Les commentaires divergents sur les moyens proposés à la Défense illustrent bien les ambiguïtés du Livre blanc. Des commentateurs ont insisté sur les 34 000 postes supprimés en 2014-2019 (24 000 de plus que prévu) ; de l'autre côté, le texte du Livre blanc affirme (p 137) : "la France continuera à consacrer à sa défense un effort financier majeur".
Effectivement, le refus de voir les évolutions du monde dans toutes leurs contradictions, à la fois comme menaces mais aussi comme évolutions positives, amène à une position de vouloir tout maintenir sans forcément en avoir les moyens. L'exemple le plus flagrant est, bien sûr, le maintien non justifié de la 2e composante nucléaire (missiles aéroportés) sans justification stratégique claire et, en même temps, l'absence temporaire sur "le terrain" d'un porte-avions du fait de l'immobilisation pour entretien de l'unique PAN Charles-de-Gaulle..
Cette position amène à prévoir la somme énorme de 364 Md€(2013) pour la période 2014-2025, dont 179 Md€(2013) pour les 5 années à venir. Ce montant élevé dû à la poursuite de programmes coûteux (renouvellement des missiles nucléaires, le grand public s'est aperçu du coût exorbitant du missile M51 auto-détruit) correspond-il aux besoins réels de la Défense et de la sécurité de la France aujourd'hui ? N'est-il pas provoqué par le manque d'imagination des responsables de la gauche française face au manque de renouvellement de la pensée stratégique française ; responsables trop préoccupés par la peur de se voir taxés par la droite de faiblesse par rapport à la "grandeur" de la France ? Surtout, ne traduit-il pas une faiblesse devant le poids du lobby politico-militaire de l'armement notamment nucléaire et missilier (Paul Quilès et Bernard Norlain le relèvent avec justesse dans leurs dernières publications) ? Le fait que le ministre des Finances, le ministre de la Défense, la Présidente de la commission de la Défense de l'assemblée nationale soient tous trois des parlementaires d'une région dépendant pour une large part de l'économie militaire ne pose-t-il pas problème, quelles que soient par ailleurs leur honnêteté et leur sincérité politique ?
En même temps, les dépenses militaires annoncées pour les années à venir (5,9 Mds€ 2013) dépendent pour une part de la vente des derniers "bijoux de famille" (biens immobiliers de l'armée, vente de fréquences radio, etc...), seront-elles réalisées ? Sinon, acceptera-t-on de faire encore plus appel au budget général ?
On sait que, dans le passé, les engagements annoncés, soient, n'ont pas été tenus, soient, l'ont été au prix d'étalement de programmes, de reports de paiements, avec comme conséquences des renchérissements de prix au final, inacceptables...
La même ambiguïté de posture déclarative existe avec les industries de défense. Il est proclamé que "l'industrie de défense est une composante majeure de l'autonomie stratégique de la France" (p 140). Le Livre blanc propose "le maintien d'un budget significatif en matière de recherche et de développement", l'aide aux entreprises pour "accroître le volume de leurs exportations" ainsi que "l'exploitation systématique de toutes les voies de coopérations". Dans la pratique, malgré quelques exemples isolés, le positionnement français n'a pas permis un développement réel des coopérations européennes, les exportations françaises ont conduit à d'importants transferts de technologies donc de nouvelles concurrences. Le commerce des armes connaît de premières limitations et contrôles, qui devraient se développer encore demain. On apprend ainsi au détour d'une phrase (p 127) que la France a surtout soutenu le Traité d'interdiction et de contrôle des armements parce qu'il "participe à la protection de nos compétences technologiques dans un contexte de concurrence exacerbée"... Bref, parce qu'on espère qu'il nous aidera à vendre plus d'armes ! (désolé pour les naïfs..).
La politique de fabrication d'armements suivie jusqu'à présent : lancement de nouveaux programmes lors de renouvellement à répétition, souvent très coûteux donc très étalés, sans réflexion sur les évolutions du monde (ex des chars Leclerc) a conduit à des restructurations meurtrières en terme d'emplois. D'autres se préparent pour demain, si des réflexions nouvelles sur les conversions civiles nécessaires ne sont pas menées.
Derrière les ambiguïtés relevées dans ce Livre Blanc affleure une question. La pensée unique en terme de défense, de sécurité et de paix est-elle inévitable ? L'intervention de François Hollande le 23 mai à l'IHEDN semble l'affirmer. Y-a-t-il des voies alternatives à explorer ? Cela sera le sujet d'un prochain article.
Ce blog est dédié aux problématiques de la paix et du désarmement, des institutions internationales (ONU, OTAN), à la promotion d'une culture de la paix. Textes sous license Creative Commons by-nc-sa
jeudi 30 mai 2013
dimanche 26 mai 2013
Le Livre blanc : dissuasion/intervention, le couple infernal ? (2)
Dans le précédent article sur le Livre Blanc de la Défense et la sécurité nationale 2013, je critiquais ce que j'estime être des ambiguïtés autour du concept global de « sécurité nationale ». J'y critiquais également le manque de cohérence de l'encadrement conceptuel de la politique de défense proposée du fait que l'ensemble des réflexions stratégiques n'est pas inscrit clairement dans la défense prioritaire du droit international et la primauté de la Charte des nations unies. Ces ambiguïtés conduisent à des propositions crispées sur la « protection » d'une souveraineté nationale qui serait menacée par tout mouvement inattendu dans le monde.
Ces conceptions pèsent sur la présentation de la dissuasion nucléaire qui « protège la France contre toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme ». On voit que la formule peut justifier beaucoup d'excès !
Le fait d'affirmer que "la dissuasion nucléaire s’inscrit donc dans le cadre plus global de la stratégie de défense et de sécurité nationale qui prend en compte l’ensemble des menaces, y compris celles qui se situent sous le seuil des intérêts vitaux" renforce la confusion stratégique : il n'y aurait pas de politique de sécurité fiable y compris face à des menaces faibles sans armes nucléaires ? Cela signifie donc que 185 pays sur 194, qui ne possèdent pas d'armes nucléaires, vivent dans l'insécurité ? Quel encouragement indirect pour certains pays en mal de puissance à essayer d'acquérir à tout prix la maîtrise de la technologie nucléaire militaire !
La même ambiguïté demeure ainsi face au désarmement nucléaire puisqu'il est dit que notre pays « œuvre activement en faveur d’un « désarmement général et complet sous un contrôle strict et efficace », objectif fixé par l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ».
Les rédacteurs du Livre Blanc ont juste « oublié » un morceau de la phrase qui est « au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général... » ! Oubli ou falsification ? Rien d'étonnant qu'il soit proposé de maintenir tous les financements de la force nucléaire et que soit maintenu cet anachronisme stratégique que constitue la « 2e composante nucléaire » composée de missiles aéroportés que le Royaume-Uni a abandonnée depuis plusieurs années. On peut regretter aussi que la transparence sur les forces nucléaires françaises reste très limitée : "moins de 300 têtes" selon les propos de Nicolas Sarkozy en 2010 alors que le Royaume-Uni a donné des précisions récentes sur son nombre de missiles installés sur les sous-marins, le nombre exact de têtes nucléaires, etc..
Au-delà de cet aspect, on voit que la politique de défense s'inscrit dans une vision statique et crispée vis a vis des processus de désarmement et des évolutions du monde.
Cette même hésitation à placer résolument toutes les actions de la France dans le cadre du droit international et de la primauté des Nations unies pèse sur toutes les propositions faites sur les interventions extérieures réduites aux objectifs trop vagues de « défendre nos intérêts stratégiques, comme ceux de nos partenaires et alliés, et exercer nos responsabilités internationales ». L'accent mis, dans ce contexte sur la présence française en Afrique et dans le Golfe arabo-persique, laisse interrogateur puisqu'il est écrit que "(..), la France entend disposer des capacités militaires lui permettant de s’engager dans les zones prioritaires pour sa défense et sa sécurité : la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, une partie de l’Afrique - du Sahel à l’Afrique équatoriale -, le Golfe Arabo-Persique et l’océan Indien. "
Tout en constatant à plusieurs reprises le développement des "interdépendances" dans le monde, les auteurs du Livre Blanc ont préféré mettre l'accent sur "l'autonomie" stratégique. Ils estiment que "l’évolution du contexte stratégique pourrait amener notre pays à devoir prendre l’initiative d’opérations, ou à assumer, plus souvent que par le passé, une part substantielle des responsabilités impliquées par la conduite de l’action militaire."
Ils privilégient les cas d'interventions liées à deux modèles : "des opérations de coercition" " des "opérations de gestion de crise", là encore non cadrées directement dans un contexte de maintien de la paix ou rétablissement de la paix sous mandat de l'ONU.
L'interdépendance n'est évoquée et acceptée qu'au niveau européen pour "les capacités spatiales de renseignement électromagnétique et de renseignement image". Nous sommes loin de certaines positions de responsables socialistes comme Patricia Adams, responsable de la commission de la Défense de l'Assemblée nationale qui déclarait en 2010, au magazine DSI : "une révision de nos ambitions ne peut se faire en occultant la question de l'avenir de l'Europe de la défense". Les propositions, sur ce plan, contenues dans le Livre Blanc, sont loin de ces ambitions et beaucoup plus timorées : "Dans l’attente d’une vision stratégique partagée et d’un consensus en matière de politique étrangère, l’Europe de la défense se construira à travers ses opérations dans lesquelles ses capacités civiles et militaires se complèteront et se renforceront mutuellement".
Les hésitations entre une "autonomie" et une "souveraineté" mal définies, voire illusoires, une prise en compte frileuse des "interdépendances" qu'elles soient mondiales ou européennes, conduisent à des propositions en matières de forces et de crédits, guidées plus par les contraintes budgétaires que par la vision stratégique globale. Nous en parlerons dans un prochain article.
Ces conceptions pèsent sur la présentation de la dissuasion nucléaire qui « protège la France contre toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme ». On voit que la formule peut justifier beaucoup d'excès !
Le fait d'affirmer que "la dissuasion nucléaire s’inscrit donc dans le cadre plus global de la stratégie de défense et de sécurité nationale qui prend en compte l’ensemble des menaces, y compris celles qui se situent sous le seuil des intérêts vitaux" renforce la confusion stratégique : il n'y aurait pas de politique de sécurité fiable y compris face à des menaces faibles sans armes nucléaires ? Cela signifie donc que 185 pays sur 194, qui ne possèdent pas d'armes nucléaires, vivent dans l'insécurité ? Quel encouragement indirect pour certains pays en mal de puissance à essayer d'acquérir à tout prix la maîtrise de la technologie nucléaire militaire !
La même ambiguïté demeure ainsi face au désarmement nucléaire puisqu'il est dit que notre pays « œuvre activement en faveur d’un « désarmement général et complet sous un contrôle strict et efficace », objectif fixé par l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ».
Les rédacteurs du Livre Blanc ont juste « oublié » un morceau de la phrase qui est « au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général... » ! Oubli ou falsification ? Rien d'étonnant qu'il soit proposé de maintenir tous les financements de la force nucléaire et que soit maintenu cet anachronisme stratégique que constitue la « 2e composante nucléaire » composée de missiles aéroportés que le Royaume-Uni a abandonnée depuis plusieurs années. On peut regretter aussi que la transparence sur les forces nucléaires françaises reste très limitée : "moins de 300 têtes" selon les propos de Nicolas Sarkozy en 2010 alors que le Royaume-Uni a donné des précisions récentes sur son nombre de missiles installés sur les sous-marins, le nombre exact de têtes nucléaires, etc..
Au-delà de cet aspect, on voit que la politique de défense s'inscrit dans une vision statique et crispée vis a vis des processus de désarmement et des évolutions du monde.
Cette même hésitation à placer résolument toutes les actions de la France dans le cadre du droit international et de la primauté des Nations unies pèse sur toutes les propositions faites sur les interventions extérieures réduites aux objectifs trop vagues de « défendre nos intérêts stratégiques, comme ceux de nos partenaires et alliés, et exercer nos responsabilités internationales ». L'accent mis, dans ce contexte sur la présence française en Afrique et dans le Golfe arabo-persique, laisse interrogateur puisqu'il est écrit que "(..), la France entend disposer des capacités militaires lui permettant de s’engager dans les zones prioritaires pour sa défense et sa sécurité : la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, une partie de l’Afrique - du Sahel à l’Afrique équatoriale -, le Golfe Arabo-Persique et l’océan Indien. "
Tout en constatant à plusieurs reprises le développement des "interdépendances" dans le monde, les auteurs du Livre Blanc ont préféré mettre l'accent sur "l'autonomie" stratégique. Ils estiment que "l’évolution du contexte stratégique pourrait amener notre pays à devoir prendre l’initiative d’opérations, ou à assumer, plus souvent que par le passé, une part substantielle des responsabilités impliquées par la conduite de l’action militaire."
Ils privilégient les cas d'interventions liées à deux modèles : "des opérations de coercition" " des "opérations de gestion de crise", là encore non cadrées directement dans un contexte de maintien de la paix ou rétablissement de la paix sous mandat de l'ONU.
L'interdépendance n'est évoquée et acceptée qu'au niveau européen pour "les capacités spatiales de renseignement électromagnétique et de renseignement image". Nous sommes loin de certaines positions de responsables socialistes comme Patricia Adams, responsable de la commission de la Défense de l'Assemblée nationale qui déclarait en 2010, au magazine DSI : "une révision de nos ambitions ne peut se faire en occultant la question de l'avenir de l'Europe de la défense". Les propositions, sur ce plan, contenues dans le Livre Blanc, sont loin de ces ambitions et beaucoup plus timorées : "Dans l’attente d’une vision stratégique partagée et d’un consensus en matière de politique étrangère, l’Europe de la défense se construira à travers ses opérations dans lesquelles ses capacités civiles et militaires se complèteront et se renforceront mutuellement".
Les hésitations entre une "autonomie" et une "souveraineté" mal définies, voire illusoires, une prise en compte frileuse des "interdépendances" qu'elles soient mondiales ou européennes, conduisent à des propositions en matières de forces et de crédits, guidées plus par les contraintes budgétaires que par la vision stratégique globale. Nous en parlerons dans un prochain article.
lundi 20 mai 2013
Livre blanc : ambiguïtés en série... (1)
Le « Livre blanc 2013 de la défense et de la sécurité nationale » a été publié le 29 avril dernier. Il reprend le même intitulé que le précédent en liant le concept de « sécurité nationale » à celui de Défense. Seulement deux autres documents de ce genre avaient vu le jour : le Livre Blanc sur la Défense Nationale publié en 1972 par Michel Debré, qui avait conceptualisé la force nucléaire française et celui publié en 1994 sous le gouvernement d’Édouard Balladur, qui avait tiré les enseignements de la fin de la Guerre Froide et ouvert le chemin à la professionnalisation des armées en 1996 et au développement des « forces projetables ».
Beaucoup de commentaires ont été faits sur les éventuelles conséquences économiques et sociales des conclusions de ce document en matière de crédits militaires, d'emplois militaires ou dans les industries de défense. Peu ont développé les conceptions stratégiques et politiques proposées au débat national et aux parlementaires dans ce texte.
Or, depuis 1994, les décisions concrètes se traduisent dans un deuxième temps dans une « Loi de programmation militaire » sur cinq ans qui devrait .être votée en fin d'année. La logique voudrait que cette Loi soit la conséquence des orientations générales en matière de stratégie de défense et donc de la vision française du monde d'aujourd'hui et de demain et non l'inverse (c.à.d que les choix stratégiques ne découlent d'abord que des moyens financiers disponibles..).
Quelle est la vision du monde et de la sécurité de la France qui se dégage du Livre Blanc 2013 ? Celui-ci reprend le concept global de « sécurité nationale » qui permet d'amalgamer sous le terme de « menaces à la sécurité nationale » des éléments qui peuvent être des « menaces » militaires comme la prolifération des armes de destruction massive ou le terrorisme, des « menaces » technologiques et des « problèmes » de santé comme des pandémies, des « problèmes » d'environnement et de ressources naturelles (eau, réchauffement climatique), En déclarant ensuite « que l'action militaire reste une donnée essentielle de la sécurité nationale », la plus grande confusion politique et idéologique règne, les dimensions politiques, juridiques, sociales des problèmes mondiaux passent alors au second plan...
C'est là que réside une deuxième grande ambiguïté de ce Livre Blanc, peut-être encore plus grande (malheureusement diront beaucoup) que celles contenues dans le précédent Livre de 2008. Il y a une faiblesse de cohérence politique. L'ensemble des réflexions stratégiques n'est pas inscrit clairement dans la défense prioritaire du droit international et la primauté de la Charte des nations unies malgré une référence (page 22 : « La France est attachée à la consolidation des principes inscrits dans la Charte des Nations unies qui interdisent la menace ou l’emploi de la force dans les relations entre États, à l’exception de l’exercice de la légitime défense et de l’application des résolutions du Conseil de sécurité ») qui semble plus être un rappel « obligé » qu'un élément central de la réflexion. En 2008, le Livre Blanc consacrait un chapitre entier à la Sécurité collective (chap 6, 1ère partie) dans lequel était rappelé que « Le multilatéralisme demeure un principe fondateur », « La centralité de l’Organisation des Nations unies ». Il y était précisé (page 114) que « La charte des Nations unies est la référence fondamentale du droit international concernant l’usage de la force militaire, qu’il s’agisse de la légitime défense individuelle ou collective ». Certes, cette affirmation de 2008 n'a pas empêché l'instrumentalisation par Nicolas Sarkozy de la résolution du Conseil de Sécurité sur la Libye pour les seuls intérêts économico-politiques français, mais le cadre politique et théorique reste fondamental.
Il n'est donc pas anodin que la « Conclusion récapitulative » du Livre Blanc 2013 ne comporte pas le mot « Nations unies » et qu'on y trouve cette définition rabougrie : « Notre stratégie de défense et de sécurité nationale ne se conçoit pas en dehors du cadre de l’Alliance Atlantique et de notre engagement dans l’Union européenne » . On n'y trouve pas, sinon une fois en marge, le mot « paix ». Il est vrai que dans le texte lui-même, la paix vient en dernier de « l'échelle des priorités » : (p 47) : « - protéger le territoire national et les ressortissants français, et garantir
la continuité des fonctions essentielles de la Nation ; - garantir avec nos partenaires et alliés la sécurité de l’Europe et de l’espace nord-atlantique ; - stabiliser avec nos partenaires et alliés les approches de l’Europe ; - participer à la stabilité du Proche-Orient et du Golfe Arabo-Persique ;
- contribuer à la paix dans le monde ».
Cela conduit à une troisième faiblesse conceptuelle de ce Livre Blanc. Comment affirmer que « Le maintien et le développement, chez nos concitoyens, de l’esprit de défense et de sécurité, manifestation d’une volonté collective assise sur la cohésion de la Nation, sont donc une priorité » si les buts de la Défense reposent sur un discours sans vision mobilisatrice et planétaire ? La thématique du Livre Blanc 2013 frise le repli politique frileux sur une « souveraineté nationale » dont le concept mériterait d'être plus largement débattu tout comme la notion d''exercice des « responsabilités internationales » qui seraient celles de la France selon les rédacteurs. Le manque d'adhésion de l'opinion aux idées contenues dans ce document risque d'être renforcé par le rétrécissement de la concertation publique dans son élaboration (pas de consultation des groupes parlementaires, des syndicats, des Ong) qui a pesé négativement sur plusieurs aspects du contenu. La seule manière de combler un peu ce déficit démocratique serait d'ouvrir un large débat dans le pays, avant le débat parlementaire sur la Loi de Programmation militaire qui va concrétiser en termes budgétaires toutes les propositions du Livre Blanc. Celles-ci n'ont pas été abordées dans cette analyse, nous y reviendrons dans de prochains articles : modèle d'armée, avenir de la dissuasion nucléaire, crédits militaires et industries de défense...
Beaucoup de commentaires ont été faits sur les éventuelles conséquences économiques et sociales des conclusions de ce document en matière de crédits militaires, d'emplois militaires ou dans les industries de défense. Peu ont développé les conceptions stratégiques et politiques proposées au débat national et aux parlementaires dans ce texte.
Or, depuis 1994, les décisions concrètes se traduisent dans un deuxième temps dans une « Loi de programmation militaire » sur cinq ans qui devrait .être votée en fin d'année. La logique voudrait que cette Loi soit la conséquence des orientations générales en matière de stratégie de défense et donc de la vision française du monde d'aujourd'hui et de demain et non l'inverse (c.à.d que les choix stratégiques ne découlent d'abord que des moyens financiers disponibles..).
Quelle est la vision du monde et de la sécurité de la France qui se dégage du Livre Blanc 2013 ? Celui-ci reprend le concept global de « sécurité nationale » qui permet d'amalgamer sous le terme de « menaces à la sécurité nationale » des éléments qui peuvent être des « menaces » militaires comme la prolifération des armes de destruction massive ou le terrorisme, des « menaces » technologiques et des « problèmes » de santé comme des pandémies, des « problèmes » d'environnement et de ressources naturelles (eau, réchauffement climatique), En déclarant ensuite « que l'action militaire reste une donnée essentielle de la sécurité nationale », la plus grande confusion politique et idéologique règne, les dimensions politiques, juridiques, sociales des problèmes mondiaux passent alors au second plan...
C'est là que réside une deuxième grande ambiguïté de ce Livre Blanc, peut-être encore plus grande (malheureusement diront beaucoup) que celles contenues dans le précédent Livre de 2008. Il y a une faiblesse de cohérence politique. L'ensemble des réflexions stratégiques n'est pas inscrit clairement dans la défense prioritaire du droit international et la primauté de la Charte des nations unies malgré une référence (page 22 : « La France est attachée à la consolidation des principes inscrits dans la Charte des Nations unies qui interdisent la menace ou l’emploi de la force dans les relations entre États, à l’exception de l’exercice de la légitime défense et de l’application des résolutions du Conseil de sécurité ») qui semble plus être un rappel « obligé » qu'un élément central de la réflexion. En 2008, le Livre Blanc consacrait un chapitre entier à la Sécurité collective (chap 6, 1ère partie) dans lequel était rappelé que « Le multilatéralisme demeure un principe fondateur », « La centralité de l’Organisation des Nations unies ». Il y était précisé (page 114) que « La charte des Nations unies est la référence fondamentale du droit international concernant l’usage de la force militaire, qu’il s’agisse de la légitime défense individuelle ou collective ». Certes, cette affirmation de 2008 n'a pas empêché l'instrumentalisation par Nicolas Sarkozy de la résolution du Conseil de Sécurité sur la Libye pour les seuls intérêts économico-politiques français, mais le cadre politique et théorique reste fondamental.
Il n'est donc pas anodin que la « Conclusion récapitulative » du Livre Blanc 2013 ne comporte pas le mot « Nations unies » et qu'on y trouve cette définition rabougrie : « Notre stratégie de défense et de sécurité nationale ne se conçoit pas en dehors du cadre de l’Alliance Atlantique et de notre engagement dans l’Union européenne » . On n'y trouve pas, sinon une fois en marge, le mot « paix ». Il est vrai que dans le texte lui-même, la paix vient en dernier de « l'échelle des priorités » : (p 47) : « - protéger le territoire national et les ressortissants français, et garantir
la continuité des fonctions essentielles de la Nation ; - garantir avec nos partenaires et alliés la sécurité de l’Europe et de l’espace nord-atlantique ; - stabiliser avec nos partenaires et alliés les approches de l’Europe ; - participer à la stabilité du Proche-Orient et du Golfe Arabo-Persique ;
- contribuer à la paix dans le monde ».
Cela conduit à une troisième faiblesse conceptuelle de ce Livre Blanc. Comment affirmer que « Le maintien et le développement, chez nos concitoyens, de l’esprit de défense et de sécurité, manifestation d’une volonté collective assise sur la cohésion de la Nation, sont donc une priorité » si les buts de la Défense reposent sur un discours sans vision mobilisatrice et planétaire ? La thématique du Livre Blanc 2013 frise le repli politique frileux sur une « souveraineté nationale » dont le concept mériterait d'être plus largement débattu tout comme la notion d''exercice des « responsabilités internationales » qui seraient celles de la France selon les rédacteurs. Le manque d'adhésion de l'opinion aux idées contenues dans ce document risque d'être renforcé par le rétrécissement de la concertation publique dans son élaboration (pas de consultation des groupes parlementaires, des syndicats, des Ong) qui a pesé négativement sur plusieurs aspects du contenu. La seule manière de combler un peu ce déficit démocratique serait d'ouvrir un large débat dans le pays, avant le débat parlementaire sur la Loi de Programmation militaire qui va concrétiser en termes budgétaires toutes les propositions du Livre Blanc. Celles-ci n'ont pas été abordées dans cette analyse, nous y reviendrons dans de prochains articles : modèle d'armée, avenir de la dissuasion nucléaire, crédits militaires et industries de défense...
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mardi 7 mai 2013
TNP 2013 : sortir du statut quo ?
Le Comité préparatoire de la Conférence d'examen de 2015 du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) a terminé ses deux semaines de travaux vendredi dernier 3 mai à Genève. Cette session réunissait 106 États parties, cinq organisations internationales et 53 organisations non gouvernementales sous la présidence de l'ambassadeur Cornel Feruta de Roumanie. La session était le deuxième des trois sessions organisées avant la tenue de Conférence d'examen du TNP de 2015. La prochaine et dernière session aura lieu à New York du 28 avril au 9 mai 2014.
Comme prévu, cette session s'est achevée sans progrès réels et concrets sur nombre des engagements pris à la dernière Conférence de 2010. Il n'y a pas eu de texte final mais un simple relevé des discussions fait par le Président, sous sa seule responsabilité. Ce texte, très prudent, minimise les divergences entre les États, en particulier sur les raisons et les leçons à tirer du report de la conférence prévue en 2012 sur une zone exempte d'armes de destruction massive dans le Moyen-Orient. Aucun nouveau engagement n'a été pris sur le sujet, notamment par les États-Unis, ce qui a entraîné un vif mécontentement de la part du groupe des pays non-alignés et de ceux de la Ligue arabe. Ceux-ci ont trouvé que le Président minorait trop d'ailleurs les difficultés rencontrées et les responsabilités des USA et d'Israël.
Ce qui est bien sur sous-jacent dans les évaluations finales de la présidence est la tension croissante entre les possesseurs d'armes nucléaires P5 et leurs alliés "sous parapluie nucléaire" (comme le Japon) d'une part, et tous les autres pays de l'autre.
Beaucoup de pays non-nucléaires ont estimé également que le fait central de la session : l'appel commun de 80 pays sur les conséquences humanitaires catastrophiques de l'utilisation des armes nucléaires n'est pas mentionné orrectement dans les conclusions de la présidence alors qu'une part plus importante est faite à l'argumentation défensive des cinq pays nucléaires "officiels", les "P5" ! Ainsi, le rapport mentionne que «certains» États ont réaffirmé leur contribution au «processus pragmatique étape par étape de désarmement nucléaire» et que «dans leurs politiques nationales respectives, toute utilisation du nucléaire ne serait considéré que dans des circonstances extrêmes, conformément [avec le droit international humanitaire]". Cette réfutation essaie de répondre aux critiques de plus en plus vives sur la "modernisation" continue des arsenaux, et la persistance du rôle joué par les doctrines nucléaires dans les politiques de défense des P5 et de l'OTAN.
En fait, derrière cela, c'est le "statu quo" entériné par le TNP qui est mis en cause car il aboutit au fait que ce ne sont plus les buts finaux du Traité (c.à.d l'élimination des armes nucléaires) qui recueillent l'essentiel des efforts mais le maintien de l'ordre établi : "tout changer pour que rien ne bouge".
Ce cercle vicieux a été relevée par Mme Angela Kane, Haut Représentant pour les affaires de désarmement des Nations Unies, à la Conférence annuelle de l'OTAN le 6 mai dernier sur les armes de destruction massive : "Personne ne doit penser par principe que tout régime structuré basé un système dotés/non dotés puisse être maintenu pour toujours". Cela s'applique parfaitement au TNP : au lieu de perpétuer le statu quo, qui mine la stabilité du traité, les États parties doivent faire du désarmement nucléaire un objectif stratégique, sous peine de ne voir pas seulement un État-partie (comme l'a fait l'Égypte la semaine dernière en quittant la séance) mais plusieurs autres déclarer forfait dans ce processus.
Pour cela, les États nucléaires devraient éviter de rejeter dédaigneusement le processus lancé par 80 pays pour aboutir à un Traité d'interdiction des armes nucléaires compte tenu de leur impact humanitaire catastrophique sur notre planète en cas d'utilisation. La Conférence de Mexico qui se tiendra début 2014 sera certainement décisive pour cela.
(pour avoir des analyses complémentaires sur cette session, lire comme d'habitude le site de "Reaching Critical Will" et sa revue en-ligne "NPT News in Review 2013" auquel mes articles doivent beaucoup : http://www.reachingcriticalwill.org/disarmament-fora/npt/2013/nir
Comme prévu, cette session s'est achevée sans progrès réels et concrets sur nombre des engagements pris à la dernière Conférence de 2010. Il n'y a pas eu de texte final mais un simple relevé des discussions fait par le Président, sous sa seule responsabilité. Ce texte, très prudent, minimise les divergences entre les États, en particulier sur les raisons et les leçons à tirer du report de la conférence prévue en 2012 sur une zone exempte d'armes de destruction massive dans le Moyen-Orient. Aucun nouveau engagement n'a été pris sur le sujet, notamment par les États-Unis, ce qui a entraîné un vif mécontentement de la part du groupe des pays non-alignés et de ceux de la Ligue arabe. Ceux-ci ont trouvé que le Président minorait trop d'ailleurs les difficultés rencontrées et les responsabilités des USA et d'Israël.
Ce qui est bien sur sous-jacent dans les évaluations finales de la présidence est la tension croissante entre les possesseurs d'armes nucléaires P5 et leurs alliés "sous parapluie nucléaire" (comme le Japon) d'une part, et tous les autres pays de l'autre.
Beaucoup de pays non-nucléaires ont estimé également que le fait central de la session : l'appel commun de 80 pays sur les conséquences humanitaires catastrophiques de l'utilisation des armes nucléaires n'est pas mentionné orrectement dans les conclusions de la présidence alors qu'une part plus importante est faite à l'argumentation défensive des cinq pays nucléaires "officiels", les "P5" ! Ainsi, le rapport mentionne que «certains» États ont réaffirmé leur contribution au «processus pragmatique étape par étape de désarmement nucléaire» et que «dans leurs politiques nationales respectives, toute utilisation du nucléaire ne serait considéré que dans des circonstances extrêmes, conformément [avec le droit international humanitaire]". Cette réfutation essaie de répondre aux critiques de plus en plus vives sur la "modernisation" continue des arsenaux, et la persistance du rôle joué par les doctrines nucléaires dans les politiques de défense des P5 et de l'OTAN.
En fait, derrière cela, c'est le "statu quo" entériné par le TNP qui est mis en cause car il aboutit au fait que ce ne sont plus les buts finaux du Traité (c.à.d l'élimination des armes nucléaires) qui recueillent l'essentiel des efforts mais le maintien de l'ordre établi : "tout changer pour que rien ne bouge".
Ce cercle vicieux a été relevée par Mme Angela Kane, Haut Représentant pour les affaires de désarmement des Nations Unies, à la Conférence annuelle de l'OTAN le 6 mai dernier sur les armes de destruction massive : "Personne ne doit penser par principe que tout régime structuré basé un système dotés/non dotés puisse être maintenu pour toujours". Cela s'applique parfaitement au TNP : au lieu de perpétuer le statu quo, qui mine la stabilité du traité, les États parties doivent faire du désarmement nucléaire un objectif stratégique, sous peine de ne voir pas seulement un État-partie (comme l'a fait l'Égypte la semaine dernière en quittant la séance) mais plusieurs autres déclarer forfait dans ce processus.
Pour cela, les États nucléaires devraient éviter de rejeter dédaigneusement le processus lancé par 80 pays pour aboutir à un Traité d'interdiction des armes nucléaires compte tenu de leur impact humanitaire catastrophique sur notre planète en cas d'utilisation. La Conférence de Mexico qui se tiendra début 2014 sera certainement décisive pour cela.
(pour avoir des analyses complémentaires sur cette session, lire comme d'habitude le site de "Reaching Critical Will" et sa revue en-ligne "NPT News in Review 2013" auquel mes articles doivent beaucoup : http://www.reachingcriticalwill.org/disarmament-fora/npt/2013/nir
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