Ce 2 novembre 2010, la France et la Grande-Bretagne ont décidé "de signer un Traité de coopération en matière de défense et de sécurité afin de développer la coopération entre nos forces armées, le partage et la mutualisation de matériels et d'équipements,(..) la construction d'installations communes, l'accès mutuel à nos marchés de défense et la coopération industrielle et technologique".
Concrètement, cela doit se traduire par le lancement de plusieurs études, notamment sur des "drones" (avions sans pilote) de surveillance puis de combat dans vingt ans, la coopération aéro-navale entre les porte-avions français et britanniques dans dix ans. Les deux mesures concrètes sont la création d'une force expéditionnaire commune qui ne sera pas une force permanente, mais sera disponible (dans les prochaines années ?) "pour des opérations bilatérales, de l'OTAN, de l'Union européenne, des Nations Unies ou d'autres opérations".
La seconde mesure touche à la coopération nucléaire "dans une installation commune à Valduc (France) où sera modélisée la performance de nos têtes nucléaire et des équipements associés" avec la création d'un centre de recherche complémentaire à Aldermaston (Royaume-Uni).
S'agit-il d'un "accord historique" comme l'ont qualifié les dirigeants des deux pays ? En tout cas, il n'est pas le premier depuis "l'entente cordiale" de 1904 qui n'a pas empêché la guerre de 1914. Il est différent de la déclaration commune de 1998 entre Blair et Chirac qui voulait lancer l'Europe de la Défense et qui a fait, finalement, un "flop". Là, il s'agit uniquement d'un accord bilatéral entre deux pays qui déclarent, non sans arrogance, dans leur texte commun : "nous investissons, à nous deux, la moitié des budgets de défense des pays européens et les deux tiers des dépenses de recherche et de technologie. Nous sommes au nombre des contributeurs les plus actifs aux opérations en Afghanistan et dans d'autres zones de crises. De même, nous sommes parmi les rares pays à avoir la capacité et la volonté d'assumer les missions militaires les plus exigeantes".
C'est sous cet éclairage qu'il faut apprécier les seules mesures concrètes : un corps expéditionnaire pour pouvoir faire bonne figure, sans doute, à côté des États-Unis dans des opérations extérieures, qui ne sont cadrées par aucune restriction dans leur énumération (pas de référence à la Charte des Nations unies, par ex)... une coopération entrant dans le cadre de la simulation des essais nucléaires pour le maintien des armes nucléaires. Cette installation, qui sera appelée EPURE, dans le laboratoire de Valduc, où se fait actuellement déjà l'assemblage des têtes nucléaires, s'ajoutera au laser Mégajoule, au Barp, près de Bordeaux, destiné à la simulation des explosions nucléaires, à l'installation AIRIX, basé à Moronvillers, où sont radiographiées les mise à feu des charges nucléaires. EPURE devrait être un programme AIRIX amélioré, qui teste l'explosion de l'amorce d'une bombe nucléaire et radiographie, pendant cette phase de forte compression, le comportement des matériaux nucléaires. Certains spécialistes, comme Bruno Barillot du CDRPC, ont parlé "d'essais froids" pour ces tests. Les deux pays estiment que ces programmes de simulation des essais nucléaires ne sont pas interdits par le TICEN (Traité d'interdiction) qu'ils ont ratifié. Formellement, peut-être, mais dans la mesure où le but de ces installation est de maintenir, voire tester la modernisation des têtes nucléaires, ils s'opposent, et à l'esprit, et à la lettre du Traité de non-prolifération, qui prévoit "dans un délai rapproché" d'aller au désarmement nucléaire, engagement renouvelé et renforcé par tous les participants dans la résolution adoptée lors de la Conférence d'examen de ce même TNP, en mai dernier à New-York (voir mes articles sur le sujet : http://culturedepaix.blogspot.com/2010/05/tnp-un-accord-pour-de-nouvelles-etapes.html).
Sans être taxé de critique sectaire, on peut estimer que cet accord ne donne pas un signal favorable au processus de désarmement nucléaire, qui avait connu un certain élan au premier semestre. Pire, le fait que la déclaration commune insiste sur le fait que "Tant qu'il existera des armes nucléaires, l'OTAN demeurera une alliance nucléaire" et que "La défense antimissiles est un complément et non un substitut à la dissuasion" est symptomatique d'une volonté française de contrecarrer certaines tentatives diplomatiques allemandes, voire britanniques de s'inscrire dans l'orientation de diminution de la place de l'arme nucléaire lancée par le président Obama. On sait que ces propositions d'Obama avaient considérablement agacé la diplomatie française qui reste attachée au statut nucléaire de la France, comme maintien d'un attribut de puissance. Le retour de notre pays dans le commandement militaire intégré de l'OTAN correspondait au désir de N. Sarkozy de devenir à son tour, un soutien sans faille d'une politique US, fondée sur le modèle Bush.
Contrairement à ce qu'écrit le député P.S J-Michel Boucheron dans la presse qui parle "d'un progrès pour la défense de l'Europe", l'accord franco-britannique ne vise pas à s'inscrire dans le renforcement d'une défense européenne, jugée trop problématique, mais plus dans le désir de montrer que la France, en resserrant ses liens militaires avec la Grande-Bretagne, pouvait elle-aussi accéder au statut "d'allié fidèle" des États-Unis, et obtenir, en retour quelques miettes du pouvoir. Au nom d'un "réalisme" sans principe, cet accord s'inscrit dans une vision purement militaire de la sécurité internationale, basée sur le renforcement de l'OTAN et la défense d'intérêts vitaux aux contours de plus en plus douteux. Il n'ouvre à aucun moment une perspective politique de renforcement d'une sécurité globale qui s'appuierait sur la promotion du droit international, des accords de désarmement, de la prévention des conflits à la source.
On peut regretter que les deux pays n'aient pas consacré autant d'énergie à une initiative politique commune pour que l'Union européenne soutienne plus activement les propositions de désarmement du Secrétaire général des Nations unies et favorise le démarrage de discussion sur une Convention d'interdiction des armes nucléaires. Les effets seraient plus positifs tant sur le plan de la sécurité internationale que sur celui de la réduction de dépenses militaires qui deviennent de plus en plus inconsidérées.
le 3 novembre 2010
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