dimanche 21 septembre 2014

"L'impuissance de la puissance"..

Dans un précédent article (http://culturedepaix.blogspot.fr/2014/09/reflexions-sur-quelques-conflits-actuels.html), j'ai fait des remarques sur certains conflits de la dernière décennie. Ceux-ci suivent un schéma commun qui pourrait être grossièrement ainsi décrit : crise politique avec conséquences dramatiques sur la population, intervention militaire de la communauté internationale sous la poussée de quelques grandes puissances, chaos politique et solutions politiques transitoires, longue période de reconstruction de la paix, instabilité persistante et développement de forces opposées se radicalisant rapidement, voire se liant aux réseaux terroristes.
1/ On peut en tirer une conclusion très générale : les vieilles réponses essentiellement de nature militaire sont en échec face à ces nouvelles situations post-2000.
Le même échec est valable quelle que soit la configuration : unilatérale en Irak en 2003 avec les USA, unilatérale puis coalisée avec mandat ONU et participation OTAN en Afghanistan de 2001 à aujourd'hui, coalition avec un mandat de l'ONU instrumentalisé en Libye en 2011, coalition sous direction française avec mandat de l'ONU en 2013 au Mali, unilatérale russe contre Union européenne en Ukraine en 2013-2014.
Partout, l'échec est patent. Dérision supplémentaire : ce sont parfois les mêmes forces qui sont en échec dans la "solution" alors qu'elles étaient en partie responsables de la crise ; voire même, ces forces se retrouvent face à des adversaires qu'elles avaient contribué à former auparavant (ex des Talibans en Afghanistan). Ainsi, au dernier sommet de l'OTAN en Écosse, les appels à la hausse des budgets d'armement européens, voire la création de nouvelles forces de réaction rapide sont apparues comme bien peu convaincantes !
2/ Pourquoi cette "impuissance de la puissance" comme l'évoque le titre de l'ouvrage du chercheur Bertrand Badie (Fayard, 2004) ?
Cette interrogation amène à réfléchir sur les évolutions du monde dans les dernières décennies. L'utilisation de la force militaire, expression de la puissance immédiate, a été et est toujours le privilège des États, seuls ou en coalition. Elle trouvait sa justification et son "efficacité" relative, dans un monde où les seuls acteurs importants étaient ces mêmes états.
Aujourd'hui, le monde a changé. Les États ne sont plus seuls dans l'arène internationale et perdent en partie la maîtrise du jeu car nous sommes entrés dans une période de transition depuis 1989, fin de l'affrontement bi-polaire Est-Ouest.
Les transformations du monde se manifestent au niveau des grands problèmes qui deviennent mondiaux et transfrontaliers : mondialisation économique, exodes de population, pandémies (voir le virus Ébola), trafics d'armes.
Les acteurs non-étatiques se multiplient : opinions, ONGs, lobbies économico-financiers, mafias.
La révolution des techniques de l'information change la donne : celle-ci devient un levier multiplicateur des initiatives individuelles ou citoyennes.
L'existence et le développement du système onusien (multiplication des agences onusiennes : FAO, UNICEF, UNESCO, PNUD, OMS, etc.), la multiplication des traités internationaux renforcent un maillage multilatéral, institutionnel, social, politique, juridique du tissu international
3/ Il y a donc une contradiction qui s'accentue entre l'ancien ordre étatique et un nouvel ordre en devenir. La puissance "classique" ne produit pas les mêmes effets sur les nouveaux acteurs qui trouvent des moyens d'opposition ou de "contournement".
Ceux-ci peuvent être constructifs pour empêcher la guerre (mobilisation contre la guerre en Irak en 2003, condamnation d'une intervention militaire envisagée en Syrie en août 2013), utiles pour soutenir l'avenir de la planète (manifestation pour l'environnement, contre le réchauffement climatique). Ils peuvent être plus ambigus voire franchement négatifs : attentats contre la population civile, attentats-suicide, prise et exécution d'otages, pour "terroriser" la puissance en utilisant le levier des médias et des réseaux sociaux, tout en se servant des populations civiles prises en otage.
Ces nouveaux acteurs peuvent être également des éléments de "pourrissement" des conflits en alimentant les trafics d'armes ou des "poussent au crime" comme certains lobbies militaro-industriels.
Il s'agit donc bien d'une véritable "délégitimation" de la puissance militaire étatique et même multilatérale. Un phénomène récent peut même accroître cette délégitimation aux yeux des populations : c'est l'accroissement de la place tenue par les SMP (sociétés militaires privées) dans les zones de conflits ( On en a dénombré près de 200 000 en Irak. entre 130 000 et 160 000 hommes en Afghanistan), plus nombreux que les soldats des armées régulières.. Cela accroît la banalisation de la force, de la guerre réduite à un moyen comme un autre de résoudre des problèmes. De plus, la "privatisation de la guerre" fait naître des interrogations sur la maîtrise des opérations, leur éthique..
Il est donc clair que la stabilité ne peut plus être le résultat d'un simple équilibre de puissance, mais être un ensemble de mesures intégrées, à un échelon régional au plus près des problèmes et des acteurs, étatiques et non-étatiques.
4/ Ces analyses des impasses des solutions militaires sont bien connues ; pourquoi alors, peut-on se demander, continuer à minorer l'importance prioritaire des solutions politiques en amont, des négociations équilibrées impliquant toutes les parties et le passage rapide à des situations d'impasse, ne débouchant que sur l'emploi de la force ?
Il faut bien sûr être conscient que, malgré les changement dans le monde, le poids des états et des rapports inter-étatiques reste considérable. Cela explique que les rapports de force militaires et stratégiques soient privilégiés : les habitués des forums sur le désarmement nucléaire connaissent l'arrogance dont font preuve, plus ou moins ouvertement, les représentants des pays possesseurs des armes nucléaires (les "P5") vis à vis des pays non-nucléaires ou des ONGs. Malgré les proclamations officielles, les grandes puissances ne considèrent pas, par exemple, comme des objectifs stratégiques prioritaires les Objectifs du Millénaire (OMD) initiés par l'ONU pour l'éradication de la pauvreté et pour le développement.
Des objectifs de domination économique liés au contrôle des sources d'énergie et à leur transport jouent un rôle important dans les décisions pour le Moyen-Orient, l'Asie du sud-est, par exemple. Les considérations stratégiques de consolidation de dominations régionales sont parfois déterminantes à l'Est de l'Europe pour Européens et Russes, dans la zone du Pacifique pour Chinois et États-uniens. L'examen des "Livres Blancs sur la sécurité" successifs de la France montre que la notion "d'intérêt vital" est devenue extensible et couvre la sûreté des voies maritimes dans l'Océan indien, par exemple.
Enfin, les considérations de politique intérieure peuvent jouer toujours un rôle dans les choix politiques ultimes en matière de relations internationales. Cela est vrai tant pour MM. Obama ou Poutine que pour François Hollande : celui-ci essaie à l'évidence de "sur-jouer" son image de Chef de l'état en essayant d'apparaître comme celui qui joue un rôle d'entraînement dans les décisions internationales, comme en Syrie, comme dans la lutte contre DAESH (EI) en Irak. Ces postures peuvent entraîner des positions aventureuses comme l'appel à l'intervention armée en Syrie en 2013 sans mandat de l'ONU, ou un soutien précipité à l'offensive israélienne à Gaza avant l'été.
Ces "impasses militaires" à répétition seront-elles un phénomène récurrent de la décennie ?
Ce sera l'objet d'un prochain article sur ce blog sur "Enjeux et alternatives pour la paix d'aujourd'hui et demain".

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