Dans le précédent article sur le Livre Blanc de la Défense et la sécurité nationale 2013, je critiquais ce que j'estime être des ambiguïtés autour du concept global de « sécurité nationale ». J'y critiquais également le manque de cohérence de l'encadrement conceptuel de la politique de défense proposée du fait que l'ensemble des réflexions stratégiques n'est pas inscrit clairement dans la défense prioritaire du droit international et la primauté de la Charte des nations unies. Ces ambiguïtés conduisent à des propositions crispées sur la « protection » d'une souveraineté nationale qui serait menacée par tout mouvement inattendu dans le monde.
Ces conceptions pèsent sur la présentation de la dissuasion nucléaire qui « protège la France contre toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme ». On voit que la formule peut justifier beaucoup d'excès !
Le fait d'affirmer que "la dissuasion nucléaire s’inscrit donc dans le cadre plus global de la stratégie de défense et de sécurité nationale qui prend en compte l’ensemble des menaces, y compris celles qui se situent sous le seuil des intérêts vitaux" renforce la confusion stratégique : il n'y aurait pas de politique de sécurité fiable y compris face à des menaces faibles sans armes nucléaires ? Cela signifie donc que 185 pays sur 194, qui ne possèdent pas d'armes nucléaires, vivent dans l'insécurité ? Quel encouragement indirect pour certains pays en mal de puissance à essayer d'acquérir à tout prix la maîtrise de la technologie nucléaire militaire !
La même ambiguïté demeure ainsi face au désarmement nucléaire puisqu'il est dit que notre pays « œuvre activement en faveur d’un « désarmement général et complet sous un contrôle strict et efficace », objectif fixé par l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ».
Les rédacteurs du Livre Blanc ont juste « oublié » un morceau de la phrase qui est « au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général... » ! Oubli ou falsification ? Rien d'étonnant qu'il soit proposé de maintenir tous les financements de la force nucléaire et que soit maintenu cet anachronisme stratégique que constitue la « 2e composante nucléaire » composée de missiles aéroportés que le Royaume-Uni a abandonnée depuis plusieurs années. On peut regretter aussi que la transparence sur les forces nucléaires françaises reste très limitée : "moins de 300 têtes" selon les propos de Nicolas Sarkozy en 2010 alors que le Royaume-Uni a donné des précisions récentes sur son nombre de missiles installés sur les sous-marins, le nombre exact de têtes nucléaires, etc..
Au-delà de cet aspect, on voit que la politique de défense s'inscrit dans une vision statique et crispée vis a vis des processus de désarmement et des évolutions du monde.
Cette même hésitation à placer résolument toutes les actions de la France dans le cadre du droit international et de la primauté des Nations unies pèse sur toutes les propositions faites sur les interventions extérieures réduites aux objectifs trop vagues de « défendre nos intérêts stratégiques, comme ceux de nos partenaires et alliés, et exercer nos responsabilités internationales ». L'accent mis, dans ce contexte sur la présence française en Afrique et dans le Golfe arabo-persique, laisse interrogateur puisqu'il est écrit que "(..), la France entend disposer des capacités militaires lui permettant de s’engager dans les zones prioritaires pour sa défense et sa sécurité : la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, une partie de l’Afrique - du Sahel à l’Afrique équatoriale -, le Golfe Arabo-Persique et l’océan Indien. "
Tout en constatant à plusieurs reprises le développement des "interdépendances" dans le monde, les auteurs du Livre Blanc ont préféré mettre l'accent sur "l'autonomie" stratégique. Ils estiment que "l’évolution du contexte stratégique pourrait amener notre pays à devoir prendre l’initiative d’opérations, ou à assumer, plus souvent que par le passé, une part substantielle des responsabilités impliquées par la conduite de l’action militaire."
Ils privilégient les cas d'interventions liées à deux modèles : "des opérations de coercition" " des "opérations de gestion de crise", là encore non cadrées directement dans un contexte de maintien de la paix ou rétablissement de la paix sous mandat de l'ONU.
L'interdépendance n'est évoquée et acceptée qu'au niveau européen pour "les capacités spatiales de renseignement électromagnétique et de renseignement image". Nous sommes loin de certaines positions de responsables socialistes comme Patricia Adams, responsable de la commission de la Défense de l'Assemblée nationale qui déclarait en 2010, au magazine DSI : "une révision de nos ambitions ne peut se faire en occultant la question de l'avenir de l'Europe de la défense". Les propositions, sur ce plan, contenues dans le Livre Blanc, sont loin de ces ambitions et beaucoup plus timorées : "Dans l’attente d’une vision stratégique partagée et d’un consensus en matière de politique étrangère, l’Europe de la défense se construira à travers ses opérations dans lesquelles ses capacités civiles et militaires se complèteront et se renforceront mutuellement".
Les hésitations entre une "autonomie" et une "souveraineté" mal définies, voire illusoires, une prise en compte frileuse des "interdépendances" qu'elles soient mondiales ou européennes, conduisent à des propositions en matières de forces et de crédits, guidées plus par les contraintes budgétaires que par la vision stratégique globale. Nous en parlerons dans un prochain article.
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