lundi 27 décembre 2010

Sécurité humaine : quelles raisons de la paix ? (3)

Dans un article précédent (http://culturedepaix.blogspot.com/2010/12/securite-humaine-un-monde-moins.html), j'ai livré quelques réflexions sur la baisse du nombre des conflits et de leurs victimes dans les dernières décennies. Je soulignais trois éléments qui ont parallèlement profondément changé dans le contexte international : la fin du colonialisme et de ses guerres meurtrières, la fin de la guerre froide et de ses affrontements connexes, la croissance sans précédent des activités internationales autour de l'ONU pour la prévention des conflits, le rétablissement de la paix.
Il s'agit de trois grandes évolutions sans lesquelles on ne peut pas comprendre l'évolution de notre planète des trois dernières décennies mais elles n'expliquent pas à elles seules cet "apaisement" apparent du monde. C'est pourquoi je soulevais dans cet article, les questions suivantes : quelles autres explications apporter à la baisse des conflits et de la violence ? Quelles "raisons de la paix" ? Cette baisse est-elle une tendance irréversible ? Quelles menaces subsistent, pouvant la remettre en cause et refaire exploser la violence du monde ?
Selon les auteurs des deux études mentionnées dans l'article précédent, plusieurs causes concourent à la baisse des violences. Une des premières réside dans l'accroissement considérable des échanges économiques et commerciaux, donc de l'interdépendance des États, dans le cadre des progrès de la mondialisation. Pour le professeur Mack, auteur du Rapport sur la sécurité humaine, "l'interdépendance", dit-il, "a augmenté le coût de la guerre, tout en réduisant ses avantages." Dans le système commercial mondial, il est presque toujours moins cher aujourd'hui d'acquérir des biens et des matières premières par le commerce, que d'envahir un pays afin de les voler.
Selon le rapport, le développement économique est une forme puissante de la prévention des conflits à long terme : dans les pays en développement, la politique économique nationale est de facto une politique de sécurité nationale. L'analyse de l'histoire de l'Asie de l'après-Seconde Guerre mondiale illustre cette situation. Après les dévastations provoquées par les guerres coloniales des grandes puissances de 1945 à 1975, la période suivante du milieu des années 1970 au milieu des années 1990, a vu le PIB par habitant dans la région doubler, et à l'inverse, le nombre de conflit diminuer de plus de moitié.
 La croissance économique forte des pays asiatiques et de ceux d'Amérique du Sud mise en relation avec les progrès plus lents en Afrique et Proche-Orient, a des correspondances troublantes sur les cartes d'évolution des conflits des dernières décennies. La croissance économique, le développement social s'accompagnent d'autres facteurs : baisse des indices de fécondité, donc familles plus faciles à élever, augmentation des espérances de vie (elle a plus que doublé dans les pays arabes du Golfe -plus 18 ans- et augmentée de seulement 8 ans en Afrique sub-saharienne).
Interdépendance économique et développement forment une première batterie de causes favorables.
Interdépendance politique, resserrement des bonnes relations entre États, en forme une deuxième batterie. Le monde compte deux fois plus de pays, ils entretiennent des liens politiques de plus en plus étroits : le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a rappelé récemment qu'en 1960, l'ONU ne comptait que 99 États membres dont quatre pays africains contre 192 aujourd'hui. Le système international onusien a développé ses interventions, en particulier, depuis la fin de la guerre froide. Cette intervention, tant en amont que en aval des conflits a joué un rôle également considérable, pour diminuer le nombre des conflits et pour alléger les coûts humains de ceux-ci.  Certes, on a l'habitude de pointer davantage les difficultés des Nations unies à enrayer tel ou tel conflit, ou à trouver rapidement une issue positive à telle ou telle situation, mais on évoque rarement les situations dramatiques qui existeraient si cette intervention n'existait pas. À noter que, depuis la fin de la guerre froide, l'augmentation du niveau, de la portée et de l'efficacité de l'aide humanitaire aux populations touchées par la guerre dans les pays en conflit, ont réduit le nombre de morts de manière significative, amélioré la vie des survivants et blessés, la vie des réfugiés.
L'implication considérable des ONG, le nombre des pays engagés dans des dispositifs divers pré et post-conflits, créent ainsi une interdépendance politique nouvelle au niveau mondial.
Ces évolutions au niveau économique, au niveau politique voient des évolutions parallèles au niveau de l'évolution des mentalités et des esprits. L'auteur du site Hérodote.net souligne l'écart existant entre l'évolution réelle des conflits et de leurs victimes dans le monde qui est en baisse, et l'impression subjective que l'opinion éprouve d'une violence sans pareille... "Sans doute sommes-nous d'autant plus sensibles à la violence que celle-ci est devenue plus rare (paradoxe mis en lumière par Tocqueville à propos des droits féodaux : ceux-ci n'ont plus été tolérés à partir du moment où ils étaient devenus marginaux).". Ce rejet croissant de la violence du monde est sans doute lié aussi à une forme de saturation médiatique ? Jour après jour, les journaux et la télévision doivent remplir leurs pages et leurs tranches d'actualités d'événements spectaculaires, ce qui aboutit à survaloriser le moindre affrontement dans un pays, sans échelle de proportions raisonnable... En même temps, la diffusion de l'information est devenue mondialisée, accélérée par les nouveaux outils de communication (télévision satellite, internet) et les réseaux sociaux qui se développent (Facebook, Twitter). C'est la naissance d'une nouvelle interdépendance, celle des esprits, des cerveaux des citoyens/citoyennes !
Les réactions des opinions publiques prennent ainsi du poids et peuvent influencer en partie les interventions des États démocratiques. Or, ceux-ci sont d'ailleurs de plus en plus nombreux puisque le pourcentage de pays dotés de gouvernements élus dans des systèmes électoraux démocratiques a doublé entre 1950 et 2008, de 29 % à 58 %.
Cette interdépendance plus grande des esprits ne peut que réjouir ceux qui luttent pour "élever les barrières de la paix dans l'esprit des hommes" selon le préambule constitutif de l'UNESCO.  Certes, chacun sait que le chemin pour promouvoir une culture de paix mondiale sera long...
Notons,  à ce sujet, que l'Assemblée générale des Nations unies a fait le point le 29 octobre dernier de la "Mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action en faveur d’une culture de paix" et que, dans la résolution votée, elle incite  l’UNESCO à examiner la possibilité de constituer un fonds spécial pour financer des projets de pays relatifs à la culture de paix et incite la Commission de consolidation de la paix (CCP) à continuer de promouvoir cette culture de paix dans ses initiatives post-conflit.
Bien sûr, ces évolutions sont des tendances. Ainsi, la réalisation des Objectifs du Millénaire pour l'éradication de la pauvreté rencontre des obstacles : ceux-ci peuvent mettre en cause la crédibilité des Nations unies. L'interdépendance économique peut inciter des grandes puissances à décider que le contrôle des matières premières qui leur sont nécessaires est un enjeu national de sécurité, et donc à utiliser la menace militaire. Les dispositifs de prévention des conflits se heurtent aux enjeux de puissance locaux comme le montre la situation en Côte d'Ivoire. La promotion de la culture de paix peut être entravée par de nouvelles craintes, nées des migrations, des modifications des pratiques culturelles ou religieuses qu'elles entraînent... Mais, je pense que les grandes tendances sont au développement d'un monde de plus en plus interdépendant, avec les nouvelles approches qui doivent en découler. Le débat est ouvert...
Dans ce débat, on peut mettre également l'appréciation du bilan à faire, des efforts de promotion de la Culture de paix après la décennie 2001-2010 qui lui était consacrée ? C'est ce que nous examinerons sans doute au début de l'année... prochaine.
27 décembre 2010


mardi 21 décembre 2010

Sécurité humaine : un monde moins meurtrier ? (2)

j'évoquais dans un précédent article les évolutions vers la recherche, non seulement d'une sécurité globale au niveau des États, mais aussi d'une sécurité humaine, englobant la sûreté des individus eux-mêmes.
Dans quel contexte interviennent ces évolutions positives ? Les conflits, les guerres, les violences qui les accompagnent, sont-ils en croissance ou non, les conséquences plus meurtrières ou non ?
Un article récent du site d'histoire français Hérodote apporte un élément de réflexion intéressant. Il fait remarquer que 2001-2010 représente "la décennie la moins violente depuis 1840" alors que la vision quotidienne du journal télévisé produit parfois le sentiment que tout va de plus en mal, dans un monde de plus en plus meurtrier.. Il prend en compte seulement le nombre de décès directement imputables à la violence guerrière. Pour lui, en prenant en considération les importantes incertitudes sur les recensements des victimes, les conflits et drames de la décennie (notamment  Irak, Darfour, Afghanistan, Congo), si intolérables soient-ils, aboutissent tous comptes faits en 2001-2010 à moins d'un million de morts au total. Pour l'auteur de l'étude, les décennies précédentes ont connu toutes, à chaque fois, un total supérieur à un million de morts (deux millions de morts ou davantage dans la plupart des cas, y compris les années 1990).
Un statut particulier revient au tiers de siècle 1914-1947 qui est la période la plus meurtrière de toute l'Histoire de l'humanité avec 100 à 200 millions de morts violentes sur 2 milliards d'êtres vivants, soit un taux exceptionnel de 5 à 10% de tués en l'espace d'une génération.
Selon cette étude, "il faut en définitive remonter aux années 1815-1840 pour discerner un niveau de violence internationale aussi bas qu'aujourd'hui (environ un million de victimes par décennie). En effet, après les guerres napoléoniennes (1 million de morts rien qu'en Europe, de 1804 à 1814), le monde n'a plus affaire qu'à des conflits mineurs, modérément meurtriers" (Amérique latine, Grèce, Serbie) jusqu'aux années 1840 (début des guerres en Chine, puis la guerre de Sécession aux États-Unis, le début de nouvelles guerres coloniales).
Dernière remarque à prendre en compte, les chiffres de victimes des dernières décennies se rapportent à une population mondiale de 6,5 milliards d'êtres humains, tandis que les guerres napoléoniennes ou la guerre de Sécession se rapportaient à seulement un milliard d'êtres humains.
Un récent rapport du "Projet sur la sécurité humaine" de l'université canadienne Simon Fraser étudie l'évolution des conflits, de leur intensité, de leurs causes dans les trois dernières décennies et ses conclusions vont plutôt dans le même sens que cet article de Hérodote. Pour lui, les tendances à long terme sont la réduction des risques tant des guerres civiles qu'inter-étatiques, bien que des tendances existent indiquant que le monde pourrait devenir plus dangereux du fait de la hausse de la violence islamiste, de la "rigidité" des conflits qui subsistent, et de l'impact difficile à mesurer de la crise économique sur les pays en développement.
La période étudiée est plus limitée que celle d'Hérodote puisqu'elle recouvre les trente dernières années. Ainsi, le précédent rapport de ce centre de recherches en 2005, montre que le nombre de conflits armés avait diminué de plus de 40% depuis 1992. Les conflits les plus meurtriers (ceux avec 1000 décès ou plus dans des combats) ont connu une baisse radicale de 80%. Le nombre de crises internationales, souvent messagères de guerre, a baissé de plus de 70% entre 1981 et 2001. Les guerres inter-étatiques sont plus rares que dans des périodes précédentes et représentent maintenant moins de 5% de tous les conflits armés.
Les causes les plus importantes de décès ne proviennent pas de combats réels, mais de la maladie et de la malnutrition aggravées par les conflits. Ces décès "indirects" représentent pas moins de 90% des victimes recensées dans ces crises.
Les auteurs du rapport estiment qu'il y a eu trois grands changements du contexte international qui éclairent pour une large part ces évolutions :
- la fin du colonialisme : du début des années 50 au début des années 80, les guerres coloniales ont fourni 60-100% de tous les conflits internationaux selon les années.
- la fin de la guerre froide, qui avait produit approximativement un tiers de tous les conflits de l'après-Seconde Guerre mondiale. La menace de guerre entre les deux "grands" a disparu ainsi que les « guerres par procuration » qu'ils se menaient dans les pays en voie de développement.
- la croissance sans précédent des activités internationales conçues pour arrêter ou prévenir les guerres, notamment grâce aux activités de l'ONU. Les missions de diplomatie préventive de l'ONU ont été multipliées par six, les missions de rétablissement de la paix par quatre, les opérations de paix post-conflits par quatre également, l'augmentation par onze du nombre d'États soumis à des sanctions de l'ONU, pour faire pressions sur des négociations ou prévenir un conflit. Il faut ajouter le développement sans précédent de l'action des ONG humanitaires, de développement qui limitent le nombre des victimes, notamment des victimes "annexes" (de maladie, d'épidémie, de blessures).

Ces chiffres ne diminuent en rien l'inacceptabilité du nombre énorme de victimes des conflits actuels ni l'urgence des initiatives pour l'éradication totale des guerres dans le monde. Mais ces réflexions ont le mérite de nous faire prendre un peu de recul pour ne pas oublier quelques grandes évolutions de ces dernières décennies. Il est parfois bon de voir que notre action militante quotidienne s'inscrit dans une évolution positive de l'humanité. Maintenant, d'autres questions très importantes sont pendantes : quelles autres explications apporter à la baisse des conflits et de la violence ? Quelles "raisons de la paix" ? Cette baisse est-elle une tendance irréversible ? Quelles menaces subsistent, pouvant la remettre en cause et refaire exploser la violence du monde ? Nous y reviendrons dans un prochain article....
21 décembre 2010



lundi 13 décembre 2010

Sécurité humaine : une longue quête (1)

Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a nommé un diplomate japonais, M. Yukio Takasu au poste de conseiller spécial pour la "sécurité humaine". Animateur d'un réseau informel, les Amis de la sécurité humaine « Friends of Human Security » (FHS) depuis 2005, il sera chargé de mener des consultations avec les États Membres, les organisations du système de l'ONU afin de faciliter une "compréhension commune du concept de sécurité humaine". En débat depuis près de vingt ans, ce concept de "sécurité humaine" a connu cette année deux impulsions : l'Assemblée Générale des Nations Unies a tenu les 21 et 22 mai 2010 un débat en séance plénière sur cette question. Le 28 juillet, elle a adopté un projet de résolution sur la sécurité humaine présenté par le Japon et par laquelle elle prend note du premier débat formel sur cette notion et elle "reconnaît la nécessité de poursuivre le débat et de parvenir à un accord sur cette définition à l’Assemblée générale" et prie le Secrétaire général de solliciter les vues des États Membres et de lui faire rapport dans un an.
On constate donc tout à la fois un débat qui continue et s'approfondit très lentement mais qui soulève des questions difficiles entre les États. Pourquoi ?
Adoptée comme principe de politique étrangère par certains pays (Canada, Norvège, Japon), la sécurité humaine demeure en effet un concept encore flou et objet de débats bien que ce thème ne soit pas nouveau.
La première définition de la sécurité humaine est fournie par le rapport du PNUD sur le développement humain de 1994. Partant du constat que « pour la plupart des gens, un sentiment d’insécurité surgit davantage des craintes engendrées par la vie quotidienne que par un événement apocalyptique mondial », le rapport invite à prendre pour objectif de la sécurité l’individu et non plus l’Etat et penser la sécurité aussi bien à l’intérieur des frontières qu’à l’extérieur. L’approche du PNUD revient à établir une liste de sept domaines classés comme autant d’enjeux sécuritaires : sécurités économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, personnelle, collective et politique. Déjà en 1992, à l’initiative du Secrétaire général des Nations unies de l’époque, Boutros Boutros-Ghali, l’adoption d’un Agenda pour la paix avait aussi marqué un tournant. Il affirmait que « pauvreté, maladie, famine, oppression et désespoir (…) sont à la fois la source et la conséquence des conflits » et constituent « l’absolue priorité » des efforts de l’ONU. Son successeur, Kofi Annan, réaffirma cette démarche en 1998 dans deux de ses rapports.
En 1997, le ministre des Affaires étrangères canadien, Lloyd Axworthy, fait la promotion d’une « stratégie politique internationale qui devrait inclure la sécurité humaine », où la sécurité de l’individu devenait le « nouvel étalon de mesure de la sécurité mondiale ». Selon cette approche les organisations internationales, créées par les Etats afin d’établir un ordre mondial juste et pacifique, et au premier chef l’ONU dans son rôle de gardien de la paix et de la sécurité internationales que lui confère sa Charte, doivent répondre aux besoins des personnes en matière de sécurité.
L’idée de sécurité humaine est apparue ainsi dans les années 90 dans un contexte nouveau. En effet, à la fin de la Guerre froide, la sécurité des Etats s’était améliorée tandis que celle des populations n’avait cessé de se dégrader. Alors qu’il s’agissait auparavant de préserver l’intégrité territoriale et la souveraineté politique contre les agressions externes, les civils se trouvaient désormais projetés au centre des conflits contemporains. De plus en plus de conflits armés prenaient en effet la forme de guerres civiles, dans lesquelles huit victimes sur dix étaient des non combattants. Ce phénomène était dû en grande partie à la perte de capacité et d’autorité des États, incapables d’assurer la sécurité élémentaire des individus. La réflexion se développa aussi suite au double échec de la communauté internationale, au Rwanda en 1994 et dans le nord Kosovo en 1999 - cette dernière crise ayant vu l’intervention unilatérale et illégale de l’OTAN. Cette situation venait du fait que l’ONU de son côté s’avérait incapable de trouver un consensus sur le « droit d’intervention humanitaire », une des questions les plus controversées de la décennie 1990. « Si l’intervention humanitaire constitue une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’êtres humains ? », interrogeait alors Kofi Annan.

Dans cette réflexion, la notion de sécurité humaine fournit un cadre conceptuel dans lequel il est possible de réexaminer la souveraineté des États. La sécurité humaine oblige l’Etat à envisager une souveraineté tournée "vers l’intérieur", c’est à dire "vers les individus" qui lui confèrent sa légitimité. Elaborée par la commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats, la notion de "responsabilité de protéger" et non plus "l'ingérence humanitaire" s’impose comme le corollaire de la sécurité humaine. Ces deux concepts ont été incorporés au document final du Sommet mondial de l’ONU de septembre 2005.

Dans le Document final adopté le 7 septembre 2005, les Etats membres réaffirment les objectifs du Millénaire, condamnent le terrorisme, décident d'instituer une Commission de consolidation de la paix, reconnaissent la responsabilité internationale de protéger les populations contre les génocides, souhaitent réformer le Conseil de sécurité et conviennent de créer un Conseil des droits de l'homme. Les Etats membres reconnaissent avoir la « responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité » lorsque les États ne sont pas disposés ou en mesure de le faire, au besoin en ayant recours à la force.
Le fonctionnement de nouveaux organes internationaux, tels la Cour pénale internationale, la Commission de la consolidation de la paix, le Conseil des droits de l’homme va induire progressivement ces cinq dernières années des réflexions plus concrètes qui font que maintenant, la question est de préciser, exactement, le sens du concept de sécurité humaine, car il devient, de fait, opérationnel dans de nombreux domaines internationaux.
Des réticences existent encore, notamment de la part de pays du Sud qui considèrent la sécurité humaine comme un nouveau critère visant à justifier l’imposition de modèles occidentaux, alors que le concept n'est pas vraiment appliqué à l’intérieur même des pays occidentaux. Cette critique en rejoint d'autres pour qui, le flou qui entoure encore la notion de sécurité humaine, sert les intérêts de ses promoteurs en soudant des acteurs très différents autour d’objectifs qui le sont tout autant. La sécurité humaine apparaît alors essentiellement comme un outil politique, qui peut être manipulé par certaines puissances.
D'un autre côté, la sécurité humaine n'est-elle pas un des moyens de remettre directement les préoccupations des peuples, le souci de la sécurité de tous et de chacun au centre des préocuupations de la communauté internationale, sans se cacher derrière la souveraineté de soit-disants représentants non élus, corompus, dictatoriaux ?
Cela suppose évidemment une ONU renforcée, démocratique, à la légitimité non contestée.
Le Parlement européen, dans un voeu voté fin septembre 2005, avait bien noté que le soutien à la sécurité humaine passait par un "engagement en faveur d'une ONU forte, rappelant qu'un multilatéralisme authentique constitue l'outil le plus approprié pour relever les défis, résoudre les problèmes et éloigner les menaces auxquels la communauté internationale est confrontée". Sécurité humaine et multilatéralisme sont liés, au risque sinon de permettre des instrumentalisations douteuses.
Le contexte de 2010 n'est pas celui de 2005, ni a fortiori de 1994 : il est sans doute plus favorable à la paix, à la place de l'ONU. Un récent rapport du Projet sur la sécurité humaine de l'université canadienne Simon Fraser étudie l'évolution des conflits, de leur intensité, de leurs causes dans ces dernières décennies. Les évolutions sont notables : nous y reviendrons dans un prochain article.
lundi 13 décembre 2010


lundi 6 décembre 2010

OTAN : la difficile justification existentielle de Lisbonne

Le sommet que l'OTAN  a tenu à Lisbonne et le nouveau "concept stratégique" adopté (la "ligne de conduite" des alliés pour les prochaines années) ont suscité beaucoup de commentaires sur les "perdants" et les gagnants"... Deux semaines après, que peut-on en dégager ?
Concernant la question centrale de l'avenir des armes nucléaires, le concept stratégique adopté "engage l’OTAN sur l’objectif qui consiste à créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires – mais il reconfirme que, tant qu’il y aura des armes nucléaires dans le monde, l’OTAN restera une alliance nucléaire". Nous sommes bien au coeur de l'ambiguité actuelle des diplomaties des grandes puissances. la formule "tant que..., nous garderons des armes nucléaires" est remarquablement hypocrite car elle se traduit par un "puisqu'il y a des armes nucléaires, nous gardons les nôtres et on verra"...
En effet, on trouve bien sûr, dans ce même texte de l'OTAN, une formule apparemment très politiquement correcte : " Nous sommes déterminés à tendre vers un monde plus sûr pour tous et à créer les conditions d'un monde sans armes nucléaires, conformément aux objectifs du Traité sur la non prolifération des armes nucléaires, selon une approche qui favorise la stabilité internationale et se fonde sur le principe d'une sécurité non diminuée pour tous", qui rappelle les amendements français soutenus à New-York, en mai dernier à la conférence du TNP.
Mais que vaut cette formule, quand les alliés réaffirment ailleurs dans le texte que l'OTAN maintiendra des armes nucléaires en Europe (elle se contentera de chercher "à réunir les conditions pour de nouvelles réductions") : or, tous les experts reconnaissent que ces armes (des bombes nucléaires basés sur des bombardiers) n'ont aucune justification de dissuasion mais ont uniquement un rôle politique d'intimidation.
Deuxièmement, le texte réaffirme clairement deux volontés : "nous maintiendrons une combinaison appropriée de forces nucléaires et conventionnelles" et "nous alimenterons les budgets de défense aux niveaux nécessaires pour que nos forces armées aient des moyens suffisants". À Lisbonne, le processus de désarmement nucléaire relancé depuis un an a connu, sinon un coup d'arrêt, au minimum, une pause illustrée par cette fausse vérité de bon sens, formulée également dans le texte :"Aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires, l’OTAN restera une alliance nucléaire". Certes, on ne pouvait guère attendre d'une alliance militaire qu'elle aille dans le sens du désarmement, il reviendra donc aux citoyens de transformer cette formule en "Aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires, les gouvernements doivent travailler à les éliminer complètement et partout dans le monde"...
La deuxième conclusion que je tire de la lecture du concept stratégique adopté par l'OTAN est un besoin considérable de trouver de nouvelles justifications à l'existence de cette alliance militaire qui n'a plus d'ennemi classique officiel, puisque celui qui était toujours désigné de fait, la Russie, assistait à la réunion. Pour justifier son existence, l'OTAN a donc élargi le champ des menaces en y mêlant pêle-mêle le terrorisme, la cybercriminalité et... la protection des voies d'approvisionnement énergétiques : pétrole, uranium, gaz, nous voilà prévenus....
Or, tous ces domaines devraient relever d'abord du renforcement de la coopération policière, judiciaire plus que du relèvement des moyens militaires nucléaires et conventionnels... Cette orientation apporte de l'eau aux moulins de ceux qui estiment que l’OTAN est aujourd’hui, moins une alliance militaire qu’un moyen de contrôle économique et politique par les Etats-Unis de leurs intérêts propres et de contrôle politique de leurs « alliés». Cette critique est renforcée par l'insistance mise par la déclaration affirmant que "l’UE est un partenaire unique et essentiel pour l’OTAN. Les deux organisations sont composées, en grande partie, des mêmes États, et tous leurs membres partagent les mêmes valeurs". L'OTAN enfonce le clou en répétant que  "l'OTAN et l'UE peuvent et doivent jouer des rôles complémentaires et se renforcer mutuellement, en soutien de la paix et de la sécurité internationales" : ceci n'est pas sans poser question : une alliance militaire et un ensemble politique ne se situent pas vraiment sur le même plan.  "Je t'embrasse pour mieux t'étouffer", dit le proverbe.
Les "signaux" politiques envoyés par le sommet de Lisbonne sont essentiellement négatifs : il est donc curieux d'entendre un des responsables des questions de défense au parti socialiste, M. Fabius, déclarer au Forum de la Presse diplomatique (contrairement à ce qu'autres dirigeants dont Martine Aubry, avait dit, lors du retour de la France de M. Sarkozy dans le commandement militaire de l'OTAN), "On ne ressortira pas du commandement" et ajouter simplement : "Nous demanderons que les deux exigences formulées par la France - un poids accru de notre pays dans les structures militaires et une défense européenne plus forte - soient satisfaites." On a du mal à voir là une politique alternative aux mauvais choix de Nicolas Sarkozy.
In fine, la principale mesure militaire concrète annoncée est la création d'un bouclier anti-missiles visant, quasi officiellement l'Iran, et, sans le dire, aussi la Chine. Cette décision n'est pas sans évoquer pour les Français la construction de la fameuse "ligne Maginot" qui devait constituer un mur infranchissable pour l'armée allemande. Là encore, outre le fait que  le projet de bouclier antimissile sera particulièrement onéreux (plusieurs milliards d’euros) et d'une efficacité douteuse, des critiques font remarquer que la contribution financière des européens permettra de financer l’industrie militaire outre-atlantique au détriment de la recherche européenne et de notre propre tissu industriel. Cette course continue vers plus de dépenses militaires stériles a d'ailleurs été de nouveau condamnée par le Pape qui, en recevant l'ambassadeur du Japon, a réaffirmé le 27 novembre dernier qu'une "part des sommes allouées aux armes pourrait être réaffectée à des projets de développement économique et social, d’éducation et de santé. Cela contribuerait sans aucun doute à la stabilité intérieure des pays et à celle entre les peuples". Nos lecteurs savent qu'en 2009, 1.531 milliards de dollars ont été dépensés en armements dans le monde (+ 50% par rapport à 2000). Or, 15 milliards de dollars par an suffisent pour fournir de l’eau potable à tous les humains; 20 milliards pour éradiquer la faim et la malnutrition et 12 milliards pour éduquer tous les enfants.
Sans angélisme aucun, il y a là matière à réfléchir sur la réduction de la militarisation du monde, d'autant plus que le même sommet de l'OTAN a dû reconnaître que les solutions purement militaires étaient en échec : "les enseignements tirés des opérations de l’OTAN, en particulier en Afghanistan et dans les Balkans occidentaux, montrent à l’évidence qu’une approche globale – politique, civile et militaire – est indispensable pour une gestion de crise efficace". Le texte ajoute aussi "La meilleure façon de gérer un conflit, c’est d’éviter qu’il ne survienne".  Nous avons envie de dire : "just do it !".
6 décembre 2010



jeudi 18 novembre 2010

Petits cailloux sur le chemin de la paix : tolérance, ONU, remaniement ministériel...

Pas de réflexion unique sur un sujet cette semaine, mais plutôt un retour sur des informations peu médiatisées, mais qui me semblent intéressantes pour la vie de notre petite "boule" ronde.
Certains médias ont beaucoup parlé d'une "journée de la gentillesse", samedi dernier 13 novembre, initiative fort louable mais, par contre, peu a été dit, ce mardi 16 novembre, sur la Journée internationale de la tolérance (célébrée chaque année à cette date depuis 1996). Le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a rappelé que « La tolérance est le fondement du respect entre les peuples et les communautés. Elle est indispensable à l'édification d'une société mondiale partageant un certain nombre de valeurs. C'est une vertu et une qualité mais par-dessus tout un acte -- qui consiste à tendre la main à autrui et à percevoir les différences non pas comme des obstacles mais comme des invitations au dialogue et à la compréhension ». Soixante après que les signataires de la Charte des Nations Unies se sont résolus « à pratiquer la tolérance » et « à vivre en paix l'un avec l'autre dans un esprit de bon voisinage », la tolérance demeure l'un des axes principaux de l'action des Nations Unies. La Journée internationale rappelle à l'opinion publique mondiale que la tolérance est une condition essentielle pour la paix, la démocratie et le développement durable. « La tolérance ne va pas de soi. Elle doit être enseignée, entretenue et communiquée. L'éducation, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la salle de classe, est essentielle pour renforcer la tolérance et combattre la haine et la discrimination », a encore indiqué le secrétaire de l'ONU.
On peut souligner aussi que la Directrice générale de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), Irina Bokova, a aussi, pour sa part, souligné l'importance de la tolérance dans un message adressé à l'occasion de la Journée internationale. « Les enjeux sont immenses. Dans un monde plus connecté que jamais, où la communication n'a jamais été aussi facile et où l'écart entre le « local » et le « global » ne tient qu'à un clic, la tolérance doit rester le maître mot de notre pensée et de notre action. Elle ne peut être tenue pour acquise. La Journée internationale pour la tolérance est une occasion privilégiée de nous mobiliser tous ensemble dans ce sens », a dit Irina Bokova. « Les risques sont réels. Alors même que les vieux clivages disparaissent, de nouveaux murs se dressent entre les peuples et les communautés -- les murs de la peur, du préjugé, de l'ignorance et de la haine. Chaque jour nous rappelle qu'il ne suffit pas de communiquer -- nous devons tisser des liens. Il ne suffit pas d'échanger, il nous faut partager. La tolérance est le point de départ », a-t-elle martelé.
Communiquer / échanger / partager : il y a là matière à réflexion pour les défenseurs d'une culture de paix... Ne faudrait-il pas plus valoriser en France cette journée de la tolérance, qui pourrait constituer un "rebond" important des débats après ceux qui commencent à se dérouler lors de chaque 21 septembre, journée de la paix.

Le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a appelé également vendredi les dirigeants du G20, réunis en sommet à Séoul, à investir dans le développement, pour aider non seulement des millions de gens qui souffrent de la crise économique mais aussi pour améliorer la vie des plus pauvres de la planète. « Investir dans le développement, c'est investir dans la redressement de tout le monde », a-t-il dit au G20, qui réunit les principales puissances économiques mondiales, lors d'une réunion consacrée au développement. Le Secrétaire général a rappelé l'engagement renouvelé exprimé par les dirigeants du monde lors du sommet tenu à New York en septembre à réaliser les Objectifs du millénaire pour le développement d'ici à 2015. « Lors de ce sommet, nous avons entendu un mot qui a été répété à plusieurs reprises. Ce mot est "responsabilité". Les promesses faites doivent être des promesses tenues. Nos mots doivent se traduire en action sur le terrain », a dit Ban Ki-moon. Il a donc insisté sur la nécessité de continuer à se concentrer sur les Objectifs du millénaire pour le développement, mais aussi à procéder à des investissements stratégiques et à respecter les promesses en termes de financement.
Ces déclarations de Ban Ki-moon ont le mérite de recentrer les appréciations à fournir sur le déroulement du G20. Les commentaires sur ce somment ont souvent été totalement déconnectées des réalités des populations de notre planète, au profit d'un discours exclusivement monétaire et financier. La deuxième caractéristiques de ces commentaires a été de discuter de ce sommet, de son efficacité ou non, sans poser la question de sa place, voire de sa légitimité, par rapport à l'architecture à vocation démocratique de notre monde, celle du système des Nations unies.

L'évolution de ce système, son amélioration, voire sa "démocratisation" sont de la responsabilités des États ou gouvernements du monde, donc des citoyens électeurs, censés contrôler et faire pression sur leurs représentants. De ce point de vue, le Président actuel de l'Assemblée générale de l'ONU, le suisse Joseph Deiss, a rappelé leur responsabilité aux États membres pour faire avancer la réforme du Conseil de sécurité. « Il doit être très clair que la solution est entre vos mains », a dit Joseph Deiss aux Etats membres. La configuration du Conseil de sécurité, 15 membres, dont cinq membres permanents avec un droit de veto (Chine, France, Royaume-Uni, Russie et Etats-Unis), n'a pas changé depuis sa création après la Deuxième guerre mondiale. De nombreux pays, des ONG, font valoir que cette structure ne représente pas les réalités du monde d'aujourd'hui.
« C'est votre détermination à faire quelque chose de ce processus qui conduira à des progrès. Il est donc essentiel de montrer la flexibilité, la volonté de compromis, la bonne foi, la créativité et le respect mutuel dans une atmosphère à la fois transparente et ouverte à tous », a-t-il ajouté. Selon le Président de l'Assemblée générale, la réforme du Conseil est indispensable pour réaffirmer le rôle central des Nations Unies dans la gouvernance mondiale, soulignant qu'il y avait « pratiquement un consensus complet » mondial sur la nécessité de s'adapter aux changements qui ont eu lieu depuis 1945.

Créer les conditions d'un rôle central à l'ONU, c'est ce qu'a déclaré lundi dernier, Martine Aubry lors de la réunion du Conseil de l'Internationale socialiste réuni à Paris, où elle a délivré devant ses pairs, pour la première fois, un long discours de politique étrangère. Elle n'a pas fait de déclarations très nouvelles mais a réaffirmé la nécessité de donner un "rôle central de l'Organisation des Nations unies, à condition de la renforcer, en rendant le Conseil de sécurité plus représentatif, en renforçant le rôle pivot de l'ONU, en la dotant de moyens civils et militaires permanents". Dans une période où la politique française semble, au travers du vertige médiatique que va apporter à Nicolas Sarkozy la présidence pendant un an du G20 ou au travers de la fascination envers l'OTAN, dédaigner les initiatives françaises dans les enceintes de l'ONU, il semble positif que l'ensemble de la gauche française montre clairement les alternatives pour construire un monde véritablement multilatéral.
Il n'est pas sûr que la nomination de Michèle Alliot-Marie au poste de Ministre des Affaires Étrangères laisse augurer une ére d'ouverture et d'initatives, tant sur le plan multilatéral que sur celui du désarmement, à moins que ne se perdent les habitudes de garder le petit doigt sur la couture de la jupe ou du pantalon...
Alain Juppé, le nouveau ministre de la Défense, a dit qu'il garderait sa liberté "d'appréciation politique"... Ira-t-elle jusqu'à proposer à sa collègue des initiatives politiques allant dans le sens du texte qu'il avait signé le 14 octobre 2009, avec Michel Rocard, Alain Richard (ancien ministre PS de la défense) et le général Norlain, "pour un désarmement nucléaire mondial" ? L'avenir le dira, même si le passé nous rappelle que M. Juppé fut le Premier ministre zélé de Jacques Chirac en 1995 pour la reprise des essais nucléaires dans le Pacifique, puis en 1996 d'une première tentative de réintégrer le commandement militaire de l'OTAN...
L'exigence de lucidité et de vigilance semble plus que jamais à l'ordre du jour en cette fin d'année 2010....
18 novembre 2010



mardi 9 novembre 2010

L'OTAN s'accroche à ses armes nucléaires...

Les 19 et 20 novembre, les dirigeants de l'Otan doivent discuter à Lisbonne de l'avenir de l'organisation. Au menu: l'adoption d'un nouveau "concept stratégique" (voir notre article du 25 octobre dernier : http://culturedepaix.blogspot.com/2010/10/otan-un-nouveau-concept-pour-survivre.html), des pourparlers sur les armes nucléaires "pré-stratégiques" et sur la défense antimissile.
Rappelons que, selon les estimations les plus courantes, près de 240 ogives nucléaires américaines se trouvent en Allemagne, en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie. La nouvelle doctrine nucléaire nationale, rendue publique par les Etats-Unis, fait mention d'un éventuel retrait des armes nucléaires tactiques américaines du continent européen.
Or, du fait de l'obsolescence politique reconnue de plus en plus largement de ces armes, de la pression de leurs opinions publiques, cinq pays européens (l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la Norvège) ont initié une discussion interne sur la politique nucléaire de l'OTAN, pouvant aller jusqu'au retrait de ces armes.
Un tir de barrage contre une telle éventualité a été déclenché notamment par le Secrétaire général de l'OTAN, et le dernier en date à intervenir, a été le général français, Stéphane Abrial, patron du Commandement allié Transformation de l'Otan, qui a déclaré : "Tant que le monde est nucléaire, l'Alliance (de l'Otan) doit garder des armes nucléaires", lors du 2ème Forum sur la sécurité internationale à Hallifax, au Canada, le week-end dernier.
Position curieuse, non exempte de contradiction, d'un officier français, se prononçant sur l'avenir d'armes nucléaires américaines, alors qu'en théorie, la France dont la dissuasion est indépendante n'a pas à intervenir dans les questions nucléaires relatives à la « dissuasion élargie » qui correspond aux engagements des Etats-Unis vis-à-vis de leurs alliés. Telle était du moins la position du Général de Gaulle...
Ce nouveau cours de la politique française se reflète curieusement au Sénat, où, dans le Rapport d'information n° 332 (2009-2010) de M. Jean-Pierre Chevénement, fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 24 février 2010, on peut lire, à propos des armes nucléaires tactiques de l'OTAN, qu'il "s'agit donc d'« armes politiques » dont la fonction symbolique est de garantir un équilibre de sécurité propice à une paix durable sur notre continent. (...) L'abandon des armes nucléaires « tactiques » de l'OTAN serait un « cadeau gratuit » fait à la Russie".
Qu'en est-il, concrètement, de ces armes nucléaires tactiques, que d'aucun appellent abusivement, à mon avis, "pré-stratégiques", et qui sont des d'armes d'intimidation et d'emploi ? Selon un expert italien, Manlio Dinucci, s'exprimant sur Voltaire.net, "le nombre exact de ces armes n'est pas connu exactement et oscille selon les estimations, soit, entre 150 et 200, dont 70-90 en Italie (à Aviano et à Ghedi-Torre). Selon d’autres estimations, au moins le double. Ce sont des bombes B-61 de différentes versions, dont la puissance va de 45 à 170 kilotonnes (13 fois plus que la bombe d’Hiroshima). Parmi celles-ci, probablement, la B 61-11 qui peut pénétrer dans la terre afin de créer, par explosion nucléaire, une onde de choc capable de détruire des objectifs souterrains. Toutes ces bombes sont déposées dans des hangars spéciaux avec des chasseurs-bombardiers F-15, F-16 et Tornado, prêts pour l’attaque nucléaire".
Que faire de ces armes nucléaires devant la pression grandissante pour progresser vers le désarmement nucléaire ? On peut, soit les garder en Europe telles qu’elles sont (ce qui est peu envisageable), soit les retirer complètement (ce qui diminuerait le rôle politique de l'OTAN, ce dont ne veulent pas, les pro-otaniens). Selon Manlio Dinucci, citant un rapport d'octobre d'un comité de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN,
une proposition de l’US Air Force, existe de « regrouper les armes nucléaires dans moins de localités géographiques ». Selon la plus grande partie des experts, « les localités les plus probables pour cette relocalisation sont les bases sous contrôle états-unien d’Aviano, en Italie (région Frioul Vénétie Julie) et Incirlik en Turquie ». Le silence récent récent sur ces questions du gouvernement italien peut laisser supposer qu'il a déjà donné son accord au projet de déplacer les armes nucléaires US d’Allemagne, de Belgique et des Pays-Bas pour les rassembler à Aviano, où seraient aussi transférées celles de Ghedi-Torre.
Ce regroupement en Italie et le maintien de ces armes nucléaires posent déjà un problème politique sérieux : cela signifierait que les pays membres de l'OTAN ne font aucun geste politique pour montrer qu'ils soutiennent les propositions de relance des discussion de désarmement nucléaire, venant tant du Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki moon, que du texte voté par tous les états signataires lors de la dernière conférence du TNP. Il est clair que ce serait "tirer une balle dans le pied" de tous les efforts diplomatiques pour amener l'Iran à renoncer définitivement à tout projet de se doter de capacités nuxcléaires militaires.
Mais, il y a un deuxième problème juridique, celui-ci, et non-moins important. Sur le site officiel de l'Alliance Atlantique, les "dossiers de l'OTAN" indiquent clairement que "la supervision politique du dispositif nucléaire de l'OTAN est partagée entre les pays membres. Le Groupe des plans nucléaires de l'OTAN est une instance au sein de laquelle les Ministres de la défense de pays alliés dotés ou non d'armes nucléaires participent ensemble à l'élaboration de la politique nucléaire de l'Alliance et à la prise de décisions concernant le dispositif nucléaire de l'OTAN". Ce partage nucléaire, tant politique au travers de ce Comité, que physique avec le stationnement, les déplacements et regroupements d'armes nucléaires, contrevient à l'évidence à l'esprit, et aussi à la lettre, comme l'estiment beaucoup de juristes et d'ONGs, au Traité de non-prolifération nucléaire : celui-ci interdit aux États en possession d’armes nucléaires de les transférer à d’autres (Art. 1) et aux Etats non nucléaires de les recevoir de qui que ce soit (Art. 2).
Que se passera-t-il au Sommet de Lisbonne ? Cette dimension nucléaire sera-t-elle débattue publiquement ou étouffée ? Nul doute que les représentants des ONGs, présents nombreux en marge du sommet, ne se priveront pas de la soulever...


mercredi 3 novembre 2010

France-Grande-Bretagne : un accord "historique" ou conjoncturel ?

Ce 2 novembre 2010, la France et la Grande-Bretagne ont décidé "de signer un Traité de coopération en matière de défense et de sécurité afin de développer la coopération entre nos forces armées, le partage et la mutualisation de matériels et d'équipements,(..) la construction d'installations communes, l'accès mutuel à nos marchés de défense et la coopération industrielle et technologique".
Concrètement, cela doit se traduire par le lancement de plusieurs études, notamment sur des "drones" (avions sans pilote) de surveillance puis de combat dans vingt ans, la coopération aéro-navale entre les porte-avions français et britanniques dans dix ans. Les deux mesures concrètes sont la création d'une force expéditionnaire commune qui ne sera pas une force permanente, mais sera disponible (dans les prochaines années ?) "pour des opérations bilatérales, de l'OTAN, de l'Union européenne, des Nations Unies ou d'autres opérations".
La seconde mesure touche à la coopération nucléaire "dans une installation commune à Valduc (France) où sera modélisée la performance de nos têtes nucléaire et des équipements associés" avec la création d'un centre de recherche complémentaire à Aldermaston (Royaume-Uni).
S'agit-il d'un "accord historique" comme l'ont qualifié les dirigeants des deux pays ? En tout cas, il n'est pas le premier depuis "l'entente cordiale" de 1904 qui n'a pas empêché la guerre de 1914. Il est différent de la déclaration commune de 1998 entre Blair et Chirac qui voulait lancer l'Europe de la Défense et qui a fait, finalement, un "flop". Là, il s'agit uniquement d'un accord bilatéral entre deux pays qui déclarent, non sans arrogance, dans leur texte commun : "nous investissons, à nous deux, la moitié des budgets de défense des pays européens et les deux tiers des dépenses de recherche et de technologie. Nous sommes au nombre des contributeurs les plus actifs aux opérations en Afghanistan et dans d'autres zones de crises. De même, nous sommes parmi les rares pays à avoir la capacité et la volonté d'assumer les missions militaires les plus exigeantes".
C'est sous cet éclairage qu'il faut apprécier les seules mesures concrètes : un corps expéditionnaire pour pouvoir faire bonne figure, sans doute, à côté des États-Unis dans des opérations extérieures, qui ne sont cadrées par aucune restriction dans leur énumération (pas de référence à la Charte des Nations unies, par ex)... une coopération entrant dans le cadre de la simulation des essais nucléaires pour le maintien des armes nucléaires. Cette installation, qui sera appelée EPURE, dans le laboratoire de Valduc, où se fait actuellement déjà l'assemblage des têtes nucléaires, s'ajoutera au laser Mégajoule, au Barp, près de Bordeaux, destiné à la simulation des explosions nucléaires, à l'installation AIRIX, basé à Moronvillers, où sont radiographiées les mise à feu des charges nucléaires. EPURE devrait être un programme AIRIX amélioré, qui teste l'explosion de l'amorce d'une bombe nucléaire et radiographie, pendant cette phase de forte compression, le comportement des matériaux nucléaires. Certains spécialistes, comme Bruno Barillot du CDRPC, ont parlé "d'essais froids" pour ces tests. Les deux pays estiment que ces programmes de simulation des essais nucléaires ne sont pas interdits par le TICEN (Traité d'interdiction) qu'ils ont ratifié. Formellement, peut-être, mais dans la mesure où le but de ces installation est de maintenir, voire tester la modernisation des têtes nucléaires, ils s'opposent, et à l'esprit, et à la lettre du Traité de non-prolifération, qui prévoit "dans un délai rapproché" d'aller au désarmement nucléaire, engagement renouvelé et renforcé par tous les participants dans la résolution adoptée lors de la Conférence d'examen de ce même TNP, en mai dernier à New-York (voir mes articles sur le sujet : http://culturedepaix.blogspot.com/2010/05/tnp-un-accord-pour-de-nouvelles-etapes.html).
Sans être taxé de critique sectaire, on peut estimer que cet accord ne donne pas un signal favorable au processus de désarmement nucléaire, qui avait connu un certain élan au premier semestre. Pire, le fait que la déclaration commune insiste sur le fait que "Tant qu'il existera des armes nucléaires, l'OTAN demeurera une alliance nucléaire" et que "La défense antimissiles est un complément et non un substitut à la dissuasion" est symptomatique d'une volonté française de contrecarrer certaines tentatives diplomatiques allemandes, voire britanniques de s'inscrire dans l'orientation de diminution de la place de l'arme nucléaire lancée par le président Obama. On sait que ces propositions d'Obama avaient considérablement agacé la diplomatie française qui reste attachée au statut nucléaire de la France, comme maintien d'un attribut de puissance. Le retour de notre pays dans le commandement militaire intégré de l'OTAN correspondait au désir de N. Sarkozy de devenir à son tour, un  soutien sans faille d'une politique US, fondée sur le modèle Bush.
Contrairement à ce qu'écrit le député P.S J-Michel Boucheron dans la presse qui parle "d'un progrès pour la défense de l'Europe", l'accord franco-britannique ne vise pas à s'inscrire dans le renforcement d'une défense européenne, jugée trop problématique, mais plus dans le désir de montrer que la France, en resserrant ses liens militaires avec la Grande-Bretagne, pouvait elle-aussi accéder au statut "d'allié fidèle" des États-Unis, et obtenir, en retour quelques miettes du pouvoir. Au nom d'un "réalisme" sans principe, cet accord s'inscrit dans une vision purement militaire de la sécurité internationale, basée sur le renforcement de l'OTAN et la défense d'intérêts vitaux aux contours de plus en plus douteux. Il n'ouvre à aucun moment une perspective politique de renforcement d'une sécurité globale qui s'appuierait sur la promotion du droit international, des accords de désarmement, de la prévention des conflits à la source.
On peut regretter que les deux pays n'aient pas consacré autant d'énergie à une initiative politique commune pour que l'Union européenne soutienne plus activement les propositions de désarmement du Secrétaire général des Nations unies et favorise le démarrage de discussion sur une Convention d'interdiction des armes nucléaires. Les effets seraient plus positifs tant sur le plan de la sécurité internationale que sur celui de la réduction de dépenses militaires qui deviennent de plus en plus inconsidérées.
le 3 novembre 2010


lundi 25 octobre 2010

OTAN : un nouveau concept pour survivre ?

À leur sommet de Strasbourg-Kehl, en avril 2009, les dirigeants des pays de l’Alliance Atlantique (OTAN) ont chargé le secrétaire général, Anders Fogh Rasmussen, de réunir un groupe d’experts qualifiés, issus d’horizons divers, afin de jeter les bases d’un nouveau concept stratégique pour l’OTAN. Ce groupe a présenté son rapport final intitulé " OTAN 2020 : Une sécurité assurée ; un engagement dynamique" le 17 mai dernier.
Une réunion des ministres de la Défense et des Affaires étrangères des 28 pays de l’Otan s'est tenue pour une discussion de ce document le 14 octobre à Bruxelles avant la discussion finale et l'adoption au sommet de Lisbonne qui se tiendra le 23 novembre 2010.
Officiellement, ce rapport présente quatre grandes missions militaires interdépendantes pour les dix ans à venir : "défendre contre toute menace d'agression" les pays membres, préparer des "capacités expéditionnaires pour des opérations militaires au-delà de la zone du traité", comme c'est le cas aujourd'hui en Afghanistan (autrement dit, ce qui était une exception avec l'intervention militaire hors zone de l'Otan en Afghanistan, provoquée par les attentats du 11-Septembre, deviendrait la règle), coopérer avec d'autres partenaires dans le monde pour faire face aux nouvelles menaces (attaques informatiques, piraterie, prolifération balistique et nucléaire, menaces sur l'approvionnement énergétique, ex.le détroit d'Ormuz), aider à la formation de la police et de l'armée dans les pays les moins stables, comme l'Otan le fait déjà en Afghanistan et en Irak.
Mais au-delà des intentions affichées, ce qui frappe dans ce rapport, est qu'il consacre un long début à une laborieuse justification de l'action de l'OTAN depuis soixante ans. Y perce une double crainte : celle des populations "qui doutent peut-être de son intérêt pour leur existence. Alors que l’OTAN est plus active que jamais, beaucoup en perçoivent moins bien l’utilité que par le passé. (...) l’Organisation pourrait perdre l’adhésion du public et le soutien financier dont elle a absolument besoin pour bien accomplir ses missions essentielles". La seconde crainte est celle des gouvernements pris dans la crise financière mondiale : "les maux économiques pourraient détourner l’attention des besoins sécuritaires ; d’anciennes rivalités pourraient refaire surface ; et un déséquilibre entre les contributions militaires de certains membres et celles d’autres Alliés pourrait réellement être dommageable". On peut y ajouter une troisème crainte exprimée de manière plus feutrée, notamment par des dirigeants de l'OTAN de l'Europe du Nord : voir les États-Unis mettre en cause l'utilité de l'alliance pour leur politique nationale. Cela explique l'insistance du Secrétaire général de l'OTAN, le danois Rasmussen, à souligner qu'"Il est essentiel de préserver le rôle de l’Alliance en tant qu’unique pont transatlantique reliant ces deux régions du monde" et à réaffirmer que "nous partageons l’attachement aux objectifs fixés par le président Obama qui souhaite un monde exempt d’armes nucléaires", tout en ajoutant qu'"ensuite, il nous incombe toujours de dissuader les attaques visant nos citoyens, ce qui veut dire que, tant qu’il y aura des armes nucléaires dans le monde, l’OTAN doit en conserver elle aussi" !
Ce besoin de justifier l'existance de l'OTAN est évidemment accru par l'échec de celui-ci en Afghanistan et plus généralement, la démonstration faite de l'échec de toute solution de retour à une paix durable par des moyens uniquement ou prioritairement militaires. C'est dans ce contexte que le futur concept stratégique empile sans véritable hiérarchisation toute une série de menaces (ou de problèmes présentés comme des menaces) depuis les armes de destruction massives, le terrorisme, la cyber-criminalité, les incertitudes sur les sources d'approvisionnement énergétique notamment le pétrole. Ce sont ces menaces globalisées qui justifient cette affirmation "que la défense de notre territoire et de nos citoyens ne commence ni ne se termine à nos frontières. Son point de départ peut être Kandahar ou le cyberespace. L’OTAN doit pouvoir assurer une défense tous azimuts" ; la nécessité d'une présence étendue amène la notion de "bouclier" étendu avec la reprise du projet de création d’un système de défense antimissile otanien, destiné à protéger les populations. D'ailleurs, si le ministre français, Hervé Morin a maintenu ses ‘‘réserves’’, il a indiqué que la France ne bloquerait pas la décision de l’Otan de lancer ce programme, tout en maintenant la préférence française pour le maintien de la place de l'arme nucléaire dans la stratégie de l'OTAN.
Cette vision d'un OTAN "pour tous, partout" se heurte à des réalités matérielles et politiques fortes. Comme je l'ai écrit auparavant, M. Rasmussen doit reconnaître que : "Nous avons appris que, souvent, la solution aux crises et aux conflits n’est pas uniquement militaire. Cela est vrai en Afghanistan, comme dans de nombreux autres conflits en cours" et surtout, que l'OTAN n'a peut-être pas les moyens de ses prétentions : "Lorsque notre dernier concept a été diffusé en 1999, l’OTAN pouvait encore (presque) atteindre ses objectifs avec ses seuls pays membres. Les pays partenaires étaient les bienvenus mais ils n’étaient pas essentiels. Cela n’est plus le cas".
Face à ces contradictions, l'action de l'OTAN peut donc être influencée par le sentiment des gouvernements des pays membres, en fonction des réactions ou non de leurs opinions publiques.
Une dernière remarque : en lisant attentivement le rapport des experts sur le futur concept stratégique et le dernier discours de M. Rasmussen, devant le German Marshall Fund, à Bruxelles, on constate qu'un mot est complètement absent des deux textes : ce mot "tabou" est celui de Nations unies ou de ONU. C'est peut-être là que le bât blesse le plus les dirigeants otaniens; Et si, une des leçons de la dernière décennie était qu'il ne peut y avoir de paix durable et de sécurité collective que placées sous l'égide réel des Nations unies et de l'ensemble de la communauté internationale ? Que la paix ne peut se construire que sur la légitimité du droit international e td'une approche globale que seule, par définition, l'ONU possède, de par sa Charte constitutive ? Une des craintes de M. Rasmussen est peut-être que les dirigeants des États-Unis, déçus des résultats de l'OTAN, reconsidèrent d'un autre oeil les Nations unies, que M. Bush junior avait méprisées et essayées d'écraser ?
Daniel Durand - 25 octobre 2010



mardi 19 octobre 2010

Budget de la Défense : pas si "raboté" que ça !

Le budget de la Défense français (ou projet de loi de finances, PLF) va entrer dans quelques jours en discussion à l'Assemblée nationale, puis, en novembre au Sénat. Il est l'objet de deux controverses apparemment contradictoires. Ce budget est-il "raboté" comme d'autres par la rigueur budgétaire ? Ou, "raboté" ou non, les sommes considérables dépensées pour de nouveaux armements, de nouveaux engagements sont-elles compatibles avec la vision d'une France oeuvrant pour un monde plus sûr et plus pacifique ?
Les chiffres d'abord : le budget militaire français s'élèvera à 38,44 Milliards d'euros, pensions comprises en 2011 (31.19 hors pensions) ; il devrait passer à 39.21 Md€ en 2012 et 39,80 Md€ en 2013 (le budget est maintenant prévu de manière triennale).
Ce montant comprend 1Md€ de "recettes exceptionnelles" (ventes d'immeubles et vente de fréquences de communication militaires). Les crédits d’équipement (les achats et constructions de nouvelles armes) atteindront 16 Md€ en 2011 pour s’élever à 16,8 Md€ dès 2012 et atteindre 17,4 Md€ en 2013. Dans ces crédits d'équipement, 3,1 Md€ sont explicitement imputés à la dissuasion nucléaire (en fait, probablement plus, si l'on fouille par exemple dans les crédits de recherche-développement).
Certains observateurs ou certains nostalgiques de la militarisation estiment que ces chiffres sont inférieurs, austérité oblige, à ceux prévus par la Loi de programmation militaire 2009-2014 : la Défense "rend" en fait 3,5 Md€ au budget général sur trois ans. Elle compense cette réduction par une prévision de recettes exceptionnelles de 3 Mds (vente d'actifs) mais celles-ci sont loin d'être réalisés : vouloir vendre et vendre sont deux choses différentes ! Malgré ces prévisions plus ou moins fiables, le Ministère se félicite que l'écart avec la Loi de programmation soit réduit à 1,3 Md€ en trois ans. Il se félicite surtout que les crédits d'équipement (les achats de nouveaux armements) avec une moyenne de 16,7 Mds pendant les trois ans à venir restent "très supérieurs à la moyenne de la LPM 2003-2008, soit 15 Md€" !
C'est sans doute là que se place le deuxième débat : la France continue d'augmenter ses dépenses militaires et participe à une certaine re-militarisation des relations internationales observée dans la dernière décennie. Est-ce bien la bonne manière de contribuer au renforcement de la sécurité globale dans le monde, à la résolution des points de conflits et des profondes inégalités économiques qui, souvent, les sous-tendent (voir le retard sur les Objectifs du Millénaire de réduction de la pauvreté) ?
Le soutien public récemment accordé au Barp, près de Bordeaux, à la simulation des essais nucléaires par le Président Sarkozy, c'est-à-dire à l'objectif de maintenir l'arme nucléaire pendant des décennies au lieu de travailler à l'éliminer, est révélateur de certains choix politiques. Certes, les réalités économiques obligent à quelques coupes : ainsi, un des trois escadrons d'avions Mirage D portant des armes nucléaires, basés à Luxeuil sera dissous (Cela ne changera pas forcément le nombre de têtes nucléaires embarquées sur ces missiles ASMP qui ont peu de chose à voir avec une quelconque "dissuasion" et dont "l'utilité" réside en fait dans l'utilisation éventuelle en arme offensive sur un pays "voyou").
Mais 16 Md€ de nouveaux armement chaque année continuent de faire de la France un des pays qui consacre les sommes les plus considérables pour son armement. "L'empilage" de gros programmes comme le Rafale plombe le budget français : le journal économique "La Tribune" du 5 octobre notait qu'il était nécessaire de vendre des Rafale à l'étranger pour diminuer le coût du programme mais, qu'en le vendant, notamment aux Émirats arabes Unis, cela risque de "nous" coûter encore plus cher, pour faire les modifications demandées par le client (peut-être 4 à 5 md€ !), sommes sans doute payées par le contribuable et non par l'avionneur Dassault...
À noter aussi dans ce budget, le coût de plus en plus lourd des opérations extérieures, notamment de la présence française en Afghanistan qui en représente la moitié (470 millions d'euros en 2010 pour 4 000 militaires français) : 967 millions d'euros pour une vingtaine d'opérations engageant 8 700 militaires. 70 % du coût de ces opérations est pris sur le budget militaire, le reste sur un fonds de réserve interministériel.
Enfin, la présentation offcielle du budget se félicite, je cite, que la France soit "l’un des principaux contributeurs au sein de l’Otan : 4e contributeur au plan financier, elle est également le 4e au plan des effectifs engagés en opération avec près de 5 000 hommes, et l’un des trois principaux acteurs, autant au plan quantitatif que qualitatif, de la Force de réaction rapide de l’Otan (NRF)."
Là aussi, il s'agit d'un "marqueur politique" de la politique menée actuellement par Nicolas Sarkozy...



mardi 5 octobre 2010

À l'Assemblée générale de l'ONU : multilatéralisme, désarmement et développement

L'Assemblée générale de l'ONU a consacré trois jours (du 20 au 22 septembre) en séance plénière à la discussion sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) visant notamment à réduire de moitié la pauvreté dans le monde, puis huit jours (du 23 au 30 septembre) à son débat général. Les débats ont vu une forte participation des représentants des États membres puisqu'au total, 139 chefs d'États ou de gouvernements ont participé à ces séances d'ouverture
Les questions du développement ont donc occupé une large place, les responsables de l'ONu (voir un porte-parole, M. Robert C. Orr) se sont déclarés plutôt satisfaits que les États Membres, bien que « condamnés à se serrer la ceinture » au niveau national, ont néanmoins pris des engagements significatifs en matière d’aide au développement. Pour eux, « ce Sommet de l’Assemblée générale a été plus qu’encourageant non seulement en raison du niveau de la participation à ses travaux, mais aussi en raison de la quantité des engagements qui y ont été déclarés et surtout de l’apparition de nouveaux donateurs ». Parmi les nouveaux engagements, M. Orr a salué la création d’un fonds d’un milliard de dollars par l’Union européenne (UE), destiné à aider les pays les plus pauvres à atteindre les OMD, et a relevé que la Chine s’est engagée à exempter de droit d’entrée (taxes douanières) un plus grand nombre de produits provenant des pays les moins avancés (PMA). Il a également cité l’engagement du Japon à consacrer 3,5 milliards de dollars sur cinq ans au secteur de l’éducation, alors que le Royaume-Uni a décidé de tripler son aide à la lutte contre le paludisme, pour la porter à 500 millions de livres sterlings d’ici à 2014. En dehors du soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates, qui a offert 1,5 milliard de dollars, d’autres fondations s’engagent pour la première fois à contribuer aux efforts destinés à la réalisation des OMD.
Reste que, si l'apparition de nouveaux donateurs est positive, peu de pays ont annoncé le relèvement de leur aide au développement pour la porter au 0,7 % du PNB recommandés ! Le scandale du montant scandaleux des dépenses militaires mondiales (1500 Mds de $) a plané en arrière-plan... L'intervention du Président d'Haïti, M. Préval, a pointé cette contradiction. Pour ce qui est de la réalisation des OMD, M. Préval s’est demandé ce qu’il faut dire "des milliers de milliards de dollars engloutis par des guerres depuis 10 ans, des budgets de défense qui chaque année dépassent de loin ce qu’il faudrait pour atteindre les OMD, des incalculables richesses volatilisées dans la spéculation, dans l’arrogante suprématie de l’économie virtuelle, de la baisse continue de l’aide publique au développement qui ne représente plus que le tiers des subventions agricoles".
Après la discussion sur les objectifs du Millénaire pour le Développement, le thème de discussion de l'Assemblée générale était  la "gouvernance mondiale". Des nombreuses interventions sur ce sujet, je tire deux enseignements.
Une majorité des intervenants ont plaidé pour un renforcement du rôle des Nations unies dans cette gouvernance mondiale. Un certain nombre ont même exprimé leur inquiétude de voir se développer des structures parallèles comme le G20, qui pourrait s'auto-attribuer des compétences qui sont celles du Conseil de sécurité ou d'autres institutions onusiennes. Le Président de l'Assemblée, le suisse Prosper Deiss, a repris à son compte cette préoccupation, en soulignant que si le G-20 est « une réalité incontournable », il est important d’articuler légitimité et efficacité. "Il faut améliorer les mécanismes d’information, de consultation et de coopération entre l’ONU et les autres acteurs de la gouvernance mondiale". Le Président a dit son intention d’établir un dialogue informel avant et après les réunions du G-20 avec le Secrétaire général et le pays hôte du G-20.
Le deuxième enseignement est que, si la majorité des États ont redit leur attachement au multilatéralisme et au rôle central de l'ONU, beaucoup ont souligné leur insatisfaction sur le retard pris à réformer la composition et le fonctionnement du Conseil de Sécurité, notamment sur l'octroi d'un siège permanent aux pays émergents (Inde, Brésil, et pays africains). Est venue également la question de la future représentation de l'Union Européenne en tant qu'entité particulière, du fait de la modification apportée dans le Traité de Lisbonne, qui lui donne une personnalité juridique indépendante sur le plan international.
Développement, réforme de l'ONU, le troisème sujet abordé tout aussi largement, et ce n'est pas très courant, a été le désarmement nucléaire. Un nombre importants de dirigeants sont intervenus pour se féliciter des progrès intervenus cette année avec l'accord START américano-russe et la conclusion positive de la Conférence d'examen du TNP et pour souhaiter que se poursuive le processus pour construire un monde sans armes nucléaires.
À titre d'exmple, on peut relever que 26 pays du continent européeen ont évoqué l'importance du désarmement nucléaire et conventionnel dans leurs interventions, avec un contenu très positif dans les interventions (autrichienne, allemande, notamment). Tous les grands pays euroépens sont intervenus sur ce thème, sauf le représentant des Pays-Bas et le représentant de la France, M. Kouchner (rappelons que celui-ci n'était pas présent à la réunion de haut-niveau consacrée à la relance de la Conférence du Désarmement le 24 septembre).
Certes, comme de toute réunion générale, peu de choses concrètes sont sorties de ces dix jours de réunion mais, ces débats ont montré qu'existait actuellement une dynamique plutôt positive sur les thèmes évoqués qui ne peut que favoriser des initiatives politiques plus concrètes. Comme l'ont souligné plusieurs intervenants, un test à venir sera la tenue ou non d'une réunion internationale en 2012 sur une zone dénucléarisée au Proche-Orient.

Daniel Durand - 5 octobre 2010




dimanche 26 septembre 2010

L'ONU a-t-elle vraiment relancé la Conférence du désarmement ?

Cette semaine, l'ouverture de la session 2011 de l'Assemblée générale des Nations unies a été marquée par une série de réunions importantes : examen de la mise en oeuvre des Objectifs du Millénaire visant à réduire la pauvreté dans le monde, réunion sur le réchauffement climatique, tenue jeudi 24 d'une "Réunion de haut niveau destinée à revitaliser des travaux de la Conférence du désarmement et à faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement", qui  avait été décidée à l'issue de la Conférence du TNP en mai dernier. L'ampleur des problèmes abordés, le niveau de représentation des États (chefs d'état, de gouvernement, ministres) montrent que les Nations unies restent le Forum central de la communauté internationale. D'ailleurs, de nombreuses délégations ont souligné en séance plénière que l'ONU devait devenir plus encore le centre de la "gouvernance mondiale", que ce rôle ne devait pas être détourné par des forums parallèles qui n'ont ni légitimité, ni fonctionnement démocratique comme le G20. Point positif, la réunion du 24 sur le désarmement a été suivie par 70 délégations, dont une cinquantaine de ministres des affaires étrangères ; malheureusement, M. Kouchner, comme lors de la Conférence du TNP, n'a pas jugé bon d'y participer, et a envoyé un haut-fonctionnaire, M. Jacques Audibert, pour représenter la France.
Cette Conférence de "haut-niveau" était destinée à "relancer" le travail de la Conférence du désarmement (CD) qui est l'instance de l'ONU créée en 1979 pour négocier les questions de désarmement au niveau international. Celle-ci n'a plus négocié d'accords depuis celui sur les essais nucléaires (TICEN) en 1996. Après dix ans de blocage, elle a finalement adopté en 2009 un nouveau programme de travail, mais est restée incapable de le mettre réellement en oœuvre depuis. La réunion du 24 a montré clairement que de profondes divergences demeuraient entre les États pour parvenir à ce but. Dix États (Australie, Autriche, Norvège, Japon, Canada, Mexique, Irlande, Pays-Bas, États-Unis et Uruguay) ont clairement indiqué qu'ils souhaitaient, en cas d'échec persistant de la CD en 2011, que des négociations s'ouvrent à l'extérieur de celle-ci. C'est la première fois que s'exprime aussi nettement cette exapération. D'autres États comme Algerie, Argentine, Brésil, Chine, Inde, Iran, Russie, et Turquie ont dit clairement leur opposition à ce type d'évolution, mais le problème est posé. L'utilisation du consénsus, même pour des questions de procédure, a été contestée par plusieurs États. En fait, aucun accord n'existe pour dire si le blocage de la CD provient simplement du blocages des mécanismes de la "machinerie" du désarmement ou de la mauvaise volonté politique des États (chacun accusant le camp opposé de cette mauvaise volonté). Dans les éléments de controverse, l'attitude de certains pays consistant à dire que seule la négociation d'un Traité sur le controle des matières fissiles est arrivée à maturité est contre-productive, car elle revient à escamoter les discussions sur le désarmement nucléaire, des garanties négatives de sécureité, etc... Il est d'ailleurs intéressant de constater que plusieurs pays, dont le Groupe des non-alignés, ont soutenu l'ouverture de discussions sure une Convention d'abolition des armes nucléaires, comme démarche permettant d'intégrer plusieurs négociations parallèles (matières fissiles, garanties de sécurité, niveaux d'alertes des armes, etc...).
Si tout le monde s'est retrouvé pour vanter les vertus du multilatéralisme et la valeur d'un organisme comme la Conférence du désarmement, peu de décisions pratiques sont sorties de la réunion. Le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a appelé les pays membres de la Conférence du désarmement à adopter dès leur première réunion plénière en 2011 le programme de travail adopté en 2009. Il a indiqué qu’il demanderait à ses services, d'envisager la création d’un groupe de personnalités de haut niveau pour faire des propositions nouvelles pour débloquer la situation et a souhaité que le suivi de cette réunion du 24 soit inscrit dans le programme de l'Assemblée générale, ainsi que dans le programme de la future Conférence d'examen du TNP en 2015.
C'est donc une démarche très prudente, un résultat peu enthousiasmant qui sont sortis de cette réunion.En même temps, certains des États présents ont fait des propositions intéressantes. Plusieurs ont estimé qu'il fallait remettre à l'ordre du jour, la tenue d'une Session spéciale des Nations unies sur le désarmement (la dernière date de 1988), qui constituerait un grand événement de remobilisation sur les questions de désarmement ; une dizaine de délégations ont estimé que la Conférence du désarmement devait resserrer ses liens avec la société civile (celle-ci n'est pas associée de manière régulière comme dans d'autres arènes aux travaux de la CD). Enfin, il a été évoqué la possibilité pour l'Assemblée générale de l'ONU de traiter des problèmes du désarmement au moyens de la création de comités "adhoc" au sein de sa 1ère Commission, celle du désarmement (la Charte des Nations Unies autorise l’Assemblée générale à « étudier les principes généraux de coopération pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales, y compris les principes régissant le désarmement et la réglementation des armements").
Beaucoup de ces points figuraient dans un memorandum remis par deux ONG, le Reaching Critical Will (fondé par la Ligue internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté) et le Comité des juristes sur la politique nucléaire, qui avait reçu le soutien de plusieurs autres organisations internationales.
Malgré un résultat qui reste maigre, on peut peut-être penser que ce débat qui a posé à la fois, l'importance et l'avantage que constitue l'existence d'un Forum onusien unique sur les questions de désarmement et permettant d'aboutir à des Traités, recueillant un consensus, et en même temps, le risque de le voir désarticulé par des négociations extérieures et partielles, fera peut-être réfléchir certains États sur les gains et les pertes de cet enjeu. La rentrée en janvier 2011 de la Conférence du désarmement à Genève sera certainement éclairante sur ce point, y compris sur la capacité des ONG de mobiliser sur cette question qui reste trop l'affaire de quelques "spécialistes" du désarmement.
Daniel Durand - 26 septembre 2011






lundi 20 septembre 2010

Dissuasion nucléaire : à contester...

Cette semaine est marquée par deux dates importantes, même si elles sont de nature différente. Mardi 21 septembre est consacrée à la Journée mondiale de la paix, décidée par l'ONU en 2001 et qui est un appel international au cessez-le-feu et à la non-violence. Jeudi 24 septembre, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon réunira une réunion de "haut-niveau" pour examiner comment relancer le travail de la Conférence du Désarmement à Genève, toujours enlisée depuis plus de dix ans, décision prise par la Conférence d'examen du TNP en mai dernier. Malgré leurs différences, ces journées sont propices au débat sur la construction d'une paix durable dans les conditions d'un monde en changement, où les conceptions anciennes doivent être parfois bousculées, des idées neuves émerger...
Un bon exemple en est, en France et dans le monde, le débat sur le concept de dissuasion et notamment de dissuasion nucléaire. En mai dernier, à New-York, le représentant de la France, le représentant de la France, l'ambassadeur Danon, s'est fait le chantre d'une « sécurité non diminuée » dans les débats liés au désarmement nucléaire.
Or, parler de « sécurité non diminuée » en lien avec le désarmement nucléaire, peut conduire à ce postulat implicite : l'arme nucléaire serait la garante essentielle de la sécurité d'un pays, la dissuasion nucléaire (qui est un peu son « mode d'emploi ») serait naturellement au cœur de la politique nationale de sécurité d'un pays nucléaire. Donc, le désarmement nucléaire, qui est pourtant l'engagement international légal auquel souscrivent tous les pays nucléaires, pourrait constituer une menace potentielle pour un pays nucléaire et justifierait que celui-ci traîne alors les pieds pour appliquer la loi internationale...
Pourtant, n'est-il pas évident qu'avec la mondialisation, le nucléaire militaire a perdu sa justification dissuasive (si elle a existé...) de la guerre froide :
- l'ennemi change : le concept est inopérant face au terrorisme et face à un acteur non-étatique : «Il n'y a plus de victoire 'militaire' qui se mesure à l'aune des destructions ; les victoires s'évaluent désormais à la paix qu'elles établissent et au rejet du terrorisme par les populations qui le soutenaient», écrit le général Marcel Valentin, dans le Figaro du 23/01/06
- une double perversion politique se crée :  d'élément de sécurité, le nucléaire devient attribut de puissance (les membres du Conseil de sécurité sont les puissances nucléaires), il devient plus un soutien aux postures de domination dans le nouveau contexte de la mondialisation et, pour les puissances non-nucléaires, il gagne une nouvelle attractivité en apparaissant comme une protection possible contre la domination et l'agression des grandes puissances nucléaires.
- L'arme nucléaire aujourd'hui n'a pas le même statut que pendant la Guerre froide. Sa possession était alors conçue comme un compromis et un élément de statu quo permettant de figer la prolifération et les rapports de puissance, dans un cadre de non-emploi. Il devient aujourd'hui un élément participant aux rapports de force de la mondialisation et devient donc encore plus "désirable, pour les puissances émergentes. C'est cette nouvelle posture qui entraîne le blocage du TNP, outil de régulation, de non-prolifération de l'époque précédente.
- Les concepts de dissuasion nucléaire qu'il s'agisse de « destruction mutuelle assurée » pour les grandes puissances ou de « dissuasion du faible au fort » pour des puissances moyennes comme la France, reposaient sur des raisonnements sophistiqués menés par des gouvernements stables et équilibrés, bref « raisonnables ». Le possesseur de l'arme nucléaire ne devait laisser aucun doute sur sa volonté politique d'utiliser l'arme en cas d'attaque, quelle que soit l'état d'esprit de son opinion. L'agresseur potentiel devait trouver inacceptable une riposte qui lui couterait  50 ou 60 millions de pertes de vies humaines (Que vaut cette échelle pour des pays de plus d'un milliard d'habitants ?). Or, l'histoire a montré que les gouvernements indéfiniment « raisonnables » n'existaient pas : l'Union soviétique a éclaté en 1991 et ses armes nucléaires réparties pendant quelques mois entre quatre pays ! Le gouvernement du Pakistan a failli être renversé par des partisans des talibans et d'Al Qaïda... Les États-Unis ont été dirigés par un homme proche des milieux « néo-conservateurs » partisans de l'utilisation de l'arme nucléaire en premier, la Présidence française a failli être remportée par un dirigeant du Front national, proche des mêmes idées « néo-cons ». Ces raisonnements sur la dissuasion ne sont donc pas fiables sur le plan des gouvernements ; ils  sont totalement inadaptés aux acteurs non-étatiques comme les réseaux terroristes !
La fin des blocs, l'ouverture de la mondialisation remettent en cause les équilibres des années 70 : c'est la crise du «nucléaire politique», c'est la crise de la maîtrise des armements, « l'arms control ».
De manière plus générale, comme M. El Baradei, directeur de l'AIEA, l'avait rappelé le 6 octobre 2004 à la 54e conférence Pugwash à Séoul, c'est le fondement même de la pertinence de la dissuasion nucléaire, de l'existence des armes nucléaires qui est questionné aujourd'hui.
Pour lui, «Il doit être clair que les armes nucléaires aujourd'hui servent seulement d'obstacles à la paix et à la sécurité» (...) Il est très ironique de constater que, dans l'environnement de sécurité actuel, les seuls acteurs qui trouveraient probablement les armes nucléaires les plus meurtrières utiles et les déploieraient sans hésitation seraient les groupes extrémistes transnationaux ou nationaux ».
La remise en cause de la pertinence du concept de « dissuasion » tend donc à démontrer que désarmement nucléaire n'est pas synonyme obligé de « sécurité non diminuée », au contraire !
Daniel Durand - 20 septembre 2010
Notes : 1/ pour avoir des détails sur la Journée internationale de la paix en France : http://21septembre.org
2/ cet article est extrait pour l'essentiel de mon livre : "Désarmement nucléaire : le rebond " en vente sur http://www.ilv-edition.com/librairie/desarmement_nucleaire_2010_le_rebond_.html




lundi 13 septembre 2010

Le PS et et les relations internationales

le Parti socialiste réunit  le 8 octobre une convention nationale qui traitera des questions internationales (“La nouvelle donne internationale et européenne”). Un projet de texte, élaboré par Laurent Fabius et Jean-Christophe Cambadélis, secrétaires nationaux à l'Europe et à l'international, sera soumis au vote des militants le 30 septembre. Le journal Le Monde en a publié de larges extraits le 1er septembre. Les questions internationales, et, en leur sein, celles de paix, de défense, sont trop peu l'objet de débats publics, pour ne pas  se réjouir d’en voir ouvrir un au sein d'un des grands partis politiques français.
Le texte général présenté à la discussion est marqué évidemment par une critique forte de la politique de N. Sarkozy sur laquelle je ne m'étendrai pas et par un certain nombre de propositions. Écrit par des auteurs différents, ce texte est marqué par des difficultés à mettre toujours en cohérence les diverses propositions : cohérence entre positions sur le multilatéralisme en général et place et rôle de l'Europe, cohérence entre politique de sécurité globale et politique de défense, par ex...
Le PS consacre une place importante au soutien au multilatéralisme dans le monde et à la revalorisation du rôle de l'ONU : "Notre conviction demeure que l’ONU peut et doit être la clé de voûte du multilatéralisme de demain". Dans cet objectif, il propose quatre "chantiers" : 1/ "un élargissement du Conseil de sécurité (Inde, Brésil, Afrique du Sud …)", 2/ "un renforcement de la légitimité de l’Assemblée générale", 3/ "Une mise à disposition de l’ONU de moyens militaires d’intervention substantiels et permanents", 4/ "La reconnaissance de l’ONU comme l’enceinte suprême couronnant et coordonnant l’ensemble des organisations internationales". Ces propositions sont intéressantes et tranchent avec la diplomatie française actuelle (voir article précédent).
Mais, et c'est là que l'on reste un peu sur sa faim, la place de l'Europe dans la promotion du multilatéralisme et la relégitimation de l'ONU se trouve réglée en trois lignes de fin de paragraphe, où il est écrit : "la France ne peut espérer faire aboutir seule cette réforme du multilatéralisme.(...) C’est notre responsabilité de mettre l’Europe en mesure de porter un vrai plan d’ensemble afin d’apporter une réponse homogène et globale qui intègre aussi les intérêts légitimes des grands pays émergents. La France, en concertation notamment avec l’Allemagne, devra prendre l’initiative de ce plan européen pour le multilatéralisme du futur". On ne retrouve pas, non plus ensuite, cette articulation lors du long paragraphe consacré à l'Europe. Les trois thèmes retenus :  "une Europe relancée vers la croissance, l’emploi et le progrès social", réintroduisent cette coupure entre vision un peu "économiste" de l'Europe et vision large d'une Europe porteuse d'avenir en matière de nouvelle architecture du monde et de paix.
Ce défaut d'articulation et de cohérence des propositions se retrouve de manière encore plus nette au sein du chapitre consacré à la sécurité sous-titré de manière restrictive " Une politique de défense à la mesure de notre rôle et de nos ambitions". Une fois encore, la sécurité internationale, malgré les analyses justes, faites sur certains conflits, où on réaffirme que les solutions strictement militaires sont des impasses, se trouve ramenée ici à sa dimension étroitetement militaire. Autant, on ne peut qu'approuver le PS de rappeler la distinction claire entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, autant il y  a une difficulté à mettre en dynamique, politiques de promotion du désarmement, politiques de réduction des inégalités mondiales, politiques de prévention des conflits, soutien au rôle de l'ONU sur le plan militaire et politiques militaires nationales. Le rappel que "La suprématie du droit sur la force et l’application effective des principes des Nations Unies appellent une Europe active et responsable face aux drames humains et aux foyers d’instabilité" n'est pas suivi de propositions très claires, puisque dans le paragraphe qui suit, la Défense européenne reste envisagée de manière très classique, une "Europe puissance", jouant sa propre partition, mais pour quel enjeu ? On peut noter  d’ailleurs la timidité à proposer des coopérations nouvelles en matière de matériel militaire (coopérations franco-britanniques) avec l’insistance un peu artificielle mise sur le couple franco-allemand (héritage mitterrandien ?).
Cette explique aussi la certaine insatisfaction ressentie à la lecture du chapitre consacré à l’action de la France pour le désarmement. Il y est écrit de manière très positive que "Sans remettre en cause la légitimité d’une dissuasion indépendante de notre pays, tant que subsistent d’autres arsenaux nucléaires, la France reprendra son rôle d’impulsion dans les débats sur le désarmement et la non prolifération des armes de destruction massive", mais, outre le fait que ce paragraphe apparaît un peu "plaqué" ici, sans synergie réelle, on ne note aucun engagement vraiment clair pour une interdiction complète des armes nucléaires, au-delà du soutien, bienvenu il est vrai, aux propositions du Président Obama.
Un dernier regret personnel réside dans l'absence complète à aucun endroit, soit au niveau des politiques européennes d'aide au règlement des conflit, soit de la politique française de lien opinion/défense/nation/monde, de référence au soutien nécessaire à "l'éducation des esprits" comme nous y incite l'UNESCO : éducation à la paix, promotion d'une culture de paix. Cela reste considéré comme un gadget ou un supplément d'âme, c'est une erreur. Le fait que le PS entende restituer au Parlement "son rôle légitime d’évaluation et de contrôle politiques de la stratégie internationale de la France, qu’il s’agisse de notre politique étrangère ou de notre action de défense. L’analyse de la situation internationale, des menaces éventuelles qui pèsent sur notre pays, devra se faire de manière concertée et transparente, en accordant toute sa place au débat citoyen et pluraliste, à l’écoute des ONG, des chercheurs et des experts", permettra peut-être à l’opinion de faire pression pour rémédier à ces manques ?
Ces critiques peuvent paraître un peu rapides ou sévères mais, d'une certaine manière, elles participent, comme le tente ce blog, au fil des articles, à animer le débat sur les questions de paix, de relations internationales.
On peut ajouter dans dans ce débat, la contribution d'Alain Richard sur la défense, contribution très consensuelle et classique, qui rappelle fâcheusement la politique inodore suivie dans ce domaine sous la législation Jospin, ainsi qu'une interview de la députée PS Patricia Adam dans le magazine Défense et Sécurité Internationale sur l'avenir du Livre Blanc, qui mérite débat, notamment sur la définition de "l'Europe-puissance".
Daniel Durand - 12 septembre 2010