Cette semaine est marquée par deux dates importantes, même si elles sont de nature différente. Mardi 21 septembre est consacrée à la Journée mondiale de la paix, décidée par l'ONU en 2001 et qui est un appel international au cessez-le-feu et à la non-violence. Jeudi 24 septembre, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon réunira une réunion de "haut-niveau" pour examiner comment relancer le travail de la Conférence du Désarmement à Genève, toujours enlisée depuis plus de dix ans, décision prise par la Conférence d'examen du TNP en mai dernier. Malgré leurs différences, ces journées sont propices au débat sur la construction d'une paix durable dans les conditions d'un monde en changement, où les conceptions anciennes doivent être parfois bousculées, des idées neuves émerger...
Un bon exemple en est, en France et dans le monde, le débat sur le concept de dissuasion et notamment de dissuasion nucléaire. En mai dernier, à New-York, le représentant de la France, le représentant de la France, l'ambassadeur Danon, s'est fait le chantre d'une « sécurité non diminuée » dans les débats liés au désarmement nucléaire.
Or, parler de « sécurité non diminuée » en lien avec le désarmement nucléaire, peut conduire à ce postulat implicite : l'arme nucléaire serait la garante essentielle de la sécurité d'un pays, la dissuasion nucléaire (qui est un peu son « mode d'emploi ») serait naturellement au cœur de la politique nationale de sécurité d'un pays nucléaire. Donc, le désarmement nucléaire, qui est pourtant l'engagement international légal auquel souscrivent tous les pays nucléaires, pourrait constituer une menace potentielle pour un pays nucléaire et justifierait que celui-ci traîne alors les pieds pour appliquer la loi internationale...
Pourtant, n'est-il pas évident qu'avec la mondialisation, le nucléaire militaire a perdu sa justification dissuasive (si elle a existé...) de la guerre froide :
- l'ennemi change : le concept est inopérant face au terrorisme et face à un acteur non-étatique : «Il n'y a plus de victoire 'militaire' qui se mesure à l'aune des destructions ; les victoires s'évaluent désormais à la paix qu'elles établissent et au rejet du terrorisme par les populations qui le soutenaient», écrit le général Marcel Valentin, dans le Figaro du 23/01/06
- une double perversion politique se crée : d'élément de sécurité, le nucléaire devient attribut de puissance (les membres du Conseil de sécurité sont les puissances nucléaires), il devient plus un soutien aux postures de domination dans le nouveau contexte de la mondialisation et, pour les puissances non-nucléaires, il gagne une nouvelle attractivité en apparaissant comme une protection possible contre la domination et l'agression des grandes puissances nucléaires.
- L'arme nucléaire aujourd'hui n'a pas le même statut que pendant la Guerre froide. Sa possession était alors conçue comme un compromis et un élément de statu quo permettant de figer la prolifération et les rapports de puissance, dans un cadre de non-emploi. Il devient aujourd'hui un élément participant aux rapports de force de la mondialisation et devient donc encore plus "désirable, pour les puissances émergentes. C'est cette nouvelle posture qui entraîne le blocage du TNP, outil de régulation, de non-prolifération de l'époque précédente.
- Les concepts de dissuasion nucléaire qu'il s'agisse de « destruction mutuelle assurée » pour les grandes puissances ou de « dissuasion du faible au fort » pour des puissances moyennes comme la France, reposaient sur des raisonnements sophistiqués menés par des gouvernements stables et équilibrés, bref « raisonnables ». Le possesseur de l'arme nucléaire ne devait laisser aucun doute sur sa volonté politique d'utiliser l'arme en cas d'attaque, quelle que soit l'état d'esprit de son opinion. L'agresseur potentiel devait trouver inacceptable une riposte qui lui couterait 50 ou 60 millions de pertes de vies humaines (Que vaut cette échelle pour des pays de plus d'un milliard d'habitants ?). Or, l'histoire a montré que les gouvernements indéfiniment « raisonnables » n'existaient pas : l'Union soviétique a éclaté en 1991 et ses armes nucléaires réparties pendant quelques mois entre quatre pays ! Le gouvernement du Pakistan a failli être renversé par des partisans des talibans et d'Al Qaïda... Les États-Unis ont été dirigés par un homme proche des milieux « néo-conservateurs » partisans de l'utilisation de l'arme nucléaire en premier, la Présidence française a failli être remportée par un dirigeant du Front national, proche des mêmes idées « néo-cons ». Ces raisonnements sur la dissuasion ne sont donc pas fiables sur le plan des gouvernements ; ils sont totalement inadaptés aux acteurs non-étatiques comme les réseaux terroristes !
La fin des blocs, l'ouverture de la mondialisation remettent en cause les équilibres des années 70 : c'est la crise du «nucléaire politique», c'est la crise de la maîtrise des armements, « l'arms control ».
De manière plus générale, comme M. El Baradei, directeur de l'AIEA, l'avait rappelé le 6 octobre 2004 à la 54e conférence Pugwash à Séoul, c'est le fondement même de la pertinence de la dissuasion nucléaire, de l'existence des armes nucléaires qui est questionné aujourd'hui.
Pour lui, «Il doit être clair que les armes nucléaires aujourd'hui servent seulement d'obstacles à la paix et à la sécurité» (...) Il est très ironique de constater que, dans l'environnement de sécurité actuel, les seuls acteurs qui trouveraient probablement les armes nucléaires les plus meurtrières utiles et les déploieraient sans hésitation seraient les groupes extrémistes transnationaux ou nationaux ».
La remise en cause de la pertinence du concept de « dissuasion » tend donc à démontrer que désarmement nucléaire n'est pas synonyme obligé de « sécurité non diminuée », au contraire !
Daniel Durand - 20 septembre 2010
Notes : 1/ pour avoir des détails sur la Journée internationale de la paix en France : http://21septembre.org
2/ cet article est extrait pour l'essentiel de mon livre : "Désarmement nucléaire : le rebond " en vente sur http://www.ilv-edition.com/librairie/desarmement_nucleaire_2010_le_rebond_.html
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