Les 19 et 20 novembre, les dirigeants de l'Otan doivent discuter à Lisbonne de l'avenir de l'organisation. Au menu: l'adoption d'un nouveau "concept stratégique" (voir notre article du 25 octobre dernier : http://culturedepaix.blogspot.com/2010/10/otan-un-nouveau-concept-pour-survivre.html), des pourparlers sur les armes nucléaires "pré-stratégiques" et sur la défense antimissile.
Rappelons que, selon les estimations les plus courantes, près de 240 ogives nucléaires américaines se trouvent en Allemagne, en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie. La nouvelle doctrine nucléaire nationale, rendue publique par les Etats-Unis, fait mention d'un éventuel retrait des armes nucléaires tactiques américaines du continent européen.
Or, du fait de l'obsolescence politique reconnue de plus en plus largement de ces armes, de la pression de leurs opinions publiques, cinq pays européens (l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la Norvège) ont initié une discussion interne sur la politique nucléaire de l'OTAN, pouvant aller jusqu'au retrait de ces armes.
Un tir de barrage contre une telle éventualité a été déclenché notamment par le Secrétaire général de l'OTAN, et le dernier en date à intervenir, a été le général français, Stéphane Abrial, patron du Commandement allié Transformation de l'Otan, qui a déclaré : "Tant que le monde est nucléaire, l'Alliance (de l'Otan) doit garder des armes nucléaires", lors du 2ème Forum sur la sécurité internationale à Hallifax, au Canada, le week-end dernier.
Position curieuse, non exempte de contradiction, d'un officier français, se prononçant sur l'avenir d'armes nucléaires américaines, alors qu'en théorie, la France dont la dissuasion est indépendante n'a pas à intervenir dans les questions nucléaires relatives à la « dissuasion élargie » qui correspond aux engagements des Etats-Unis vis-à-vis de leurs alliés. Telle était du moins la position du Général de Gaulle...
Ce nouveau cours de la politique française se reflète curieusement au Sénat, où, dans le Rapport d'information n° 332 (2009-2010) de M. Jean-Pierre Chevénement, fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 24 février 2010, on peut lire, à propos des armes nucléaires tactiques de l'OTAN, qu'il "s'agit donc d'« armes politiques » dont la fonction symbolique est de garantir un équilibre de sécurité propice à une paix durable sur notre continent. (...) L'abandon des armes nucléaires « tactiques » de l'OTAN serait un « cadeau gratuit » fait à la Russie".
Qu'en est-il, concrètement, de ces armes nucléaires tactiques, que d'aucun appellent abusivement, à mon avis, "pré-stratégiques", et qui sont des d'armes d'intimidation et d'emploi ? Selon un expert italien, Manlio Dinucci, s'exprimant sur Voltaire.net, "le nombre exact de ces armes n'est pas connu exactement et oscille selon les estimations, soit, entre 150 et 200, dont 70-90 en Italie (à Aviano et à Ghedi-Torre). Selon d’autres estimations, au moins le double. Ce sont des bombes B-61 de différentes versions, dont la puissance va de 45 à 170 kilotonnes (13 fois plus que la bombe d’Hiroshima). Parmi celles-ci, probablement, la B 61-11 qui peut pénétrer dans la terre afin de créer, par explosion nucléaire, une onde de choc capable de détruire des objectifs souterrains. Toutes ces bombes sont déposées dans des hangars spéciaux avec des chasseurs-bombardiers F-15, F-16 et Tornado, prêts pour l’attaque nucléaire".
Que faire de ces armes nucléaires devant la pression grandissante pour progresser vers le désarmement nucléaire ? On peut, soit les garder en Europe telles qu’elles sont (ce qui est peu envisageable), soit les retirer complètement (ce qui diminuerait le rôle politique de l'OTAN, ce dont ne veulent pas, les pro-otaniens). Selon Manlio Dinucci, citant un rapport d'octobre d'un comité de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN,
une proposition de l’US Air Force, existe de « regrouper les armes nucléaires dans moins de localités géographiques ». Selon la plus grande partie des experts, « les localités les plus probables pour cette relocalisation sont les bases sous contrôle états-unien d’Aviano, en Italie (région Frioul Vénétie Julie) et Incirlik en Turquie ». Le silence récent récent sur ces questions du gouvernement italien peut laisser supposer qu'il a déjà donné son accord au projet de déplacer les armes nucléaires US d’Allemagne, de Belgique et des Pays-Bas pour les rassembler à Aviano, où seraient aussi transférées celles de Ghedi-Torre.
Ce regroupement en Italie et le maintien de ces armes nucléaires posent déjà un problème politique sérieux : cela signifierait que les pays membres de l'OTAN ne font aucun geste politique pour montrer qu'ils soutiennent les propositions de relance des discussion de désarmement nucléaire, venant tant du Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki moon, que du texte voté par tous les états signataires lors de la dernière conférence du TNP. Il est clair que ce serait "tirer une balle dans le pied" de tous les efforts diplomatiques pour amener l'Iran à renoncer définitivement à tout projet de se doter de capacités nuxcléaires militaires.
Mais, il y a un deuxième problème juridique, celui-ci, et non-moins important. Sur le site officiel de l'Alliance Atlantique, les "dossiers de l'OTAN" indiquent clairement que "la supervision politique du dispositif nucléaire de l'OTAN est partagée entre les pays membres. Le Groupe des plans nucléaires de l'OTAN est une instance au sein de laquelle les Ministres de la défense de pays alliés dotés ou non d'armes nucléaires participent ensemble à l'élaboration de la politique nucléaire de l'Alliance et à la prise de décisions concernant le dispositif nucléaire de l'OTAN". Ce partage nucléaire, tant politique au travers de ce Comité, que physique avec le stationnement, les déplacements et regroupements d'armes nucléaires, contrevient à l'évidence à l'esprit, et aussi à la lettre, comme l'estiment beaucoup de juristes et d'ONGs, au Traité de non-prolifération nucléaire : celui-ci interdit aux États en possession d’armes nucléaires de les transférer à d’autres (Art. 1) et aux Etats non nucléaires de les recevoir de qui que ce soit (Art. 2).
Que se passera-t-il au Sommet de Lisbonne ? Cette dimension nucléaire sera-t-elle débattue publiquement ou étouffée ? Nul doute que les représentants des ONGs, présents nombreux en marge du sommet, ne se priveront pas de la soulever...
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