Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) de 1992 à 1996 est décédé le 16 février dernier.
Ce diplomate égyptien a été le premier secrétaire de l'Organisation, confronté pleinement à la nouvelle situation créée par la fin de la guerre froide.
Il a du faire face aux nouveaux conflits intra-étatiques en ex-Yougoslavie, en Somalie, au Moyen-Orient et au Rwanda. Comment donner une nouvelle dimension à la prévention des conflits ? Comment permettre aux Nations unies d'avoir les moyens de maintenir, voire de rétablir, la paix ? Comment empêcher un génocide de se produire ? Comment transformer les Nations unies dans leur fonctionnement pour qu'elles soient en phase avec le monde de la décolonisation et de la mondialisation ?
L'expédition d'un corps de casques bleus en ex-Yougoslavie en 1992 est un échec car les grandes puissances ne donnent pas un mandat assez "robuste" pour que cette force soit efficace. Elle sera remplacée par des forces de l'OTAN sous mandat onusien. Par contre, les dispositifs mis en place pour restaurer la démocratie, consolider la paix, notamment autour des accords de Dayton, vont démontrer la possibilité de trouver des solutions politiques pour sortir des conflits même difficiles. Au Rwanda, l'inertie imposée par les grandes puissances, va conduire à un génocide. Ce sera le successeur de Boutros Ghali, Kofi Annan qui arrivera en 2005 à trouver les formes permettant d'aboutir au concept de "responsabilité de protéger" mais dont l'utilisation concrète reste controversée.
Cette période a été marquée par l'effacement temporaire de la Russie sur le plan international et les velleités des USA de devenir l'hyperpuissance décidant seule de l'avenir du monde. Cette complexité explique que la tâche de Boutros Boutros-Ghali a été difficile et qu'en butte à l'hostilité des USA, il n'a pu être réélu pour un second mandat.
Ses propositions publiées dans "l'Agenda pour la paix" en 1992 ont inspiré pourtant toute la réflexion sur la prévention des conflits, le maintien de la paix.
Il y a avancé le concept de la "Diplomatie préventive". Celle-ci édictait un certain nombre de mesures visant à « apaiser les tensions avant qu’elles ne provoquent un conflit...ou, si le conflit a déjà éclaté, pour agir rapidement afin de le circonscrire et d’en éliminer les causes sous-jacentes ». Dans la foulée de ce travail, en 1997, la Commission Carnegie pour la prévention des conflits meurtriers, recommandait des actions internationales axées sur la prévention opérationnelle directe, qui relève de la diplomatie, et la prévention structurelle qui s’attaque aux causes profondes des conflits.
En septembre 2000, le Rapport Brahimi adopté lors du Sommet du Millénaire proposait trois mesures pour l’action préventive : collaborer avec tous les acteurs du développement, systématiser l'envoi de missions de prospection et de détection pour désamorcer les tensions, créer un Secrétariat à l’information et à l’analyse stratégique (SIAS), lequel n’a jamais vu le jour. Aujourd'hui, plus de 100 000 forces onusiennes de maintien de la paix sont déployées dans 16 différentes missions !
À l'occasion du décès de Boutros Boutros-Ghali, on mesure aujourd'hui combien il est nécessaire de réfléchir aux propositions de celui-ci sur la primauté de la diplomatie préventive : les crises syrienne, ukrainienne et libyenne en sont un criant exemple.
Concernant la réforme de l'Organisation des Nations unies, il estimait en 2004 dans un article donné à la revue "Pouvoirs" que "L’ONU est restée inchangée dans ses structures et ses modes de fonctionnement depuis cinquante ans, alors qu’on assistait, dans le même temps, à la fin de la Guerre froide et à une redistribution des pouvoirs au sein de la famille des nations sur fond de mondialisation. Une réforme drastique s’impose". Pour lui, "Les principaux obstacles auxquels elle se heurte sont avant tout liés à la fracture Nord-Sud. Les États riches ont tendance à considérer l’ONU comme le prolongement de leur politique étrangère".
Il estimait que "l’on a souvent tendance à réduire à une réforme du Conseil de sécurité, alors qu’il faudrait, dans le même temps, envisager la réforme des opérations de maintien de la paix, de la bureaucratie onusienne et du rôle de l’ONU en matière de développement économique et social".
Aujourd'hui, ce besoin de réformes est tout aussi grand même s'il a du mal à s'exprimer.
La réforme de la composition du Conseil de sécurité est souhaitée par plusieurs groupes de pays. Le Groupe des 4 (G4), composé du Brésil, de l’Allemagne, de l’Inde et du Japon souhaite la création de nouveaux sièges de membres, proposant un Conseil composé de 25 membres, dont 6 nouveaux membres permanents (les 4 membres du G4 et 2 pays africains) et de 4 non-permanents.
Le Groupe "Uni pour le consensus” qui réunit, parmi d’autres, l’Italie, l’Argentine, le Pakistan, le Mexique, soutient un élargissement dans la catégorie des membres non-permanents et/ou la création d’une nouvelle catégorie de membres semi-permanents.
L’Union Africaine demande pour l’Afrique 2 nouveaux sièges permanents avec droit de veto et 2 sièges non-permanents.
La France s'est concentrée sur une campagne pour l'encadrement et l'auto-limitation de l’usage du droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité en cas d’atrocités de masse.
Le groupe de pays ACT (Accountability, Coherence, Transparency), coordonné actuellement par la Suisse, milite pour améliorer le fonctionnement du Conseil de sécurité, par exemple, plus de transparence dans l'élection du futur remplaçant de Ban Ki-moon.
La crise économique de 2008, les conflits sanglants en Syrie ou en Afrique, les exodes de population, la menace terroriste, ont mis apparemment sous l'éteignoir depuis 2010, les réflexions plus ambitieuses sur la réforme de l'ONU.
Il faut certes garder enfin constamment à l’esprit que, selon la Charte, toute révision requiert l’accord de deux tiers des membres de l’Assemblée générale et des cinq membres permanents. De même, il faut voir qu'aucun grand dossier international ne peut progresser sans lier de façon forte les membres permanents du Conseil de sécurité, qui, dans le cas contraire, se réfugieraient encore davantage dans l'unilatéralisme.
Toute réforme ou évolution forte des Nations unies est-elle alors impossible dans un futur proche ?
Non, car voyons bien que, comme le faisait remarquer le chercheur Bertrand Badie en 2007, le poids d'un certain nombre de contraintes extérieures peut obliger tout le monde à avancer. On peut citer le caractère plus diffus et peu gérable de certaines menaces, comme les réseaux terroristes, qui obligent à "se serrer les coudes". Le poids sans cesse plus lourd des biens communs de l'humanité (lutte contre le réchauffement climatique, préservation de l'eau) amène de plus en plus à une responsabilité collective (voir les débats complexes autour de la Cop21). Le pression d'une opinion publique, de plus en plus consciente de sa globalité et des enjeux de sécurité collective, devient de plus en plus visible, notamment au travers des réseaux sociaux, des moyens d'information. Enfin, un des derniers facteurs d'évolution réside dans le fait que les États ne sont plus seuls dans le jeu international : il y a prolifération des acteurs non étatiques qui s'intéressent de plus en plus aux Nations unies et contribuent à son renforcement.
Il y a, à l'évidence, des opportunités pour promouvoir une réforme réalisable, malgré les nombreux obstacles, même si ce n'est pas une construction parfaite, reflet d’une "humanité idéale".
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