Les douze derniers mois ont vu le débat français sur la pertinence de la dissuasion nucléaire s'ouvrir un peu plus. Plusieurs colloques ont été organisés qui ont tenté en général de justifier le maintien du statu quo actuel. On peut citer le colloque du CEA en novembre 2014 : « 50 ans de dissuasion nucléaire : exigences et pertinence au 21e siècle » ainsi que celui de la Fondation pour la Recherche stratégique « La dissuasion nucléaire française en débat » en juin.
Le président Hollande a rappelé en février dernier la volonté gouvernementale de ne rien changer : "le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé. Il ne saurait être question, y compris dans ce domaine, de baisser la garde".
Pour autant, la presse française s'est fait l'écho, ce qui est un phénomène relativement nouveau, des voix critiques comme celle du général Norlain ou de l'ancien ministre de la défense Paul Quilès.
Le chercheur André Dumoulin s'interroge en juin dernier sur ce débat français : "Nonobstant, le discours de la dissuasion française devra à l’avenir reposer sur une clarification doctrinale adaptée et sur une pédagogie renouvelée. Il y va de sa crédibilité et de son soutien, y compris dans le relationnel franco-britannique. Une condition finale étant aussi qu’au-delà du principe de précaution empêchant encore d’imaginer son effacement sans risque dans le monde incertain qui est le nôtre, le discours de la dissuasion doit rester « pur » et de stricte suffisance dans ses moyens de persuasion".(André Dumoulin "Vers une érosion du soutien à la dissuasion nucléaire française ?").
Un colloque organisé cette semaine par les clubs "Démmocratie" et "Participation et progrès" avance même une thématique plus ouverte : "Quelle dissuasion en l'absence d'arme nucléaire ?".
On ne peut que s'en féliciter, bien sûr.
Le site du Ministère de la défense continue pourtant d'affirmer que "De réelles menaces continuent de peser sur la sécurité du monde. La dissuasion, moyen exclusivement défensif, constitue l’assurance de la Nation contre toute menace d’origine étatique, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme, visant les intérêts vitaux de la France". (http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/la-dissuasion-nucleaire).
Mais l'idée progresse que la notion de "dissuasion" est devenue obsolète, qu'elle ne sert en fait qu"à "légitimer" la possession d'une arme de destruction massive à l'encontre de toutes les pratiques reconnues par le droit international du désarmement et le droit humanitaire, visant à protéger les populations civiles.
Le risque de prolifération ré-augmente aujourd'hui du fait de la frustration croissante de puissances moyennes, exaspérées par l'arrogance des puissances nucléaires dotées, notamment dans des zones comme le Proche et Moyen-Orient (leçons de la guerre d'Irak, de la Libye et de la Syrie).
L'arme nucléaire est l'arme dont le maintien est un risque permanent pour l'humanité. Elle ne dissuade personne réellement. Le « bisounours » est celui qui croit que la possession de l'arme nucléaire empêcherait Daesh de s'en servir contre nous.
La possession des armes nucléaires devient essentiellement un enjeu de représentation de puissance que les "possédants" cherchent à garder à tout prix en multipliant les opérations de communication ou de brouillage idéologique.
Mais, surtout, sur le plan conceptuel, la dissuasion a une énorme limite. Elle est sensée empêcher l'adversaire de nous attaquer. Est-ce que cela a fonctionné depuis cinquante ans ? Le débat est ouvert. Mais la principale faiblesse de la dissuasion est qu'elle ne s'attaque pas aux causes d'un conflit mais à ses effets et qu'elle n'empêche pas mais favorise la course aux armements. Chaque partie a pour seul but de surmonter la capacité de dissuasion de l'adversaire.
Déjà en 1999, des auteurs s'interrogeaient : "En dehors du domaine nucléaire (en dehors de sa « niche militaro-strategique », pour reprendre une de ces métaphores managériales qu’affectionnent les auteurs américains), la dissuasion comme forme stratégique générale est de moins en moins opérante. La dissuasion suppose un adversaire : elle s’exerce sur un décideur ou un centre de décision. Avec la prédominance de situations complexes, de conflits à trois camps, de menaces diffuses, difficilement attribuables ou assignables à un acteur central, la forme dissuasion perd une grande partie de sa pertinence. Au nouvel état du monde, caractérisé par la prolifération de conflits locaux, interétatiques et surtout intra-étatiques, correspond une nouvelle forme (ou langage) stratégique : la «prévention». (Maurice Ronai et Sami Makki CIRPES, Paris, mars 1999).
La sécurité aujourd'hui dans un monde instable, en transition, ne doit-elle pas travailler à développer avant tout la prévention ? Celle-ci est présentée sur le site du ministre de la défense ainsi : "Prévenir consiste à agir pour éviter l'apparition ou l'aggravation des menaces contre la sécurité" (http://www.defense.gouv.fr/air/presentation/fonctions-strategiques).
Sur le plan général, prévenir, c'est empêcher d'être attaqué en travaillant en amont sur les causes du conflits. La prévention privilégie donc les approches politiques. Sa logique interne n'est donc pas un équilibre des forces s'établissant toujours vers le haut mais elle induit une logique de désescalade. Cette logique débouche sur l'hypothèse d'une nécessaire et forte démilitarisation des relations internationales, le règlement des conflits, des points de fracture.
Elle pose donc inévitablement la nécessité du renforcement du système multilatéral donc des Nations unies, d'un maillage renforcé par le droit international, du règlement éventuel des menaces uniquement par l'action concertée, y compris militaire en dernier recours, de la communauté internationale.
Certes, une évolution des doctrines stratégiques ne sera pas simple et posera des problèmes pendant une longue période de transition. Mais cette évolution nécessaire est aujourd'hui plus crédible qu'il y a vingt ou trente ans : la révolution de l'information rend plus facile la transparence, la pression positive de l'opinion publique, la participation citoyenne (voir le nouveau phénomène des lanceurs d'alerte).
Il est très positif que le débat s'ouvre à la possibilité de la disparition de de l'arme nucléaire, mais doit-il se limiter, voire s'enfermer dans la seule problématique stratégique et conceptuelle de la dissuasion ? Ne faut-il pas débattre également de la priorité à donner aux politiques de prévention ?
Nous aborderons plus largement cette question dans un prochain article.
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