française avait "pour seul but la sauvegarde de nos intérêts vitaux dans des circonstances extrêmes de légitime défense". Cette notion de circonstances extrêmes peut sembler positive mais elle s'accompagne de la défense des "intérêts vitaux" dont la définition pose de plus en plus problème : jusqu'aux voies de communication ou d'approvisionnement comme l'avait imprudemment affirmé le président Chirac ? Jusqu'à la défense de nos alliés de l'OTAN comme l'ont réaffirmé Royaume-Uni et USA ? Pour "tenir notre rang dans le monde" comme l'a affirmé récemment le Ministre de la Défense Le Drian ? On voit que les marges d'appréciation des fameuses "circonstances extrêmes" peuvent se révéler bien floues...
C'est un petit pays, la Suisse, mais qui connaît bien les vicissitudes des guerres sur le continent européen pour avoir été le refuge de beaucoup de personnes, qui a eu la sagesse de rappeler que les armes nucléaires "ne sont pas une source de sécurité, mais constituent une menace à la fois pour la sécurité internationale et pour la sécurité humaine" et que, "près d'un quart de siècle après la fin de la guerre froide (...), il est nécessaire (...) de les éliminer comme toutes les autres armes de destruction massive"... La seconde semaine qui s'ouvre ce lundi à Genève verra-t-elle le climat s'améliorer et des nouvelles plus positives être annoncées, notamment pour la tenue enfin d'une Conférence pour la création d'une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient ? Le bon sens le voudrait, mais...
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mardi 23 avril 2013
Désarmement nucléaire : le besoin de lucidité...
Ainsi que le fait remarquer l'éditorial de "NPT News in Review", le journal du Reaching Critical Will (http://www.reachingcriticalwill.org), plusieurs diplomates ont insisté, dans leurs interventions dans le débat à la commission du Traité de non-prolifération nucléaire qui s'est ouverte depuis lundi, sur le fait que le désarmement nucléaire ne concernait pas seulement les pays nucléaires mais aussi les pays non-nucléaires. Effectivement, c'est de l'engagement de tous que pourront être prises les mesures de confiance, de transparence et de contrôle nécessaires, tout comme les mesures de diminution et de destruction finale des armes. On peut y ajouter aussi l'engagement nécessaire des opinions publiques, des sociétés civiles. En bref, tout le monde est "dans le même bateau" !
La première conséquence en est qu'il faut progresser simultanément sur les trois "piliers" du TNP : progrès du désarmement vers l'élimination, maîtrise de la prolifération, usage pacifique et contrôlé de l'énergie nucléaire. Un enjeu majeur est certainement d'obtenir des résultats concrets avant la prochaine Conférence plénière du TNP prévue en 2015. Les études faites par plusieurs instituts montrent que si de légers progrès ont été effectués en matière de prolifération et d'usage de l'énergie, le désarmement nucléaire est en pleine stagnation. Cette stagnation entraîne beaucoup de frustration et de méfiance parmi les pays non-nucléaires.
La guerre d'Irak en 2003 sous le fallacieux prétexte d'armes de destruction massive cachées, puis la guerre en Libye après que celle-ci ait abandonné ses recherches sur le sujet, n'ont pas incité d'autres pays comme la Corée du Nord ou l'Iran à faire preuve de bonne volonté, en y ajoutant leurs prétextes de politique intérieure.
Cette stagnation a justifié la recherche de voies alternatives : c'est parce qu'au sein de la Conférence du désarmement la création d'une commission sur les problèmes du désarmement nucléaire a été refusée que la proposition d'un"groupe de travail à composition non limitée chargé de se réunir en 2013 pour élaborer des propositions sur le désarmement nucléaire" est venue et a été votée à l'Assemblée générale des Nations unies.
Les réticences des pays nucléaires à la Conférence sur le TNP de 2010 à New York à s'engager franchement dans la discussion sur une Convention d'élimination des armes nucléaires, avec des étapes successives, a conduit certains pays comme la Norvège, la Suisse à organiser une Conférence à Oslo en mars sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires dans le but d'aboutir à un Traité d'interdiction totale des armes nucléaires, au nom du droit humanitaire.
On voit bien que, qu'ils le veuillent ou non, les États nucléaires "dotés" ont une responsabilité particulière : certes, il ne s'agit pas d'aller vers une division simpliste du monde entre "méchants" (les états nucléaires) et "bons" (les états non-nucléaires) qui serait contre-productive. Il faut noter d'ailleurs, sur ce point, que le boycott par les "P5" (les 5 puissances nucléaires) de cette Conférence d'Oslo risque d'avoir cet effet de division, "bloc contre bloc" et d'aller à l'inverse des intentions affichées du "tous dans le même bateau". Cette division est renforcée par l'opposition du P5 à l'ONU à la création du "groupe de travail à composition non limitée".
En fait, cette attitude très "frigide" des puissances et dans laquelle la France s'est particulièrement impliquée, cache une véritable peur voire panique des états nucléaires de perdre le contrôle complet de la discussion sur le désarmement nucléaire. Certains le disent ouvertement comme les diplomates russes mais tous le pensent, la discussion sur le désarmement nucléaire est réservée aux diplomates des pays nucléaires, seuls compétents en la matière !
Derrière, la crainte que la Conférence d'Oslo qui devrait être suivie cet hiver par une Conférence à Mexico ne débouche sur un processus similaire à celui d'Ottawa sur les mines antipersonnels, est réelle. Rappelons que la diplomatie française par exemple fut, au départ, très réticence au processus d'Ottawa avant de le soutenir par souci de "comm" lorsque la réussite apparut inévitable. Ce fut la même valse hésitation pour la Conférence d'Oslo sur les armes à sous-munitions et aujourd'hui encore, les diplomates français sont en privé très réticents sur le bilan de ces deux traités...
Il y a aujourd'hui un vrai besoin pour les diplomates des pays nucléaires d'être lucides sur les frustrations accumulées dans les pays non nucléaires. J'ai parlé du groupe de travail sur le désarmement nucléaire et de la Conférence d'Oslo, mais il faut ajouter un troisième motif de frustration avec le report de la Conférence prévue fin 2012 sur l'établissement d'une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient. Si des avancées sur cette Conférence ne se produisent pas avant 2015, on peut prédire sans être un oiseau de malheur que la Conférence du TNP sera un échec.
Alors, oui, tous dans le même bateau, mais tous lucides...
La première conséquence en est qu'il faut progresser simultanément sur les trois "piliers" du TNP : progrès du désarmement vers l'élimination, maîtrise de la prolifération, usage pacifique et contrôlé de l'énergie nucléaire. Un enjeu majeur est certainement d'obtenir des résultats concrets avant la prochaine Conférence plénière du TNP prévue en 2015. Les études faites par plusieurs instituts montrent que si de légers progrès ont été effectués en matière de prolifération et d'usage de l'énergie, le désarmement nucléaire est en pleine stagnation. Cette stagnation entraîne beaucoup de frustration et de méfiance parmi les pays non-nucléaires.
La guerre d'Irak en 2003 sous le fallacieux prétexte d'armes de destruction massive cachées, puis la guerre en Libye après que celle-ci ait abandonné ses recherches sur le sujet, n'ont pas incité d'autres pays comme la Corée du Nord ou l'Iran à faire preuve de bonne volonté, en y ajoutant leurs prétextes de politique intérieure.
Cette stagnation a justifié la recherche de voies alternatives : c'est parce qu'au sein de la Conférence du désarmement la création d'une commission sur les problèmes du désarmement nucléaire a été refusée que la proposition d'un"groupe de travail à composition non limitée chargé de se réunir en 2013 pour élaborer des propositions sur le désarmement nucléaire" est venue et a été votée à l'Assemblée générale des Nations unies.
Les réticences des pays nucléaires à la Conférence sur le TNP de 2010 à New York à s'engager franchement dans la discussion sur une Convention d'élimination des armes nucléaires, avec des étapes successives, a conduit certains pays comme la Norvège, la Suisse à organiser une Conférence à Oslo en mars sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires dans le but d'aboutir à un Traité d'interdiction totale des armes nucléaires, au nom du droit humanitaire.
On voit bien que, qu'ils le veuillent ou non, les États nucléaires "dotés" ont une responsabilité particulière : certes, il ne s'agit pas d'aller vers une division simpliste du monde entre "méchants" (les états nucléaires) et "bons" (les états non-nucléaires) qui serait contre-productive. Il faut noter d'ailleurs, sur ce point, que le boycott par les "P5" (les 5 puissances nucléaires) de cette Conférence d'Oslo risque d'avoir cet effet de division, "bloc contre bloc" et d'aller à l'inverse des intentions affichées du "tous dans le même bateau". Cette division est renforcée par l'opposition du P5 à l'ONU à la création du "groupe de travail à composition non limitée".
En fait, cette attitude très "frigide" des puissances et dans laquelle la France s'est particulièrement impliquée, cache une véritable peur voire panique des états nucléaires de perdre le contrôle complet de la discussion sur le désarmement nucléaire. Certains le disent ouvertement comme les diplomates russes mais tous le pensent, la discussion sur le désarmement nucléaire est réservée aux diplomates des pays nucléaires, seuls compétents en la matière !
Derrière, la crainte que la Conférence d'Oslo qui devrait être suivie cet hiver par une Conférence à Mexico ne débouche sur un processus similaire à celui d'Ottawa sur les mines antipersonnels, est réelle. Rappelons que la diplomatie française par exemple fut, au départ, très réticence au processus d'Ottawa avant de le soutenir par souci de "comm" lorsque la réussite apparut inévitable. Ce fut la même valse hésitation pour la Conférence d'Oslo sur les armes à sous-munitions et aujourd'hui encore, les diplomates français sont en privé très réticents sur le bilan de ces deux traités...
Il y a aujourd'hui un vrai besoin pour les diplomates des pays nucléaires d'être lucides sur les frustrations accumulées dans les pays non nucléaires. J'ai parlé du groupe de travail sur le désarmement nucléaire et de la Conférence d'Oslo, mais il faut ajouter un troisième motif de frustration avec le report de la Conférence prévue fin 2012 sur l'établissement d'une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient. Si des avancées sur cette Conférence ne se produisent pas avant 2015, on peut prédire sans être un oiseau de malheur que la Conférence du TNP sera un échec.
Alors, oui, tous dans le même bateau, mais tous lucides...
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dimanche 21 avril 2013
Armes nucléaires : les bonnes questions... (suite)
Dans un précédent article, j'ai évoqué le boycott par les pays nucléaires "officiels" (les P5) de la Conférence d'Oslo sur les conséquences humanitaires de l'emploi des armes nucléaires les 4 et 5 mars dernier.
Ils s'en sont plus ou moins expliqué le même jour à Genève dans le débat de la Conférence du Désarmement. Leur argumentation révèle leurs contradictions. Tous ont essayé de se justifier en montrant qu'ils étaient des "bons élèves" du désarmement et que le processus du TNP qui se traîne sans guère de progrès depuis 1995 était le seul envisageable.
La Russie a présenté comme un progrès le fait d'avoir stocké ses armes tactiques qui ainsi ne seraient plus déployées et a essayé de montrer que les efforts de "délégitimisation" des armes nucléaires s'opposeraient à la réduction des armes nucléaires...
Le Royaume-Uni a essayé de justifier la possession de ses armes nucléaires par le contexte stratégique qui verrait le maintien de stocks nucléaires importants, le risque d'arrivée de nouveaux pays possesseurs. Or, justement, la possession d'armes nucléaires, la "dissuasion" ont été incapables jusqu'à présent d'empêcher ces nouveaux risques de prolifération... Le Royaume-Uni a mis à son actif le "déciblage" de ses armes nucléaires, la baisse du nombre de missiles sur chaque sous-marin nucléaire et a réaffirmé sa foi en une approche "graduelle" au sein du TNP et de la Conférence du Désarmement.
C'est cette même méthode Coué qui a été utilisée par le représentant des USA, en ne voyant pas qu'il ne suffit pas de répéter que cette approche "graduelle" était la plus efficace pour qu'elle le devienne, sans aucune preuve concrète. Dire qu'après les derniers accords USA-Russie, le stock d'armes nucléaires mondial n'avait jamais été aussi bas serait risible s'il n'était pas tragique : "aussi bas" avec 17 000 têtes nucléaires sur la planète, qu'est-ce que cela signifie ?
Le rappel de la célèbre déclaration du président Obama à Prague, en avril 2009, sur un monde sans armes nucléaires, qui avait soulevé beaucoup d'espoirs mais n'a malheureusement jamais été suivie d'effets, n'apparaît dans ce contexte que comme un simple effet de "comm", tout comme l'affirmation répétée que les États-unis avançaient dans la voie de la ratification du traité d'interdiction des armes nucléaires (TICEN) au Sénat américain..
La Chine, qui, elle aussi, a boycotté contre toute attente la Conférence d'Oslo s'est laborieusement rappelé qu'elle était toujours favorable à un monde sans armes nucléaires mais que c'était aux gros possesseurs de stocks nucléaires de désarmer les premiers, et qu'elle craignait également qu'un nouveau processus de négociations sur le désarmement ne vienne saper les mécanismes existants, dont elle n'a pas pour autant célébré "l'efficacité"..
L'intervention française a été, sans surprise, une simple reprise des discours de 2012 à Vienne et 2010 à New-York : le "changement" n'est pas à l'ordre du jour en matière de désarmement nucléaire, et le même manque d'esprit d'innovation stratégique pèse toujours sur la réflexion française sur la place de l'arme nucléaire aujourd'hui, comme le regrettent le général de réserve Bernard Norlain ou l'ex-ministre de la Défense Paul Quilès. L'intervention française a donc consisté en un long plaidoyer sur les "efforts" de désarmement de la France, en oubliant de préciser que pour l'essentiel, ils découlent des mesures décidées par Jacques Chirac en 1996, après sa désastreuse campagne de reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique et une tentative (avortée à l'époque) de rapprochement avec l'OTAN. Ce plaidoyer apparaît pour beaucoup de représentants d'ONG comme prononcé de manière suffisante et nourrit le vieux thème de "l'arrogance" française. Le sentiment très critique envers la diplomatie française est nourrie par la rumeur persistance affirmant que la France a joué un rôle décisif pour entraîner les P5 dans le boycott de la Conférence d'Oslo alors que au moins deux pays, Royaume-Uni et Chine, étaient tentés d'y participer..
Dans de précédents articles lors des dernières réunions du TNP, nous avions souligné certaines contradictions françaises comme celle d'affirmer que la France ne considérait pas l'arme nucléaire comme une "arme d'emploi" alors que la plus grande ambiguïté règne sur le statut des missiles nucléaires aéroportés, qui seraient utilisés lors d'un "ultime avertissement" qui ressemble, à s'y méprendre, à un possible tir punitif de missile nucléaire contre un état jugé "voyou". Le jour où cette "2e composante" sera supprimée comme l'a déjà fait le Royaume-Uni, il sera plus crédible de dire que l'arme nucléaire française est une arme de "non-emploi" ...
Comme je l'ai écrit dans mon dernier article, ces différents arguments des P5 ont été sérieusement contestés par les représentants des 127 pays ou institutions, des nombreuses ONG participant à la Conférence d'Oslo. Ils l'ont été également lors de la réunion du réseau ICAN (Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires) à Genève en cette veille de session du TNP. Les participants ont redit que l'impact humanitaire des armes nucléaires serait inacceptable, qu'il n'y pas de capacité de réponse adéquate au niveau national ou international pour faire face aux conséquences de ces armes, et que ces armes nucléaires ne doivent jamais être utilisées. Pour Arielle Denis, directrice d'ICAN, "la seule garantie contre l'usage des armes nucléaires est leur interdiction et leur élimination" ; pour elle, "il y a une anomalie dans le droit international : les armes nucléaires sont les seules armes de destruction massive qui ne font pas l'objet d'une interdiction explicite".
L'affirmation des puissances nucléaires selon lesquelles seul un processus soumis à un consensus de tous les pays serait efficace a été contesté comme l'a montré la réussite en 1997 de la Campagne pour l'interdiction des mines antipersonnelles. De même, il semble tout à fait évident que des avancées dans les discussions sur l'impact humanitaire des armes nucléaires viendraient compléter et renforcer les efforts sur la non-prolifération et le désarmement et non les saborder..
La mise en oeuvre de tous les points du TNP a ainsi tout à gagner à la plus grande compréhension du caractère inadmissible des armes nucléaires au regard du droit humanitaire. Ne faut-il pas en faire prendre conscience aux opinions publiques ? Qui pourrait craindre cette meilleure information des citoyens ?
Ils s'en sont plus ou moins expliqué le même jour à Genève dans le débat de la Conférence du Désarmement. Leur argumentation révèle leurs contradictions. Tous ont essayé de se justifier en montrant qu'ils étaient des "bons élèves" du désarmement et que le processus du TNP qui se traîne sans guère de progrès depuis 1995 était le seul envisageable.
La Russie a présenté comme un progrès le fait d'avoir stocké ses armes tactiques qui ainsi ne seraient plus déployées et a essayé de montrer que les efforts de "délégitimisation" des armes nucléaires s'opposeraient à la réduction des armes nucléaires...
Le Royaume-Uni a essayé de justifier la possession de ses armes nucléaires par le contexte stratégique qui verrait le maintien de stocks nucléaires importants, le risque d'arrivée de nouveaux pays possesseurs. Or, justement, la possession d'armes nucléaires, la "dissuasion" ont été incapables jusqu'à présent d'empêcher ces nouveaux risques de prolifération... Le Royaume-Uni a mis à son actif le "déciblage" de ses armes nucléaires, la baisse du nombre de missiles sur chaque sous-marin nucléaire et a réaffirmé sa foi en une approche "graduelle" au sein du TNP et de la Conférence du Désarmement.
C'est cette même méthode Coué qui a été utilisée par le représentant des USA, en ne voyant pas qu'il ne suffit pas de répéter que cette approche "graduelle" était la plus efficace pour qu'elle le devienne, sans aucune preuve concrète. Dire qu'après les derniers accords USA-Russie, le stock d'armes nucléaires mondial n'avait jamais été aussi bas serait risible s'il n'était pas tragique : "aussi bas" avec 17 000 têtes nucléaires sur la planète, qu'est-ce que cela signifie ?
Le rappel de la célèbre déclaration du président Obama à Prague, en avril 2009, sur un monde sans armes nucléaires, qui avait soulevé beaucoup d'espoirs mais n'a malheureusement jamais été suivie d'effets, n'apparaît dans ce contexte que comme un simple effet de "comm", tout comme l'affirmation répétée que les États-unis avançaient dans la voie de la ratification du traité d'interdiction des armes nucléaires (TICEN) au Sénat américain..
La Chine, qui, elle aussi, a boycotté contre toute attente la Conférence d'Oslo s'est laborieusement rappelé qu'elle était toujours favorable à un monde sans armes nucléaires mais que c'était aux gros possesseurs de stocks nucléaires de désarmer les premiers, et qu'elle craignait également qu'un nouveau processus de négociations sur le désarmement ne vienne saper les mécanismes existants, dont elle n'a pas pour autant célébré "l'efficacité"..
L'intervention française a été, sans surprise, une simple reprise des discours de 2012 à Vienne et 2010 à New-York : le "changement" n'est pas à l'ordre du jour en matière de désarmement nucléaire, et le même manque d'esprit d'innovation stratégique pèse toujours sur la réflexion française sur la place de l'arme nucléaire aujourd'hui, comme le regrettent le général de réserve Bernard Norlain ou l'ex-ministre de la Défense Paul Quilès. L'intervention française a donc consisté en un long plaidoyer sur les "efforts" de désarmement de la France, en oubliant de préciser que pour l'essentiel, ils découlent des mesures décidées par Jacques Chirac en 1996, après sa désastreuse campagne de reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique et une tentative (avortée à l'époque) de rapprochement avec l'OTAN. Ce plaidoyer apparaît pour beaucoup de représentants d'ONG comme prononcé de manière suffisante et nourrit le vieux thème de "l'arrogance" française. Le sentiment très critique envers la diplomatie française est nourrie par la rumeur persistance affirmant que la France a joué un rôle décisif pour entraîner les P5 dans le boycott de la Conférence d'Oslo alors que au moins deux pays, Royaume-Uni et Chine, étaient tentés d'y participer..
Dans de précédents articles lors des dernières réunions du TNP, nous avions souligné certaines contradictions françaises comme celle d'affirmer que la France ne considérait pas l'arme nucléaire comme une "arme d'emploi" alors que la plus grande ambiguïté règne sur le statut des missiles nucléaires aéroportés, qui seraient utilisés lors d'un "ultime avertissement" qui ressemble, à s'y méprendre, à un possible tir punitif de missile nucléaire contre un état jugé "voyou". Le jour où cette "2e composante" sera supprimée comme l'a déjà fait le Royaume-Uni, il sera plus crédible de dire que l'arme nucléaire française est une arme de "non-emploi" ...
Comme je l'ai écrit dans mon dernier article, ces différents arguments des P5 ont été sérieusement contestés par les représentants des 127 pays ou institutions, des nombreuses ONG participant à la Conférence d'Oslo. Ils l'ont été également lors de la réunion du réseau ICAN (Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires) à Genève en cette veille de session du TNP. Les participants ont redit que l'impact humanitaire des armes nucléaires serait inacceptable, qu'il n'y pas de capacité de réponse adéquate au niveau national ou international pour faire face aux conséquences de ces armes, et que ces armes nucléaires ne doivent jamais être utilisées. Pour Arielle Denis, directrice d'ICAN, "la seule garantie contre l'usage des armes nucléaires est leur interdiction et leur élimination" ; pour elle, "il y a une anomalie dans le droit international : les armes nucléaires sont les seules armes de destruction massive qui ne font pas l'objet d'une interdiction explicite".
L'affirmation des puissances nucléaires selon lesquelles seul un processus soumis à un consensus de tous les pays serait efficace a été contesté comme l'a montré la réussite en 1997 de la Campagne pour l'interdiction des mines antipersonnelles. De même, il semble tout à fait évident que des avancées dans les discussions sur l'impact humanitaire des armes nucléaires viendraient compléter et renforcer les efforts sur la non-prolifération et le désarmement et non les saborder..
La mise en oeuvre de tous les points du TNP a ainsi tout à gagner à la plus grande compréhension du caractère inadmissible des armes nucléaires au regard du droit humanitaire. Ne faut-il pas en faire prendre conscience aux opinions publiques ? Qui pourrait craindre cette meilleure information des citoyens ?
vendredi 19 avril 2013
Armes nucléaires : les bonnes questions...
Prolifération et désarmement nucléaires seront, comme chaque année, à l'ordre du jour des discussions, qui s'ouvriront, ce lundi 22 avril à Genève, dans la préparation de la Conférence d'examen du TNP (Traité de non-prolifération nucléaire) en 2015. Cette réunion devait initialement être un simple point d'étape dans le suivi du plan d'action, modeste mais réel, décidé en 2010 par la Conférence de New-York. Ce bilan aurait été considéré comme décevant par la majorité des pays non-nucléaires et par les ONG : aucun progrès significatif dans la réduction du nombre de têtes nucléaires dans le monde, poursuite de la modernisation des armes et aucune évolution dans la prééminence des doctrines militaires basées sur la fameuse et contestée notion de "dissuasion" nucléaire. Mais cette réunion qui s'annonçait tristement routinière, risque d'être bouleversée par trois événements majeurs, un positif et deux négatifs selon moi, qui se sont produits dans ces six derniers mois.
Commençons par la Conférence qui s'est tenue à Oslo, le 6 mars 2013, sur les "conséquences humanitaires de l'emploi des armes nucléaires". Pour la première fois depuis 1945, une Conférence internationale au plus haut niveau a réuni 127 représentants de gouvernements, d'institutions internationales dont la Croix Rouge Internationale qui ont décidé de donner un nouvel élan pour écarter la menace nucléaire de l'humanité. Ils ont suivi en cela l'opinion de la Croix-Rouge qui a rappelé que tant au niveau international que national, aucun moyen n'existe pour répondre effectivement aux conséquences d'une explosion nucléaire, même limitée.
La Déclaration finale de la Conférence, prise à l'initiative de ICAN (Campagne internationale pour le désarmement nucléaire) note qu'en cas d'explosion nucléaire, "Les conséquences seraient mondiales, de long terme et complètement catastrophiques pour le santé humaine, notre environnement, notre développement, la sécurité, les droits humains et les ressources alimentaires (...)". Les Cinq puissances nucléaires ont finalement décidé de boycotter cette Conférence en estimant qu'elle risquait de créer une "diversion" du processus "pas-à-pas" existant avec le TNP et la Conférence du désarmement. Cette position n'a pas été suivie par plusieurs pays de l'OTAN, et d'autres grands pays comme le Japon, la Corée du Sud ou l'Australie, tous pays "bénéficiant" pourtant du parapluie nucléaire étatsunien. Le surplace marqué par le processus des Conférences d'examen du TNP, et l'absence de travail depuis 16 ans à la Conférence du désarmement, laisse sceptique sur ce "risque de diversion" !
On peut espérer que, lors de la réunion de Genève sur le TNP, les représentants des puissances nucléaires seront sévèrement questionnés sur leur absence à Oslo...
Deux événements risquent de peser négativement sur le déroulement de la réunion genevoise : le premier est le report annoncé le 23 novembre 2012, par les USA de la Conférence sur la création au Moyen-Orient d'une Zone libre d'armes de destruction massive qui devait se tenir le 18 décembre à Helsinki.
Cette Conférence, initialement décidée en 1995 lors de la réunion qui décida de proroger indéfiniment le TNP, avait permis d'obtenir le soutien à la prorogation de nombreuses délégations arabes. En 2010, après de multiples discussions, la décision avait été prise d'aboutir enfin concrètement à une telle Conférence : la perspective d'un Moyen-Orient sans armes de destruction massive semble pour beaucoup d'observateurs la seule manière de supprimer la menace représentée par le stocks d'armes nucléaires illégales détenues par Israël, de lever tout ambiguïté sur un éventuel programme de construction d'armes nucléaires par l'Iran, sans compter que cela permettrait sans doute d'obtenir la ratification de la Convention d'interdiction des armes chimiques par la Syrie et l'Égypte. Les prétextes avancés par les États-Unis, sous la pression du gouvernement israélien, estimant que les "conditions de sécurité" n'étaient pas réunies, ne sont pas convaincants. De ce fait, les pays arabes risquent de montrer fortement leur mécontentement lors des discussions de Genève : de nouveaux risques de blocage sont ainsi créés.
Le deuxième événement survenu est bien sûr la suite des provocations et des gesticulations militaires nucléaires de la Corée du Nord : la situation est évidemment préoccupantes, des initiatives politiques doivent être prises notamment avec l'aide des puissances régionales comme la Chine. Il serait malgré tout contre-productif que ces événements servent de prétexte aux puissances nucléaires pour faire porter l'essentiel des débats de Genève sur les menaces sur la prolifération dues à la situation coréenne, voire en y ajoutant les interrogations sur l'Iran, et ainsi, d'éviter d'avoir à répondre sur leur inactivité, voire leur obstruction sur les questions de désarmement nucléaire complet, abordées notamment à Oslo. À suivre...
Commençons par la Conférence qui s'est tenue à Oslo, le 6 mars 2013, sur les "conséquences humanitaires de l'emploi des armes nucléaires". Pour la première fois depuis 1945, une Conférence internationale au plus haut niveau a réuni 127 représentants de gouvernements, d'institutions internationales dont la Croix Rouge Internationale qui ont décidé de donner un nouvel élan pour écarter la menace nucléaire de l'humanité. Ils ont suivi en cela l'opinion de la Croix-Rouge qui a rappelé que tant au niveau international que national, aucun moyen n'existe pour répondre effectivement aux conséquences d'une explosion nucléaire, même limitée.
La Déclaration finale de la Conférence, prise à l'initiative de ICAN (Campagne internationale pour le désarmement nucléaire) note qu'en cas d'explosion nucléaire, "Les conséquences seraient mondiales, de long terme et complètement catastrophiques pour le santé humaine, notre environnement, notre développement, la sécurité, les droits humains et les ressources alimentaires (...)". Les Cinq puissances nucléaires ont finalement décidé de boycotter cette Conférence en estimant qu'elle risquait de créer une "diversion" du processus "pas-à-pas" existant avec le TNP et la Conférence du désarmement. Cette position n'a pas été suivie par plusieurs pays de l'OTAN, et d'autres grands pays comme le Japon, la Corée du Sud ou l'Australie, tous pays "bénéficiant" pourtant du parapluie nucléaire étatsunien. Le surplace marqué par le processus des Conférences d'examen du TNP, et l'absence de travail depuis 16 ans à la Conférence du désarmement, laisse sceptique sur ce "risque de diversion" !
On peut espérer que, lors de la réunion de Genève sur le TNP, les représentants des puissances nucléaires seront sévèrement questionnés sur leur absence à Oslo...
Deux événements risquent de peser négativement sur le déroulement de la réunion genevoise : le premier est le report annoncé le 23 novembre 2012, par les USA de la Conférence sur la création au Moyen-Orient d'une Zone libre d'armes de destruction massive qui devait se tenir le 18 décembre à Helsinki.
Cette Conférence, initialement décidée en 1995 lors de la réunion qui décida de proroger indéfiniment le TNP, avait permis d'obtenir le soutien à la prorogation de nombreuses délégations arabes. En 2010, après de multiples discussions, la décision avait été prise d'aboutir enfin concrètement à une telle Conférence : la perspective d'un Moyen-Orient sans armes de destruction massive semble pour beaucoup d'observateurs la seule manière de supprimer la menace représentée par le stocks d'armes nucléaires illégales détenues par Israël, de lever tout ambiguïté sur un éventuel programme de construction d'armes nucléaires par l'Iran, sans compter que cela permettrait sans doute d'obtenir la ratification de la Convention d'interdiction des armes chimiques par la Syrie et l'Égypte. Les prétextes avancés par les États-Unis, sous la pression du gouvernement israélien, estimant que les "conditions de sécurité" n'étaient pas réunies, ne sont pas convaincants. De ce fait, les pays arabes risquent de montrer fortement leur mécontentement lors des discussions de Genève : de nouveaux risques de blocage sont ainsi créés.
Le deuxième événement survenu est bien sûr la suite des provocations et des gesticulations militaires nucléaires de la Corée du Nord : la situation est évidemment préoccupantes, des initiatives politiques doivent être prises notamment avec l'aide des puissances régionales comme la Chine. Il serait malgré tout contre-productif que ces événements servent de prétexte aux puissances nucléaires pour faire porter l'essentiel des débats de Genève sur les menaces sur la prolifération dues à la situation coréenne, voire en y ajoutant les interrogations sur l'Iran, et ainsi, d'éviter d'avoir à répondre sur leur inactivité, voire leur obstruction sur les questions de désarmement nucléaire complet, abordées notamment à Oslo. À suivre...
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lundi 14 janvier 2013
Mali : la force en dernier recours, la politique en priorité.
L'armée française est intervenue au Mali pour bombarder les forces islamistes et stopper leur offensive vers la capitale Bamako. François Hollande a justifié sa décision, affirmant qu'elle "n'a pas d'autre but que la lutte contre le terrorisme" et précisant qu'elle "consiste à préparer le déploiement d'une force d'intervention africaine pour permettre au Mali de recouvrer son intégrité territoriale, conformément aux résolution du Conseil de sécurité".
La décision française n'a pas vraiment surpris. La communauté internationale ou tout au moins le Conseil de sécurité des Nations unies a voté dans les derniers mois trois résolutions 2056, 2071 et 2085, qui portent tous sur la situation sécuritaire au Mali et qui ont été adoptées selon le chapitre VII de la charte des Nations Unies et le besoin « urgent » de réagir contre la menace terroriste au Mali.
Le chapitre VII de la Charte de l'ONU permet au Conseil de sécurité d'utiliser la force face à une menace à la paix ou une agression. L'une des dispositions clés des résolutions du Conseil a été la création d'une force militaire internationale chargée de soutenir les efforts pour rétablir l'intégrité territoriale du Mali.
La résolution 2085, adoptée en décembre, autorise le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), pour une période initiale d'un an. Mais les difficultés de mise en place, compte tenu de la déliquescence de l'État malien et du manque de moyens des forces militaires des pays africains, ne permettaient pas d'envisager la mise en place de cette force avant le printemps 2013 (certains parlaient même de septembre). C'est cette "fenêtre" qu'ont voulu utiliser les forces intégristes du nord-Mali pour développer leur influence et créer une occupation irréversible.
Il est clair que la décision française est justifiée comme intervention de "dernier recours", qu'elle bénéficie d'une légitimité internationale reconnue par le Conseil de sécurité ce samedi lançant un " appel aux États membres pour soutenir les efforts de résolution de la crise au Mali et, en particulier, d'apporter leur assistance aux forces de défense et de sécurité maliennes" mais, il faut être conscient que la marge politique du gouvernement français est étroite.
Le secrétaire général adjoint des Nations unies, Jeffrey Feltman, avaient bien anticipé la complexité de la situation le 5 décembre dernier, lorsqu'il déclarait : "Une opération militaire de dernier recours pourrait s'avérer nécessaire pour mettre fin aux éléments terroristes et criminels qui sévissent dans le nord du Mali, mais la priorité est de soutenir les autorités nationales dans le rétablissement de l'ordre constitutionnel et de parvenir à un règlement politique de la crise actuelle".
C'est bien cela l'enjeu : parallèlement au déploiement le plus vite possible de la force d'intervention africaine sous égide de l'ONU, il faut accélérer le développement d'un processus politique, seul capable d’amener la paix au Mali. Ce processus passe par la reconstruction de l’Etat malien, en travaillant sur l’union nationale, les pressions sur la junte militaire, le renforcement de la démocratie et de l’État de droit. Il y a besoin d'aider les pays intéressés, la CEDEAO, à développer un plan de démilitarisation et de stabilisation du Sahel : il faut revenir à la dynamique des fameux "bûchers du désarmement"de la cérémonie de Tombouctou en 1995 ! Avec la CEDEAO, l'Algérie est un acteur essentiel pour favoriser la négociation visant à isoler les islamistes en ralliant les groupes touaregs qui s'opposent au terrorisme à participer à une solution de compromis avec le gouvernement malien.
Au delà de la crise malienne, il faudra bien continuer le débat sur les interventions extérieures et la mise en oeuvre de la "responsabilité de protéger". L'instrumentalisation de la crise libyenne et de la résolution alors de l'ONU par MM Sarkozy et Cameron a déstabilisé la région et favorisé l'armement des djihadistes.
Elle a conduit à la paralysie politique dans la crise syrienne du fait de la méfiance renouvelée de la Chine et de la Russie, favorisant même l'arrivée d'islamistes radicaux dans les rangs de l'opposition syrienne. Il est vraiment nécessaire de développer la vigilance des citoyens pour tout à la fois développer le droit international et s'opposer aux stratégies de puissance des grands pays.
Aujourd'hui, l'intervention française est d'abord une opération de police internationale contre les agissements criminels des groupes islamiques armés au Nord-Mali qui représentent un grave danger pour les libertés publiques, la laïcité, la dignité des gens, la Paix. Mais seul le passage rapide à des initiatives politiques fortes peut éviter les risques d'enlisement ou d'engrenage dans une guerre qui ne dirait pas son nom. On ne peut qu'espérer, voire exiger, que François Hollande reste clairement sur la position exprimée le 25 septembre à l'ouverture de la session de l'ONU : «la France veut que l'ONU soit le cadre de la gouvernance mondiale».
La décision française n'a pas vraiment surpris. La communauté internationale ou tout au moins le Conseil de sécurité des Nations unies a voté dans les derniers mois trois résolutions 2056, 2071 et 2085, qui portent tous sur la situation sécuritaire au Mali et qui ont été adoptées selon le chapitre VII de la charte des Nations Unies et le besoin « urgent » de réagir contre la menace terroriste au Mali.
Le chapitre VII de la Charte de l'ONU permet au Conseil de sécurité d'utiliser la force face à une menace à la paix ou une agression. L'une des dispositions clés des résolutions du Conseil a été la création d'une force militaire internationale chargée de soutenir les efforts pour rétablir l'intégrité territoriale du Mali.
La résolution 2085, adoptée en décembre, autorise le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), pour une période initiale d'un an. Mais les difficultés de mise en place, compte tenu de la déliquescence de l'État malien et du manque de moyens des forces militaires des pays africains, ne permettaient pas d'envisager la mise en place de cette force avant le printemps 2013 (certains parlaient même de septembre). C'est cette "fenêtre" qu'ont voulu utiliser les forces intégristes du nord-Mali pour développer leur influence et créer une occupation irréversible.
Il est clair que la décision française est justifiée comme intervention de "dernier recours", qu'elle bénéficie d'une légitimité internationale reconnue par le Conseil de sécurité ce samedi lançant un " appel aux États membres pour soutenir les efforts de résolution de la crise au Mali et, en particulier, d'apporter leur assistance aux forces de défense et de sécurité maliennes" mais, il faut être conscient que la marge politique du gouvernement français est étroite.
Le secrétaire général adjoint des Nations unies, Jeffrey Feltman, avaient bien anticipé la complexité de la situation le 5 décembre dernier, lorsqu'il déclarait : "Une opération militaire de dernier recours pourrait s'avérer nécessaire pour mettre fin aux éléments terroristes et criminels qui sévissent dans le nord du Mali, mais la priorité est de soutenir les autorités nationales dans le rétablissement de l'ordre constitutionnel et de parvenir à un règlement politique de la crise actuelle".
C'est bien cela l'enjeu : parallèlement au déploiement le plus vite possible de la force d'intervention africaine sous égide de l'ONU, il faut accélérer le développement d'un processus politique, seul capable d’amener la paix au Mali. Ce processus passe par la reconstruction de l’Etat malien, en travaillant sur l’union nationale, les pressions sur la junte militaire, le renforcement de la démocratie et de l’État de droit. Il y a besoin d'aider les pays intéressés, la CEDEAO, à développer un plan de démilitarisation et de stabilisation du Sahel : il faut revenir à la dynamique des fameux "bûchers du désarmement"de la cérémonie de Tombouctou en 1995 ! Avec la CEDEAO, l'Algérie est un acteur essentiel pour favoriser la négociation visant à isoler les islamistes en ralliant les groupes touaregs qui s'opposent au terrorisme à participer à une solution de compromis avec le gouvernement malien.
Au delà de la crise malienne, il faudra bien continuer le débat sur les interventions extérieures et la mise en oeuvre de la "responsabilité de protéger". L'instrumentalisation de la crise libyenne et de la résolution alors de l'ONU par MM Sarkozy et Cameron a déstabilisé la région et favorisé l'armement des djihadistes.
Elle a conduit à la paralysie politique dans la crise syrienne du fait de la méfiance renouvelée de la Chine et de la Russie, favorisant même l'arrivée d'islamistes radicaux dans les rangs de l'opposition syrienne. Il est vraiment nécessaire de développer la vigilance des citoyens pour tout à la fois développer le droit international et s'opposer aux stratégies de puissance des grands pays.
Aujourd'hui, l'intervention française est d'abord une opération de police internationale contre les agissements criminels des groupes islamiques armés au Nord-Mali qui représentent un grave danger pour les libertés publiques, la laïcité, la dignité des gens, la Paix. Mais seul le passage rapide à des initiatives politiques fortes peut éviter les risques d'enlisement ou d'engrenage dans une guerre qui ne dirait pas son nom. On ne peut qu'espérer, voire exiger, que François Hollande reste clairement sur la position exprimée le 25 septembre à l'ouverture de la session de l'ONU : «la France veut que l'ONU soit le cadre de la gouvernance mondiale».
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lundi 7 janvier 2013
VŒUX 2013 : UNE NOUVELLE POLITIQUE DE DÉFENSE POUR LA FRANCE ?
Le début d'une nouvelle année est toujours propice à l'émission de voeux dans lesquels on inscrit ses souhaits, ses espoirs, même lorsqu'on sait pertinemment qu'une partie seulement d'entre eux peuvent en être réalisés. Je vous présente d'abord les miens à vous, amis lecteurs, réguliers ou occasionnels, de ce blog : vœux positifs pour votre vie personnel, vœux positifs dans la voie d'une planète plus pacifiée, plus soucieuse de tous les humains qui y vivent, plus soucieuse de sa vie même et de son environnement.
C'est un peu dans cette posture d'espoirs très lucides que j'attends la prochaine publication en janvier du "Livre Blanc sur la défense et la sécurité de la France", mis en chantier à l'initiative du nouveau Président de la République, François Hollande.
Ce rapport est destiné à préparer le vote d'une nouvelle « Loi de programmation militaire » qui encadrera les futurs budgets annuels de la Défense jusqu'à la fin de la décennie.
Si la rédaction de ce Livre blanc n'a malheureusement pas été très "ouverte", on peut espérer que le débat autour de la Loi de programmation permettra d'aborder largement ce que devrait être une politique de défense et de sécurité de la France plus innovante, plus inscrite fermement dans la construction d'un monde de paix, de justice et de droit international. La politique de défense doit accompagner une politique extérieure aux objectifs clairs, même si ses rythmes ne sont pas les mêmes, puisque la défense d'un pays reste soumise à une prudence plus grande, pour faire face à des aléas toujours possible.
Nous sommes dans un monde qui bouge : sa caractéristique essentielle n'en est pas la crise financière actuelle, ni les secousses terroristes liées à des intégrismes religieux ou des enjeux mafieux. La caractéristique du monde actuel est son multilatéralisme croissant : plus de relations (économique, politique, sociale, culturelle) entre les pays et entre les peuples, plus d'émergences de nouvelles puissances (y compris en Afrique), plus de place au droit international avec de nouveaux traités sur de nouveaux concepts (devoir de protéger les populations, devoir de protéger la planète et son environnement), plus de place aux sociétés civiles (notamment à travers leurs ONG).
Une politique extérieure française devrait s'inscrire plus franchement dans ce mouvement, en soutenant hardiment le développement du droit international, le renforcement du multilatéralisme et pour favoriser ces évolutions, le développement de la démilitarisation des relations internationales. C'est dans cette cohérence que la France doit, non seulement soutenir, mais agir plus audacieusement pour la réforme des Nations unies par l'élargissement et la démocratisation du Conseil de sécurité, le renforcement des pouvoirs de l'Assemblée générale, le renforcement de ses pouvoirs en matière économique et monétaire (réforme FMI, BM et OMC). C'est dans cette même visée que la France doit renforcer ses relations avec les pays émergents : BRICS et Mahgreb. Enfin, la France doit jouer un rôle moteur pour la mise en oeuvre de nouveaux Traités ou accords internationaux (Doha, Convention d'interdiction des armes nucléaires et Traité d'interdiction du commerce des armes).
Comment la politique de défense française peut-elle s'inscrire dans cette vision du mouvement du monde vers plus plus de multilatéralisme et de justice ? La question des « menaces », pouvant peser sur la sécurité de la France, doit être gérée de manière plus dynamique, notamment par le renforcement des coopérations policières et judiciaires internationales. L'évolution de l'appareil militaire ne peut pas se résumer à un discours immuable sur la dissuasion, avec seulement des mesures d'économies "bricolées à la petite semaine". L'évolution vers l'interdiction des armes nucléaires doit se préparer par la réduction rapide de l'éventail nucléaire en supprimant la "2e composante" (missiles aéroportés sur les Rafale), en diminuant le nombre des sous-marins nucléaires dans un délai rapide, ainsi que la réduction du nombre de missiles et de têtes nucléaires embarquées. Ces mesures unilatérales doivent accompagner les initiatives politiques nécessaires pour renforcer le TNP et préparer un Traité d'interdiction des armes nucléaires.
Il faut aborder la discussion de front sur l'évolution de la notion de territoire national, la place de l'Europe et la place du droit international et des Nations unies dans l'usage de la force aujourd'hui. Le président Hollande a "recadré" avec justesse en août le débat sur une intervention militaire pour protéger la population civile syrienne en rappelant que l'usage de la force ne pouvait venir que d'une décision du Conseil de sécurité de l'ONU. C'est une évolution inéluctable quelles qu'en soient les perversions (à l'exemple de l'interprétation condamnable par les occidentaux de la résolution onusienne sur la Libye). Si on s'inscrit dans cette perspective de droit : que fait-on pour que la France, l'Union européenne puissent soutenir correctement les décisions prises ensemble à l'ONU ? Cela ne doit-il pas replacer les coopérations pour les fabrications de certains types de matériels (porte-avions, avions de transports de troupes, drones et satellites d'observation) dans un autre contexte ? N'est-ce pas la meilleure manière d'aborder la nécessaire réduction des dépenses militaires, de manière politique et pas seulement budgétaire ?
NB : vous pouvez retrouver le texte de cette contribution dans le numéro de janvier du mensuel "Planète paix" qui publie une table-ronde sur la politique de défense française (Planète Paix - 9 rue Dulcie September 93400 Saint-Ouen - http://www.mvtpaix.org)
C'est un peu dans cette posture d'espoirs très lucides que j'attends la prochaine publication en janvier du "Livre Blanc sur la défense et la sécurité de la France", mis en chantier à l'initiative du nouveau Président de la République, François Hollande.
Ce rapport est destiné à préparer le vote d'une nouvelle « Loi de programmation militaire » qui encadrera les futurs budgets annuels de la Défense jusqu'à la fin de la décennie.
Si la rédaction de ce Livre blanc n'a malheureusement pas été très "ouverte", on peut espérer que le débat autour de la Loi de programmation permettra d'aborder largement ce que devrait être une politique de défense et de sécurité de la France plus innovante, plus inscrite fermement dans la construction d'un monde de paix, de justice et de droit international. La politique de défense doit accompagner une politique extérieure aux objectifs clairs, même si ses rythmes ne sont pas les mêmes, puisque la défense d'un pays reste soumise à une prudence plus grande, pour faire face à des aléas toujours possible.
Nous sommes dans un monde qui bouge : sa caractéristique essentielle n'en est pas la crise financière actuelle, ni les secousses terroristes liées à des intégrismes religieux ou des enjeux mafieux. La caractéristique du monde actuel est son multilatéralisme croissant : plus de relations (économique, politique, sociale, culturelle) entre les pays et entre les peuples, plus d'émergences de nouvelles puissances (y compris en Afrique), plus de place au droit international avec de nouveaux traités sur de nouveaux concepts (devoir de protéger les populations, devoir de protéger la planète et son environnement), plus de place aux sociétés civiles (notamment à travers leurs ONG).
Une politique extérieure française devrait s'inscrire plus franchement dans ce mouvement, en soutenant hardiment le développement du droit international, le renforcement du multilatéralisme et pour favoriser ces évolutions, le développement de la démilitarisation des relations internationales. C'est dans cette cohérence que la France doit, non seulement soutenir, mais agir plus audacieusement pour la réforme des Nations unies par l'élargissement et la démocratisation du Conseil de sécurité, le renforcement des pouvoirs de l'Assemblée générale, le renforcement de ses pouvoirs en matière économique et monétaire (réforme FMI, BM et OMC). C'est dans cette même visée que la France doit renforcer ses relations avec les pays émergents : BRICS et Mahgreb. Enfin, la France doit jouer un rôle moteur pour la mise en oeuvre de nouveaux Traités ou accords internationaux (Doha, Convention d'interdiction des armes nucléaires et Traité d'interdiction du commerce des armes).
Comment la politique de défense française peut-elle s'inscrire dans cette vision du mouvement du monde vers plus plus de multilatéralisme et de justice ? La question des « menaces », pouvant peser sur la sécurité de la France, doit être gérée de manière plus dynamique, notamment par le renforcement des coopérations policières et judiciaires internationales. L'évolution de l'appareil militaire ne peut pas se résumer à un discours immuable sur la dissuasion, avec seulement des mesures d'économies "bricolées à la petite semaine". L'évolution vers l'interdiction des armes nucléaires doit se préparer par la réduction rapide de l'éventail nucléaire en supprimant la "2e composante" (missiles aéroportés sur les Rafale), en diminuant le nombre des sous-marins nucléaires dans un délai rapide, ainsi que la réduction du nombre de missiles et de têtes nucléaires embarquées. Ces mesures unilatérales doivent accompagner les initiatives politiques nécessaires pour renforcer le TNP et préparer un Traité d'interdiction des armes nucléaires.
Il faut aborder la discussion de front sur l'évolution de la notion de territoire national, la place de l'Europe et la place du droit international et des Nations unies dans l'usage de la force aujourd'hui. Le président Hollande a "recadré" avec justesse en août le débat sur une intervention militaire pour protéger la population civile syrienne en rappelant que l'usage de la force ne pouvait venir que d'une décision du Conseil de sécurité de l'ONU. C'est une évolution inéluctable quelles qu'en soient les perversions (à l'exemple de l'interprétation condamnable par les occidentaux de la résolution onusienne sur la Libye). Si on s'inscrit dans cette perspective de droit : que fait-on pour que la France, l'Union européenne puissent soutenir correctement les décisions prises ensemble à l'ONU ? Cela ne doit-il pas replacer les coopérations pour les fabrications de certains types de matériels (porte-avions, avions de transports de troupes, drones et satellites d'observation) dans un autre contexte ? N'est-ce pas la meilleure manière d'aborder la nécessaire réduction des dépenses militaires, de manière politique et pas seulement budgétaire ?
NB : vous pouvez retrouver le texte de cette contribution dans le numéro de janvier du mensuel "Planète paix" qui publie une table-ronde sur la politique de défense française (Planète Paix - 9 rue Dulcie September 93400 Saint-Ouen - http://www.mvtpaix.org)
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