C'est en 1995, il y a vingt ans, que la Conférence générale de l'UNESCO décidait de faire de la culture de paix sa priorité pour les années 1995-2001. Trois ans plus tard, le 13 septembre 1999 l'Assemblée générale des Nations unies adoptait une "Déclaration et un programme pour la culture de paix" autour de huit objectifs :
- le renforcement d'une culture de la paix par l'éducation,
-la promotion d'un développement durable sur les plans économique et social
- la promotion du respect de tous les droits de l'homme
- les mesures visant à assurer l'égalité entre les femmes et les hommes,
- les mesures visant à favoriser la participation à la vie démocratique
- les mesures visant à développer la compréhension, la tolérance et la solidarité
- les mesures visant à soutenir la communication participative et la libre circulation de l'information et des connaissances
- les mesures visant à promouvoir la paix et la sécurité internationales ».
20 ans après son adoption officielle par l'UNESCO, on peut faire trois séries de réflexions très schématiques sur le sens de l'apparition de ce concept, les problèmes posés pour sa mise en œuvre et sur le « et maintenant » ?
Premièrement, il faut bien voir que le développement puis l'officialisation du concept de Culture de paix constitue un changement de paradigme, une rupture historique avec la conception de la paix avant la fin de la guerre froide. Cette période avait été marquée à la fois par la « théorie des deux camps » issue du soviétique Jdanov (il y a le « camp de la guerre » et le « camp de la paix », les analyses sur l'« impérialisme fauteur de guerre », la conception que la paix est une simple « suspension de la guerre ». Il en découlait une lutte pour la paix ou plutôt contre la guerre tirée vers le haut et les affrontements des états, une lutte où les acteurs (et les victimes) sont en bas et les décideurs en haut. En même temps, il ne faut pas rejeter des aspects très positifs : cette lutte pour la paix a permis d'éviter la catastrophe de la guerre nucléaire en 1950 avec l'Appel de Stockholm, elle s'est traduite par le développement et le succès de la lutte pour décolonisation et l'indépendance des peuples, elle a participé enfin au développement historique, trop largement sous-estimé à mon avis, de « l'arbre à palabres » mondial unique qu'est l'Organisation des Nations Unies, phénomène historique extraordinaire, devant lequel on devrait s'émerveiller chaque matin en se levant.
La rupture historique qui intervient avec l'adoption du concept de culture de paix, c'est que la paix est considérée non plus comme un « état » (être ou ne pas être en paix) mais comme une « culture » c'est-à-dire comme une civilisation donc comme une construction vivante : il y a exigence d'absence de guerre, de disparition de la menace militaire et de désarmement, mais aussi de progrès du niveau de vie, du développement de l'emploi et de l'accomplissement personnel, de l'éducation, de la participation et de la démocratie. On assiste donc à un double basculement : d'un statut passif (un "état") à un statut actif (une "culture"), à un recentrage vers l'humain et plus seulement vers les états, les gouvernements. Enfin, en parlant de culture, on parle d'humains pour la porter : l'homme devient à la fois acteur et sujet, on passe du « vous devez faire » à « nous devons (ou pouvons) le faire » (« Yes, we can » !).
Deuxièmement, il faut reconnaître que le développement et la mise en œuvre de la culture de paix s'est avéré, s'avère et s'avérera forcément complexe, difficile et ce, d'abord pour les organisations de paix.
Il est parsemé d'écueils : d'abord, il ne peut pas se traduire par un émiettement, une dilution de la lutte pour la paix dans les différents domaines dont on dit qu'ils sont constitutifs de la culture de paix, mais au contraire, par un « aiguisement » de la visée d'une société de paix, de sa nécessaire présence au sein des différentes revendications portées dans tous ces domaines. En bref, l'enjeu, me semble-t-il, pour le « mouvement de paix », n'est pas de courir sur « tout ce qui bouge » (réfugiés, réchauffement climatique, kurdes, etc...) pour simplement s'y raccrocher ou le soutenir. À l'inverse, l'enjeu est de travailler à une « hégémonie de la culture de paix » (au sens gramscien) sur tous les problèmes du monde, sur toutes les démarches actives. L'enjeu est de faire comprendre à chacun que son action dans son domaine contribue à la construction d'un monde de paix : on mesure la difficulté.
Cela explique des progrès diffus partout du concept de culture de paix, se traduisant de façon brouillonne, parfois au niveau des bons sentiments et de la proclamation de foi ânonnée et inefficace.
Cela s'accompagne aussi d'un piétinement idéologique et de la tentation de revenir aux vieilles analyses du coupable, de la théorie « des deux camps ».
Cela conduit, par exemple, à lutter plus contre « Israël » et pas assez sur les luttes convergentes pour la coexistence de deux états indépendants,
à critiquer exclusivement les « USA impérialistes » ou « Hollande va-t-en-guerre » en Syrie et moins travailler aux conditions politiques du règlement du problème syrien, à la protection des réfugiés sur place, au retour des Nations unies comme cœur du règlement politique de la crise.
De la même manière au niveau étatique, des dirigeants politiques occidentaux se dressent contre la Russie "menaçante" et l'aventurisme poutinien, contre l'Iran "antisémite" pour défendre d'illusoires intérêts de puissance, au lieu de travailler à l'intégration systématique des puissances régionales concernées dans le règlement des conflits en-cours.
Cette difficulté dans la mise en œuvre de cette conception de la culture de paix, à y intégrer les citoyens dans des actions qui rassemblent et non qui divisent, est aggravée par un contexte international incertain et changeant.
C'est un troisième point. Pour poursuivre et approfondir la promotion de la culture de paix, il est nécessaire de se dégager de l'actualité et ses contingences, de prendre du recul historique : il faut voir que nous sommes dans une période de transition historique du système international : dangereuse, avec des hauts et des bas, des contradictions mais qui n'est pas « pire » que les décennies précédentes, au contraire.
Il serait dramatique de céder à des analyses catastrophiques erronées qui conduiraient les acteurs de paix soit à se replier ou se rétrécir, voire se radicaliser devant ce monde qui deviendrait "horrible", soit à se réfugier dans de simples proclamations de principe inefficaces.
L'enjeu reste de continuer à penser en terme de « transformation de civilisation » ce qui est un défi politique, social qui nécessite de travailler sur des objectifs clairs, qui dénoncent l'état de chose existant mais qui surtout rassemblent et non divisent.
Pour cela, il faut continuer de s'appuyer sur les transformations du monde. Celles-ci portent notamment sur l'essor de l'information, notamment au travers d'internet, des communications (voir le rôle des smartphones pour les réfugiés aujourd'hui) et des réseaux télévisés, donc des connaissances, et sur le désir de participation collaborative et consultation qui grandit.
En conclusion, voyons bien que toutes les transformations du monde donnent plus de latitude d'action aux individus et s'inscrivent donc au cœur du concept de la culture de paix. C'est un formidable potentiel d'espoir !
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