lundi 30 novembre 2015

70 ans de Charte et d'Organisation des Nations unies...

Les dramatiques événements du 13 novembre à Paris ne m'ont pas permis de traiter comme prévu le 70e anniversaire de l'événement majeur qu'a constitué le 24 octobre 1945 la signature à San Francisco, à l'issue de quatre années de préparations, de la Charte créant l'Organisation des Nations unies.
Cette Charte est signée par les délégués de 50 pays (plus la Pologne) qui représentaient alors environ 80 % de la population du globe.
Son but est clair puisqu'elle débute ainsi :
"Nous, peuples des nations unies, résolus à [...]
avons décidé d'associer nos efforts pour réaliser ces desseins,
En conséquence, nos gouvernements respectifs, [...]
ont adopté la présente Charte des Nations Unies et établissent par les présentes une organisation internationale qui prendra le nom de Nations Unies
".
La définition des buts communs de l'association des pays du monde et la création de l'organisation chargée de les mettre en oeuvre sont inextricablement liés dès le départ.
Il faut noter, malgré tout, que la Guerre froide se développant à partir de 1947, l'Organisation va refléter les affrontements et débats du monde. Ainsi, l'Union soviétique dirigée par Staline a vite estimé que son camp ne détenait pas la majorité des voix à l'Organisation des Nations unies, ni à l'Assemblée générale, ni au Conseil de sécurité. L'URSS a donc été très méfiante vis à vis de l'organisation : elle a  tenté de bloquer le fonctionnement de l'institution par la politique de "la chaise vide" au Conseil de sécurité. Cette attitude se retourna à son détriment puisqu'en son absence, le Conseil de sécurité décida d'envoyer des troupes sous le drapeau de l'ONU pour s'opposer à l'invasion chinoise en Corée en 1950. Progressivement, l'URSS améliora ses rapports avec les différents échelons onusiens au fur et à mesure des progrès de la "coexistence pacifique", mais les juristes soviétiques ainsi que les juristes proches du courant communiste international, développèrent à cette époque une argumentation visant à ne valoriser que la seule Charte et ses principes généraux, en minorant toute la partie institutionnelle, à qui était relégué un simple rôle exécutoire.
Cette INTERPRÉTATION sous-estime, à mon avis, l'interaction qui exista et existe en permanence entre l'action autonome des structures, Assemblée générale, Conseil de sécurité, agences diverses qui en produisant de l'action, pèsent sur le contexte d'application des textes de référence, leur interprétation.
On a bien vu que la fin de la Guerre froide, la multiplication des conflits inter-étatiques (comme en ex-Yougoslavie), le besoin de trouver des solutions concrètes pour stopper ces conflits, ont pesé sur l'interprétation des articles 7 et 39 de la Charte et ont abouti à un élargissement considérable de la notion de "menace contre la paix".
À compter de 1992, le Conseil de sécurité a qualifié de plus en plus de situations de "menaces contre la paix". Comme le fait remarquer le juriste Kerstin Odendhal (1) : "Non seulement les conflits armés (internationaux ou internes), mais encore d'autres situations qui mettent en danger certaines valeurs internationales (comme les droits fondamentaux ou la sécurité) peuvent - dans certaines circonstances - constituer une menace contre la paix. En plus, autant des situations concrètes (un acte isolé) que des phénomènes en général (le terrorisme international, la criminalité transnationale organisée) figurent parmi les cas qui peuvent être qualifiés de menaces contre la paix". Cette évolution de l'interprétation (sans modification formelle du texte de la Charte) a été le support du montage des nombreuses missions de maintien ou consolidation de la paix des "Casques bleus" (110 000 hommes dans le monde aujourd'hui).
Enfin, le poids des hommes, par exemple le dynamisme et le charisme de certains secrétaires généraux de l'ONU, ont poussé parfois les États à évoluer dans leurs positions, même si les textes eux-mêmes ne bougeaient pas : voir le rôle de Kofi Annan pour redéclancher une dynamique collective des États après la crise de l'intervention US en Irak en 2003 et aboutir à la définition du concept de "la responsabilité de protéger".
Mais, si l'on dépasse ce débat sur le rôle respectif de la Charte et de l'Organisation des Nations unies, on peut affirmer que ce 24 octobre 1945 a été un événement considérable dans l'histoire de l'humanité car la Charte adoptée et les mesures prises reposent sur deux principes novateurs et extraordinaires : tous les peuples de la planète composent une communauté globale, la force et la guerre doivent être bannies de leurs relations.
La notion de communauté planétaire est définie par cette expression : "Nous, peuples des Nations unies", "We, the people"... De cette expression découlent toutes les notions qui irriguent le dernier demi-siècle jusqu'à aujourd'hui. On ne se préoccuperait pas du réchauffement climatique aujourd'hui si nous n'avions pas le sentiment de faire partie d'une communauté mondiale de destins !
En même temps, une ambiguïté fondamentale se constituait. Le "nous les peuples" était, en fait, dès le début "nous les États" ou "nous, les gouvernements (expression des États)" et la marche de l'organisation continue de dépendre d'abord, il ne faut jamais l'oublier, des rapports de force entre États. Or ceux-ci depuis des siècles ont été marqués par des rapports exclusifs de puissance, politique, économique, commerciale et militaire. Militaire avec les capacités d'aujourd'hui : nucléaire, espace... Ne perdons donc pas de vue cet obstacle majeur !
Le "que fait l'ONU ?" est donc d'abord un "que font les États, que fait mon gouvernement ?"
Deux principes ou objectifs donc en 1945 : créer une communauté mondiale, "préserver les générations futures du fléau de la guerre".
Le premier objectif a donc été atteint pleinement puisqu'aujourd'hui, ce sont 193 états qui siègent à l'Assemblée générale des Nations unies. Comment le deuxième objectif a-t-il été rempli ? Il faut reconnaître que, alors qu’il n'y avait eu que 20 ans entre les deux premières guerres mondiales, le monde n'a plus connu de conflit généralisé depuis 70 ans, et les guerres inter-étatiques ont quasiment disparu : la guerre des USA contre l'Irak en 2003 n'en est apparue que plus choquante. Le cadre onusien a été essentiel pour maintenir le dialogue entre adversaires notamment pendant la Guerre froide (rester sous le "même toit").
Cela ne signifie pas que les armes se sont tues : des conflits sanglants demeurent, soit par des interventions avec ou sans mandat de l'ONU au nom de la lutte anti-terroriste (Syrie, Mali notamment), soit dans des conflits infra-étatiques (Congo, par ex), soit dans des occupations (Israël/Palestine, Maroc/Sahara occidental).
Mais constatation essentielle : c'est l'existence des Nations unies et de ses différentes enceintes qui a permis le développement d'un maillage de sécurité collective et de droit international avec la multiplication des traités de désarmement.
Aujourd'hui encore, on voit bien que c'est par le retour dans l'enceinte de l'ONU, l'action unie de tous les pays de la région avec les grandes puissances que les solutions efficaces peuvent être trouvées pour isoler et éliminer les assassins de Daesh, trouver une issue politique à la crise syrienne.
70 ans après leur création, l'élaboration d'une Charte d'engagement commune et la création conjointe de l'organisation des Nations unies ont été une innovation humaine mondiale considérable.Elles ont permis pour la première fois, la coexistence et la collaboration de tous les États de la terre, l'émergence et le développement des droits humains, le début d'une prise de conscience du "village global".
Le nouveau paradoxe est que, objectivement, la mondialisation économique, informationnelle appelle des réponses globales, donc demande "plus d'ONU". Pourtant, la place des Nations unis est toujours contestée, notamment par les grandes puissances, au nom de l'efficacité et celles-ci favorisent de multiples manières le "contournement" de l'ONU.
Cette place est parfois sous-estimée par ceux qui en ont le plus besoin : les moins-puissants, les citoyens et les ONG. Donc, même si ce sont les États qui sont responsables des inégalités et des conflits, le risque est, qu'aux yeux des populations, cela devienne l'échec de l'ONU. Les attentes envers les Nations unies grandissent mais aussi les frustrations.
Quelles réponses à ces frustrations ?
Le premier enjeu est celui d'intervenir sur la question de la nature du règlement des crises et conflits : continue-t-on à privilégier les solutions militaires ou d'abord, prioritairement, les solutions politiques ? Force ou politique, c'est certainement le débat qui rebondit aujourd'hui dans le monde,
Le deuxième enjeu est celui de l'évolution des institutions, voire de la réforme de l'institution. De nombreuses personnes dans le monde pensent que les Nations unies doivent changer, se réformer pour tenir compte des évolutions du monde : place grandissante des ONG, des élus nationaux et locaux, extension de la démocratie. J'aborderai cette question de la réforme dans un prochain article.
(1) "La notion de menace contre la paix selon l'article 39 de la Charte des Nations unies, la pratique du Conseil de sécurité",
in "70 ans des nations unies : quel rôle dans le monde actuel ?"

mercredi 25 novembre 2015

Hommage aux victimes du terrorisme

En ce jour d'hommage aux victimes du terrorisme, nous défendons des valeurs qui sont, non seulement des valeurs de notre pays, mais celles de notre communauté humaine et d'une culture de paix à promouvoir.


Attentats : agir unis et légalement...

Dix jours après la sanglante journée du 13 novembre, nous éprouvons encore une certaine "gueule de bois", écartelés entre nouvelles calamiteuses et petites lueurs d'espoir.
Vendredi dernier 20 novembre, a été adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies la résolution 2249. Cette résolution est importante à plus d'un titre. Ce texte rappelle que  "tous les actes de terrorisme sont criminels et injustifiables, quels qu’en soient les motivations, le moment et les auteurs", ce qui semble nécessaire en ces temps de confusion idéologique. Les terroristes ne sont pas des "victimes" des conflits du Moyen-Orient, ce sont des "bourreaux" qui développent une idéologie barbare de façon autonome ! Les conflits non-résolus, les déstabilisations de régions entières les aident dans leur développement et recrutement mais ils restent pleinement responsables de leurs actes.
La résolution adoptée l'a été sur proposition de la France, mais avec un amendement russe important qui la resitue dans le cadre de la Charte des nations unies "Réaffirmant son respect pour la souveraineté, l’intégrité territoriale, l’indépendance et l’unité de tous les États". Ce cadrage implique que l'action des États contre le terrorisme ne peut pas (plus) avoir pour but le renversement de Bachar al Assad.
Cette résolution appelle à une action unie des pays afin "de coordonner leur action en vue de prévenir et de mettre un terme aux actes de terrorisme commis en particulier par l’EIIL, également connu sous le nom de Daech, ainsi que par le Front el-Nosra".  Cette nécessité de l'action unie implique que soit mis fin aux réticences ou préalables mis par exemple par la coalition pour travailler avec la Russie ou l'Iran, voire avec les troupes du gouvernement syrien pour se concentrer sur la lutte contre le terrorisme. Cela a été rendu possible notamment par l'inflexion de la politique française qui a du abandonner officiellement sa rhétorique très critiquée de mise sur le même plan de Daesh et de Assad pour déclarer que la destruction de Daesh était la seule priorité en Syrie.
Enfin cette déclaration appelle à une action unie des pays pour "empêcher et éliminer le financement du terrorisme". Même si cette référence n'est pas assez explicite, nous touchons là à un point capital.
En effet, les actions militaires contre ce groupement d'assassins ne permettront pas à elles-seules de l'éliminer. Elles font de nombreuses victimes civiles et ne l'isolent pas du reste de l'opinion musulmane, au contraire presque.
Peut-on accepter plus longtemps que des centaines de camions chargés de pétrole passent chaque jour la frontière turque pour revendre celui-ci au marché noir européen ? Peut-on accepter que Daech pille les richesses naturelles irakiennes et syriennes et finance ainsi ses achats d'armes, souvent lors de circuits qui passent par l'Arabie saoudite et le Quatar ? Les pays de la coalition n'ont pas mené sur ce plan jusqu'à présent une action résolue, au niveau nécessaire, pour asphyxier Daech, l'étrangler sur le plan économique et financier. Ce manque d'engagement repose sur des raisons diverses : intérêts stratégiques et économiques divergents, volonté de ménager des états par ailleurs clients de nos marchés industriels, bref pour des raisons peu avouables. Il semble urgent qu'un tournant soit pris. C'est de la responsabilité des pouvoirs politiques, mais aussi des opinions. Ne faudrait-il pas plus de pressions publiques, de déclarations, de délégations pour exiger plus de fermeté des dirigeants français, européens, américains, russes, turcs ? Si certains pays continuent de manifester de la mauvaise volonté à durcir le blocus, ne faut-il pas aller jusqu'à les menacer d'un moratoire sur les coopérations économiques avec l'UE ? L'OTAN pourra-t-elle accepter qu'un de ses membres n'accepte pas d'appliquer les résolutions du Conseil de sécurité ? L'abattage d'un avion militaire russe par la Turquie est préoccupant : cela signifie que ce pays ne voit pas d'un bon oeil le renforcement de la lutte contre Daech, que sa priorité reste la lutte contre les Kurdes. Or, un engagement plus clair de la Turquie est la clé de l'étranglement économique et financier de Daech.
On peut dire qu'après le vote de la résolution 2249 par le conseil de sécurité, un cadre international plus conforme au droit se met en place, il faut le rendre efficace. Il montre que les solutions tout-militaire ne peuvent régler à elles-seules le problème du terrorisme, si on ne s'attaque pas à l'environnement économique et financier. En même temps, le terrorisme se nourrit et instrumentalise les conflits non-résolus, notamment au Moyen-Orient. Il est donc nécessaire de ne pas oublier, de ne pas laisser de côté, même temporairement, les efforts pour une issue positive à la création et reconnaissance d'un état palestinien. Il est tout autant nécessaire d'avancer plus vite dans la foulée des décisions de la dernière Assemblée générale des Nations unies qui a lancé le "Programme pour le développement durable 2030" pour aller vers l'éradication de la pauvreté dans le monde, l'amélioration de l'éducation,du développement de tous les pays.
Garder lucidité et sang-froid pour mettre en oeuvre des politiques globales devrait nous inspirer dans les décisions intérieures françaises.
La prolongation de l'état d'urgence pour trois mois, n'apporte pas de plus grande efficacité dans la lutte anti-terroriste. il n'y avait pas besoin de l'état d'urgence pour créer les postes de policiers, de douaniers annoncés par le président Hollande. L'argument des perquisitions et enquêtes facilitées par l'état d'urgence fait sourire. On peut estimer que la prolongation de l'état d'urgence vise plus à permettre à l'exécutif de prendre une posture sécuritaire devant l'opinion, lui permettant de conforter son image. Beaucoup de spécialistes reconnaissent que plusieurs dispositions de l'état d'urgence adoptées sont anticonstitutionnelles, comme l'a admis à demi-mots le premier ministre lui-même. Nous sommes dans la situation ubuesque où, demain, si un avocat d'un prévenu soulève la question de la constitutionnalité de ces dispositions, la décision du Parlement risque d'être retoquée par le Conseil constitutionnel et les procédures engagées annulées !
Le fait que seulement six députés (trois écologistes et trois socialistes) aient voté contre, qu'au Sénat, aucun élu ne se soit opposé, seulement douze sénateurs (une écologiste et onze membres du groupe communiste et républicain) ne se soient pas associés à ce vote, ne pose-t-il pas question ? Ne faut-il pas réfléchir à cette remarque du député Noël Mamère déclarant : "Nous devons prouver que nous sommes capables de réagir à ces infamies par des dispositifs respectueux des libertés fondamentales, par un état de droit fort qui ne distribue pas à la police et à l'exécutif des pouvoirs normalement dévolues à la Justice."
Comment sortir de cette situation délétère ?
Ne faut-il pas dès maintenant demander qu'un bilan intermédiaire des effets et conséquences de l'état d'urgence soit établi à mi-parcours des trois mois de l'état d'urgence, c'est-à-dire avant la fin de l'année ? La lutte contre le terrorisme doit être sévère mais, pour être comprise au delà de l'émotion immédiate, elle doit reposer sur le droit et les valeurs démocratiques mêmes que les assassins ont voulu détruire.

lundi 16 novembre 2015

Attentats de Paris : le temps de la réflexion.


Après le temps de l'émotion, de l'horreur et de la compassion, vient le temps de la réflexion...
Comment punir les coupables et faire le maximum pour éviter de nouvelles tragédies ?
Alors que les réactions les plus hâtives et les plus démagogiques se multiplient, il importe, plus que jamais, de garder sang-froid et lucidité.
"Nous sommes en guerre"... ce terme est employé avec beaucoup de légèreté : ne validons pas nous-mêmes, n'accordons pas nous-mêmes une sorte de légitimité "par défaut" à l'existence d'une super-entité terroriste alors que nous avons d'abord à faire face à une bande d'assassins et de crapules extrémistes. Le mot de "guerre" est à utiliser avec précaution car il entraîne tout un schéma culturel et politique lourd de conséquences : qui dit "guerre" dit "chef de guerre" et personnalisation extrême du pouvoir, qui dit "guerre" dit propos bellicistes et vocabulaire guerrier à la Déroulède, qui dit "guerre" dit mise en cause des libertés publiques. L'état d'urgence proclamé est-il nécessaire alors que l'arsenal juridique actuel, s'il est appliqué sérieusement, suffit pour mener une lutte sans merci contre ces criminels ? La prolongation de cet état d'urgence serait malsaine pour la vie démocratique, en témoigne cette semaine la suspension des mouvements sociaux prévus. Dans cette ambiance, certaines propositions d'hommes politiques font même frémir : créer des Guantanamo à la française en internant les 4500 personnes suspectées, sans être accusées de délit quelconque, de sympathies djihadistes, assigner à résidence et mettre des bracelets électroniques au fichier élargi de 11000 personnes, y compris ceux inscrits à la suite d'une simple dénonciation téléphonique ? Le basculement vers un autre type de société française serait en marche.
L'action légale peut être tout aussi impitoyable et efficace si elle s'exerce avec détermination : elle est la seule permettant de garder notre communauté nationale soudée.
Elle ne s'exerce pas forcément par la guerre mais par l'action politique, juridique, policière et de renseignement. Notre but est de traduire les criminels devant la justice française, la Cour pénale internationale si nécessaire pour les mettre définitivement hors d'état de nuire.
Cela suppose d'être clair dans l'analyse des causes des événements actuels. Il est essentiel de ne pas laisser penser que le terrorisme est le simple résultat des crises ou guerres au Moyen-Orient et des politiques menées par les occidentaux. Une telle schématisation, même si elle satisfait des rancoeurs politiques présentes ("c'est de la faute à Hollande") est très illusoire, même dangereuse. Elle peut mener à une démarche intellectuelle qui "excuserait" de facto, voire comprendrait, les actes terroristes, où les assassins, de bourreaux, deviendraient quelque part "victimes".
Voyons bien que le terrorisme salafiste, l'intégrisme islamique existait avant les années 2010 (voir les sanglants attentats du FIS en Algérie des années 1990, ceux de la Jamaa Islamiya en Égypte dans la même période). Il y a un développement autonome du terrorisme islamiste : celui-ci existerait sans les conflits actuels. Mais ce qui est vrai, c'est que les politiques menées par les États-Unies, les puissances occidentales dont la France, depuis 20 ans, ont créé un terrain favorable dans il profite et se nourrit. L'enjeu est donc, tout à la fois, de modifier ces politiques ET de poursuivre Daesh impitoyablement pour l'isoler et le couper de ses soutiens. Cela passe donc par un retour à la légalité internationale et la coopération élargie entre tous les pays de la région : la coalition internationale anti-Daesh doit intégrer la Russie et l'Iran et avoir un mandat clair du Conseil de sécurité, les initiatives de conférence internationale doivent elles-aussi intégrer tous les acteurs régionaux, y compris, sous des formes adaptées, des représentants du gouvernement syrien actuel et déboucher sur un ensemble de mesures politiques sur l'avenir de la Syrie et sur des mesures de protection des réfugiés.
Ma dernière réflexion concerne ceux qui veulent ranimer un faux débat (débat des "experts" d'Europe 1 le 15 novembre) en faisant porter la responsabilité de la situation à un esprit "pacifiste", qui serait propre aux milieux intellectuels et à la gauche, responsable des faiblesses de la répression.
Or, ce qui est évident, depuis quinze ans, au travers des crises internationales non-réglées en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, c'est l'échec
de l'emploi de la force brute et du non-respect de la légalité internationale
.
Sur le plan de la justice, les politiques étatsuniennes de non-légalité : bases de Guantanamo, bases de tortures en Irak, exécutions sommaires ciblées par commandos, par bombardements ou par drones, ont révélé leur échec, accru les haines et ressentiments.
Pire, ces méthodes utilisées par des démocraties ont miné la légitimité même de ces démocraties car combattre le terrorisme, les extrémismes, avec les mêmes méthodes, c'est se tirer "une balle dans le pied" et "perdre son âme". C'est donc être moins fort pour combattre les assassins.
Cela doit faire réfléchir en France sur certaines envolées dites "patriotiques" : ces valeurs humaines universelles en jeu, sont le bien commun de la France, mais aussi, aujourd'hui, de la plus grande partie de l'humanité sur notre planète.
Ce n'est donc pas seulement un drapeau national qui est à défendre, mais celui de la communauté humaine planétaire.
Ce n'est pas un hasard si tous les progrès en matière de droits humains depuis vingt ans l'ont été lors de grands échanges et rencontres internationales (sur les femmes, l'environnement, l'économie, le droit des enfants) dans le cadre des Nations unies. Développement humain, sécurité humaine, culture de paix, sont autant de valeurs globales et humaines. Nous devons être fiers de ces avancées de la communauté humaine et être prêts à faire le maximum pour les défendre dans le respect des libertés.
Les meilleurs défenseurs et combattants contre le terrorisme sont donc ceux qui luttent sans relâche pour la paix dans le monde, pour régler dans la justice, les conflits non-résolus, notamment au Moyen-Orient, pour avancer plus vite dans l'éradication de la pauvreté dans le monde, l'amélioration de l'éducation,du développement de tous les pays comme nous y invitent le "Programme pour le développement durable 2030" adopté par les Nations unies. Oui, appliquons une justice sans faiblesse et travaillons à renforcer la communauté humaine, à développer une culture de paix mondiale, en cette année du 70e anniversaire de la Charte et de l'Organisation des Nations unies.
C'est cet engagement sans faille qui donne  aux noms de pacifistes ou d'internationalistes, leur si grande noblesse.

dimanche 15 novembre 2015

Attentats de Paris de novembre 2013

Je suis bouleversé : mes premières pensées vont aux malheureuses victimes et à leurs proches. Mon deuxième sentiment est l'horreur, le dégoût et l'indignation contre ceux qui ont commis, préparé et planifié ces actes odieux. Aucune cause ne peut, aujourd'hui, justifier le terrorisme aveugle et l'assassinat de civils innocents. La condamnation doit être unanime et sans restriction aucune. Les mesures nécessaires doivent être prises pour démanteler les réseaux terroristes et protéger la population, en évitant toute mesure hâtive et toute restriction aux libertés publiques.
Il faut isoler le terrorisme et ses agents partout dans le monde, en réglant dans la justice, les conflits non-résolus, notamment au Moyen-Orient, conflits dont ils profitent et se nourrissent. Il faut aussi avancer plus vite pour éradiquer la pauvreté dans le monde, améliorer l'éducation, améliorer le développement de tous les pays comme nous y invitent le "Programme pour le développement durable 2030" adopté par les Nations unies. Plus que jamais, il faut travailler à renforcer la communauté humaine, à développer une culture de paix mondiale, en cette année du 70e anniversaire de la Charte et de l'Organisation des Nations unies.
« Peace for Paris » par Jean JullienVectorized by Paris 16. — Poignant Eiffel Tower Peace Symbol Goes Viral in Wake of Paris Terrorist Attacks, TIME.. Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons - https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Peace_for_Paris.svg#/media/File:Peace_for_Paris.svg

dimanche 8 novembre 2015

Sécurité et protection par la dissuasion ou la prévention ? (II) : abandonner les vieux mythes.

Dans le précédent article, j'évoquais les timides ouvertures du débat sur la "dissuasion nucléaire" en France en 2015 au travers de plusieurs colloques. Le dernier en date, fin octobre, organisé par "Démocratie" et "Participation et progrès" semblait plus ouvert en posant la question ainsi : "Quelle dissuasion en l'absence d'arme nucléaire ?".
Las, il n'a pas vraiment tenu toutes ses promesses car il a révélé une fois de plus la fascination des cercles militaires ou des chercheurs spécialisés pour le mythe de la" dissuasion nucléaire". La majorité des intervenants se sont crus obligés de commencer leurs interventions et de les terminer par une déclaration solennelle d'attachement au dogme nucléaire. On peut regretter qu'à chaque fois, pas ou peu de démonstrations concrètes, de chiffres, d'exemples soient apportés à l'appui de cette thèse de principe.
Le soutien à la "dissuasion nucléaire" semble relever essentiellement du credo politique obligé : comme l'a fait remarquer Paul Quilès, un des rares intervenants à ne pas suivre cette tendance majoritaire, "nous sommes dans le quasi-religieux". De ce fait, peu d'intervenants ont vraiment traité objectivement le thème, "une dissuasion alternative sans l'arme nucléaire existe-t-elle ?" : ils ont traité surtout du "pourquoi, il ne faut pas toucher à l'arme nucléaire", et quand ils ont évoqué une situation non-nucléaire, c'était généralement pour évoquer "l'horreur" absolue : un désarmement unilatéral français que personne ou presque, aujourd'hui en France, ne revendique.
La réflexion autour de l'arme nucléaire dans les milieux dirigeants semble bloquée, verrouillée autour de quelques vieux mythes, notamment ceux de "l'assurance-vie" et celui du "tenir son rang".
Il convient de rappeler que le mythe de "l'assurance-vie", est une escroquerie intellectuelle. Une assurance-vie ne protège pas de la mort les assurés, elle sert à indemniser, à protéger les survivants. C'est bien différent ! Mais, en l'occurrence, en cas de conflit nucléaire, quels survivants resteront pour toucher la prime, qui sera là pour leur verser, et avec quelles ressources économiques dans un pays détruit ?
Les études récentes sur les conséquences humanitaires d'une explosion nucléaire montrent quelle serait l'ampleur des destructions et pointe le fait qu'aucun pays, aucune institution n'est préparé à faire face à une telle catastrophe.
L'idée que la possession de l'arme nucléaire est nécessaire à un pays comme la France pour justifier sa place au Conseil de sécurité des Nations unies, pour "compter" dans les discussions internationales, bref, pour « garder son rang » est une idée à la fois fausse et perverse.
Idée perverse, car s'il était nécessaire de posséder l'arme nucléaire pour faire partie des grandes puissances, des pays comme le Japon, l'Allemagne, le Brésil, l'Égypte, l'Inde ne seraient-ils pas fondés à essayer d'obtenir cette arme si jamais, demain, ils entraient au Conseil de sécurité des Nations unies, comme certaines propositions diplomatiques, soutenues d'ailleurs par la diplomatie française, l'envisagent ?
Idée fausse sur un double plan. Le fait que la France détienne l'arme nucléaire n'a pas empêché qu'elle soit écartée diplomatiquement par les USA et la Russie lors de l'accord sur le nucléaire iranien ou lors de la décision de tenir une conférence élargie sur la Syrie. Deuxièmement, le statut de puissance dans le monde a un contenu plus complexe aujourd'hui, dans lequel le "softpower" est déterminant : l'Allemagne dénucléarisée, mais forte économiquement, joue un rôle international majeur. Le Canada, dans la décennie précédente, joua un rôle politique incontournable sur le plan du désarmement, notamment au moment de la Convention d'interdiction des mines antipersonnel. Si l'Union européenne ne joue pas un rôle politique mondial plus important, ce ne tient pas essentiellement au fait qu'elle n'est pas une puissance militaire et nucléaire, mais au fait qu'elle ne possède pas de buts politiques en matière de politique étrangère commune (ni de volonté et de détermination) suffisamment clairs, autonomes et innovants au service de la communauté internationale.
Il faut revisiter le concept nostalgique de "France, puissance mondiale" : oui, l'image de la France est porteuse de valeurs fortes issues de son histoire, mais être une puissance au rayonnement mondial ne se décrète pas par une posture faussement indépendante et peu efficace. En dehors de l'intervention au Mali (et encore, le débat est ouvert), les interventions militaires françaises en Libye et en Syrie ont eu des résultats peu convaincants. L'action "indépendante" de la France s'est surtout manifestée "en creux" dans plusieurs problèmes : une opposition systématique envers l'Iran et la Russie contre-productive, un postulat de principe anti-Bachar al Assad stérile, une action de torpillage de toute négociation nucléaire (dernier exemple à la réunion de la 1ère commission de l'AG de l'ONU - voir http://www.un.org/press/fr/2015/agdsi3541.doc.htm). Le pouvoir et le rayonnement d'un pays aujourd'hui réside plus dans sa capacité de s'intégrer et d'agir au sein du système multilatéral mondial, de proposer des initiatives rassembleuses permettant des avancées politiques, plus que dans ses seuls attributs militaires et nucléaires. À moins d'estimer que la seule évolution possible sera, non pas celle de l'extension du multilatéralisme et des coopérations internationales, mais celle d'un monde de pôles de puissances, rivalisant entre elles, au risque d'une véritable "der des der" nucléaire. C'est un pari faux et risqué.
Malgré tout, dans ce colloque, des voix dissonantes se sont élevées pour contester le dogme de la "dissuasion nucléaire" notamment celles de l'ancien ministre de la défense, Paul Quilès ou celle du général Norlain. Une analyse intéressante a été donnée également par Pierre Cornesa sur la "fabrication de l'image de l'ennemi" c'est-à-dire l'action politique de certaines grandes puissances (y compris la France) qui créent elle-mêmes, par leur action, l'insécurité (voir Libye), donc génèrent l'incertitude puis, ensuite, justifient la nécessité de la "dissuasion".
Parmi les autres interventions constructives, on peut citer le rappel de la situation en ex-Yougoslavie avec les accords de Dayton et ceux du Kossovo. Une issue positive a pu être trouvée aux affrontements, certes par l'interposition d'une robuste force militaire fournie par l'OTAN, mais sous le mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi par la construction d'une perspective politique et des mesures globales (aide économique, Tribunal pénal spécial, aide à la démocratie, etc..) prises par la communauté internationale et ses institutions (ONU, UE, OSCE).
Peut-on mettre ces opérations au seul crédit d'une "dissuasion conventionnelle" fournie par la présence des troupes internationales, comme l'a un peu réduit à cela le général Perruche, auteur de cette intéressante contribution, ou est-on dans un autre concept que celui de la "dissuasion, celui de la "prévention active et globale", qui relève lui du politique et non plus de la force seule ? L'ensemble de mesures prises alors avaient certes pour but de "dissuader" d'une reprise des combats mais surtout elles étaient accompagnées de mesures qui ne figeaient pas la situation, comme le fait la simple posture de dissuasion classique, mais la faisaient évoluer.
La discussion du colloque n'a pas permis de creuser plus cette réflexion. j'y reviendrai dans le prochain article.