samedi 17 octobre 2015

Syrie, ONU : quelles réflexions ?

Lors de l'ouverture de la 70e session de l'Assemblée générale des Nations unies, fin septembre et début octobre, plusieurs observateurs ont relevé que la diplomatie française et le président Hollande avaient du mal à ne pas paraître isolés dans leur obstination à refuser toute forme de participation du gouvernement syrien actuel à une grande alliance pour combattre les terroristes de Daech.
Barack Obama a déclaré à la tribune des Nations unies que "Bachar el-Assad doit quitter le poste présidentiel" mais il y a une semaine, le secrétaire d'État John Kerry a concédé que le calendrier de la sortie de Bachar al-Assad était négociable. Des dirigeants européens comme David Cameron et Angela Merkel notamment, plaidant le pragmatisme, n'écartent plus la collaboration avec le régime de Bachar al-Assad, comme le suggère Vladimir Poutine. Les principaux acteurs dans le conflit syrien, incluant les États-Unis, la Russie, l'Arabie saoudite, l'Iran, la Turquie et l'Égypte, se réuniront en octobre. « Quatre groupes de travail doivent être formés à Genève et la rencontre du groupe de contact incluant les principaux acteurs, je pense, se réunira en octobre après la session de l'Assemblée générale de l'ONU », a déclaré le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, cité par l'agence Ria Novosti.
M. Laurent Fabius a renouvelé ses critiques contre la Russie qui s'en prenait à «80-90%» à "l'opposition syrienne". Or, la notion "d'opposition syrienne" est trop ambiguë. Même si de multiples coalitions d'opposition contre Bachar al Assad existent, les plus puissantes sont composées de mouvements affiliés à Al-Qaida «canal historique» comme le Front al-Nosra ou la nébuleuse de Ahrar al-Cham comme le rappelle un spécialiste du renseignement, Alain Rodier. Le soutien militaire des occidentaux, français ou américains à l'Armée syrienne libre pose aussi question, d'autant plus qu'on sait qu'en septembre dernier, des rebelles syriens formés par les Américains ont remis une partie de leur équipement et munitions au dit Front al-Nosra. Va-t-on refaire les mêmes erreurs avec Al Nosra que les américains firent avec les talibans en Afghanistan en 1979-89 ?
Que sont devenues les armes françaises fournies aux groupes rebelles syriens dès 2012 alors que l’Union européenne avait imposé un embargo sur de telles livraisons ?
La France et la majorité des gouvernements occidentaux en 2011 ont cru que le régime de Bachar al Assad  allait tomber en quelques mois à l'image de ce qui s'était passé en Égypte et en Tunisie : ce fut une erreur fondamentale.
Même si la répression des premières manifestations pacifiques par Bachar al Assad avait été sanglante et était insupportable, le soutien à une opposition militaire disparate, débouchant sur un processus de guerre civile, était de toute façon une erreur politique. Dès ce moment, seul un processus visant une solution politique avec l'implication première des Nations unies était viable, accompagné des actions nécessaires pour mettre en oeuvre le droit international, y compris en travaillant à traduire Bachar devant la cour pénale de justice.
L'échec de la politique suivie est d'autant moins excusable que le précédent libyen aux conséquences désastreuses aurait dû inciter à une approche différente.
Le chaos en Syrie a permis que dès le 29 juin 2014, Daech proclame un califat en Irak et en Syrie et annexe des régions frontalières. En septembre 2014, les États-Unis et leurs alliés occidentaux et arabes, soit une soixantaine de pays, ont entamé, sans mandat de l'ONU, des opérations aériennes contre Daech sur le territoire irakien. 6.550 frappes ont été conduites dont deux cents sont françaises. Rapportés aux moyens mobilisés, les résultats restent minces.
L'ensemble des frappes occidentales est illégal. Par exemple, la justification avancée par le gouvernement français pour ses bombardements d'agir "en état de légitime défense" est contestée par les juristes internationaux. La Charte des Nations unies, dans son chapitre VII, reconnaît ce droit dans des limites très strictes : " jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales". Or, rien de sérieux n'a été fait par la France pour faire aboutir une résolution du Conseil de sécurité permettant une "opération de police internationale armée" contre les terroristes, et surmonter les divergences politiques, notamment avec la Russie. Au contraire, pourrait-on dire, si l'on considère les déclarations du président Hollande et de Laurent Fabius. De plus, une telle opération même dans un cadre onusien ne pourrait être qu'un élément d'un plan politique de règlement du conflit.
Il reste que l'absence de recherche sérieuse de solution politique alternative à la guerre civile a conduit à une catastrophe humanitaire. 240.000 Syriens ont perdu la vie depuis le début de ce conflit (même si ce bilan produit par les opposants syriens est estimé surévalué par la Ligue arabe qui chiffre à un peu plus de 100 000 tués les victimes du conflit). Près de huit millions se sont déplacés dans les frontières intérieures fuyant les combats opposant les multiples factions au régime ou à l'EI. Quatre millions se sont réfugiés dans les pays voisins, au Liban notamment, dans la plus grande précarité. Quinze millions de Syriens sont en situation de détresse humanitaire.

Si l'on prend un peu de recul politique, on constate que la diplomatie française, tant avec le président Sarkozy que François Hollande, ne croit pas au renforcement du multilatéralisme dans le monde dans les prochaines décennies. Elle pense que le monde ne peut évoluer que vers l'accentuation des rivalités de puissance, et comme les États-Unis se désengagent du Moyen-orient, elle estime qu'il y a une "place à prendre", qu'il est possible de "tirer les marrons du feu". Et pour cela, la diplomatie française renforce sa posture de "meilleur opposant occidental" aux puissances régionales comme la Russie ou l'Iran. Ce positionnement politique est désastreux car il recrée des oppositions de blocs rappelant l'époque de la guerre froide et, in fine, isole quand même la diplomatie française, car lors de l'aiguisement des crises, les "grands" acteurs, USA et Russie, règlent eux-même sans la France (comme on le voit pour l'accord nucléaire avec l'Iran, et demain sans doute avec la conférence sur la Syrie).
Comme je l'écrivais sur mon blog, il y a un an (http://culturedepaix.blogspot.fr/2014/09/enjeux-et-alternatives-pour-la-paix.html)
"Aujourd'hui, face aux tentations de certains dirigeants de décréter ce qui est bon ou non pour des peuples, face également à des forces obscures entendant proclamer leur vérité propre comme universelle, ne faut-il pas être beaucoup plus intransigeant sur le respect du droit international et, par exemple, sur le passage systématique par une résolution du Conseil de sécurité pour toute action dans une crise internationale, a fortiori si une intervention militaire est en jeu en donnant systématiquement la priorité à une solution politique ? "Rien sans l'ONU" n'est-il pas un slogan qui devrait reprendre une force nouvelle ?
On a vu en 2013 que, lorsque les dirigeants mondiaux ont été obligés de négocier une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Syrie, cela a obligé à trouver un compromis politique et aboutit à la résolution sur la destruction des armes chimiques syriennes ce qui était un élément de blocage international depuis vingt ans !
Aujourd'hui, il faut déboucher sur des solutions politiques (...) sous l'égide des Nations unies, notamment par le biais de conférences internationales : elles impliqueraient des mesures de démilitarisation, de protection des populations, d'implication de tous les acteurs locaux (en Syrie avec tous les acteurs, y compris gouvernementaux mais hors Daesh : (...). Le passage obligatoire par l'ONU empêcherait les déclarations péremptoires, à la limite de l'arrogance de chefs d'État, décidant qui est légitime ou non comme représentants d'un peuple, comme cela a été malheureusement fait pour la Libye et la Syrie, par les deux Présidents français
".
Un an après, ces constatations restent valables. Veut-on laisser se créer un monde de pôles de puissance rivalisant entre eux, au risque d'une véritable "der des der" nucléaire, ou veut-on construire un monde multilatéral, assis sur le droit international, les coopérations mutuelles, la participation grandissante des citoyens de la planète, comme nous y convie le déploiement des moyens d'information et de connaissance ? Là reste la question centrale.

1 commentaire:

  1. Un analyse intéressante, merci.
    En fait, les grandes puissances impérialistes avancent des raisons de morale politique pour justifier leurs interventions, afin de masquer leur véritables motif : garder la main sur tous le terrains où se trouvent les sources les plus importantes d'énergie, les gisements les moins coûteux de matières premières.
    Dès qu'un pays cherche, aussi peu que ce soit, à s'affranchir de la tutelle de ces puissances, ces dernières déclenchent de violentes campagnes de presse à son encontre. On l'a vu et on le voit, en Amérique Latine, en Afrique, au Moyen Orient, en Asie, en Europe même. Des sommes parfois colossales sont réservées à la déstabilisation, à la dénonciation souvent au prix de mensonges. La phase militaire intervenant plus tard pour continuer cette politique.
    Peu importe qu'un dirigeant soit un satrape ou pas. Il n'est condamnable que si il sort de l'ornière creusée par le lourd convoi de l'impérialisme...

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