L'élection de Donald Trump comme président des États-Unis fait partie de ces moments de l'actualité où il est vraiment nécessaire de prendre un temps de recul.
Nous sommes toujours dans une période de transition dans l'évolution du monde : transition entre un monde industriel ancien et le monde de la révolution informatique et informationnelle, transition entre un monde segmenté et un monde de plus en plus globalisé même s'il est diversifié, transition entre les idéologies structurées sur ces anciens schémas et de nouvelles approches qui peinent à émerger.
Le deuxième angle de réflexion à considérer est la différenciation entre les temps longs de l'histoire, et les temps courts, ceux de l'actualité, de l'immédiat. Ce temps court (qui peut s'étaler sur une décenie...), c'est l'élection de Trump, c'est la montée actuelle des populismes, c'est la fièvre terroriste.
Le temps long sur plusieurs décennies, c'est la constitution depuis 70 ans de "l'arbre à palabres planétaire", constitué par les Nations unies, c'est la décolonisation et le passage du nombre d'États sur la planète de 50 à près de 200 en seulement un demi-siècle. Ce temps long, c'est aussi cette quasi suppression du temps et de l'espace que constituent la révolution de l'information, des transports : internet, réseaux sociaux, télévision satellite.
De tels bouleversements créent forcément des fractures, favorisent le développement d'inégalités, de nouvelles dominations, de crises profondes dans le vécu des populations. Ces crises sont dues aux angoisses, aux phantasmes parfois, mais surtout aux souffrances réelles de la partie de la population qui subit ces mutations et n'en récoltent pas les bénéfices. Ce sont ces crises qui nous ramènent dans le temps court de l'actualité, des débats politiques, des risques de troubles profonds, allant jusqu'à la menace de la guerre toujours possible.
Comment réagir dans ce contexte ?
Nous sommes devant un choix fondamental de posture politique. On peut choisir de "surfer" sur les peurs, les angoisses, les repliements, en flattant les retours nostalgiques à un passé idéalisé ou en soutenant le démagogique slogan "sortez les sortants" ou le simpliste "Vous avez raison d'exprimer votre colère". On peut ainsi s'illusionner en espérant se maintenir sur la vague...
On peut à l'inverse prendre en compte les insatisfactions, les souffrances, les colères, mais pour dire "rassemblons-nous et agissons", non pour arrêter le mouvement du monde et de l'histoire, mais pour revendiquer que chacun y ait sa place, sa dignité reconnue, sa participation acceptée, tant chez nous que sur toute notre planète ronde.
Soyons lucides et actifs tous ensemble !
Cette posture peut ne pas être comprise immédiatement, elle peut ne pas être suffisamment solide aujourd'hui pour contenir tous les dangers, toutes les colères dévoyées, mais elle seule peut permettre en faisant appel à la raison et à l'action de construire une vraie alternative progressiste et un puissant mouvement populaire.
10/11/2016
Ce blog est dédié aux problématiques de la paix et du désarmement, des institutions internationales (ONU, OTAN), à la promotion d'une culture de la paix. Textes sous license Creative Commons by-nc-sa
vendredi 11 novembre 2016
vendredi 21 octobre 2016
Nouveau Secrétaire général des Nations unies : nouvel élan ?
Le premier janvier 2017, l'Organisation des Nations unies aura donc un nouveau secrétaire général, Antonio Guterres, 67 ans. Il a été Premier ministre portugais socialiste entre 1995 et 2002. Il fut aussi Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés pendant dix ans de 2005 à 2015.
Il succédera, pour un mandat de cinq ans, à l'actuel secrétaire général de l’ONU, le sud-coréen Ban Ki-Moon, lorsque ce dernier quittera son poste le 31 décembre.
Ce changement de responsable de l'ONU est attendu : beaucoup d'observateurs espèrent qu’il donnera plus d’impulsion à la fonction. Certes, le chef de l'ONU a des capacités d'action limitées et celle-ci dépend des décisions des États Membres. Pour autant, les qualités individuelles de l'individu peuvent être déterminantes pour redynamiser la maison et offrir un nouveau souffle à l’ONU, qui en a bien besoin.
Le plus important défi rencontré par les Nations unies aujourd'hui est bien évident l'aggravation de conflits non résolus, spécialement au Moyen-Orient avec la guerre en Syrie et ses 250 000 morts en cinq ans, et le pourrissement du conflit israélo-palestinien. Les attentes sont donc déjà fortes pour que M. Guterres reprenne l'initiative sur ces grandes crises actuelles (on peut y ajouter le Yémen ou le Soudan du Sud).
Il a donc très normalement annoncé que la recherche d'une diplomatie en faveur de la paix, sera l'une des premières priorités de son mandat et a également mis en garde contre le danger de l'impact de ces conflits sur la sécurité mondiale.
Il s'est dit également prêt à œuvrer pour un rapprochement entre la Russie et les États-Unis, qu’il considère comme les deux principaux pays du monde à l’heure actuelle.
Il faut rappeler que si l’ONU n’empêche évidemment pas la totalité des guerres, il convient aussi de prendre en compte l’ensemble de son action : d’une part, par ses institutions spécialisées (de l’Organisation mondiale de la santé au Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés) ; d’autre part, par son travail de prévention et de "facilitateur de contacts".
L’ONU, en tant que telle, n’est pas responsable des profondes divisions de la communauté internationale. Elle n’en est pas la cause, mais le simple reflet.
Le deuxième grand chantier auquel devra s'atteler M. Guterres sera la complète mise en oeuvre et la réussite de l’Agenda 2030 pour le développement durable, très ambitieux. Quinze ans après la signature des Objectifs de développement pour le millénaire, l’ONU a enregistré des succès humanitaires : dans les années 1990, 50 % de la planète vivait avec moins de 1,25 dollar par jour. La proportion est de 14 % en 2015. L'enjeu est donc de franchir un nouveau cap dans le développement d'ici 2030.
Les cinq ans à venir seront aussi décisifs dans la mise en oeuvre de «l’accord de Paris» signé lors du sommet sur le climat de la COP21.
Forte de ses 193 Etats membres, l’ONU reste le lieu privilégié du multilatéralisme qui permet la rencontre, même dans les moments d'extrême tension, des adversaires politiques : russes et américains discutant sur l'Iran ou l'Ukraine, Iran et Arabie saoudite s’asseyant à la même table des négociations pour engager un dialogue sur l’avenir politique de la Syrie.
C’est cela le principe même de la diplomatie onusienne : encourager une discussion permanente entre les États, quel que soit leur régime.
Mais, pour que l'ONU reste ce lieu indispensable de la diplomatie, elle devra sans doute aussi accepter de se réformer. Le futur secrétaire général de l'organisation pourra-t-il "booster" ce processus ? On lui prête un tempérament plus fougueux que son prédécesseur, l'avenir tranchera.
Dans une série d'articles à venir (conflits, désarmement, inégalités et développement), nous reviendrons sur ces enjeux du futur mandat de M. Guteres.
Il succédera, pour un mandat de cinq ans, à l'actuel secrétaire général de l’ONU, le sud-coréen Ban Ki-Moon, lorsque ce dernier quittera son poste le 31 décembre.
Ce changement de responsable de l'ONU est attendu : beaucoup d'observateurs espèrent qu’il donnera plus d’impulsion à la fonction. Certes, le chef de l'ONU a des capacités d'action limitées et celle-ci dépend des décisions des États Membres. Pour autant, les qualités individuelles de l'individu peuvent être déterminantes pour redynamiser la maison et offrir un nouveau souffle à l’ONU, qui en a bien besoin.
Le plus important défi rencontré par les Nations unies aujourd'hui est bien évident l'aggravation de conflits non résolus, spécialement au Moyen-Orient avec la guerre en Syrie et ses 250 000 morts en cinq ans, et le pourrissement du conflit israélo-palestinien. Les attentes sont donc déjà fortes pour que M. Guterres reprenne l'initiative sur ces grandes crises actuelles (on peut y ajouter le Yémen ou le Soudan du Sud).
Il a donc très normalement annoncé que la recherche d'une diplomatie en faveur de la paix, sera l'une des premières priorités de son mandat et a également mis en garde contre le danger de l'impact de ces conflits sur la sécurité mondiale.
Il s'est dit également prêt à œuvrer pour un rapprochement entre la Russie et les États-Unis, qu’il considère comme les deux principaux pays du monde à l’heure actuelle.
Il faut rappeler que si l’ONU n’empêche évidemment pas la totalité des guerres, il convient aussi de prendre en compte l’ensemble de son action : d’une part, par ses institutions spécialisées (de l’Organisation mondiale de la santé au Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés) ; d’autre part, par son travail de prévention et de "facilitateur de contacts".
L’ONU, en tant que telle, n’est pas responsable des profondes divisions de la communauté internationale. Elle n’en est pas la cause, mais le simple reflet.
Le deuxième grand chantier auquel devra s'atteler M. Guterres sera la complète mise en oeuvre et la réussite de l’Agenda 2030 pour le développement durable, très ambitieux. Quinze ans après la signature des Objectifs de développement pour le millénaire, l’ONU a enregistré des succès humanitaires : dans les années 1990, 50 % de la planète vivait avec moins de 1,25 dollar par jour. La proportion est de 14 % en 2015. L'enjeu est donc de franchir un nouveau cap dans le développement d'ici 2030.
Les cinq ans à venir seront aussi décisifs dans la mise en oeuvre de «l’accord de Paris» signé lors du sommet sur le climat de la COP21.
Forte de ses 193 Etats membres, l’ONU reste le lieu privilégié du multilatéralisme qui permet la rencontre, même dans les moments d'extrême tension, des adversaires politiques : russes et américains discutant sur l'Iran ou l'Ukraine, Iran et Arabie saoudite s’asseyant à la même table des négociations pour engager un dialogue sur l’avenir politique de la Syrie.
C’est cela le principe même de la diplomatie onusienne : encourager une discussion permanente entre les États, quel que soit leur régime.
Mais, pour que l'ONU reste ce lieu indispensable de la diplomatie, elle devra sans doute aussi accepter de se réformer. Le futur secrétaire général de l'organisation pourra-t-il "booster" ce processus ? On lui prête un tempérament plus fougueux que son prédécesseur, l'avenir tranchera.
Dans une série d'articles à venir (conflits, désarmement, inégalités et développement), nous reviendrons sur ces enjeux du futur mandat de M. Guteres.
mardi 8 mars 2016
Boutros Boutros-Ghali : ONU, du passé à l'avenir.
Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) de 1992 à 1996 est décédé le 16 février dernier.
Ce diplomate égyptien a été le premier secrétaire de l'Organisation, confronté pleinement à la nouvelle situation créée par la fin de la guerre froide.
Il a du faire face aux nouveaux conflits intra-étatiques en ex-Yougoslavie, en Somalie, au Moyen-Orient et au Rwanda. Comment donner une nouvelle dimension à la prévention des conflits ? Comment permettre aux Nations unies d'avoir les moyens de maintenir, voire de rétablir, la paix ? Comment empêcher un génocide de se produire ? Comment transformer les Nations unies dans leur fonctionnement pour qu'elles soient en phase avec le monde de la décolonisation et de la mondialisation ?
L'expédition d'un corps de casques bleus en ex-Yougoslavie en 1992 est un échec car les grandes puissances ne donnent pas un mandat assez "robuste" pour que cette force soit efficace. Elle sera remplacée par des forces de l'OTAN sous mandat onusien. Par contre, les dispositifs mis en place pour restaurer la démocratie, consolider la paix, notamment autour des accords de Dayton, vont démontrer la possibilité de trouver des solutions politiques pour sortir des conflits même difficiles. Au Rwanda, l'inertie imposée par les grandes puissances, va conduire à un génocide. Ce sera le successeur de Boutros Ghali, Kofi Annan qui arrivera en 2005 à trouver les formes permettant d'aboutir au concept de "responsabilité de protéger" mais dont l'utilisation concrète reste controversée.
Cette période a été marquée par l'effacement temporaire de la Russie sur le plan international et les velleités des USA de devenir l'hyperpuissance décidant seule de l'avenir du monde. Cette complexité explique que la tâche de Boutros Boutros-Ghali a été difficile et qu'en butte à l'hostilité des USA, il n'a pu être réélu pour un second mandat.
Ses propositions publiées dans "l'Agenda pour la paix" en 1992 ont inspiré pourtant toute la réflexion sur la prévention des conflits, le maintien de la paix.
Il y a avancé le concept de la "Diplomatie préventive". Celle-ci édictait un certain nombre de mesures visant à « apaiser les tensions avant qu’elles ne provoquent un conflit...ou, si le conflit a déjà éclaté, pour agir rapidement afin de le circonscrire et d’en éliminer les causes sous-jacentes ». Dans la foulée de ce travail, en 1997, la Commission Carnegie pour la prévention des conflits meurtriers, recommandait des actions internationales axées sur la prévention opérationnelle directe, qui relève de la diplomatie, et la prévention structurelle qui s’attaque aux causes profondes des conflits.
En septembre 2000, le Rapport Brahimi adopté lors du Sommet du Millénaire proposait trois mesures pour l’action préventive : collaborer avec tous les acteurs du développement, systématiser l'envoi de missions de prospection et de détection pour désamorcer les tensions, créer un Secrétariat à l’information et à l’analyse stratégique (SIAS), lequel n’a jamais vu le jour. Aujourd'hui, plus de 100 000 forces onusiennes de maintien de la paix sont déployées dans 16 différentes missions !
À l'occasion du décès de Boutros Boutros-Ghali, on mesure aujourd'hui combien il est nécessaire de réfléchir aux propositions de celui-ci sur la primauté de la diplomatie préventive : les crises syrienne, ukrainienne et libyenne en sont un criant exemple.
Concernant la réforme de l'Organisation des Nations unies, il estimait en 2004 dans un article donné à la revue "Pouvoirs" que "L’ONU est restée inchangée dans ses structures et ses modes de fonctionnement depuis cinquante ans, alors qu’on assistait, dans le même temps, à la fin de la Guerre froide et à une redistribution des pouvoirs au sein de la famille des nations sur fond de mondialisation. Une réforme drastique s’impose". Pour lui, "Les principaux obstacles auxquels elle se heurte sont avant tout liés à la fracture Nord-Sud. Les États riches ont tendance à considérer l’ONU comme le prolongement de leur politique étrangère".
Il estimait que "l’on a souvent tendance à réduire à une réforme du Conseil de sécurité, alors qu’il faudrait, dans le même temps, envisager la réforme des opérations de maintien de la paix, de la bureaucratie onusienne et du rôle de l’ONU en matière de développement économique et social".
Aujourd'hui, ce besoin de réformes est tout aussi grand même s'il a du mal à s'exprimer.
La réforme de la composition du Conseil de sécurité est souhaitée par plusieurs groupes de pays. Le Groupe des 4 (G4), composé du Brésil, de l’Allemagne, de l’Inde et du Japon souhaite la création de nouveaux sièges de membres, proposant un Conseil composé de 25 membres, dont 6 nouveaux membres permanents (les 4 membres du G4 et 2 pays africains) et de 4 non-permanents.
Le Groupe "Uni pour le consensus” qui réunit, parmi d’autres, l’Italie, l’Argentine, le Pakistan, le Mexique, soutient un élargissement dans la catégorie des membres non-permanents et/ou la création d’une nouvelle catégorie de membres semi-permanents.
L’Union Africaine demande pour l’Afrique 2 nouveaux sièges permanents avec droit de veto et 2 sièges non-permanents.
La France s'est concentrée sur une campagne pour l'encadrement et l'auto-limitation de l’usage du droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité en cas d’atrocités de masse.
Le groupe de pays ACT (Accountability, Coherence, Transparency), coordonné actuellement par la Suisse, milite pour améliorer le fonctionnement du Conseil de sécurité, par exemple, plus de transparence dans l'élection du futur remplaçant de Ban Ki-moon.
La crise économique de 2008, les conflits sanglants en Syrie ou en Afrique, les exodes de population, la menace terroriste, ont mis apparemment sous l'éteignoir depuis 2010, les réflexions plus ambitieuses sur la réforme de l'ONU.
Il faut certes garder enfin constamment à l’esprit que, selon la Charte, toute révision requiert l’accord de deux tiers des membres de l’Assemblée générale et des cinq membres permanents. De même, il faut voir qu'aucun grand dossier international ne peut progresser sans lier de façon forte les membres permanents du Conseil de sécurité, qui, dans le cas contraire, se réfugieraient encore davantage dans l'unilatéralisme.
Toute réforme ou évolution forte des Nations unies est-elle alors impossible dans un futur proche ?
Non, car voyons bien que, comme le faisait remarquer le chercheur Bertrand Badie en 2007, le poids d'un certain nombre de contraintes extérieures peut obliger tout le monde à avancer. On peut citer le caractère plus diffus et peu gérable de certaines menaces, comme les réseaux terroristes, qui obligent à "se serrer les coudes". Le poids sans cesse plus lourd des biens communs de l'humanité (lutte contre le réchauffement climatique, préservation de l'eau) amène de plus en plus à une responsabilité collective (voir les débats complexes autour de la Cop21). Le pression d'une opinion publique, de plus en plus consciente de sa globalité et des enjeux de sécurité collective, devient de plus en plus visible, notamment au travers des réseaux sociaux, des moyens d'information. Enfin, un des derniers facteurs d'évolution réside dans le fait que les États ne sont plus seuls dans le jeu international : il y a prolifération des acteurs non étatiques qui s'intéressent de plus en plus aux Nations unies et contribuent à son renforcement.
Il y a, à l'évidence, des opportunités pour promouvoir une réforme réalisable, malgré les nombreux obstacles, même si ce n'est pas une construction parfaite, reflet d’une "humanité idéale".
Ce diplomate égyptien a été le premier secrétaire de l'Organisation, confronté pleinement à la nouvelle situation créée par la fin de la guerre froide.
Il a du faire face aux nouveaux conflits intra-étatiques en ex-Yougoslavie, en Somalie, au Moyen-Orient et au Rwanda. Comment donner une nouvelle dimension à la prévention des conflits ? Comment permettre aux Nations unies d'avoir les moyens de maintenir, voire de rétablir, la paix ? Comment empêcher un génocide de se produire ? Comment transformer les Nations unies dans leur fonctionnement pour qu'elles soient en phase avec le monde de la décolonisation et de la mondialisation ?
L'expédition d'un corps de casques bleus en ex-Yougoslavie en 1992 est un échec car les grandes puissances ne donnent pas un mandat assez "robuste" pour que cette force soit efficace. Elle sera remplacée par des forces de l'OTAN sous mandat onusien. Par contre, les dispositifs mis en place pour restaurer la démocratie, consolider la paix, notamment autour des accords de Dayton, vont démontrer la possibilité de trouver des solutions politiques pour sortir des conflits même difficiles. Au Rwanda, l'inertie imposée par les grandes puissances, va conduire à un génocide. Ce sera le successeur de Boutros Ghali, Kofi Annan qui arrivera en 2005 à trouver les formes permettant d'aboutir au concept de "responsabilité de protéger" mais dont l'utilisation concrète reste controversée.
Cette période a été marquée par l'effacement temporaire de la Russie sur le plan international et les velleités des USA de devenir l'hyperpuissance décidant seule de l'avenir du monde. Cette complexité explique que la tâche de Boutros Boutros-Ghali a été difficile et qu'en butte à l'hostilité des USA, il n'a pu être réélu pour un second mandat.
Ses propositions publiées dans "l'Agenda pour la paix" en 1992 ont inspiré pourtant toute la réflexion sur la prévention des conflits, le maintien de la paix.
Il y a avancé le concept de la "Diplomatie préventive". Celle-ci édictait un certain nombre de mesures visant à « apaiser les tensions avant qu’elles ne provoquent un conflit...ou, si le conflit a déjà éclaté, pour agir rapidement afin de le circonscrire et d’en éliminer les causes sous-jacentes ». Dans la foulée de ce travail, en 1997, la Commission Carnegie pour la prévention des conflits meurtriers, recommandait des actions internationales axées sur la prévention opérationnelle directe, qui relève de la diplomatie, et la prévention structurelle qui s’attaque aux causes profondes des conflits.
En septembre 2000, le Rapport Brahimi adopté lors du Sommet du Millénaire proposait trois mesures pour l’action préventive : collaborer avec tous les acteurs du développement, systématiser l'envoi de missions de prospection et de détection pour désamorcer les tensions, créer un Secrétariat à l’information et à l’analyse stratégique (SIAS), lequel n’a jamais vu le jour. Aujourd'hui, plus de 100 000 forces onusiennes de maintien de la paix sont déployées dans 16 différentes missions !
À l'occasion du décès de Boutros Boutros-Ghali, on mesure aujourd'hui combien il est nécessaire de réfléchir aux propositions de celui-ci sur la primauté de la diplomatie préventive : les crises syrienne, ukrainienne et libyenne en sont un criant exemple.
Concernant la réforme de l'Organisation des Nations unies, il estimait en 2004 dans un article donné à la revue "Pouvoirs" que "L’ONU est restée inchangée dans ses structures et ses modes de fonctionnement depuis cinquante ans, alors qu’on assistait, dans le même temps, à la fin de la Guerre froide et à une redistribution des pouvoirs au sein de la famille des nations sur fond de mondialisation. Une réforme drastique s’impose". Pour lui, "Les principaux obstacles auxquels elle se heurte sont avant tout liés à la fracture Nord-Sud. Les États riches ont tendance à considérer l’ONU comme le prolongement de leur politique étrangère".
Il estimait que "l’on a souvent tendance à réduire à une réforme du Conseil de sécurité, alors qu’il faudrait, dans le même temps, envisager la réforme des opérations de maintien de la paix, de la bureaucratie onusienne et du rôle de l’ONU en matière de développement économique et social".
Aujourd'hui, ce besoin de réformes est tout aussi grand même s'il a du mal à s'exprimer.
La réforme de la composition du Conseil de sécurité est souhaitée par plusieurs groupes de pays. Le Groupe des 4 (G4), composé du Brésil, de l’Allemagne, de l’Inde et du Japon souhaite la création de nouveaux sièges de membres, proposant un Conseil composé de 25 membres, dont 6 nouveaux membres permanents (les 4 membres du G4 et 2 pays africains) et de 4 non-permanents.
Le Groupe "Uni pour le consensus” qui réunit, parmi d’autres, l’Italie, l’Argentine, le Pakistan, le Mexique, soutient un élargissement dans la catégorie des membres non-permanents et/ou la création d’une nouvelle catégorie de membres semi-permanents.
L’Union Africaine demande pour l’Afrique 2 nouveaux sièges permanents avec droit de veto et 2 sièges non-permanents.
La France s'est concentrée sur une campagne pour l'encadrement et l'auto-limitation de l’usage du droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité en cas d’atrocités de masse.
Le groupe de pays ACT (Accountability, Coherence, Transparency), coordonné actuellement par la Suisse, milite pour améliorer le fonctionnement du Conseil de sécurité, par exemple, plus de transparence dans l'élection du futur remplaçant de Ban Ki-moon.
La crise économique de 2008, les conflits sanglants en Syrie ou en Afrique, les exodes de population, la menace terroriste, ont mis apparemment sous l'éteignoir depuis 2010, les réflexions plus ambitieuses sur la réforme de l'ONU.
Il faut certes garder enfin constamment à l’esprit que, selon la Charte, toute révision requiert l’accord de deux tiers des membres de l’Assemblée générale et des cinq membres permanents. De même, il faut voir qu'aucun grand dossier international ne peut progresser sans lier de façon forte les membres permanents du Conseil de sécurité, qui, dans le cas contraire, se réfugieraient encore davantage dans l'unilatéralisme.
Toute réforme ou évolution forte des Nations unies est-elle alors impossible dans un futur proche ?
Non, car voyons bien que, comme le faisait remarquer le chercheur Bertrand Badie en 2007, le poids d'un certain nombre de contraintes extérieures peut obliger tout le monde à avancer. On peut citer le caractère plus diffus et peu gérable de certaines menaces, comme les réseaux terroristes, qui obligent à "se serrer les coudes". Le poids sans cesse plus lourd des biens communs de l'humanité (lutte contre le réchauffement climatique, préservation de l'eau) amène de plus en plus à une responsabilité collective (voir les débats complexes autour de la Cop21). Le pression d'une opinion publique, de plus en plus consciente de sa globalité et des enjeux de sécurité collective, devient de plus en plus visible, notamment au travers des réseaux sociaux, des moyens d'information. Enfin, un des derniers facteurs d'évolution réside dans le fait que les États ne sont plus seuls dans le jeu international : il y a prolifération des acteurs non étatiques qui s'intéressent de plus en plus aux Nations unies et contribuent à son renforcement.
Il y a, à l'évidence, des opportunités pour promouvoir une réforme réalisable, malgré les nombreux obstacles, même si ce n'est pas une construction parfaite, reflet d’une "humanité idéale".
lundi 1 février 2016
Sécurité : vous avez dit sécurité ?
Le mot « sécurité »
est aujourd'hui omniprésent. Dans un colloque organisé le 30
janvier dernier, par le Mouvement de la paix et la CGT, j'ai rappelé
les différentes évolutions du concept dans le siècle dernier, d'un
point de vue d'internationaliste.
Une définition d’abord :
si l’on regarde une encyclopédie ou Wikipedia, on lit que,
psychiquement, la sécurité est « l’état d’esprit
d’une personne qui se sent tranquille et confiante ».
Pour l’individu ou un groupe, c’est « le sentiment (bien
ou mal fondé) d’être à l'abri de tout danger et risque ».
On voit que cette définition
comporte deux facteurs : une appréciation subjective, celle du
degré ou du type de sécurité que l’on souhaite obtenir à un
moment donné et un second facteur plus matériel, le danger ou le
risque contre lequel, on veut être protégé.
Traditionnellement, on a
distingué deux types de sécurité : celle sur le plan
extérieur, international, des relations entre des états et celle
sur le plan intérieur des relations entre des individus dans un
état, ou entre des individus et cet état.
Si on raisonne sous l’angle
des menaces, des dangers :
La sécurité face au danger,
à la menace pour les individus, c’est la protection contre
l’oppression, la liberté de vivre, travailler, faire vivre une
famille, être protégé contre l’arbitraire, violence, voire les
guerres donc vivre en paix et en liberté.
Cette sécurité intérieure
renvoie aux notions d’ordre, de liberté et de justice donc à deux
institutions, la police et la justice.
La sécurité pour des États,
c’est vivre en paix, sans guerre, c'est l’absence de menace
contre son existence et ses valeurs. La paix est donc, dans ce cas,
d'abord, absence de guerre : être protégé d’une guerre,
c'est être en sécurité. Pour un État, la protection de ses
valeurs a renvoyé dans tous les siècles passées à la notion de
force militaire, de défense et d’armée.
Je ne m’étendrai pas sur
les évolutions de la sécurité intérieure, dans l’histoire, pour
un pays comme la France ou pour tous les pays, en général, :
elle a varié suivant les périodes, les systèmes politiques, les
avancées ou les reculs de la démocratie.
Sur le plan de la sécurité
extérieure, les évolutions du concept de sécurité ont été
considérables au cours du dernier siècle.
Schématiquement, jusqu’à
la guerre de 14-18, chaque État assure sa protection, sa sécurité,
seul ou au travers d’alliances avec deux-trois- quatre autres états
contre d’autres.
La grande évolution a lieu en
1945 avec l’adoption de la Charte des Nations unies et la création
de l’ONU. Deux principes majeurs sont posés : tous les
peuples, donc tous les états, font partie de la même communauté
mondiale, la force armée et la guerre sont bannies de leurs
relations. De ce fait, la communauté défend l’un des siens si
elle estime qe la sécurité et la paix internationales sont
menacées. Elle peut même employer la force armée : c'est le
fondement du chapitre 7 de la Charte des Nations unies. C'est le
principe d'une sécurité collective qui est posé.
La deuxième grande évolution
a lieu après la fin de la guerre froide. On se rend compte que la
paix, la sécurité internationale, peuvent être affectées par de
nouveaux défis ou nouvelles menaces. On va parler de sécurité
environnementale, sociétale, économique…
Cette évolution est très
bien reflétée par le rapport remis en 2005 par le Secrétaire
général de l’ONU, Kofi Annan : intitulé « Dans une
liberté plus grande », et qui dit en préambule : « Il
n’y a pas de sécurité sans développement, il n’y a pas de
développement sans sécurité, et il ne peut y avoir ni sécurité,
ni développement si les droits de l’homme ne sont pas respectés. »
La sécurité doit donc être
collective, mais aussi globale.
La dernière évolution du
concept a lieu dans la première décennie du XXIe siècle avec un
nouveau questionnement : peut-il y avoir une sécurité globale
planétaire sans que les humains en tant qu’individus ne soient
eux-mêmes en sécurité, c’est-à-dire sans qu’ils ne soient
tous capables de vivre à l’abri de la peur (« free of
fear »), de la menace mais aussi en étant capables de vivre
leur émancipation, de réaliser leurs potentialités. C’est ainsi
que se développe le nouveau concept de sécurité humaine. C’est
dans ce contexte que sera adopté par le Conseil de sécurité la
notion du « devoir de protéger » des populations contre
une menace de génocide, tant extérieure que intérieure.
Une autre évolution majeure
se produit dans cette même décennie.
L’apparition du danger
terroriste avec l’attentat contre les Twin towers en 2001, le
développement du réseau Ben Laden, puis Daesh, pose un problème
nouveau : ce sont des entités non-étatiques les adversaires,
mais qui utilisent des moyens qui peuvent être assimilés à des
moyens militaires.
Aux États-Unis dès 2001,
avec le Patriot Act, en France, dès 2008 avec la LPM, puis plus
tard, avec la loi sur le Renseignement, est avancée l’idée de
fusion de la sécurité intérieure et de la sécurité extérieure
dans le concept de « sécurité nationale ». Y sont
intégrées la lutte contre le terrorisme mais aussi la lutte contre
la cyberguerre qui, elle-aussi, n’est pas le fait forcément
d'entités étatiques, mais qui peut avoir des buts militaires :
destructions d'équipement, de communications.
Quelles conséquences ?
Le concept de sécurité nationale va mêler ce qui était distinct
auparavant : la Défense et l’Intérieur. Des organismes de
coopération sont mis en place.
Cela remet en cause la place
du contrôle des procédures par la justice . On sait bien que
la garantie individuelle des citoyens pèse peu en temps de guerre.
C’est dans l’évolution de
ce contexte qui ne date pas de novembre dernier qu’il faut placer
la réflexion sur la sécurité aujourd’hui.
Deux ou trois réflexions pour
finir à propos de la « sécurité absolue » et des
enjeux de « sécurisation sociale ».
Il y a un débat récurrent et
démagogique : peut-on assurer une sécurité absolue, totale, à
100 % : je réponds NON et non. La seule sécurité absolue,
c’est la destruction totale de l'autre. Sauf que c'est pratiquement
impossible et que le but, c'est d'être en sécurité et de vivre en
paix. Or, si votre relation avec l'autre, les autres, a été
d'essayer de les détruire, vous n'arriverez jamais à vivre ensemble
un jour, et à construire ensemble la paix. C'est ce qui avait amené
le philosophe Kant, à poser ce postulat : la seule sécurité,
c'est de créer la confiance entre les acteurs pour construire la
paix. Donc la préoccupation première est de réfléchir, non
seulement à sa propre sécurité, mais aussi et surtout à quoi
faire pour que l'autre soit en confiance, donc à quoi faire pour
qu'il se sente en sécurité.
C’est cela l’assise
théorique du primat de la négociation politique pour résoudre un
conflit : créer les conditions de la confiance entre les
acteurs, donc penser prioritairement à la sécurité de l’autre.
Dans la lutte contre Daesh,
évidemment, le problème est plus complexe. Nous sommes devant des
criminels donc la justice doit être impitoyable, pour les mettre
hors d'état de nuire, pour que les populations victimes puissent
retrouver un jour la paix, la sécurité et la confiance. En effet,
la lutte contre Daesh doit être menée pour isoler la poignée de
criminels de ceux qui gravitent autour (populations sous influences,
pays et acteurs de la région, jeunes tentés par la radicalisation),
afin qu’ils acceptent de ne pas soutenir Daesh et d'aider à une
construction politique, basée sur les négociations et la
reconstruction.
Dans ce rétablissement de la
confiance pour tous les acteurs au Moyen-Orient, figure la
reconnaissance de l’État de Palestine et la sécurité de la
population d’Israël, la création d'une zone exempte d'armes de
destruction massive, dans la foulée de l'accord sur le nucléaire
iranien.
Le mot voisin de sécurité
est « sécurisation » : un concept qui implique une
action volontaire, pour qu'un objectif soit en sécurité. Cela peut
être un enjeu de politique internationale, économique, purement
militaire mais, aujourd'hui, ce terme est employé aussi dans la vie
sociale : sécurisation des parcours professionnels, des
parcours de formation.
Toute sécurisation, pour
réussir, doit faire du but choisi un enjeu de sécurité, reconnu
comme fondamental, auprès de l'opinion publique.
Mais, voyons bien qu'en terme
de vocabulaire, le concept de sécurité renvoie une perception
positive, rassurante mais qui peut avoir un double effet pervers :
- soit, il permet de justifier
n'importe quelle mesure, y compris au détriment d'une autre valeur
essentielle : c'est le cas de l'opposition état d'urgence et
libertés démocratiques.
- soit, il peut produire un
forme d'attentisme, celle où l'on revendique une protection
individuelle, égoïste, sans se préoccuper des causes qui
produisent cette insécurité, donc sans agir pour des changements du
contexte.
En France, où existe, jusqu'à
présent, un maillage de protection sociale, un filet de sécurité,
comment faire bouger les citoyens pour ne pas se contenter de
défendre la sécurité sociale, mais d'agir sur les prix des
médicaments et les agissements des laboratoires pharmaceutiques ?
Si l'on parle de sécurisation
des parcours professionnels de la formation et de l'emploi, comment
faire agir, non seulement sur l'amélioration de l'indemnisation du
chômage, mais aussi pour la modification du contexte économique :
contre la financiarisation, la concurrence entre travailleurs à
l'échelle européenne et mondiale ?
Si l'on parle de sécurité
humaine, règlement politique des conflits, comment faire agir pour
donner des moyens aux Nations unies pour des moyens efficaces
d'alerte et de prévention des crises, par exemple, sans se contenter
des expéditions de rétablissement de l'ordre et de la sécurité, a
posteriori ?
Nous devons ainsi avoir
l'exigence de refuser la démagogie : non, la sécurité
absolue, celle qui isole et repousse les autres, n'existe pas.
Il n'y a pas de recette
miracle de sécurité mais un ensemble complexe de sécurisation par
le renforcement du droit social, et du droit international, mais en
même temps par le développement d'actions pour modifier les
rapports de force sociaux et les environnements stratégiques,
politiques, économiques dans lesquels nous construirons une sécurité
participative, ouverte et en mouvement
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lundi 25 janvier 2016
État d’urgence : savoir raison garder
J’écrivais, fin
novembre dernier, sur mon blog, que « la prolongation de l’état
d’urgence pour trois mois, n’apporte pas de plus grande
efficacité dans la lutte anti-terroriste. (...) que la prolongation
de l’état d'urgence vise plus à permettre à l'exécutif de
prendre une posture sécuritaire devant l'opinion, lui permettant de
conforter son image. (...) La lutte contre le terrorisme doit être
sévère mais, (...) elle doit reposer sur le droit et les valeurs
démocratiques mêmes, que les assassins ont voulu détruire ».
Deux mois après,
les réactions internationales, les réactions dans de nombreux
secteurs de l'opinion en France vont dans le sens d'une critique de
la durée excessive de l'état d'urgence et de ses dispositions
dangereuses. Au niveau international, cinq rapporteurs des Nations
unies spécialisés dans les droits de l'Homme, ont estimé, mardi 19
janvier, que l'état d'urgence en vigueur en France depuis les
attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis, ainsi que la loi
sur la surveillance des communications électroniques « imposent
des restrictions excessives et disproportionnées sur les libertés
fondamentales ». Ils appellent les autorités françaises à ne
pas prolonger l'état d'urgence au-delà du 26 février, terme fixé
par la loi adoptée après le 13 novembre. Ils ajoutent que :
« Garantir une protection adéquate contre les abus lors du
recours à des mesures d'exception et des mesures de surveillance
dans le cadre de la lutte contre le terrorisme relève des
obligations internationales de l'État français ».
Au niveau européen,
le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Nils
Muižnieks, a vu des « dérives » dans l’état
d’urgence en France, et un « risque » pour la
démocratie. Dans le cadre de l’état d'urgence, les forces de
l'ordre ont procédé à des milliers de perquisitions mais selon
l'expert européen, « seule une poignée d'entre elles auraient
donné lieu à des procédures liées à des actes terroristes »,
ce qui pose « la question de la nécessité de ces mesures ».
Ces critiques
internationales sont parmi les plus médiatisées mais, à Bruxelles,
un nombre grandissant d’hommes politiques pensent qu’il est
impossible de continuer à critiquer les dérives autoritaires du
gouvernement hongrois de Viktor Orbán ou d’ouvrir une enquête sur
les atteintes à l’État de droit en Pologne tout en ignorant ce
qui se passe en France, où le juge judiciaire est délibérément
contourné. Les pays de l’Est pourraient à bon droit estimer qu’il
y a bien deux poids deux mesures.
Comme l’a fait
remarquer le journaliste Jean Quatremer, dans Libération du 24
janvier dernier, « ni l’Espagne ni le Royaume-Uni, eux aussi
confrontés il y a dix ans au terrorisme islamiste de masse, pas plus
que les pays européens qui ont eu à souffrir des exactions de
groupes armés, n’ont adopté l’équivalent de l’état
d’urgence ».
Certes, ces
remarques, venues des arènes internationales, peuvent être
repoussées dédaigneusement au nom de la « souveraineté
nationale », tout comme la diplomatie française le faisait
lors du vote des résolutions onusiennes condamnant la Guerre
d’Algérie.
Mais les conclusions
fournies le 13 janvier 2016 par le Président de la commission des
Lois de l’Assemblée Nationale doivent faire réfléchir.
Elles montrent que
la moitié environ des perquisitions administratives, la majorité
des assignations à résidence ont été conduites dans les deux
premières semaines de l’état d’urgence.
Cela signifie que,
si la promulgation initiale de l’état d’urgence pour douze jours
pouvait se justifier, le temps d’apprécier la nature du danger et
l’ampleur des mesures à prendre pour y faire face, il n’y avait
pas besoin de le prolonger, en tout cas, pas pour une durée
excessive de trois mois. C’est une des raisons qui ont poussé la
LDH (Ligue des droits de l’homme) à déposer un référé
demandant la suspension de l'état d'urgence auprès du Conseil
d'État.
Le ministre de
l’intérieur n’a pas apporté de preuves concrètes convaincantes
montrant qu’on n’aurait pas pu obtenir des résultats semblables
au bout de deux mois sans recourir à l’état d’urgence.
Certaines dérives
se sont produites dans plusieurs départements : assignation à
résidence de plusieurs dizaines de militants écologistes,
interdiction de la circulation aux abords d’une route empruntée
par les migrants du camp de Calais, etc...
Dans une société
démocratique et un État de droit, toute restriction des libertés
doit être strictement nécessaire à la protection de l’ordre
public, proportionnée aux troubles qu’elle entend empêcher et
accompagnée de contrôles : celui du gouvernement par la
représentation nationale et celui des autorités administratives et
policières par des juridictions dotées de pouvoirs effectifs.
Or, l’état
d’urgence qui écarte le juge judiciaire du contrôle des
opérations de police, permet de suspendre les droits fondamentaux.
Qu’en sera-t-il du projet de réforme constitutionnelle prévoyant un
état d’urgence permanent ?
Cela ne
signifierait-il pas que l’état d’urgence deviendrait un état de
droit commun ?
Une telle
modification de la constitution serait dangereuse : il n’est pas
sain d’habituer les citoyens d’un pays à vivre dans un état
d’urgence prolongé, dans lequel les opérations de police se
substituent progressivement au pouvoir judiciaire. Dans cette
situation, « il faut s’attendre à une dégradation rapide et
irréversible des institutions publiques », rappelait le
philosophe Giogio Agamben dans le Monde du 23/12/2015.
On a beaucoup parlé
d’esprit de responsabilité en cette période. L’irresponsabilité
politique consisterait à vouloir garantir la démocratie en la
fragilisant. L’esprit de responsabilité consiste, à l'inverse, à
répondre au terrorisme dans la justice et la préservation des
libertés : la lutte n'en sera pas moins efficace. Cela correspond
aux engagements internationaux de la France et au maintien de la
crédibilité de son image de "pays des droits de l'homme".
samedi 16 janvier 2016
Guerre et paix en 2016 et dans les prochaines décennies ?
Il y a cent ans, à Verdun, 300 000 soldats français et allemands sont morts entre février et décembre 1916. Certes, comme l'a rappelé le président Hollande dans ses voeux aux armées, à Saint-Cyr Coëtquidan, le 14 janvier dernier, "nous sommes aujourd’hui dans une autre époque avec des conflits d’une toute autre configuration". Pour autant, la réflexion sur la guerre aujourd'hui, celle sur les voies d'une paix durable, mais plus juste, restent plus que jamais d'actualité. Mais elles se posent de manière renouvelée, en ce début d'année 2016.
Le mot "guerre" est omniprésent. La notion de guerre, sa réalité, sa possibilité sont questionnées sous plusieurs angles : on parle de guerre économique, guerre commerciale et aujourd'hui, guerre au terrorisme. "Nous sommes en guerre" dit Manuel Valls, Pour Nicolas Sarkozy, "le monde est entré dans la «troisième guerre mondiale».
Comme je l'écrivais sur ce blog, le 16 novembre dernier, le mot de "guerre" est à utiliser avec précaution car il entraîne tout un schéma culturel et politique lourd de conséquences.
Le président Obama dans son dernier discours sur "l'état de l'Union" a "recadré" avec justesse certaines notions : "Des masses de combattants à l'arrière de pick-ups et des esprits torturés complotant dans des appartements ou des garages posent un énorme danger pour les civils et doivent être arrêtés. Mais ils ne représentent pas une menace existentielle pour notre Nation".
C'est avec lucidité que doivent être prises des mesures concrètes et efficaces contre les agissements terroristes : des mesures policières renforcées mais sans diminuer le contrôle judiciaire. Des mesures inefficaces sur le plan policier, uniquement symboliques voire démagogiques comme la déchéance de nationalité, doivent être écartées. Attention à ne pas affaiblir la démocratie dans des modifications constitutionnelles aventureuses sous prétexte de la défendre ! Attention à ne pas fournir peut-être demain des leviers politiques supplémentaires à des ennemis de la démocratie et de la République, s'ils arrivaient au pouvoir en 2017 ou après !
Le débat nécessaire sur la "guerre aujourd'hui" n'est pas seulement un débat de concept. Des combats et des affrontements armés sont intenses en Afrique, au Moyen-Orient. Leurs caractéristiques sont d'être menés au nom de la démocratie, de la protection des peuples et de la défense de la communauté internationale. Sont-ils de nouvelles formes de guerre ou des opérations de "police internationale" ?
Ne faut-il pas avoir un questionnement sur une forme de retour des politiques interventionnistes ou de force sur la scène internationale ? Mali, Libye, Syrie, ces trois crises font référence à la protection des populations, au maintien ou au rétablissement de la démocratie. Elles ont été toutes trois abordées, à un certain stade, dans le cadre multilatéral du Conseil de sécurité de l'ONU. Malgré cela, se posent à des degrés divers dans les trois situations, le risque d'instrumentalisation du droit international et des résolutions de l'ONU, ou la dissimulation de vieilles démarches de recherche de domination économique ou stratégiques par des grandes puissances...
La non-résolution de plusieurs crises régionales amène à s'interroger sur le risque de reformation d'un terreau favorable à une nouvelle guerre entre états même si la création des Nations unies et de leur Charte, il y a 70 ans, a globalement fait disparaître ces guerres inter-étatiques. La crise ukrainienne, avec le raidissement politique de la Russie et le prosélytisme économique, politique, militaire de l'Union européenne et de l'OTAN n'a-t-elle pas recréé une situation malsaine au coeur de l'Europe ? Au Moyen-Orient, cela ne rend-il pas plus urgent le règlement de la question toujours pendante de l'indépendance de la Palestine et de sa cohabitation pacifique avec l'état d'Israël ?
S'il faut s'interroger sur la "guerre aujourd'hui", il me paraît encore plus impératif de travailler sur des approches originales de la construction des "voies de la paix" en cette année nouvelle. Est-ce que le système multilatéral en vigueur, c'est-à-dire les résolutions du Conseil de sécurité, les opérations de maintien de la paix, sont suffisamment efficaces ? Quelle réforme est nécessaire au sein du système onusien pour donner plus de place aux pays émergents et à la société civile ? Comment réévaluer la place des différents acteurs (états, société civile, institutions internationales) dans la résolution des conflits ?
L'afflux incontrôlé de réfugiés ou de migrants en Europe, fuyant les combats en Syrie, chassés par la famine et la misère en Éthiopie, repose de manière nouvelle les relations économiques et politiques entre les pays développés et de nombreuses régions en Afrique, au Moyen-Orient, dans une perspective de justice mais aussi de construction d'une paix durable. Or, paradoxalement, l'aide publique au développement rebaisse depuis la crise économique de 2008, les nouveaux "objectifs post-millénaire" de l'ONU tardent à se déployer pleinement. Quelque soit le poids de la crise économique, il est impensable de rester dans cette situation.
La tenue de la Conférence de la COP21 à Paris, en décembre, a globalement été analysée comme un succès politique au-delà des objectifs et engagements qui sont restés modestes. Ce succès a reposé sur deux éléments : pour la première fois, un problème de dimension planétaire a été pris en compte unanimement par l'ensemble des 195 États de la Terre ; deuxièmement, l'engagement citoyen sur un problème d'un si haut enjeu politique a été considérable sur le terrain et sur les réseaux de communication modernes.
Ne faut-il pas réfléchir à la manière dont ce type de sillon peut être ouvert également pour obtenir des régulations économiques plus justes pour tous les citoyens dans tous les pays du monde ?
Un point d'appui nouveau est fourni par le développement rapide, sur tous les continents, des nouvelles techniques de communication (télévision, internet, réseaux sociaux) qui favorisent une participation citoyenne active, dans les relations internationales.
Les "voies de la paix" doivent ainsi emprunter des chemins nouveaux. Ils s'ajoutent, sans les remplacer, aux chantiers de la démilitarisation des relations internationales, de la mise en oeuvre du nouveau traité sur le commerce des armes, de l'aboutissement urgent d'un traité visant l'élimination des dernières armes de destruction massive, non encore interdites : les armes nucléaires.
L'année 2015 éprouvante que nous venons de vivre appelle à aborder 2016, avec encore plus d'énergie et de créativité, pour prendre en compte les nouvelles problématiques de la guerre et de la paix, sous peine de laisser renaître quelques monstres hideux des entrailles de notre humanité.
Le mot "guerre" est omniprésent. La notion de guerre, sa réalité, sa possibilité sont questionnées sous plusieurs angles : on parle de guerre économique, guerre commerciale et aujourd'hui, guerre au terrorisme. "Nous sommes en guerre" dit Manuel Valls, Pour Nicolas Sarkozy, "le monde est entré dans la «troisième guerre mondiale».
Comme je l'écrivais sur ce blog, le 16 novembre dernier, le mot de "guerre" est à utiliser avec précaution car il entraîne tout un schéma culturel et politique lourd de conséquences.
Le président Obama dans son dernier discours sur "l'état de l'Union" a "recadré" avec justesse certaines notions : "Des masses de combattants à l'arrière de pick-ups et des esprits torturés complotant dans des appartements ou des garages posent un énorme danger pour les civils et doivent être arrêtés. Mais ils ne représentent pas une menace existentielle pour notre Nation".
C'est avec lucidité que doivent être prises des mesures concrètes et efficaces contre les agissements terroristes : des mesures policières renforcées mais sans diminuer le contrôle judiciaire. Des mesures inefficaces sur le plan policier, uniquement symboliques voire démagogiques comme la déchéance de nationalité, doivent être écartées. Attention à ne pas affaiblir la démocratie dans des modifications constitutionnelles aventureuses sous prétexte de la défendre ! Attention à ne pas fournir peut-être demain des leviers politiques supplémentaires à des ennemis de la démocratie et de la République, s'ils arrivaient au pouvoir en 2017 ou après !
Le débat nécessaire sur la "guerre aujourd'hui" n'est pas seulement un débat de concept. Des combats et des affrontements armés sont intenses en Afrique, au Moyen-Orient. Leurs caractéristiques sont d'être menés au nom de la démocratie, de la protection des peuples et de la défense de la communauté internationale. Sont-ils de nouvelles formes de guerre ou des opérations de "police internationale" ?
Ne faut-il pas avoir un questionnement sur une forme de retour des politiques interventionnistes ou de force sur la scène internationale ? Mali, Libye, Syrie, ces trois crises font référence à la protection des populations, au maintien ou au rétablissement de la démocratie. Elles ont été toutes trois abordées, à un certain stade, dans le cadre multilatéral du Conseil de sécurité de l'ONU. Malgré cela, se posent à des degrés divers dans les trois situations, le risque d'instrumentalisation du droit international et des résolutions de l'ONU, ou la dissimulation de vieilles démarches de recherche de domination économique ou stratégiques par des grandes puissances...
La non-résolution de plusieurs crises régionales amène à s'interroger sur le risque de reformation d'un terreau favorable à une nouvelle guerre entre états même si la création des Nations unies et de leur Charte, il y a 70 ans, a globalement fait disparaître ces guerres inter-étatiques. La crise ukrainienne, avec le raidissement politique de la Russie et le prosélytisme économique, politique, militaire de l'Union européenne et de l'OTAN n'a-t-elle pas recréé une situation malsaine au coeur de l'Europe ? Au Moyen-Orient, cela ne rend-il pas plus urgent le règlement de la question toujours pendante de l'indépendance de la Palestine et de sa cohabitation pacifique avec l'état d'Israël ?
S'il faut s'interroger sur la "guerre aujourd'hui", il me paraît encore plus impératif de travailler sur des approches originales de la construction des "voies de la paix" en cette année nouvelle. Est-ce que le système multilatéral en vigueur, c'est-à-dire les résolutions du Conseil de sécurité, les opérations de maintien de la paix, sont suffisamment efficaces ? Quelle réforme est nécessaire au sein du système onusien pour donner plus de place aux pays émergents et à la société civile ? Comment réévaluer la place des différents acteurs (états, société civile, institutions internationales) dans la résolution des conflits ?
L'afflux incontrôlé de réfugiés ou de migrants en Europe, fuyant les combats en Syrie, chassés par la famine et la misère en Éthiopie, repose de manière nouvelle les relations économiques et politiques entre les pays développés et de nombreuses régions en Afrique, au Moyen-Orient, dans une perspective de justice mais aussi de construction d'une paix durable. Or, paradoxalement, l'aide publique au développement rebaisse depuis la crise économique de 2008, les nouveaux "objectifs post-millénaire" de l'ONU tardent à se déployer pleinement. Quelque soit le poids de la crise économique, il est impensable de rester dans cette situation.
La tenue de la Conférence de la COP21 à Paris, en décembre, a globalement été analysée comme un succès politique au-delà des objectifs et engagements qui sont restés modestes. Ce succès a reposé sur deux éléments : pour la première fois, un problème de dimension planétaire a été pris en compte unanimement par l'ensemble des 195 États de la Terre ; deuxièmement, l'engagement citoyen sur un problème d'un si haut enjeu politique a été considérable sur le terrain et sur les réseaux de communication modernes.
Ne faut-il pas réfléchir à la manière dont ce type de sillon peut être ouvert également pour obtenir des régulations économiques plus justes pour tous les citoyens dans tous les pays du monde ?
Un point d'appui nouveau est fourni par le développement rapide, sur tous les continents, des nouvelles techniques de communication (télévision, internet, réseaux sociaux) qui favorisent une participation citoyenne active, dans les relations internationales.
Les "voies de la paix" doivent ainsi emprunter des chemins nouveaux. Ils s'ajoutent, sans les remplacer, aux chantiers de la démilitarisation des relations internationales, de la mise en oeuvre du nouveau traité sur le commerce des armes, de l'aboutissement urgent d'un traité visant l'élimination des dernières armes de destruction massive, non encore interdites : les armes nucléaires.
L'année 2015 éprouvante que nous venons de vivre appelle à aborder 2016, avec encore plus d'énergie et de créativité, pour prendre en compte les nouvelles problématiques de la guerre et de la paix, sous peine de laisser renaître quelques monstres hideux des entrailles de notre humanité.
dimanche 10 janvier 2016
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