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samedi 2 mars 2019

publication des Cahiers de l'IDRP février - mars 2019


J'ai le plaisir de vous signaler la parution du n° de février - mars 2019 des "cahiers de l'IDRP", auxquels je collabore.
Très centré sur les problématiques européennes traitées sous des angles divers, vous y trouverez un article stimulant sur l'avenir de l'OTAN par un spécialiste, Olvier Kempf, une réflexion sur la sécurité en Europe,le rapport à l'arme nucléaire par Paul Quilès, président d'IDN, ancien ministre, un article conjoint qui fait le point sur le mouvement de paix allemand par Rainer Braun,une des figures principales de celui-ci et Alain Rouy, dirigeant pacifiste français et germaniste, enfin une réflexion sur les évolutions dans la luttes pour la paix aujourd'hui de Daniel Durand.
Vous en souhaitant bonne lecture,


mercredi 15 février 2017

Dangers du monde et armes nucléaires : « Don’t be afraid » ! Faire émerger le débat sur le désarmement nucléaire en France (2e partie)

Il est évident qu’en France, le débat sur l’avenir de l’arme nucléaire, semble particulièrement urgent, à la veille d’échéances électorales importantes comme les élections présidentielles et législatives.
Les vieux mythes
Pourtant, la réflexion autour de l'arme nucléaire dans les milieux dirigeants français semble bloquée, verrouillée autour de quelques vieux mythes, notamment ceux de "l'assurance-vie" et celui
du "tenir son rang".
Il convient de rappeler que le mythe de « l'assurance-vie », est une escroquerie intellectuelle. Une assurance-vie ne protège pas de la mort les assurés, elle sert à indemniser, à protéger les survivants. C'est bien différent ! Mais, en l'occurrence, en cas de conflit nucléaire, quels survivants resteront pour toucher la prime, qui sera là pour la leur verser et avec quelles ressources économiques dans un pays détruit ?
L'idée que la possession de l'arme nucléaire est nécessaire à un pays comme la France pour justifier sa place au Conseil de sécurité des Nations unies, pour "compter" dans les discussions internationales, bref, pour « garder son rang », est une idée à la fois fausse et perverse. Idée fausse, car à la création de l’ONU et du Conseil de sécurité en 1945, aucun pays n’avait, encore, l’arme atomique. Idée fausse aussi sur un autre plan. Le fait que la France détienne l'arme nucléaire n'a pas empêché qu'elle soit écartée diplomatiquement par les USA et la Russie lors de l'accord sur le nucléaire iranien ou lors de la décision de tenir une conférence élargie sur la Syrie.
Idée perverse, car s'il était nécessaire de posséder l'arme nucléaire pour faire partie des grandes puissances, des pays comme le Japon, l'Allemagne, le Brésil, l'Égypte, l'Inde ne seraient-ils pas fondés à essayer d'obtenir cette arme si jamais, demain, ils entraient au Conseil de sécurité des Nations unies ?
Mais ces vieux mythes sont de plus en plus difficiles à défendre comme l’a montré l’argumentation très défensive d’Éric Danon (ancien ambassadeur de France à la conférence du désarmement), lors du colloque « Vers une nouvelle course aux armements » organisé le 23 janvier dernier, par « Initiatives pour le désarmement nucléaire ». Celui-ci a axé son argumentation contre le processus de désarmement nucléaire et pour justifier le concept de dissuasion, sur la "réversibilité" des arguments sur la dissuasion et le désarmement nucléaire sur le mode : « vous dites que la bombe est dangereuse, vous ne pouvez pas le prouver, comme je ne peux pas prouver le contraire et dire que la dissuasion a évité la guerre depuis 70 ans ». Attitude très défensive, car jusqu’à ces dernières années, c’étaient les militants du désarmement qui étaient obligés de l’utiliser dans l’autre sens, face à l’arrogance des « nucléocrates » affirmant que la dissuasion, c’était la paix !
Briser le « plafond de verre » du conformisme nucléaire
Le président Hollande achève un mandat marqué par un alignement complet sur les thèses nucléaristes. Les diplomates français ont continué, sans rupture avec le quinquennat précédent, à s’opposer à toute avancée politique sur le désarmement nucléaire. Pire, les « modernisations » nucléaires annoncées vont s’inscrire dans une relance de la course aux armements mondiale.
S'y opposer est de la responsabilité des partis politiques français : un « consensus » règne, à droite bien sûr, tant chez M. Fillon que Mme Le Pen. Mais à gauche, la situation n’est pas meilleure, et est, pour l’instant, préoccupante.
Lors des primaires de la gauche, Benoit Hamon a approuvé la modernisation des deux composantes nucléaires (sous-marins lance engins et forces aériennes), alors que ces opérations coûteuses contredisent l’engagement de la France, qui, en ratifiant le TNP (traité de Non-Prolifération) en 1992, s’est engagée « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire…. » comme le rappelle Paul Quilès, sur son blog.
Quant à Jean-Luc Mélenchon, le 27 janvier 2012, il avait répondu à un questionnaire soumis par « l’Action des citoyens pour le désarmement nucléaire ». Il concluait sa lettre par cette affirmation, « je ne peux m’engager à ne jamais utiliser d’arme nucléaire contre quelque peuple que ce soit, cet engagement serait de mon point de vue contre-productif pour la cause de la paix que je défends ».
Au sein du Parti communiste français, un débat encore peu médiatisé semble démarrer. Sur son blog, la commission « Défense nationale - paix » de ce parti, affirme vouloir lancer un débat autour de trois questions :
« En l’état actuel du monde, l’existence d’une force nucléaire française sous la seule responsabilité de notre pays est-elle une garantie de l’indépendance de la défense française ?
- La force nucléaire française constitue-t-elle par son existence une protection efficace face à des menaces actuelles, potentielles et à venir qui pèsent ou pèseront sur notre pays ?
- Le démantèlement unilatéral de tout ou partie de l’arsenal nucléaire française aurait-il un impact positif sur la prolifération, et désarment nucléaire et la sécurité du monde ?
 »
Les considérations autour de ces questions amènent à penser que les auteurs privilégient un soutien renouvelé à la dissuasion nucléaire français car ils insistent essentiellement sur les menaces potentielles, en se demandant  « si l’existence d’une forces nucléaire stratégique ne participe pas à l’absence actuelle de telle menace. (...) L’absence aujourd’hui en Europe de menace d’un conflit armé majeur impliquant directement notre pays, ne préjuge malheureusement pas des situations qui pourraient être crées à l’avenir par les développements de la crise globale de l’Union européenne et du bassin méditerranéen, et par la montée corollaire des nationalismes. N’oublions jamais que la crise de la première mondialisation financière capitaliste s’est finie par la boucherie de 14-18 ». De même, les auteurs insistent fortement sur le risque de dépendance envers les USA, sur le coût d’une dissuasion conventionnelle ; par contre, ils n'abordent pas les dynamiques en cours sur le désarmement et les possibilités de modifier les rapports de force en faveur d'une diminution des militarisations des relations internationales. C'est dommage...
Et si le consensus n’était qu’apparent ?
Faut-il adopter l’analyse (pessimiste / réaliste?) de Georges Guelte, dans la Croix du 20/01/2017, qui estime, qu’en France, « aucun gouvernement, qu’il soit de gauche ou de droite, n’acceptera de le démanteler, à moins d’y être contraint et forcé, tant est grande l’emprise exercée par le lobby de l’industrie de l’armement sur le personnel politique » ? Les lobbyistes de Dassault Aviation, Airbus Group, DCNS, du CEA et de tous leurs sous-traitants pèsent fortement sur les politiques.
Il convient de se remémorer l’extraordinaire discours du Président Eisenhower en 1961 que je rappelle ici : « Nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d’acquérir une influence injustifiée dans les structures gouvernementales, qu’il l’ait ou non consciemment cherchée. Nous nous trouvons devant un risque réel, qui se maintiendra à l’avenir : qu’une concentration désastreuse de pouvoir en des mains dangereuses aille en s’affermissant. Nous devons veiller à ne jamais laisser le poids de cette association de pouvoirs mettre en danger nos libertés ou nos procédures démocratiques. Nous ne devons jamais rien considérer comme acquis. Seul un peuple informé et vigilant réussira à obtenir que l’immense machine industrielle et militaire qu’est notre secteur de la défense nationale s’ajuste sans grincement à nos méthodes et à nos objectifs pacifiques, pour que la sécurité et la liberté puissent prospérer ensemble. »

Ces forces politiques au poids considérable doivent-elles effaroucher ceux qui estiment que la paix du monde réside dans la démilitarisation des relations internationales ?
Ce consensus politique généralisé correspond-il réellement à l’état de l’opinion publique lorsque celle-ci est interrogée sérieusement ? IDN a sollicité un sondage à Opinion Way  en décembre dernier qui indique que 7 Français sur 10 considèrent qu’un traité d’interdiction des armes nucléaires sera favorable à la paix et à la sécurité mondiale ! Le soutien est massif dans les nouvelles générations de 18 à 24 ans ( 77%) et les 25 ans à 34 ans ( 80 %). De même, pour 68 %des Français, la France doit réviser sa position sur ce sujet à l’ONU, avec un élan notable de la majorité des Français (51%) en faveur d’un vote pour la résolution d’interdiction. N’y-a-t-il pas là pour des partis politiques et des organisations, matière à réfléchir sur les mobilisations possibles ?
Le 21 septembre dernier, en France, les manifestations pour la Journée internationale de la paix, ont connu un succès inaccoutumé dans une dizaine de villes françaises. Cette mobilisation devrait s’amplifier en 2017 avec l’agenda international annoncé à l’ONU dès le printemps.
Conclusion
Le bon sens doit prévaloir dans le monde d’aujourd’hui. "Aucun des problèmes que nous affrontons aujourd'hui ne peut être résolu par la guerre", écrit Gorbatchev.
À ceux qui disent « le monde est dangereux, recroquevillons-nous », ne faut-il pas rétorquer : « quand le monde n’a-t-il pas été dangereux ? ». Est-ce que cela a empêché les humains d’agir lorsqu’ils en avaient la volonté politique ? Malgré les mensonges alors de G.W. Bush, n’y-t-il pas eu les plus gigantesques manifestations de l’histoire, le 15 février 2003, contre la guerre d’Irak ?
Aujourd’hui, avec le but de l’interdiction de l’arme nucléaire, la barre est placée « haut ». Pourtant, 113 pays viennent de s’engager pour cet objectif, avec le soutien de hautes autorités morales (Pape, Croix-Rouge). L’arme nucléaire commence donc à être « désacralisée ». Si demain, le « roi est nu », l’arme nucléaire redeviendra ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une arme de destruction effroyable qui, au lieu d’apporter une quelconque sécurité au monde, déstabilise les relations internationales et fait peser un risque permanent sur notre planète elle-même.
NB : vous pouvez retrouver l'intégralité de ces deux articles, complétés par des précisions sur les modernisations nucléaires en cours dans le monde, dans mon article publié dans les "Cahiers de l'IDRP " de janvier 2017, sur le site de l'IDRP.

dimanche 8 novembre 2015

Sécurité et protection par la dissuasion ou la prévention ? (II) : abandonner les vieux mythes.

Dans le précédent article, j'évoquais les timides ouvertures du débat sur la "dissuasion nucléaire" en France en 2015 au travers de plusieurs colloques. Le dernier en date, fin octobre, organisé par "Démocratie" et "Participation et progrès" semblait plus ouvert en posant la question ainsi : "Quelle dissuasion en l'absence d'arme nucléaire ?".
Las, il n'a pas vraiment tenu toutes ses promesses car il a révélé une fois de plus la fascination des cercles militaires ou des chercheurs spécialisés pour le mythe de la" dissuasion nucléaire". La majorité des intervenants se sont crus obligés de commencer leurs interventions et de les terminer par une déclaration solennelle d'attachement au dogme nucléaire. On peut regretter qu'à chaque fois, pas ou peu de démonstrations concrètes, de chiffres, d'exemples soient apportés à l'appui de cette thèse de principe.
Le soutien à la "dissuasion nucléaire" semble relever essentiellement du credo politique obligé : comme l'a fait remarquer Paul Quilès, un des rares intervenants à ne pas suivre cette tendance majoritaire, "nous sommes dans le quasi-religieux". De ce fait, peu d'intervenants ont vraiment traité objectivement le thème, "une dissuasion alternative sans l'arme nucléaire existe-t-elle ?" : ils ont traité surtout du "pourquoi, il ne faut pas toucher à l'arme nucléaire", et quand ils ont évoqué une situation non-nucléaire, c'était généralement pour évoquer "l'horreur" absolue : un désarmement unilatéral français que personne ou presque, aujourd'hui en France, ne revendique.
La réflexion autour de l'arme nucléaire dans les milieux dirigeants semble bloquée, verrouillée autour de quelques vieux mythes, notamment ceux de "l'assurance-vie" et celui du "tenir son rang".
Il convient de rappeler que le mythe de "l'assurance-vie", est une escroquerie intellectuelle. Une assurance-vie ne protège pas de la mort les assurés, elle sert à indemniser, à protéger les survivants. C'est bien différent ! Mais, en l'occurrence, en cas de conflit nucléaire, quels survivants resteront pour toucher la prime, qui sera là pour leur verser, et avec quelles ressources économiques dans un pays détruit ?
Les études récentes sur les conséquences humanitaires d'une explosion nucléaire montrent quelle serait l'ampleur des destructions et pointe le fait qu'aucun pays, aucune institution n'est préparé à faire face à une telle catastrophe.
L'idée que la possession de l'arme nucléaire est nécessaire à un pays comme la France pour justifier sa place au Conseil de sécurité des Nations unies, pour "compter" dans les discussions internationales, bref, pour « garder son rang » est une idée à la fois fausse et perverse.
Idée perverse, car s'il était nécessaire de posséder l'arme nucléaire pour faire partie des grandes puissances, des pays comme le Japon, l'Allemagne, le Brésil, l'Égypte, l'Inde ne seraient-ils pas fondés à essayer d'obtenir cette arme si jamais, demain, ils entraient au Conseil de sécurité des Nations unies, comme certaines propositions diplomatiques, soutenues d'ailleurs par la diplomatie française, l'envisagent ?
Idée fausse sur un double plan. Le fait que la France détienne l'arme nucléaire n'a pas empêché qu'elle soit écartée diplomatiquement par les USA et la Russie lors de l'accord sur le nucléaire iranien ou lors de la décision de tenir une conférence élargie sur la Syrie. Deuxièmement, le statut de puissance dans le monde a un contenu plus complexe aujourd'hui, dans lequel le "softpower" est déterminant : l'Allemagne dénucléarisée, mais forte économiquement, joue un rôle international majeur. Le Canada, dans la décennie précédente, joua un rôle politique incontournable sur le plan du désarmement, notamment au moment de la Convention d'interdiction des mines antipersonnel. Si l'Union européenne ne joue pas un rôle politique mondial plus important, ce ne tient pas essentiellement au fait qu'elle n'est pas une puissance militaire et nucléaire, mais au fait qu'elle ne possède pas de buts politiques en matière de politique étrangère commune (ni de volonté et de détermination) suffisamment clairs, autonomes et innovants au service de la communauté internationale.
Il faut revisiter le concept nostalgique de "France, puissance mondiale" : oui, l'image de la France est porteuse de valeurs fortes issues de son histoire, mais être une puissance au rayonnement mondial ne se décrète pas par une posture faussement indépendante et peu efficace. En dehors de l'intervention au Mali (et encore, le débat est ouvert), les interventions militaires françaises en Libye et en Syrie ont eu des résultats peu convaincants. L'action "indépendante" de la France s'est surtout manifestée "en creux" dans plusieurs problèmes : une opposition systématique envers l'Iran et la Russie contre-productive, un postulat de principe anti-Bachar al Assad stérile, une action de torpillage de toute négociation nucléaire (dernier exemple à la réunion de la 1ère commission de l'AG de l'ONU - voir http://www.un.org/press/fr/2015/agdsi3541.doc.htm). Le pouvoir et le rayonnement d'un pays aujourd'hui réside plus dans sa capacité de s'intégrer et d'agir au sein du système multilatéral mondial, de proposer des initiatives rassembleuses permettant des avancées politiques, plus que dans ses seuls attributs militaires et nucléaires. À moins d'estimer que la seule évolution possible sera, non pas celle de l'extension du multilatéralisme et des coopérations internationales, mais celle d'un monde de pôles de puissances, rivalisant entre elles, au risque d'une véritable "der des der" nucléaire. C'est un pari faux et risqué.
Malgré tout, dans ce colloque, des voix dissonantes se sont élevées pour contester le dogme de la "dissuasion nucléaire" notamment celles de l'ancien ministre de la défense, Paul Quilès ou celle du général Norlain. Une analyse intéressante a été donnée également par Pierre Cornesa sur la "fabrication de l'image de l'ennemi" c'est-à-dire l'action politique de certaines grandes puissances (y compris la France) qui créent elle-mêmes, par leur action, l'insécurité (voir Libye), donc génèrent l'incertitude puis, ensuite, justifient la nécessité de la "dissuasion".
Parmi les autres interventions constructives, on peut citer le rappel de la situation en ex-Yougoslavie avec les accords de Dayton et ceux du Kossovo. Une issue positive a pu être trouvée aux affrontements, certes par l'interposition d'une robuste force militaire fournie par l'OTAN, mais sous le mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi par la construction d'une perspective politique et des mesures globales (aide économique, Tribunal pénal spécial, aide à la démocratie, etc..) prises par la communauté internationale et ses institutions (ONU, UE, OSCE).
Peut-on mettre ces opérations au seul crédit d'une "dissuasion conventionnelle" fournie par la présence des troupes internationales, comme l'a un peu réduit à cela le général Perruche, auteur de cette intéressante contribution, ou est-on dans un autre concept que celui de la "dissuasion, celui de la "prévention active et globale", qui relève lui du politique et non plus de la force seule ? L'ensemble de mesures prises alors avaient certes pour but de "dissuader" d'une reprise des combats mais surtout elles étaient accompagnées de mesures qui ne figeaient pas la situation, comme le fait la simple posture de dissuasion classique, mais la faisaient évoluer.
La discussion du colloque n'a pas permis de creuser plus cette réflexion. j'y reviendrai dans le prochain article.

dimanche 25 octobre 2015

Sécurité et protection par la dissuasion ou la prévention ? (I)

Les douze derniers mois ont vu le débat français sur la pertinence de la dissuasion nucléaire s'ouvrir un peu plus. Plusieurs colloques ont été organisés qui ont tenté en général de justifier le maintien du statu quo actuel. On peut citer le colloque du CEA en novembre 2014 : « 50 ans de dissuasion nucléaire : exigences et pertinence au 21e siècle » ainsi que celui de la Fondation pour la Recherche stratégique  « La dissuasion nucléaire française en débat » en juin.
Le président Hollande a rappelé en février dernier la volonté gouvernementale de ne rien changer : "le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé. Il ne saurait être question, y compris dans ce domaine, de baisser la garde".
Pour autant, la presse française s'est fait l'écho, ce qui est un phénomène relativement nouveau, des voix critiques comme celle du général Norlain ou de l'ancien ministre de la défense Paul Quilès.
Le chercheur André Dumoulin s'interroge en juin dernier sur ce débat français : "Nonobstant, le discours de la dissuasion française devra à l’avenir reposer sur une clarification doctrinale adaptée et sur une pédagogie renouvelée. Il y va de sa crédibilité et de son soutien, y compris dans le relationnel franco-britannique. Une condition finale étant aussi qu’au-delà du principe de précaution empêchant encore d’imaginer son effacement sans risque dans le monde incertain qui est le nôtre, le discours de la dissuasion doit rester « pur » et de stricte suffisance dans ses moyens de persuasion".(André Dumoulin "Vers une érosion du soutien à la dissuasion nucléaire française ?").
Un colloque organisé cette semaine par les clubs "Démmocratie" et "Participation et progrès" avance même une thématique plus ouverte : "Quelle dissuasion en l'absence d'arme nucléaire ?".
On ne peut que s'en féliciter, bien sûr.
Le site du Ministère de la défense continue pourtant d'affirmer que "De réelles menaces continuent de peser sur la sécurité du monde. La dissuasion, moyen exclusivement défensif, constitue l’assurance de la Nation contre toute menace d’origine étatique, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme, visant les intérêts vitaux de la France". (http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/la-dissuasion-nucleaire).
Mais l'idée progresse que la notion de "dissuasion" est devenue obsolète, qu'elle ne sert en fait qu"à "légitimer" la possession d'une arme de destruction massive à l'encontre de toutes les pratiques reconnues par le droit international du désarmement et le droit humanitaire, visant à protéger les populations civiles.
Le risque de prolifération ré-augmente aujourd'hui du fait de la frustration croissante de puissances moyennes, exaspérées par l'arrogance des puissances nucléaires dotées, notamment dans des zones comme le Proche et Moyen-Orient (leçons de la guerre d'Irak, de la Libye et de la Syrie).
L'arme nucléaire est l'arme dont le maintien est un risque permanent pour l'humanité. Elle ne dissuade personne réellement. Le « bisounours » est celui qui croit que la possession de l'arme nucléaire empêcherait Daesh de s'en servir contre nous.
La possession des armes nucléaires devient essentiellement un enjeu de représentation de puissance que les "possédants" cherchent à garder à tout prix en multipliant les opérations de communication ou de brouillage idéologique.
Mais, surtout, sur le plan conceptuel, la dissuasion a une énorme limite. Elle est sensée empêcher l'adversaire de nous attaquer. Est-ce que cela a fonctionné depuis cinquante ans ? Le débat est ouvert. Mais la principale faiblesse de la dissuasion est qu'elle ne s'attaque pas aux causes d'un conflit mais à ses effets et qu'elle n'empêche pas mais favorise la course aux armements. Chaque partie a pour seul but de surmonter la capacité de dissuasion de l'adversaire.
Déjà en 1999, des auteurs s'interrogeaient : "En dehors du domaine nucléaire (en dehors de sa « niche militaro-strategique », pour reprendre une de ces métaphores managériales qu’affectionnent les auteurs américains), la dissuasion comme forme stratégique générale est de moins en moins opérante. La dissuasion suppose un adversaire : elle s’exerce sur un décideur ou un centre de décision. Avec la prédominance de situations complexes, de conflits à trois camps, de menaces diffuses, difficilement attribuables ou assignables à un acteur central, la forme dissuasion perd une grande partie de sa pertinence. Au nouvel état du monde, caractérisé par la prolifération de conflits locaux, interétatiques et surtout intra-étatiques, correspond une nouvelle forme (ou langage) stratégique : la «prévention». (Maurice Ronai et Sami Makki CIRPES, Paris, mars 1999).
La sécurité aujourd'hui dans un monde instable, en transition, ne doit-elle pas travailler à développer avant tout la prévention ? Celle-ci est présentée sur le site du ministre de la défense ainsi : "Prévenir consiste à agir pour éviter l'apparition ou l'aggravation des menaces contre la sécurité" (http://www.defense.gouv.fr/air/presentation/fonctions-strategiques).
Sur le plan général, prévenir, c'est empêcher d'être attaqué en travaillant en amont sur les causes du conflits. La prévention privilégie donc les approches politiques. Sa logique interne n'est donc pas un équilibre des forces s'établissant toujours vers le haut mais elle induit une logique de désescalade. Cette logique débouche sur l'hypothèse d'une nécessaire et forte démilitarisation des relations internationales, le règlement des conflits, des points de fracture.
Elle pose donc inévitablement la nécessité du renforcement du système multilatéral donc des Nations unies, d'un maillage renforcé par le droit international, du règlement éventuel des menaces uniquement par l'action concertée, y compris militaire en dernier recours, de la communauté internationale.
Certes, une évolution des doctrines stratégiques ne sera pas simple et posera des problèmes pendant une longue période de transition. Mais cette évolution nécessaire est aujourd'hui plus crédible qu'il y a vingt ou trente ans : la révolution de l'information rend plus facile la transparence, la pression positive de l'opinion publique, la participation citoyenne (voir le nouveau phénomène des lanceurs d'alerte).
Il est très positif que le débat s'ouvre à la possibilité de la disparition de de l'arme nucléaire, mais doit-il se limiter, voire s'enfermer dans la seule problématique stratégique et conceptuelle de la dissuasion ? Ne faut-il pas débattre également de la priorité à donner aux politiques de prévention ?
Nous aborderons plus largement cette question dans un prochain article.

dimanche 15 mars 2015

Nucléaire encore... toujours ? (2)

Nous avons abordé dans le premier article de cette série le retour dans l'actualité médiatique de l'arme nucléaire au travers des débats sur le nucléaire et l'Iran (discours de Netanyahou au Congrès US), sur les écrans français (autour de la contestation de MM Norlain et Quilès), dans le débat politique avec le discours de François Hollande à Istres le 19 février.
Ce dernier discours se veut être le "grand" discours sur la dissuasion nucléaire que chaque Président de la République française prononce une fois par mandat. Il fait écho au discours de Nicolas Sarkozy à Cherbourg le 21 mars 2008 et à celui de Jacques Chirac le 19 janvier 2006 à l'Île longue, près de Brest.
Il m'a semblé intéressant de comparer ces trois textes, d'en relever les similitudes (continuité ou sclérose ?) et les éventuelles nuances.  Je propose ci-dessus un tableau comparatif avec de brefs commentaires que je développerai dans un troisième article, la semaine prochaine.
J'ai choisi de faire cette comparaison autour de quelques thématiques, choisies certes arbitrairement, mais qui me paraissent importantes.
Les menaces et le contexte : "ne pas baisser la garde"...
FH : "Alors en tant que chef de l’État, j’ai le devoir impératif de prendre ces menaces en compte, car rien ne doit atteindre notre indépendance. Le contexte international n’autorise aucune faiblesse. Et c’est pourquoi, le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé. Il ne saurait être question, y compris dans ce domaine, de baisser la garde."
NS : "Le devoir de tout responsable politique, c’est de se créer des marges de manœuvre pour exercer pleinement sa capacité de décision. J’ai choisi de construire l’avenir avec quelques repères simples : notre stratégie, nos ambitions, nos alliances, l’objectif européen. Et un principe, simple lui aussi : j’exclus absolument de baisser la garde."
JC : "Mais nous ne sommes à l'abri, ni d'un retournement imprévu du système international, ni d'une surprise stratégique. Toute notre histoire nous l'enseigne.(...) 10% de notre effort de défense, c'est le prix juste et suffisant pour doter notre pays d'une assurance de sécurité qui soit crédible et pérenne. Et je vous le dis, la mettre en cause serait parfaitement irresponsable".
COMMENTAIRE : on est dans le quasi copier-coller. "Ne pas baisser la garde" renvoie au combattant qui se protège d'un adversaire, mais dans ce cas, ne prend pas en compte le fait que cette "garde" est en même temps une affirmation de puissance et d'arrogance qui invite les spectateurs à eux-aussi prendre les armes et favorise donc la prolifération...
L'arme nucléaire, arme de non-emploi ?
FH : " J’ajoute que pour la France, l’arme nucléaire n’est pas destinée à remporter un avantage quelconque dans un conflit. En raison des effets dévastateurs de l’arme nucléaire, elle n’a pas sa place dans le cadre d’une stratégie offensive, elle n’est conçue que dans une stratégie défensive".
NS : "Elle est strictement défensive. L’emploi de l’arme nucléaire ne serait à l’évidence concevable que dans des circonstances extrêmes dé légitime défense, droit consacré par la Charte des Nations Unies."
JC : "Mais, notre concept d'emploi des armes nucléaires reste bien le même. Il ne saurait, en aucun cas, être question d'utiliser des moyens nucléaires à des fins militaires lors d'un conflit. C'est dans cet esprit que les forces nucléaires sont parfois qualifiées "d'armes de non emploi"."
COMMENTAIRE : nous avons là le cœur de la constitution de la notion dépassée de dissuasion. Nous y reviendrons la semaine prochaine.
La défense des intérêts vitaux, mais lesquels ?
FH: "La dissuasion nucléaire vise à protéger notre pays de toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne, et quelle qu’en soit la forme.(...) L’intégrité de notre territoire, la sauvegarde de notre population constituent le cœur de nos intérêts vitaux. (...) La définition de nos intérêts vitaux ne saurait être limitée à la seule échelle nationale, parce que la France ne conçoit pas sa stratégie de défense de manière isolée, même dans le domaine nucléaire".
NS : "Notre dissuasion nucléaire nous protège de toute agression d’origine étatique contre nos intérêts vitaux – d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme. Ceux-ci comprennent bien sûr les éléments constitutifs de notre identité et de notre existence en tant qu’État-nation, ainsi que le libre exercice de notre souveraineté. Ma responsabilité, en tant que Chef de l’État, est d’en apprécier à tout moment la limite, car dans un monde qui change, celle-ci ne saurait être figée".
JC  : "Une telle politique de défense repose sur la certitude que, quoiqu'il arrive, nos intérêts vitaux seront garantis. C'est le rôle attribué à la dissuasion nucléaire qui s'inscrit dans la continuité directe de notre stratégie de prévention. (...) L'intégrité de notre territoire, la protection de notre population, le libre exercice de notre souveraineté constitueront toujours le cœur de nos intérêts vitaux. Mais ils ne s'y limitent pas. La perception de ces intérêts évolue au rythme du monde, un monde marqué par l'interdépendance croissante des pays européens et aussi par les effets de la mondialisation. Par exemple, la garantie de nos approvisionnements stratégiques ou la défense de pays alliés, sont, parmi d'autres, des intérêts qu'il convient de protéger".
COMMENTAIRE : après la dérive de Jacques Chirac en 2006, ramenant les intérêts vitaux de la France à la défense des voies d'approvisionnements, les deux derniers présidents s'en tiennent pour l'essentiel à la menace de nature étatique.
Un ultime avertissement ?
FH : " Néanmoins, je ne peux exclure qu’un adversaire se méprenne sur la délimitation de nos intérêts vitaux. C’est pourquoi je veux rappeler ici, que la France peut, en dernier ressort, marquer sa volonté à défendre nos intérêts vitaux par un avertissement de nature nucléaire ayant pour objectif le rétablissement de la dissuasion".
NS: "Nous ne pouvons exclure qu’un adversaire se méprenne sur la délimitation de nos intérêts vitaux, ou sur notre détermination à les sauvegarder. Dans le cadre de l’exercice de la dissuasion, il serait alors possible de procéder à un avertissement nucléaire, qui marquerait notre détermination. Il serait destiné à rétablir la dissuasion".
JC  : "Par ailleurs, nous nous réservons toujours, cela va de soi, le droit d'utiliser un ultime avertissement pour marquer notre détermination à protéger nos intérêts vitaux.(...) Contre une puissance régionale, notre choix n'est pas entre l'inaction et l'anéantissement. La flexibilité et la réactivité de nos forces stratégiques nous permettraient d'exercer notre réponse directement sur ses centres de pouvoir, sur sa capacité à agir. Toutes nos forces nucléaires ont été configurées dans cet esprit. C'est dans ce but, par exemple, que le nombre des têtes nucléaires a été réduit sur certains des missiles de nos sous-marins".
COMMENTAIRE : l'arme nucléaire peut-elle en rester à un simple avertissement ? Beaucoup d'experts en doutent, nous ne sommes plus en 1945 à l'époque d'Hiroshima, les conséquences aujourd'hui en serait probablement désastreuses : terrorisme biologique, chimique, notamment...
Dissuasion nucléaire et Europe :
FH : "Nous participons au projet européen, nous avons construit avec nos partenaires une communauté de destin, l’existence d’une dissuasion nucléaire française apporte une contribution forte et essentielle à l’Europe. La France a en plus, avec ses partenaires européens, une solidarité de fait et de cœur. Qui pourrait donc croire qu’une agression, qui mettrait en cause la survie de l’Europe, n’aurait aucune conséquence ? C’est pourquoi notre dissuasion va de pair avec le renforcement constant de l’Europe de la Défense".
NS : "S’agissant de l’Europe, c’est un fait, les forces nucléaires françaises, par leur seule existence, sont un élément clef de sa sécurité. Un agresseur qui songerait à mettre en cause l’Europe doit en être conscient. Tirons-en, ensemble, toutes les conséquences logiques : je propose d’engager avec ceux de nos partenaires européens qui le souhaiteraient, un dialogue ouvert sur le rôle de la dissuasion et sa contribution à notre sécurité commune".
JC : "En outre, le développement de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense, l'imbrication croissante des intérêts des pays de l'Union européenne, la solidarité qui existe désormais entre eux, font de la dissuasion nucléaire française, par sa seule existence, un élément incontournable de la sécurité du continent européen. En 1995, la France avait émis l'idée ambitieuse d'une dissuasion concertée afin d'initier une réflexion européenne sur le sujet. Ma conviction demeure que nous devrons, le moment venu, nous poser la question d'une Défense commune, qui tiendrait compte des forces de dissuasion existantes, dans la perspective d'une Europe forte, responsable de sa sécurité".
COMMENTAIRE : Nous sommes là en pleine ambiguïté, puisque d'un côté on affirme que la définition des intérêts vitaux reste nationale et autonome, mais que, en même temps, on pourrait dépendre de l'action extravagante d'un allié européen : voir les risques si l'Ukraine était membre de l'Union avec un gouvernement aussi aventurier.
Garder les deux composantes ?
FH : "Pour ce qui me concerne, je me détermine à partir du seul enjeu qui vaille : la sécurité ultime de la France. J’ai donc décidé de maintenir une composante océanique et une composante aéroportée. (...)  La composante aéroportée donne, en cas de crise majeure, une visibilité à notre détermination à nous défendre, évitant ainsi un engrenage vers des solutions extrêmes. Voilà l’intérêt des deux composantes, si je puis dire : une qui ne se voit pas et une autre qui se voit".
NS : "J’ai aussi la conviction qu’il est indispensable de maintenir deux composantes nucléaires, une océanique et une aéroportée. (...) En effet, leurs caractéristiques respectives, notamment en termes de portée et de précision, les rendent complémentaires. Pour faire face à toute surprise, le chef de l’État doit pouvoir compter sur elles en permanence".
JC : "Grâce à ces deux composantes, différentes et complémentaires, le chef de l’État dispose d'options multiples, couvrant toutes les menaces identifiées".
COMMENTAIRE : la notion de complémentarité avancée, voire même l'image de "celle qui se voit" est un artifice de communication mais ne répond aux problèmes soulevés par la pertinence ou non de la notion "d'ultime avertissement".
La modernisation continue :
FH : " Il convient  aussi de maintenir les capacités et la crédibilité de ces deux composantes. Ce qui suppose de traduire dans les faits, c’est-à-dire dans les armes, les évolutions technologiques dans le domaine de la défense aérienne, de la défense antimissiles, de la détection sous-marine. (...)  La loi de programmation militaire est justement celle qui nous permet de poursuivre l’adaptation des SNLE, nos sous-marins, aux M51, qui nous permet de mettre en service la tête nucléaire océanique à partir de 2016, de lancer les études de conception du SNLE de troisième génération et de remplacer, d’ici à 2018, les derniers Mirage 2000N par des Rafale emportant le missile ASMPA. Par ailleurs, la loi de programmation militaire a engagé le renouvellement de la flotte des avions ravitailleurs, 12 avions Phénix ont été commandés et les deux premiers seront livrés à partir de 2018. (...) Des études ont été également réalisées pour explorer ce que pourra être le successeur de l’ASMPA. (...)  J’ai parallèlement, donné instruction au Commissariat à l’énergie atomique de préparer, à l’échéance de leur fin de vie, l’évolution nécessaire des têtes nucléaires (...)".
NS : " Garantir la sécurité de la Nation a un coût important. Chaque année, la dissuasion nucléaire coûte aux Français la moitié du budget de la justice ou de celui des transports. Ce coût, il doit bien entendu être maîtrisé autant que possible, dans le contexte financier que j’ai évoqué précédemment. Mais je suis déterminé à assumer ce coût".
JC : "La modernisation et l'adaptation de ces capacités sont donc tout à fait nécessaires. Notre dissuasion doit conserver son indispensable crédibilité dans un environnement géographique qui évolue".
COMMENTAIRE : concilier la notion de respect des traités de désarmement avec une politique de modernisation et perfectionnement est fortement critiqué par les ONG et par la grande majorité des pays non-nucléaires qui y voient une forme élevée de duplicité !
La France et le désarmement :
FH : "Mais en même temps qu’elle est prête à se défendre, elle ne veut pas pour autant renoncer à l’objectif même du désarmement, y compris du désarmement nucléaire. (...) Je partage donc l’objectif, à terme, de l’élimination totale des armes nucléaires, mais j’ajoute : quand le contexte stratégique le permettra. La France continuera d’agir sans relâche dans cette direction. (...) La France a été exemplaire, en application du principe de stricte suffisance. Elle a donc réduit, ces dernières années, de moitié le nombre total de ses armes. De moitié ! Elle a diminué d’un tiers la composante nucléaire aéroportée. Elle a renoncé au missile sol-sol. Nous n’avons pas parlé du désarmement ; nous l’avons fait jusqu’au point nécessaire".
NS : "Plutôt que de faire des discours et des promesses, sans les traduire en actes, la France, elle, agit. Elle respecte ses engagements internationaux et notamment le Traité de Non Prolifération Nucléaire. Elle a aujourd’hui un bilan exemplaire, et unique au monde, en matière de désarmement nucléaire. (...) La France, premier État, avec le Royaume-Uni, à avoir signé et ratifié le traité d’interdiction complète des essais nucléaires ; la France, premier État à avoir décidé la fermeture et le démantèlement de ses installations de production de matières fissiles à des fins explosives ; la France, seul État à avoir démantelé, de manière transparente, son site d’essais nucléaires situé dans le Pacifique ; la France, seul État à avoir démantelé ses missiles nucléaires sol-sol ; la France, seul État à avoir réduit volontairement d’un tiers le nombre de ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. La France n’a jamais participé à la course aux armements".
JC : "Dans le même temps, nous continuons à soutenir les efforts internationaux en faveur du désarmement général et complet, et, en particulier, la négociation d'un traité d'interdiction de la production de matières fissiles à usage nucléaire. Mais nous ne pourrons évidemment avancer sur la voie du désarmement que si les conditions de notre sécurité globale sont maintenues et si la volonté de progresser est unanimement partagée".
COMMENTAIRE : le thème de la France "exemplaire" en matière de désarmement s'appuie uniquement sur les décisions de Jacques Chirac en 1996 après la calamiteuse reprise des essais nucléaires (fermeture du site de missiles sol-sol d'Albion, du site d'essais de Mururoa, de la production de matières fissiles) : ils ne s'agissait pas alors de décisions de désarmement nucléaire mais d'un "mix" politique de recul face à l'opinion publique internationale et de la croyance illusoire que l'heure était venue de la priorité "aux forces de projection" et à un retour dans l'OTAN. Les dirigeants et les militaires français ont toujours regretté ensuite ces choix.
Vous avez dit transparence ?
FH : "La France a été exemplaire quant au volume de son stock d’armes, c'est-à-dire 300. Pourquoi 300 ? Parce que cela correspond à l’évaluation que nous faisons du contexte stratégique. (...)  Je veux encore aller plus loin dans la transparence, que ce soit sur notre doctrine, c’est ce que je fais aujourd’hui, devant vous, donc devant le monde entier ; transparence aussi sur nos arsenaux et sur nos efforts concrets de désarmement. C’est la raison pour laquelle je ne crains pas d’informer que la France dispose de trois lots de 16 missiles portés par sous-marins, et de 54 vecteurs ASMPA. Et je souhaite que tous les États disposant de l’arme nucléaire fasse le même effort de vérité, celui que je fais devant vous, pour toutes les catégories d’armes de leur arsenal nucléaire. Dans ce même esprit de transparence, de vérité, la France proposera très prochainement la visite des nouveaux sites qui n’accueillent plus d’armes nucléaires ; le plateau d’Albion, où les silos qui abritaient la composante sol-sol sont complètement démantelés, la base de Luxeuil dont les dépôts de stockage d’armes sont maintenant vides, et là aussi je souhaite que ce geste inspire l’attitude d’autres puissances nucléaires, avec des visites auxquelles nos experts pourront également se rendre".
NS : "J’ai également décidé que la France pouvait et devait être transparente sur son arsenal nucléaire, comme personne au monde ne l’a encore fait. Après cette réduction, notre arsenal comprendra moins de 300 têtes nucléaires. (...)  Enfin, j’ai décidé d’inviter des experts internationaux à venir constater le démantèlement de nos installations de production de matières fissiles militaires de Pierrelatte et de Marcoule".
JC : " C'est dans ce but, par exemple, que le nombre des têtes nucléaires a été réduit sur certains des missiles de nos sous-marins".
COMMENTAIRE : la "transparence" s'est limitée à chaque fois à énoncer publiquement ce que tous les spécialistes, les acteurs impliqués connaissaient depuis longtemps. À noter que, ni Nicolas Sarkozy, ni François Hollande, n'ont redonné des précisions, comme Jacques Chirac l'avait amorcé, sur le nombre exact de têtes nucléaires sur chaque missile des sous-marins nucléaires alors que le Royaume-Uni l'a fait. Cela a alimenté longtemps la spéculation sur le fait qu'un missile M51, en étant muni seulement d'une seule tête nucléaire au lieu de six, pouvait être utilisé seul pour une frappe "d'avertissement", donc en fait pour une frappe d'emploi contre un "état-voyou"...
Dans un troisième article, nous reviendrons sur les questions de fond liées à la promotion persistante par la France de la pertinence de la dissuasion nucléaire et de la posture : "parlons d'abord de la non-Prolifération, on discutera du désarmement après"...

mardi 10 mars 2015

Nucléaire encore... toujours ? (1)

Depuis le début de l'année 2015, trois grands sujets internationaux ont occupé la scène médiatique : les exactions terroristes de Daesh et de ses suppôts, les affrontements en Ukraine et... les débats sur les armes nucléaires.
Ce dernier sujet a été abordé sous l'angle habituel des risques de prolifération autour des supposées menaces d'acquisition par l'Iran et la prestation comico-tragique de Benyamin Netanyahou devant le Congrès des États-Unis. Il s'est développé aussi sur le fond, sur la pertinence des armes nucléaires aujourd'hui, au travers de multiples interviews en France du général Norlain ou de l'ancien ministre Paul Quilès et, bien sûr, après le discours sur la dissuasion tenu à Istres par François Hollande, le 19 février dernier.
Qu'en retenir comme éventuels éléments nouveaux ?
Concernant le nucléaire iranien, le jeu de ping-pong diplomatique continu avec l'Iran qui cherche à poursuivre son programme civil avec le moins de contraintes possibles, pour laisser subsister une ambiguïté stratégique sur ses intentions et possibilités face à un Israël qui possède déjà un nombre de têtes nucléaires appréciable (une centaine ?), non autorisées par le régime du TNP et donc, par le droit international. L'Iran n'entend pas non plus, à aucun prix, sembler perdre la face et son statut de première puissance régionale. Il semble que du côté des puissances nucléaires officielles, notamment des États-Unis et de la France, l'hypothèse d'un règlement politique comme seule solution réaliste soit majoritaire et qu'un accord puisse aboutir, en espérant qu'il soit signé avant le départ de Barack Obama...
L'attitude de M. Netanyahou qui n'hésite pas à jouer avec le feu diplomatique pour de vulgaires préoccupations électorales intérieures est d'autant plus critiquable.
Dans la même période, on a assisté aussi à des déclarations, considérées jusqu'à présent comme des rodomontades des dirigeants nord-coréens sur leur capacité de fabrication de bombes atomiques. Début février, Pyongyang avait semblé exclure toute reprise du dialogue avec les États-Unis, menaçant de répondre à toute «guerre d’agression» américaine par des frappes nucléaires et des actes de piratage informatique. La Corée du Nord menace souvent les États-Unis de frappes nucléaires mais le pays n’a pas démontré sa capacité à lancer des missiles balistiques capables d’atteindre le territoire américain. Mais selon un scenario établi par des spécialistes américains, Pyongyang posséderait, dans cinq ans, 20 armes nucléaires, certaines étant assez miniaturisées pour être portées par des missiles balistiques capables d’atteindre le Japon, voisin de la péninsule coréenne.
La situation de la Corée du nord qui s'est retirée du TNP (Traité de non-prolifération nucléaire ), le non-contrôle des arsenaux possédés par Israêl, l'Inde et le Pakistan montrent bien les limites de l'application de ce traité dont une Conférence d'examen (elle se déroule tous les cinq ans) aura lieu à New-York en avril prochain. On peut craindre une nouvelle impasse si les puissances nucléaires ne font pas preuve de plus d'esprit d'ouverture et d'initiative. L'attitude diplomatique de la France telle que le président Hollande l'a confirmée à Istres en février est révélatrice. Les deux priorités diplomatiques françaises seront : "l’entrée en vigueur au plus tôt du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Je le dis d’autant plus aisément que la France a fait la démonstration que la renonciation complète, irréversible aux essais nucléaires était compatible avec le maintien d’une dissuasion crédible" et la "seconde priorité, c’est l’arrêt définitif de production de matières fissiles pour les armes.(...) la France proposera dans les semaines à venir un projet de traité ambitieux, réaliste et vérifiable, sur ces questions".
Les deux objectifs sont louables et méritent d'être soutenus mais... s'ils ne sont pas accompagnés d'initiatives politiques sur une troisième question fondamentale, qui est celle des engagements concrets, planifiés et véritables des puissances nucléaires officielles d'aller dans un délai rapproché vers un désarmement nucléaire total, les deux priorités énoncées ne seront que des effets de manche diplomatiques sans espoir de réussite et les dirigeants français le savent bien ! Le "double standard" créé dans le TNP entre les états "dotés" (possédant au départ l'arme nucléaire) et les états "non-dotés" (s'engageant à ne jamais chercher à acquérir l'arme nucléaire) devait se résoudre par l'application de l'article VI du traité dont lequel les états nucléaires s'engageaient à aller à ce désarmement nucléaire. 45 ans après, le "double standard" devient de plus en plus insupportable. Il est clair que seul des modifications profondes des rapports de force politique peuvent faire bouger les lignes.
Plusieurs signes encourageants se sont manifestés depuis ce début d'année, comme je l'ai écrit précédemment. Les déclarations de certains experts français comme Norlain et Quilès ont été beaucoup plus largement reprises dans les médias audio ou télévisés. C'est nouveau. Ce n'est pas un hasard si le ministre Le Drian a essayé de réfuter les arguments de ces spécialistes, tout comme le président de la République à Istres, sur le thème très défensif : "ce n'est pas le moment de baisser la garde"...
Les choses bougent également du côté de la société civile : le Mouvement de la paix français annonce l'envoi d'une délégation de cent Français à New-York pendant les discussions du TNP. Enfin, la campagne pour exiger des discussions sur l'établissement d'un traité international d'interdiction des armes nucléaires sur la base du refus des conséquences humanitaires inacceptables d'un conflit nucléaire, semble marquer des points. Le réseau d'ONG, la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (ICAN), a reçu le renfort de pays comme l'Autriche, le Mexique, la Suède qui popularisent un "engagement" diplomatique officiel comme base de ralliement et de futures négociations diplomatiques.
Nous reviendrons dans un prochain article sur le récent discours à Istres du président Hollande pour justifier la dissuasion nucléaire française.

lundi 24 novembre 2014

L'AGENDA DE LA QUINZAINE (17-30/11/2014)

LES ÉVÉNEMENTS DE LA SEMAINE ÉCOULÉE...

Jeudi 20 novembre 2014
Lors du colloque pour les 50 ans de la dissuasion, qui s'est tenu à l'École militaire, le ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian, s'est fait de manière outrancière le chantre de la force nucléaire française.
Il n'a pas hésité à dénaturer le débat sur l'élimination des armes nucléaires en déclarant notamment que "ceux qui entendent délégitimer fondamentalement la dissuasion nucléaire se trompent de combat. Nous devons éviter que l’appel généreux à un monde « sans armes nucléaires » ne prépare un monde où seuls les dictateurs en disposeraient".
Dire cela est émettre plusieurs contre-vérités. L'appel à un "monde sans armes nucléaires" n'est pas seulement "généreux" mais surtout réaliste, en fonction de l'évolution du monde d'aujourd'hui. La prolifération de l'avis de nombreux experts risque d'être incontrôlable (notamment avec l'apparition de groupes terroristes sans scrupules) sans un processus d'interdiction radicale, comme cela a été le cas, avec succès, pour les armes chimiques. L'évolution des moyens de contrôle, de vérification des recherches nucléaires est telle qu'aucun "dictateur" ne pourrait essayer d'acquérir l'arme nucléaire sans réaction de la communauté internationale.
M. Le Drian s'est hasardé sur le terrain diplomatique en affirmant que "La France est à l’avant-garde d’une politique résolue de maîtrise des armements et de lutte contre la prolifération, dans le cadre du droit international. C’est sur ce terrain-là qu’elle entend concrètement progresser pour éviter que de nouvelles courses aux armements ne s’enclenchent". C'est une autre contre-vérité : les seules mesures de limitation des armements prises par la France l'ont été en 1996 dans la foulée du "coup de poker" pris par jacques Chirac de fermer le site d'essais nucléaires du Pacifique ainsi que le plateau d'Albion. Depuis, le renouvellement à marche forcée des missiles et sous-marins nucléaires français, la simulation d'essais nucléaires en laboratoire sur le site du laser Mégajoule, au Barp, ont été largement considérés comme autant de signes d'un refus français d'observer l'article VI du Traité de non-prolifération nucléaire, obligeant les puissances nucléaires à aller vers le désarmement nucléaire. 
Enfin, le ministre de la Défense s'est lancé dans une laborieuse justification de la "deuxième composante", les armes nucléaires embarqués sur les avions Mirage et Rafale.
Pour lui, "La composante aéroportée, sous l’égide des Forces aériennes stratégiques, ou embarquée au sein de la Force aéronavale nucléaire quand elle est activée, offre à l’autorité politique un large choix d’options stratégiques et militaires, avec un éventail de modes d’action qui confère une véritable souplesse à l’ensemble du dispositif. Notamment, elle contribue fortement, sur décision du Président de la République, à l’exercice d’effets stratégiques ciblés, ou à une frappe d’avertissement ultime. La composante aéroportée représente aussi une capacité « visible », qui ouvre, en cas de nécessité, un espace pour une manœuvre politico- diplomatique".
La notion "d'avertissement ultime" reste une notion incompréhensible d'une point de vue stratégique et qui mine même, la notion de dissuasion, défendue par ses défenseurs.
"Avertissement ultime" suppose que la suite est l'emploi élargi de missiles nucléaires tirés depuis les sous-marins et synonymes de conflit nucléaire mondial. Une telle option suppose que la France est menacée dans son existence même, et ce par une puissance capable de la faire, c'est-à-dire une puissance nucléaire, et le stade de "l'avertissement ultime" a alors quelque chose de ridicule, relevant plus de la gesticulation politique.. Sinon, pour quel "intérêt vital", un pays prendra-t-il le risque de déclencher une guerre nucléaire, conséquence inévitable d'une frappe même venant d'un "plus petit" missile aéroporté ? Pour riposter au risque d'un blocage d'un détroit maritime ? au risque de blocage de ses moyens de télécommunications et internet ?
Ce n'est pas un hasard si l'éventail de plus en plus large de spécialistes critique l'existence de cette "deuxième composante nucléaire" depuis les anciens ministres Paul Quilès et Hervé Morin, ou le général Norlain..

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CEUX DE LA SEMAINE À VENIR...

Samedi  29 novembre :
12e Forum « La non-violence à l’école » : la Coordination pour l’éducation à la non-violence et à la paix organise chaque année son Forum annuel « La non-violence à l’école ». Cette année, le 12e Forum de la Coordination aura pour thème : « JE DECLARE LA PAIX : POURQUOI, COMMENT ? ». Il aura lieu le samedi  29 novembre 2014, de 10h à 17h, à la Mairie du Xème arrondissement de Paris (72 rue du Faubourg Saint-Martin – 75010 Paris - M° Château d’Eau). Renseignements : http://education-nvp.org/12e-forum-la-non-violence-a-lecole/

Samedi 29 novembre :
La Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien est célébrée tous les ans par l’Organisation des Nations unies le 29 novembre. Cette date a été retenue en raison de sa signification particulière pour le peuple palestinien. Ce jour-là en effet, l’Assemblée générale a adopté, en 1947, la résolution 181 (II), connue par la suite sous le nom de résolution sur le plan de partage, qui prévoyait la création en Palestine d’un « État juif » et d’un « État arabe », Jérusalem étant placée sous un régime international spécial

Vendredi 28 novembre et mardi 2 décembre :

Le Par­lement français se pro­noncera le 2 décembre sur la recon­nais­sance d’un État pales­tinien, avec Jérusalem-​​Est pour capitale, en votant pour ou contre une pro­po­sition de réso­lution des députés du Parti socia­liste à l’Assemblée.
La pro­po­sition "invite le gou­ver­nement français à recon­naître l’état de Palestine en vue d’obtenir un règlement défi­nitif du conflit". Le texte sera débattu le 28 novembre par les députés en com­mission, mais le vote n’interviendra que le 2 décembre. Il "affirme l’urgente nécessité d’aboutir à un règlement défi­nitif du conflit per­mettant l’établissement d’un État démo­cra­tique et sou­verain de Palestine, vivant en paix et en sécurité avec Israël, sur la base des lignes de 1967, avec Jéru­salem pour capitale de ces deux États, et fondé sur une recon­nais­sance mutuelle". Il juge "que la solution des deux États, promue avec constance par la France et l’Union euro­péenne, suppose la recon­nais­sance de l’État de Palestine aux côtés de celui d’Israël".
Rappelons que la Suède a récemment reconnu l'État de Palestine, qui a le statut d'observateur à l'ONU depuis 2012, et les Parlements britanniques et espagnols ont appelé leurs gouvernements à le reconnaître également. Au total, 135 pays dans le monde ont reconnu la Palestine, selon l'Autorité palestinienne.

mardi 18 novembre 2014

Quel bilan d'étape du désarmement mondial ? Mines, sous-munitions...

La question du contrôle, de la limitation ou de l'interdiction des armes classiques concerne bien sûr les mines antipersonnel, et toutes les armes explosives pouvant être meurtrières non seulement contre des soldats en temps de guerre mais aussi contre des populations, soit pendant un conflit, soit après un conflit.
La première mesure de contrôle de ce type d'armes est intervenue en 1980 par la signature d'une Convention, appelée communément "Convention sur les armes inhumaines", mais de son nom complet, « Convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination » (CCAC).
Cette convention se présente comme une "boîte à outils » avec des  protocoles pouvant être ajoutés et une adhésion des pays à la carte (il suffit d'approuver seulement deux protocoles au minimum). Elle comporte cinq protocoles : I : éclats non-localisables ; II : mines : c'est celui qui a été contesté et a débouché sur le traité d'Ottawa ; III : armes incendiaires, « phosphore blanc » (les USA l'ont ratifié seulement en mars 2009 avec Obama) ; IV : armes à laser aveuglantes ; V : restes explosifs de guerre.
Cet accord a trouvé rapidement ses limites car il accepte une adhésion "à la carte", protocole par protocole, et surtout ne comporte  pas d'instrument de vérification globale. En 1995, la conférence d'examen de cette convention a débouché sur un renforcement des restrictions concernant certains usages, certains types de mines (autodestructeurs et détectables) et certains transferts de mines antipersonnel mais est restée très loin des attentes de plusieurs États, des ONGs humanitaires, d'institutions comme la Croix-Rouge internationale ou Handicap International qui s'inquiétaient alors de la prolifération démesurée des mines antipersonnel.
Une coalition tri-partite - États (Canada, Suède), institutions (Croix-Rouge internationale), ONG (Handicap-International, Coalition pour l'interdiction des mines antipersonnel - ICBL) -  se forme à cette époque et décide de faire démarrer et aboutir des négociations hors des circuits habituels des négociations de désarmement.
À force de mobilisation de la société civile – plus de deux millions de signatures récoltées depuis 1992 – et de lobbying auprès des États, le Traité d’interdiction des mines est signé à Ottawa en décembre 1997. Il entre en vigueur le 1er mars 1999. Pour les États qui le ratifient, il est désormais interdit d’utiliser, de stocker, de produire et de transférer des mines antipersonnel. Ils doivent également détruire leurs stocks. Pour ce combat acharné contre les mines qui a abouti au Traité d’Ottawa, Handicap International et les autres membres d’ICBL reçoivent conjointement le prix Nobel de la paix en 1997. Le travail incessant de plaidoyer international se poursuit pour que tous les pays de la planète rejoignent enfin le Traité d’Ottawa, y compris les plus gros producteurs que sont les États-Unis, la Russie et la Chine, qui ne l'ont pas encore fait. 161 pays l'ont ratifié à ce jour.
La diplomatie française a longtemps préféré les négociations au sein de la CCAC (Convention sur "les armes inhumaines"), mais le succès politique dans l'opinion publique du processus amène la diplomatie française alors à se "raccrocher aux branches" et se proclamer fervent défenseur du Traité d'Ottawa. N'oublions pas que la France est concernée par le désarmement « humanitaire » pour protéger ses Casques bleus en opération dans des zones infestées de mines antipersonnel.
Les sous-munitions : si les mines antipersonnel furent interdites sur le plan international en 1997, les bombes à sous-munitions, les "BASM", restèrent autorisées bien qu'elles soient encore plus meurtrières.
Utilisées pour la première fois au cours de la Seconde guerre mondiale, les armes à sous-munitions ont été utilisées dans au moins 32 pays et territoires. Une fois lancées, ces armes dispersent un grand nombre de sous-munitions sur une surface de la taille de plusieurs terrains de football. Destinées à exploser au moment de l'impact, ces sous-munitions ne le font souvent pas, transformant de facto les terrains contaminés en véritables champs de mines. Il faut constater que 98% des victimes des bombes à sous-munitions sont des civils; les bombes à sous-munitions ont coûté la vie à 10.000 civils - dont 40% d'enfants, proportion proprement stupéfiante. Outre les blessures qu'elles causent, les armes à sous-munitions contaminent les terres arables, tuent le bétail et détruisent les abris, entravant en permanence le relèvement économique et le développement.
Dès 2003, des associations comme Handicap International se mobilisèrent pour que ces armes, qui violent par nature le droit international humanitaire, soient définitivement bannies. Les efforts de la Coalition contre les sous-munitions qui regroupait en 2008 près de 300 ONG, aboutirent à la signature les 3 et 4 décembre 2008, à Oslo, de la Convention sur les armes à sous-munitions. Celle-ci est un traité international humanitaire et de désarmement qui interdit totalement l'emploi, la production, le stockage et le transfert de cette catégorie d'armes et prévoit leur enlèvement et leur destruction. À la date du 11 novembre 2014, elle compte 88 États parties et 108 États signataires. Elle est entrée en vigueur depuis la ratification du Danemark, le 1er août 2010.
L'attitude de la France sur cette question fut similaire à celle adoptée lors du processus d'Ottawa : la diplomatie essaya d'abord de pousser à un accord au sein de la CAC (Convention sur "les armes inhumaines") en proposant de créer un Protocole VI supplémentaire dédié aux sous-munitions,  puis se rallia au "processus d'Oslo" et soutint officiellement la convention d'Oslo. "la Convention d’Oslo marque un nouveau progrès incontestable du désarmement humanitaire et mon pays a tenu à être parmi les premiers à la ratifier", a ainsi affirmé en septembre dernier, un diplomate français à la Conférence de Lima sur les sous-munitions.
Les deux conventions d'Ottawa et d'Oslo permettent de "couvrir" la plus grande partie du champ des munitions explosifs hors une catégorie appelée "Mines autres que les mines antipersonnel" (MAMAP). Ce type de mine, n’a pas encore à ce jour fait l’objet d’une définition détaillée et précise de son contenu. On peut néanmoins dire qu’il s’agit essentiellement des mines antichar ou encore mines anti-véhicule équipées de systèmes antimanipulation. Elles sont, d’après la plupart des États, du ressort exclusif de la Convention sur Certaines Armes Classiques (CCAC) et les dispositions de la Convention d’ Ottawa ne leur sont pas applicables. il ne faut pas oublier pourtant que les mines antichar peuvent avoir des effets antipersonnel puisque de nombreuses mines antichar peuvent faire exploser des véhicules civils (dans des zones post-conflits) car elles sont incapables de discriminer leur cible. De nombreuses discussions ont lieu actuellement au sein de la CCAC concernant la définition mais également l’éventualité de restreindre leur utilisation et d’étendre les règles qui leur sont applicables au niveau du Droit international humanitaire. La France s'est engagée à "ne pas utiliser, en dehors de zones dont le périmètre est marqué, de MAMAP qui ne soient pas détectables et qui ne contiennent pas de dispositifs d’auto-neutralisation ou d’autodestruction, et à ne pas transférer des MAMAP non conformes à des États qui ne respecteraient pas ces mêmes principes".
Le bilan actuel des deux conventions d'Ottawa et d'Oslo est parfois présenté en demi-teinte car des pays importants comme la Chine, les États-Unis, la Russie ne les ont pas ratifiés et parce que tous les stocks n'ont pas été encore complètement détruits. En septembre dernier, dans l'hebdomadaire La Vie, le co-fondateur de Handicap International, Jean-Baptiste Richardier, rappelait que "Dans les années 1990, il y avait 25.000 nouvelles victimes chaque année ; en 2000, on en comptait 8.000 et en 2012-2013 les chiffres ont chuté à 3.000 victimes. Cette amélioration de la situation est le résultat de l’impact des traités". Il rappelle que "Aujourd’hui plus de 70 pays sont infestés par des mines et les victimes sont des civils et des enfants. Il reste encore beaucoup à faire. On ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Certains États non-signataires semblent être en train de changer d’avis. C’est le cas des États-Unis, depuis le dernier sommet tenu au Mozambique en juin 2014".
Une autre dimension des processus d'Ottawa et d'Oslo est à considérer. Ceux-ci ont été permis par l'action d'une coalition, rassemblant un réseau international d'ONG très actif, des puissances moyennes comme le Canada et la Suède, des institutions humanitaires comme la Croix-Rouge internationale, Handicap international de faire démarrer et aboutir des négociations hors des circuits habituels des négociations de désarmement. Ce fut la première fois qu'un traité de désarmement aboutit en dehors des enceintes de négociation inter-étatiques....
Ainsi est né un nouveau type de désarmement : le désarmement humanitaire (donc lié aux personnes, aux populations, aux civils) qui s'appuie et contribue à renforcer le droit humanitaire (Conventions de Genève de l'après-guerre 1914-1918).
Aujourd'hui, un réseau international d'ONG anti-nucléaires (ICAN : Campagne internationale pour l'interdiction des armes nucléaires), des pays moyens comme la Norvège, le Mexique, la Suisse, l'Autriche, ont lancé une Campagne d'opinion pour l'interdiction des armes nucléaires, en venant sur le terrain humanitaire, et en soulignant le caractère inacceptable de l'impact humanitaire des armes nucléaires. Ils estiment qu'il n'y pas de capacité de réponse adéquate au niveau national ou international pour faire face aux conséquences de ces armes, et donc que ces armes nucléaires ne doivent jamais être utilisées.
Une troisième réunion internationale des pays partisans du "désarmement nucléaire humanitaire" est prévue en décembre à Vienne, après celles tenues à Oslo en 2013 et Mexico début 2014. La France a été absente de ce processus jusqu'à présent. Les États-Unis viennent d’annoncer le 7 novembre qu’ils seraient présents à Vienne. Il est donc quasiment certain que les Britanniques vont suivre cette posture américaine. Paul Quilès, Bernard Norlain et Jean-Marie Collin ont déclaré récemment (http://paul.quiles.over-blog.com/tag/desarmement%20nucleaire/) "L’objectif de la conférence de Vienne est « de renforcer le régime mondial du désarmement et de non-prolifération nucléaires ». Si la France ne se rend pas à Vienne dans un esprit de travail constructif, alors, elle devra en supporter toutes les conséquences sur la scène internationale du désarmement". ..
Dans un prochain et dernier article sur le bilan du désarmement, nous aborderons les questions nouvelles liées aux nouvelles technologies militaires (robots, drones)..