Les dramatiques événements du 13 novembre à Paris ne m'ont pas permis de traiter comme prévu le 70e anniversaire de l'événement majeur qu'a constitué le 24 octobre 1945 la signature à San Francisco, à l'issue de quatre années de préparations, de la Charte créant l'Organisation des Nations unies.
Cette Charte est signée par les délégués de 50 pays (plus la Pologne) qui représentaient alors environ 80 % de la population du globe.
Son but est clair puisqu'elle débute ainsi :
"Nous, peuples des nations unies, résolus à [...]
avons décidé d'associer nos efforts pour réaliser ces desseins,
En conséquence, nos gouvernements respectifs, [...]
ont adopté la présente Charte des Nations Unies et établissent par les présentes une organisation internationale qui prendra le nom de Nations Unies".
La définition des buts communs de l'association des pays du monde et la création de l'organisation chargée de les mettre en oeuvre sont inextricablement liés dès le départ.
Il faut noter, malgré tout, que la Guerre froide se développant à partir de 1947, l'Organisation va refléter les affrontements et débats du monde. Ainsi, l'Union soviétique dirigée par Staline a vite estimé que son camp ne détenait pas la majorité des voix à l'Organisation des Nations unies, ni à l'Assemblée générale, ni au Conseil de sécurité. L'URSS a donc été très méfiante vis à vis de l'organisation : elle a tenté de bloquer le fonctionnement de l'institution par la politique de "la chaise vide" au Conseil de sécurité. Cette attitude se retourna à son détriment puisqu'en son absence, le Conseil de sécurité décida d'envoyer des troupes sous le drapeau de l'ONU pour s'opposer à l'invasion chinoise en Corée en 1950. Progressivement, l'URSS améliora ses rapports avec les différents échelons onusiens au fur et à mesure des progrès de la "coexistence pacifique", mais les juristes soviétiques ainsi que les juristes proches du courant communiste international, développèrent à cette époque une argumentation visant à ne valoriser que la seule Charte et ses principes généraux, en minorant toute la partie institutionnelle, à qui était relégué un simple rôle exécutoire.
Cette INTERPRÉTATION sous-estime, à mon avis, l'interaction qui exista et existe en permanence entre l'action autonome des structures, Assemblée générale, Conseil de sécurité, agences diverses qui en produisant de l'action, pèsent sur le contexte d'application des textes de référence, leur interprétation.
On a bien vu que la fin de la Guerre froide, la multiplication des conflits inter-étatiques (comme en ex-Yougoslavie), le besoin de trouver des solutions concrètes pour stopper ces conflits, ont pesé sur l'interprétation des articles 7 et 39 de la Charte et ont abouti à un élargissement considérable de la notion de "menace contre la paix".
À compter de 1992, le Conseil de sécurité a qualifié de plus en plus de situations de "menaces contre la paix". Comme le fait remarquer le juriste Kerstin Odendhal (1) : "Non seulement les conflits armés (internationaux ou internes), mais encore d'autres situations qui mettent en danger certaines valeurs internationales (comme les droits fondamentaux ou la sécurité) peuvent - dans certaines circonstances - constituer une menace contre la paix. En plus, autant des situations concrètes (un acte isolé) que des phénomènes en général (le terrorisme international, la criminalité transnationale organisée) figurent parmi les cas qui peuvent être qualifiés de menaces contre la paix". Cette évolution de l'interprétation (sans modification formelle du texte de la Charte) a été le support du montage des nombreuses missions de maintien ou consolidation de la paix des "Casques bleus" (110 000 hommes dans le monde aujourd'hui).
Enfin, le poids des hommes, par exemple le dynamisme et le charisme de certains secrétaires généraux de l'ONU, ont poussé parfois les États à évoluer dans leurs positions, même si les textes eux-mêmes ne bougeaient pas : voir le rôle de Kofi Annan pour redéclancher une dynamique collective des États après la crise de l'intervention US en Irak en 2003 et aboutir à la définition du concept de "la responsabilité de protéger".
Mais, si l'on dépasse ce débat sur le rôle respectif de la Charte et de l'Organisation des Nations unies, on peut affirmer que ce 24 octobre 1945 a été un événement considérable dans l'histoire de l'humanité car la Charte adoptée et les mesures prises reposent sur deux principes novateurs et extraordinaires : tous les peuples de la planète composent une communauté globale, la force et la guerre doivent être bannies de leurs relations.
La notion de communauté planétaire est définie par cette expression : "Nous, peuples des Nations unies", "We, the people"... De cette expression découlent toutes les notions qui irriguent le dernier demi-siècle jusqu'à aujourd'hui. On ne se préoccuperait pas du réchauffement climatique aujourd'hui si nous n'avions pas le sentiment de faire partie d'une communauté mondiale de destins !
En même temps, une ambiguïté fondamentale se constituait. Le "nous les peuples" était, en fait, dès le début "nous les États" ou "nous, les gouvernements (expression des États)" et la marche de l'organisation continue de dépendre d'abord, il ne faut jamais l'oublier, des rapports de force entre États. Or ceux-ci depuis des siècles ont été marqués par des rapports exclusifs de puissance, politique, économique, commerciale et militaire. Militaire avec les capacités d'aujourd'hui : nucléaire, espace... Ne perdons donc pas de vue cet obstacle majeur !
Le "que fait l'ONU ?" est donc d'abord un "que font les États, que fait mon gouvernement ?"
Deux principes ou objectifs donc en 1945 : créer une communauté mondiale, "préserver les générations futures du fléau de la guerre".
Le premier objectif a donc été atteint pleinement puisqu'aujourd'hui, ce sont 193 états qui siègent à l'Assemblée générale des Nations unies. Comment le deuxième objectif a-t-il été rempli ? Il faut reconnaître que, alors qu’il n'y avait eu que 20 ans entre les deux premières guerres mondiales, le monde n'a plus connu de conflit généralisé depuis 70 ans, et les guerres inter-étatiques ont quasiment disparu : la guerre des USA contre l'Irak en 2003 n'en est apparue que plus choquante. Le cadre onusien a été essentiel pour maintenir le dialogue entre adversaires notamment pendant la Guerre froide (rester sous le "même toit").
Cela ne signifie pas que les armes se sont tues : des conflits sanglants demeurent, soit par des interventions avec ou sans mandat de l'ONU au nom de la lutte anti-terroriste (Syrie, Mali notamment), soit dans des conflits infra-étatiques (Congo, par ex), soit dans des occupations (Israël/Palestine, Maroc/Sahara occidental).
Mais constatation essentielle : c'est l'existence des Nations unies et de ses différentes enceintes qui a permis le développement d'un maillage de sécurité collective et de droit international avec la multiplication des traités de désarmement.
Aujourd'hui encore, on voit bien que c'est par le retour dans l'enceinte de l'ONU, l'action unie de tous les pays de la région avec les grandes puissances que les solutions efficaces peuvent être trouvées pour isoler et éliminer les assassins de Daesh, trouver une issue politique à la crise syrienne.
70 ans après leur création, l'élaboration d'une Charte d'engagement commune et la création conjointe de l'organisation des Nations unies ont été une innovation humaine mondiale considérable.Elles ont permis pour la première fois, la coexistence et la collaboration de tous les États de la terre, l'émergence et le développement des droits humains, le début d'une prise de conscience du "village global".
Le nouveau paradoxe est que, objectivement, la mondialisation économique, informationnelle appelle des réponses globales, donc demande "plus d'ONU". Pourtant, la place des Nations unis est toujours contestée, notamment par les grandes puissances, au nom de l'efficacité et celles-ci favorisent de multiples manières le "contournement" de l'ONU.
Cette place est parfois sous-estimée par ceux qui en ont le plus besoin : les moins-puissants, les citoyens et les ONG. Donc, même si ce sont les États qui sont responsables des inégalités et des conflits, le risque est, qu'aux yeux des populations, cela devienne l'échec de l'ONU. Les attentes envers les Nations unies grandissent mais aussi les frustrations.
Quelles réponses à ces frustrations ?
Le premier enjeu est celui d'intervenir sur la question de la nature du règlement des crises et conflits : continue-t-on à privilégier les solutions militaires ou d'abord, prioritairement, les solutions politiques ? Force ou politique, c'est certainement le débat qui rebondit aujourd'hui dans le monde,
Le deuxième enjeu est celui de l'évolution des institutions, voire de la réforme de l'institution. De nombreuses personnes dans le monde pensent que les Nations unies doivent changer, se réformer pour tenir compte des évolutions du monde : place grandissante des ONG, des élus nationaux et locaux, extension de la démocratie. J'aborderai cette question de la réforme dans un prochain article.
(1) "La notion de menace contre la paix selon l'article 39 de la Charte des Nations unies, la pratique du Conseil de sécurité",
in "70 ans des nations unies : quel rôle dans le monde actuel ?"
Bonjour
RépondreSupprimermerci pour ce nouvel article
je pense que la responsabilité des inégalités et des conflits doit être étendue aux multinationales qui sont de plus en plus supra -étatique
RN