Dix jours après la sanglante journée du 13 novembre, nous éprouvons encore une certaine "gueule de bois", écartelés entre nouvelles calamiteuses et petites lueurs d'espoir.
Vendredi dernier 20 novembre, a été adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies la résolution 2249. Cette résolution est importante à plus d'un titre. Ce texte rappelle que "tous les actes de terrorisme sont criminels et injustifiables, quels qu’en soient les motivations, le moment et les auteurs", ce qui semble nécessaire en ces temps de confusion idéologique. Les terroristes ne sont pas des "victimes" des conflits du Moyen-Orient, ce sont des "bourreaux" qui développent une idéologie barbare de façon autonome ! Les conflits non-résolus, les déstabilisations de régions entières les aident dans leur développement et recrutement mais ils restent pleinement responsables de leurs actes.
La résolution adoptée l'a été sur proposition de la France, mais avec un amendement russe important qui la resitue dans le cadre de la Charte des nations unies "Réaffirmant son respect pour la souveraineté, l’intégrité territoriale, l’indépendance et l’unité de tous les États". Ce cadrage implique que l'action des États contre le terrorisme ne peut pas (plus) avoir pour but le renversement de Bachar al Assad.
Cette résolution appelle à une action unie des pays afin "de coordonner leur action en vue de prévenir et de mettre un terme aux actes de terrorisme commis en particulier par l’EIIL, également connu sous le nom de Daech, ainsi que par le Front el-Nosra". Cette nécessité de l'action unie implique que soit mis fin aux réticences ou préalables mis par exemple par la coalition pour travailler avec la Russie ou l'Iran, voire avec les troupes du gouvernement syrien pour se concentrer sur la lutte contre le terrorisme. Cela a été rendu possible notamment par l'inflexion de la politique française qui a du abandonner officiellement sa rhétorique très critiquée de mise sur le même plan de Daesh et de Assad pour déclarer que la destruction de Daesh était la seule priorité en Syrie.
Enfin cette déclaration appelle à une action unie des pays pour "empêcher et éliminer le financement du terrorisme". Même si cette référence n'est pas assez explicite, nous touchons là à un point capital.
En effet, les actions militaires contre ce groupement d'assassins ne permettront pas à elles-seules de l'éliminer. Elles font de nombreuses victimes civiles et ne l'isolent pas du reste de l'opinion musulmane, au contraire presque.
Peut-on accepter plus longtemps que des centaines de camions chargés de pétrole passent chaque jour la frontière turque pour revendre celui-ci au marché noir européen ? Peut-on accepter que Daech pille les richesses naturelles irakiennes et syriennes et finance ainsi ses achats d'armes, souvent lors de circuits qui passent par l'Arabie saoudite et le Quatar ? Les pays de la coalition n'ont pas mené sur ce plan jusqu'à présent une action résolue, au niveau nécessaire, pour asphyxier Daech, l'étrangler sur le plan économique et financier. Ce manque d'engagement repose sur des raisons diverses : intérêts stratégiques et économiques divergents, volonté de ménager des états par ailleurs clients de nos marchés industriels, bref pour des raisons peu avouables. Il semble urgent qu'un tournant soit pris. C'est de la responsabilité des pouvoirs politiques, mais aussi des opinions. Ne faudrait-il pas plus de pressions publiques, de déclarations, de délégations pour exiger plus de fermeté des dirigeants français, européens, américains, russes, turcs ? Si certains pays continuent de manifester de la mauvaise volonté à durcir le blocus, ne faut-il pas aller jusqu'à les menacer d'un moratoire sur les coopérations économiques avec l'UE ? L'OTAN pourra-t-elle accepter qu'un de ses membres n'accepte pas d'appliquer les résolutions du Conseil de sécurité ? L'abattage d'un avion militaire russe par la Turquie est préoccupant : cela signifie que ce pays ne voit pas d'un bon oeil le renforcement de la lutte contre Daech, que sa priorité reste la lutte contre les Kurdes. Or, un engagement plus clair de la Turquie est la clé de l'étranglement économique et financier de Daech.
On peut dire qu'après le vote de la résolution 2249 par le conseil de sécurité, un cadre international plus conforme au droit se met en place, il faut le rendre efficace. Il montre que les solutions tout-militaire ne peuvent régler à elles-seules le problème du terrorisme, si on ne s'attaque pas à l'environnement économique et financier. En même temps, le terrorisme se nourrit et instrumentalise les conflits non-résolus, notamment au Moyen-Orient. Il est donc nécessaire de ne pas oublier, de ne pas laisser de côté, même temporairement, les efforts pour une issue positive à la création et reconnaissance d'un état palestinien. Il est tout autant nécessaire d'avancer plus vite dans la foulée des décisions de la dernière Assemblée générale des Nations unies qui a lancé le "Programme pour le développement durable 2030" pour aller vers l'éradication de la pauvreté dans le monde, l'amélioration de l'éducation,du développement de tous les pays.
Garder lucidité et sang-froid pour mettre en oeuvre des politiques globales devrait nous inspirer dans les décisions intérieures françaises.
La prolongation de l'état d'urgence pour trois mois, n'apporte pas de plus grande efficacité dans la lutte anti-terroriste. il n'y avait pas besoin de l'état d'urgence pour créer les postes de policiers, de douaniers annoncés par le président Hollande. L'argument des perquisitions et enquêtes facilitées par l'état d'urgence fait sourire. On peut estimer que la prolongation de l'état d'urgence vise plus à permettre à l'exécutif de prendre une posture sécuritaire devant l'opinion, lui permettant de conforter son image. Beaucoup de spécialistes reconnaissent que plusieurs dispositions de l'état d'urgence adoptées sont anticonstitutionnelles, comme l'a admis à demi-mots le premier ministre lui-même. Nous sommes dans la situation ubuesque où, demain, si un avocat d'un prévenu soulève la question de la constitutionnalité de ces dispositions, la décision du Parlement risque d'être retoquée par le Conseil constitutionnel et les procédures engagées annulées !
Le fait que seulement six députés (trois écologistes et trois socialistes) aient voté contre, qu'au Sénat, aucun élu ne se soit opposé, seulement douze sénateurs (une écologiste et onze membres du groupe communiste et républicain) ne se soient pas associés à ce vote, ne pose-t-il pas question ? Ne faut-il pas réfléchir à cette remarque du député Noël Mamère déclarant : "Nous devons prouver que nous sommes capables de réagir à ces infamies par des dispositifs respectueux des libertés fondamentales, par un état de droit fort qui ne distribue pas à la police et à l'exécutif des pouvoirs normalement dévolues à la Justice."
Comment sortir de cette situation délétère ?
Ne faut-il pas dès maintenant demander qu'un bilan intermédiaire des effets et conséquences de l'état d'urgence soit établi à mi-parcours des trois mois de l'état d'urgence, c'est-à-dire avant la fin de l'année ? La lutte contre le terrorisme doit être sévère mais, pour être comprise au delà de l'émotion immédiate, elle doit reposer sur le droit et les valeurs démocratiques mêmes que les assassins ont voulu détruire.
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