mercredi 15 février 2017

Dangers du monde et armes nucléaires : « Don’t be afraid » ! Faire émerger le débat sur le désarmement nucléaire en France (2e partie)

Il est évident qu’en France, le débat sur l’avenir de l’arme nucléaire, semble particulièrement urgent, à la veille d’échéances électorales importantes comme les élections présidentielles et législatives.
Les vieux mythes
Pourtant, la réflexion autour de l'arme nucléaire dans les milieux dirigeants français semble bloquée, verrouillée autour de quelques vieux mythes, notamment ceux de "l'assurance-vie" et celui
du "tenir son rang".
Il convient de rappeler que le mythe de « l'assurance-vie », est une escroquerie intellectuelle. Une assurance-vie ne protège pas de la mort les assurés, elle sert à indemniser, à protéger les survivants. C'est bien différent ! Mais, en l'occurrence, en cas de conflit nucléaire, quels survivants resteront pour toucher la prime, qui sera là pour la leur verser et avec quelles ressources économiques dans un pays détruit ?
L'idée que la possession de l'arme nucléaire est nécessaire à un pays comme la France pour justifier sa place au Conseil de sécurité des Nations unies, pour "compter" dans les discussions internationales, bref, pour « garder son rang », est une idée à la fois fausse et perverse. Idée fausse, car à la création de l’ONU et du Conseil de sécurité en 1945, aucun pays n’avait, encore, l’arme atomique. Idée fausse aussi sur un autre plan. Le fait que la France détienne l'arme nucléaire n'a pas empêché qu'elle soit écartée diplomatiquement par les USA et la Russie lors de l'accord sur le nucléaire iranien ou lors de la décision de tenir une conférence élargie sur la Syrie.
Idée perverse, car s'il était nécessaire de posséder l'arme nucléaire pour faire partie des grandes puissances, des pays comme le Japon, l'Allemagne, le Brésil, l'Égypte, l'Inde ne seraient-ils pas fondés à essayer d'obtenir cette arme si jamais, demain, ils entraient au Conseil de sécurité des Nations unies ?
Mais ces vieux mythes sont de plus en plus difficiles à défendre comme l’a montré l’argumentation très défensive d’Éric Danon (ancien ambassadeur de France à la conférence du désarmement), lors du colloque « Vers une nouvelle course aux armements » organisé le 23 janvier dernier, par « Initiatives pour le désarmement nucléaire ». Celui-ci a axé son argumentation contre le processus de désarmement nucléaire et pour justifier le concept de dissuasion, sur la "réversibilité" des arguments sur la dissuasion et le désarmement nucléaire sur le mode : « vous dites que la bombe est dangereuse, vous ne pouvez pas le prouver, comme je ne peux pas prouver le contraire et dire que la dissuasion a évité la guerre depuis 70 ans ». Attitude très défensive, car jusqu’à ces dernières années, c’étaient les militants du désarmement qui étaient obligés de l’utiliser dans l’autre sens, face à l’arrogance des « nucléocrates » affirmant que la dissuasion, c’était la paix !
Briser le « plafond de verre » du conformisme nucléaire
Le président Hollande achève un mandat marqué par un alignement complet sur les thèses nucléaristes. Les diplomates français ont continué, sans rupture avec le quinquennat précédent, à s’opposer à toute avancée politique sur le désarmement nucléaire. Pire, les « modernisations » nucléaires annoncées vont s’inscrire dans une relance de la course aux armements mondiale.
S'y opposer est de la responsabilité des partis politiques français : un « consensus » règne, à droite bien sûr, tant chez M. Fillon que Mme Le Pen. Mais à gauche, la situation n’est pas meilleure, et est, pour l’instant, préoccupante.
Lors des primaires de la gauche, Benoit Hamon a approuvé la modernisation des deux composantes nucléaires (sous-marins lance engins et forces aériennes), alors que ces opérations coûteuses contredisent l’engagement de la France, qui, en ratifiant le TNP (traité de Non-Prolifération) en 1992, s’est engagée « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire…. » comme le rappelle Paul Quilès, sur son blog.
Quant à Jean-Luc Mélenchon, le 27 janvier 2012, il avait répondu à un questionnaire soumis par « l’Action des citoyens pour le désarmement nucléaire ». Il concluait sa lettre par cette affirmation, « je ne peux m’engager à ne jamais utiliser d’arme nucléaire contre quelque peuple que ce soit, cet engagement serait de mon point de vue contre-productif pour la cause de la paix que je défends ».
Au sein du Parti communiste français, un débat encore peu médiatisé semble démarrer. Sur son blog, la commission « Défense nationale - paix » de ce parti, affirme vouloir lancer un débat autour de trois questions :
« En l’état actuel du monde, l’existence d’une force nucléaire française sous la seule responsabilité de notre pays est-elle une garantie de l’indépendance de la défense française ?
- La force nucléaire française constitue-t-elle par son existence une protection efficace face à des menaces actuelles, potentielles et à venir qui pèsent ou pèseront sur notre pays ?
- Le démantèlement unilatéral de tout ou partie de l’arsenal nucléaire française aurait-il un impact positif sur la prolifération, et désarment nucléaire et la sécurité du monde ?
 »
Les considérations autour de ces questions amènent à penser que les auteurs privilégient un soutien renouvelé à la dissuasion nucléaire français car ils insistent essentiellement sur les menaces potentielles, en se demandant  « si l’existence d’une forces nucléaire stratégique ne participe pas à l’absence actuelle de telle menace. (...) L’absence aujourd’hui en Europe de menace d’un conflit armé majeur impliquant directement notre pays, ne préjuge malheureusement pas des situations qui pourraient être crées à l’avenir par les développements de la crise globale de l’Union européenne et du bassin méditerranéen, et par la montée corollaire des nationalismes. N’oublions jamais que la crise de la première mondialisation financière capitaliste s’est finie par la boucherie de 14-18 ». De même, les auteurs insistent fortement sur le risque de dépendance envers les USA, sur le coût d’une dissuasion conventionnelle ; par contre, ils n'abordent pas les dynamiques en cours sur le désarmement et les possibilités de modifier les rapports de force en faveur d'une diminution des militarisations des relations internationales. C'est dommage...
Et si le consensus n’était qu’apparent ?
Faut-il adopter l’analyse (pessimiste / réaliste?) de Georges Guelte, dans la Croix du 20/01/2017, qui estime, qu’en France, « aucun gouvernement, qu’il soit de gauche ou de droite, n’acceptera de le démanteler, à moins d’y être contraint et forcé, tant est grande l’emprise exercée par le lobby de l’industrie de l’armement sur le personnel politique » ? Les lobbyistes de Dassault Aviation, Airbus Group, DCNS, du CEA et de tous leurs sous-traitants pèsent fortement sur les politiques.
Il convient de se remémorer l’extraordinaire discours du Président Eisenhower en 1961 que je rappelle ici : « Nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d’acquérir une influence injustifiée dans les structures gouvernementales, qu’il l’ait ou non consciemment cherchée. Nous nous trouvons devant un risque réel, qui se maintiendra à l’avenir : qu’une concentration désastreuse de pouvoir en des mains dangereuses aille en s’affermissant. Nous devons veiller à ne jamais laisser le poids de cette association de pouvoirs mettre en danger nos libertés ou nos procédures démocratiques. Nous ne devons jamais rien considérer comme acquis. Seul un peuple informé et vigilant réussira à obtenir que l’immense machine industrielle et militaire qu’est notre secteur de la défense nationale s’ajuste sans grincement à nos méthodes et à nos objectifs pacifiques, pour que la sécurité et la liberté puissent prospérer ensemble. »

Ces forces politiques au poids considérable doivent-elles effaroucher ceux qui estiment que la paix du monde réside dans la démilitarisation des relations internationales ?
Ce consensus politique généralisé correspond-il réellement à l’état de l’opinion publique lorsque celle-ci est interrogée sérieusement ? IDN a sollicité un sondage à Opinion Way  en décembre dernier qui indique que 7 Français sur 10 considèrent qu’un traité d’interdiction des armes nucléaires sera favorable à la paix et à la sécurité mondiale ! Le soutien est massif dans les nouvelles générations de 18 à 24 ans ( 77%) et les 25 ans à 34 ans ( 80 %). De même, pour 68 %des Français, la France doit réviser sa position sur ce sujet à l’ONU, avec un élan notable de la majorité des Français (51%) en faveur d’un vote pour la résolution d’interdiction. N’y-a-t-il pas là pour des partis politiques et des organisations, matière à réfléchir sur les mobilisations possibles ?
Le 21 septembre dernier, en France, les manifestations pour la Journée internationale de la paix, ont connu un succès inaccoutumé dans une dizaine de villes françaises. Cette mobilisation devrait s’amplifier en 2017 avec l’agenda international annoncé à l’ONU dès le printemps.
Conclusion
Le bon sens doit prévaloir dans le monde d’aujourd’hui. "Aucun des problèmes que nous affrontons aujourd'hui ne peut être résolu par la guerre", écrit Gorbatchev.
À ceux qui disent « le monde est dangereux, recroquevillons-nous », ne faut-il pas rétorquer : « quand le monde n’a-t-il pas été dangereux ? ». Est-ce que cela a empêché les humains d’agir lorsqu’ils en avaient la volonté politique ? Malgré les mensonges alors de G.W. Bush, n’y-t-il pas eu les plus gigantesques manifestations de l’histoire, le 15 février 2003, contre la guerre d’Irak ?
Aujourd’hui, avec le but de l’interdiction de l’arme nucléaire, la barre est placée « haut ». Pourtant, 113 pays viennent de s’engager pour cet objectif, avec le soutien de hautes autorités morales (Pape, Croix-Rouge). L’arme nucléaire commence donc à être « désacralisée ». Si demain, le « roi est nu », l’arme nucléaire redeviendra ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une arme de destruction effroyable qui, au lieu d’apporter une quelconque sécurité au monde, déstabilise les relations internationales et fait peser un risque permanent sur notre planète elle-même.
NB : vous pouvez retrouver l'intégralité de ces deux articles, complétés par des précisions sur les modernisations nucléaires en cours dans le monde, dans mon article publié dans les "Cahiers de l'IDRP " de janvier 2017, sur le site de l'IDRP.

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