Le « Livre blanc 2013 de la défense et de la sécurité nationale » a été publié le 29 avril dernier. Il reprend le même intitulé que le précédent en liant le concept de « sécurité nationale » à celui de Défense. Seulement deux autres documents de ce genre avaient vu le jour : le Livre Blanc sur la Défense Nationale publié en 1972 par Michel Debré, qui avait conceptualisé la force nucléaire française et celui publié en 1994 sous le gouvernement d’Édouard Balladur, qui avait tiré les enseignements de la fin de la Guerre Froide et ouvert le chemin à la professionnalisation des armées en 1996 et au développement des « forces projetables ».
Beaucoup de commentaires ont été faits sur les éventuelles conséquences économiques et sociales des conclusions de ce document en matière de crédits militaires, d'emplois militaires ou dans les industries de défense. Peu ont développé les conceptions stratégiques et politiques proposées au débat national et aux parlementaires dans ce texte.
Or, depuis 1994, les décisions concrètes se traduisent dans un deuxième temps dans une « Loi de programmation militaire » sur cinq ans qui devrait .être votée en fin d'année. La logique voudrait que cette Loi soit la conséquence des orientations générales en matière de stratégie de défense et donc de la vision française du monde d'aujourd'hui et de demain et non l'inverse (c.à.d que les choix stratégiques ne découlent d'abord que des moyens financiers disponibles..).
Quelle est la vision du monde et de la sécurité de la France qui se dégage du Livre Blanc 2013 ? Celui-ci reprend le concept global de « sécurité nationale » qui permet d'amalgamer sous le terme de « menaces à la sécurité nationale » des éléments qui peuvent être des « menaces » militaires comme la prolifération des armes de destruction massive ou le terrorisme, des « menaces » technologiques et des « problèmes » de santé comme des pandémies, des « problèmes » d'environnement et de ressources naturelles (eau, réchauffement climatique), En déclarant ensuite « que l'action militaire reste une donnée essentielle de la sécurité nationale », la plus grande confusion politique et idéologique règne, les dimensions politiques, juridiques, sociales des problèmes mondiaux passent alors au second plan...
C'est là que réside une deuxième grande ambiguïté de ce Livre Blanc, peut-être encore plus grande (malheureusement diront beaucoup) que celles contenues dans le précédent Livre de 2008. Il y a une faiblesse de cohérence politique. L'ensemble des réflexions stratégiques n'est pas inscrit clairement dans la défense prioritaire du droit international et la primauté de la Charte des nations unies malgré une référence (page 22 : « La France est attachée à la consolidation des principes inscrits dans la Charte des Nations unies qui interdisent la menace ou l’emploi de la force dans les relations entre États, à l’exception de l’exercice de la légitime défense et de l’application des résolutions du Conseil de sécurité ») qui semble plus être un rappel « obligé » qu'un élément central de la réflexion. En 2008, le Livre Blanc consacrait un chapitre entier à la Sécurité collective (chap 6, 1ère partie) dans lequel était rappelé que « Le multilatéralisme demeure un principe fondateur », « La centralité de l’Organisation des Nations unies ». Il y était précisé (page 114) que « La charte des Nations unies est la référence fondamentale du droit international concernant l’usage de la force militaire, qu’il s’agisse de la légitime défense individuelle ou collective ». Certes, cette affirmation de 2008 n'a pas empêché l'instrumentalisation par Nicolas Sarkozy de la résolution du Conseil de Sécurité sur la Libye pour les seuls intérêts économico-politiques français, mais le cadre politique et théorique reste fondamental.
Il n'est donc pas anodin que la « Conclusion récapitulative » du Livre Blanc 2013 ne comporte pas le mot « Nations unies » et qu'on y trouve cette définition rabougrie : « Notre stratégie de défense et de sécurité nationale ne se conçoit pas en dehors du cadre de l’Alliance Atlantique et de notre engagement dans l’Union européenne » . On n'y trouve pas, sinon une fois en marge, le mot « paix ». Il est vrai que dans le texte lui-même, la paix vient en dernier de « l'échelle des priorités » : (p 47) : « - protéger le territoire national et les ressortissants français, et garantir
la continuité des fonctions essentielles de la Nation ; - garantir avec nos partenaires et alliés la sécurité de l’Europe et de l’espace nord-atlantique ; - stabiliser avec nos partenaires et alliés les approches de l’Europe ; - participer à la stabilité du Proche-Orient et du Golfe Arabo-Persique ;
- contribuer à la paix dans le monde ».
Cela conduit à une troisième faiblesse conceptuelle de ce Livre Blanc. Comment affirmer que « Le maintien et le développement, chez nos concitoyens, de l’esprit de défense et de sécurité, manifestation d’une volonté collective assise sur la cohésion de la Nation, sont donc une priorité » si les buts de la Défense reposent sur un discours sans vision mobilisatrice et planétaire ? La thématique du Livre Blanc 2013 frise le repli politique frileux sur une « souveraineté nationale » dont le concept mériterait d'être plus largement débattu tout comme la notion d''exercice des « responsabilités internationales » qui seraient celles de la France selon les rédacteurs. Le manque d'adhésion de l'opinion aux idées contenues dans ce document risque d'être renforcé par le rétrécissement de la concertation publique dans son élaboration (pas de consultation des groupes parlementaires, des syndicats, des Ong) qui a pesé négativement sur plusieurs aspects du contenu. La seule manière de combler un peu ce déficit démocratique serait d'ouvrir un large débat dans le pays, avant le débat parlementaire sur la Loi de Programmation militaire qui va concrétiser en termes budgétaires toutes les propositions du Livre Blanc. Celles-ci n'ont pas été abordées dans cette analyse, nous y reviendrons dans de prochains articles : modèle d'armée, avenir de la dissuasion nucléaire, crédits militaires et industries de défense...
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