(TRANSLATION BELOW)
100 jours de guerre en Ukraine. Le nombre de combattants tués s'élèverait peut-être à 15 000 à 20 000 tués de chaque côté. À cela s'ajoutent 4.200 civils qui ont été tués par des attaques armées et 4.000 autres blessés. De plus, 15,7 millions de personnes en Ukraine, soit l’équivalent d’un tiers de la population du pays, « ont un besoin urgent d’assistance et de protection », selon l'ONU et plus de 5 millions d’enfants ont vu leur éducation suspendue.
Lors de ce sinistre 100e jour anniversaire, le Kremlin estime avoir atteint « certains résultats » en 100 jours d'offensive. « La victoire sera nôtre », affirme le président Zelensky. Beaucoup plus réaliste est le coordonnateur de l'ONU pour l'Ukraine, Amin Awad, qui a déclaré ce jour-là : "Cette guerre n’aura pas de vainqueur" et il a ajouté avec raison : « Nous avons besoin de paix. La guerre doit cesser », a-t-il exhorté.
L'atmosphère dans les médias rappelle les déclarations cocardières dans les journaux français ou allemand en 1914-18 : elle est majoritairement en faveur de la poursuite de la guerre et des livraisons d'armes à l'Ukraine. Mais voyons les choses en face : la guerre s'enlise, la Russie n'occupe que 20 % du territoire ukrainien, et encore faut-il qu'elle soit capable de le tenir militairement et de faire fonctionner des structures de manière pérenne, ce qui semble douteux. L'armée ukrainienne est de plus en plus équipée de matériel militaire moderne américain, elle peut progressivement infliger des pertes plus importantes à l'armée, mais il lui faudra de long mois pour marquer des avantages décisifs, selon les spécialistes militaires. Combien y aura-t-il encore de militaires et civils ukrainiens tués ? Combien de cercueils de jeunes soldats russes renvoyés dans leur pays ?
Quelles que soient les déclarations martiales de dirigeants étrangers comme Jo Biden ou Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'OTAN , la réalité est, comme le dit l'ONU, que tout le monde sera perdant, y compris sur le plan militaire.
N'avons-nous pas le devoir d'appeler les opinions publiques à ouvrir les yeux pour voir que les plus grands perdants seront les peuples : ukrainiens d'abord bien sûr, mais aussi russe, et au-delà, les peuples européens et les peuples des pays en voie de développement ?
Ne faut-il pas faire comprendre que derrière la guerre militaire, alimentée par la machine de guerre russe mais aussi, aujourd'hui de plus en plus, par les livraisons d'armes des États-Unis, des pays européens dont la France, se cache une autre guerre : la guerre économique accompagnée d'une guerre commerciale ?
Le camp occidental (USA, G7, Union européenne) développe un embargo économique sur le gaz, le pétrole russes, les circuits financiers. Au départ, c'était dans le but déclaré de faire pression sur la Russie pour la contraindre à cesser les combats.
Aujourd'hui, l'absence de cadre juridique clair sur ces embargos, l'ampleur des mesures adoptées, les mesures économiques de réorientation à moyen et long terme, de certaines productions, laissent planer des doutes : le camp occidental, ainsi reformé, ne se sert-il pas de la guerre en Ukraine pour développer un affrontement économique de longue durée, au-delà d'un éventuel arrêt des combats, contre la Russie ?
Cette guerre économique pèse en premier, non sur les oligarques et proches du pouvoir poutinien, mais sur le peuple russe. Les conséquences se font sentir aussi sur les peuples européens, notamment avec le renchérissement du prix de l'énergie ; l'inflation renaissante en est une des conséquences.
Par ricochet, cette guerre économique entraîne une spirale d'affrontement sur ce terrain : les exportations russes sont bloquées et du coup, la Russie empêche les exportations ukrainiennes de céréales depuis les ports de la Mer noire, ce qui menace de provoquer de graves pénuries alimentaires notamment en Afrique.
La guerre économique produit donc d'abord des perdants parmi les peuples, sans réelle efficacité pour accélérer la fin des combats.
Y a-t-il des gagnants dans cette tragique comédie ? On peut affirmer que oui sans esprit particulier de complotisme.
Les gagnants les plus évidents sont les lobbies de l'armement, notamment états-uniens et bien sûr, dans une moindre mesure, français et autres européens. On peut y ajouter les lobbies de l'industrie fossile : gaz de schiste aux USA, charbonniers en Allemagne. Les autres gagnants sont les spéculateurs, les entreprises, qui, comme en Inde, bloquent les ventes de céréales et font des réserves.
Et pendant ce temps, les organismes de l'ONU ont du mal à financer les secours aux 15 millions d'Ukrainiens en précarité dans leur propre pays et la FAO se déclare inquiète sur la situation alimentaire à venir de nombreux pays pauvres !
L'invasion de l'Ukraine par la Russie a été menée en violation flagrante de la Charte des Nations unies et donc du droit international. Il est clair que l'objectif central ultime est le rétablissement du droit international dans cette partie de l'Europe comme partout dans le monde (nous pensons au Yémen, à la Palestine notamment). Voyons bien que, aujourd'hui, la prolongation de la guerre provoque et prolonge la mise en cause des droits humains les plus élémentaires : en premier, le droit des citoyens ukrainiens à vivre en paix et en sécurité, de leurs enfants à étudier. Mais cette violation des droits s'étend aussi à la vie démocratique en générale et ce, pour toute la société ukrainienne, son régime parlementaire, sa presse qui subissent l'état de guerre. Voyons aussi que les violations aux droits et libertés de base touchent également fortement les citoyens russes, notamment par la mise en cause de la liberté d'information, de manifestation. Enfin, comment ne pas voir que dans tous les pays européens, impactés par le conflit, les moyens d'information rencontrent des difficultés non négligeables pour accéder à toutes les sources d'information indépendantes. Là encore, sur le plan des droits humains, il n'y a que des perdants.
Une constatation s'impose de plus en plus : il faut arrêter le "bal des perdants".
Continuer la guerre ou laisser se continuer la guerre, c'est aggraver le nombre et le sort des perdants, c'est augmenter les souffrances des peuples.
Comme le déclare le représentant de l'ONU, il y a urgence à trouver les moyens d'un arrêt des combats et d'une solution politique.
Il faut arrêter le faux "bal des gagnants" : l'heure n'est pas à la poursuite des livraison d'armes, aux discours belliqueux, à savoir qui va gagner la guerre mais à rassembler les bonnes volontés. L'heure est à poser les bonnes questions : quand va-t-on arrêter cette guerre ? Quand va-t-on construire la paix ?
Les efforts des gouvernements, des opinions publiques doivent se concentrer sur les moyens d'exercer une pression politique maximum sur les deux acteurs du conflit pour qu'ils s'assoient à la table des négociations.
C'est la responsabilité des États, notamment de ceux de l'Union européenne de donner les signaux politiques en faveur du dialogue, pour trouver des voix d'une solution qui épargne la prolongation indéfinie des souffrances à la population ukrainienne.
Pour trouver ce chemin du dialogue, il faut arrêter de proclamer que la solution viendra de la défaite ou de l'écrasement d'un des deux acteurs. Il est contre-productif pour ne pas dire scandaleux que, dès qu'une bonne volonté se manifeste au niveau international pour essayer de faire démarrer un processus de paix, un choeur de censeurs s'élève pour dire : "Oh ! Est-ce que cette personnalité est bien qualifiée pour des négociations ? A-t-elle suffisamment condamné les Russes ? Sera-t-elle assez intransigeante ?". Cela a été le cas contre le Pape dans le journal Le Monde le 12 mai dernier ("Les ambiguïtés du pape François sur la guerre en Ukraine"). Les tentatives d'Erdogan, le président turc, de jouer le rôle d'intermédiaire, ont été, elles aussi, fraîchement accueillies. Les jours à venir diront quel accueil recevront les pourparlers du Président du Sénégal, Macky Sall, pour débloquer la crise des céréales, ce qui suppose que des concessions soient faites pour débloquer les ports de la Mer noire pour les marchandises ukrainiennes et russes, et pour ces dernières de trouver des solutions bancaires pour le paiement des achats malgré le blocage du système Swift.
La voie des négociations sera longue et difficile : elle passera nécessairement par des compromis. Pour cela, il faut des intermédiaires capables de gagner la confiance des deux parties. Le 6 mai dernier, fait unique, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution par consensus dans laquelle il a "apporté son ferme soutien aux efforts déployés par le Secrétaire général afin de parvenir à une solution pacifique".
Pourquoi le conseil de sécurité ne mandaterait-il pas un panel de personnalités pour explorer les voies du dialogue qui pourraient comporter des personnalités morales ou religieuses comme le pape, un représentant orthodoxe, un représentant des pays en voie de développement comme le Président de l'Union africaine, Macky Sall, un représentant de l'Union européenne comme le président Macron ?
Des progrès en ce sens ne seront obtenus que si la voix de l'opinion publique en faveur de la paix se fait plus forte et plus pressante. Elle n'est pas assez puissante aujourd'hui. Il faut s'attacher à relever ce défi.
7 juin 2022
*******************
RAPPEL - RAPPEL
Visioconférence “Guerre Russie-Ukraine : guerre redoutée ? Guerre acceptée ?” avec Daniel Durand
7 juin à 19h00
LIEN : https://zoom.us/j/7585066971
**************************
Russia-Ukraine War: Winners' Ball or Losers' Ball?
100 days of war in Ukraine. The number of combatants killed may be as high as 15,000 to 20,000 on each side. In addition, 4,200 civilians have been killed by armed attacks and another 4,000 injured. In addition, 15.7 million people in Ukraine, equivalent to a third of the country's population, are "in urgent need of assistance and protection", according to the UN, and more than 5 million children have had their education suspended.
On this grim 100th anniversary, the Kremlin says it has achieved "certain results" in 100 days of offensive. "Victory will be ours," says President Zelensky. Much more realistic is the UN coordinator for Ukraine, Amin Awad, who said that day: "This war will have no winner" and he added with reason: "We need peace. The war must end," he urged.
The atmosphere in the media is reminiscent of the cocky statements in French or German newspapers in 1914-18: it is mostly in favour of continuing the war and delivering arms to Ukraine. But let's face it: the war is getting bogged down, Russia only occupies 20% of Ukrainian territory, and it still has to be able to hold it militarily and operate structures in a sustainable manner, which seems doubtful. The Ukrainian army is increasingly equipped with modern American military equipment and can gradually inflict greater losses on the army, but it will take many months for it to score decisive advantages, according to military experts. How many more Ukrainian soldiers and civilians will be killed? How many more coffins of young Russian soldiers will be sent home?
Whatever the martial declarations of foreign leaders like Jo Biden or Jens Stoltenberg, the Secretary General of NATO, the reality is, as the UN says, that everyone will lose, including militarily.
Don't we have a duty to call on public opinion to open its eyes to see that the biggest losers will be the peoples: Ukrainians first of all, of course, but also Russians, and beyond that, the peoples of Europe and the peoples of developing countries?
Shouldn't we make it clear that behind the military war, fuelled by the Russian war machine but also, today more and more, by arms deliveries from the United States and European countries, including France, lies another war: the economic war accompanied by a trade war?
The Western camp (USA, G7, European Union) is developing an economic embargo on Russian gas, oil and financial circuits. Initially, the declared aim was to put pressure on Russia to stop fighting.
Today, the absence of a clear legal framework for these embargoes, the extent of the measures adopted, the economic measures for the medium and long term reorientation of certain products, raise doubts: isn't the Western camp, thus reformed, using the war in Ukraine to develop a long-term economic confrontation against Russia, beyond the eventual cessation of the fighting?
This economic war weighs primarily on the Russian people, not on the oligarchs and those close to the Putin government. The consequences are also being felt by the people of Europe, notably with the rise in energy prices; the resurgence of inflation is one of the consequences.
In turn, this economic war leads to a spiral of confrontation on this terrain: Russian exports are blocked and, as a result, Russia prevents Ukrainian grain exports from the Black Sea ports, which threatens to cause serious food shortages, particularly in Africa.
Economic warfare therefore produces losers among the people, without any real effectiveness in accelerating the end of the fighting.
Are there winners in this tragic comedy? We can say yes, without any particular spirit of conspiracy.
The most obvious winners are the arms lobbies, especially the US and, to a lesser extent, the French and other European ones. To this can be added the fossil fuel industry lobbies: shale gas in the US, coal miners in Germany. The other winners are the speculators, the companies, which, as in India, are blocking the sale of grain and stockpiling.
Meanwhile, UN agencies are struggling to fund relief for the 15 million Ukrainians in need in their own country and the FAO is worried about the future food situation in many poor countries!
Russia's invasion of Ukraine was carried out in flagrant violation of the UN Charter and thus of international law. It is clear that the ultimate central objective is the re-establishment of international law in this part of Europe as well as everywhere else in the world (we are thinking of Yemen, Palestine in particular). Let us see that, today, the prolongation of the war provokes and prolongs the questioning of the most elementary human rights: first of all, the right of Ukrainian citizens to live in peace and security, of their children to study. But this violation of rights also extends to democratic life in general, with the whole of Ukrainian society, its parliamentary system and its press being affected by the state of war. Let us also see that the violations of basic rights and freedoms also strongly affect Russian citizens, notably by questioning the freedom of information and demonstration. Finally, how can we fail to see that in all the European countries affected by the conflict, the media are encountering considerable difficulties in accessing all the independent sources of information. Here again, in terms of human rights, there are only losers.
It is becoming increasingly clear that the "losers' ball" must be stopped.
To continue the war or to allow it to continue is to increase the number and the fate of the losers and to increase the suffering of the people.
As the UN representative states, it is urgent to find ways to stop the fighting and find a political solution.
We must stop the false "winners' ball": this is not the time to continue delivering arms, to talk about war, to know who will win the war, but to bring together people of good will. It is time to ask the right questions: when will we stop this war? When will we build peace?
The efforts of governments and public opinion must focus on ways of exerting maximum political pressure on the two actors in the conflict so that they sit down at the negotiating table.
It is the responsibility of the states, especially those of the European Union, to give political signals in favour of dialogue, to find ways of finding a solution that will spare the Ukrainian population from indefinite suffering.
To find this path of dialogue, we must stop proclaiming that the solution will come from the defeat or crushing of one of the two actors. It is counterproductive, not to say scandalous, that as soon as goodwill is shown at the international level to try to get a peace process off the ground, a chorus of censors rises up to say: "Oh, is this personality well qualified for negotiations? Has he condemned the Russians enough? Will he be uncompromising enough? This was the case against the Pope in Le Monde on 12 May ("Les ambiguïtes du pape François sur la guerre en Ukraine"). The attempts of Erdogan, the Turkish president, to play the role of intermediary, were also freshly welcomed. The coming days will tell how Senegalese President Macky Sall's talks to unblock the grain crisis will be received, which presupposes that concessions will be made to unblock the Black Sea ports for Ukrainian and Russian goods, and for the latter to find banking solutions for the payment of purchases despite the blocking of the Swift system.
The road to negotiations will be long and difficult: it will necessarily involve compromises. For this, intermediaries capable of gaining the trust of both parties are needed. Uniquely, on 6 May, the UN Security Council adopted a resolution by consensus in which it "expressed its strong support for the Secretary-General's efforts to achieve a peaceful solution".
Why doesn't the Security Council mandate a panel of eminent persons to explore avenues of dialogue which could include moral or religious figures such as the Pope, an Orthodox representative, a representative of developing countries such as African Union President Macky Sall, a representative of the European Union such as President Macron?
Progress in this direction will only be achieved if the voice of public opinion in favour of peace becomes stronger and more urgent. It is not strong enough today. We must work to meet this challenge.
7 June 2022