lundi 30 décembre 2024

Meilleurs voeux 2025

 


mardi 10 décembre 2024

"DROIT INTERNATIONAL ET PUISSANCE ÉTATIQUE : AFFRONTEMENT ULTIME ?

"DROIT INTERNATIONAL ET PUISSANCE ÉTATIQUE : AFFRONTEMENT ULTIME ?
« DROIT INTERNATIONAL : LA FORCE EST AVEC TOI »
Daniel Durand i

(intervention prononcée à Bordeaux le 3 mars lors des 17émes rencontres "Nouvelles Pensées Critiques et Actualités de Marx pour de nouveaux horizons de civilisation" sur le thème "Révolution ! Vous avez dit Révolution ?"

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Cette contribution s’inscrit dans le cadre de mes réflexions démarrées en 2018 avec mon ouvrage « 1914-1918 : CENT APRÈS, LA PAIX ! ii ». Celles-ci ont évidemment été percutées, questionnées par la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, depuis bientôt trois ans, et exacerbées par les opérations, de plus en plus qualifiées de « génocidaires », menées par le gouvernement israélien à Gaza, à la suite de l’opération terroriste menée notamment par le Hamas, le 7 octobre 2023. Une partie de ces réflexions sont contenues dans mon livre « La paix, c’est mon droit iii » et dans cet esprit, j’avais délivrée une contribution l’année dernière aux Rencontres, sur le thème du Droit humain à la paix iv.
En ce mois de décembre 2024, jamais, sans doute, la question du droit international n’a été aussi présente dans le débat. Elle l’est, notamment, sous la thématique du « droit piétiné », ou du « droit impuissant ». Je vous livre un florilège non exhaustif au travers de quelques titres ;
"L’ordre international piétiné par ses garants" - Le Monde diplomatique, Anne-Cécile Robert ; "Les règles de la guerre et le droit international humanitaire sont clairement bafoués". Texte de l’IFRI, 5/10/2023 ; "Un «droit international» quasi impuissant » - titre sur Le Devoir – 8/07/2014 ; "La Cour pénale internationale entre illusions et impuissance" – étude de la revue-histoire.fr, 3 janv. 2024. Pour finir, une citation de Monique Chemillier-Gendreau - Colloque de l’Union des fédéralistes européens. du 12 octobre 2024 : « Le monde d’aujourd’hui, devenu un village par la puissance des communications et du commerce, ne dispose pourtant pas d’un droit commun à l’application effective. Le droit international élaboré au XXème siècle et les institutions alors mises en place, doivent aujourd’hui être considérées comme un échec » v.
On peut dire que rares sont les affirmations inverses comme ce titre d’une étude de Adam Baczko - site le Sciences-Po et intitulée « Conflits armés : l’impact croissant du droit international »vi ; celle du juriste Johan Soufi, sur Vie publique et titrée « Justice pénale internationale : quel bilan ? » qui relève que « La Cour pénale internationale (CPI) joue un rôle croissant sur l’échiquier géopolitique mondial » vii.
Il est donc un peu osé de ma part de poser un postulat presque complètement opposé à la thèse dominante de l’échec du droit international !
Je prétends en effet que le droit international sur le terrain de la paix, des conflits et. des guerres connaît une extension de son champ d’application, une implication d’un niveau de plus en plus élevé et en parodiant un dialogue du film Starwar : « La Force est avec toi jeune Skywalker. Mais tu n'es pas encore un Jedi» viii, je postule l’idée que le droit international contestera demain la puissance et la sacro-sainte souveraineté des États. On m’accusera d’idéalisme béat, j’en prends le risque.
Ma contestation repose sur le fait qu’il faut différencier deux visons du droit international et de son rôle. La première est une vision « photographique », donc statique, à un instant T, de l’application du droit international. On peut donc dire qu’en ce mois de décembre 2024, l’application du droit international, du droit international humanitaire et même du droit de la guerre et dans la guerre, est un échec à Gaza, par exemple.
Je pense qu’il faut prendre une autre posture, une deuxième vision : une vision cinématographique, donc en mouvement, qui nous permet d’analyser l’évolution de la place du droit international, de son respect ou non, et c’est en observant celle-ci que j’ose poser mon « La Force est avec toi » !
Pour développer ce propos, je reviendrai rapidement, de manière très simplifiée, sur la naissance, la diversité et l’évolution du droit international au cours du dernier siècle.

Le droit international : une notion en évolution

Je rappelle une évidence. La perception du grand public est de parler du droit international comme d’une évidence, une entité qui serait là immuable, d’où les réflexions « aujourd’hui, le droit international est bafoué, on ne respecte plus.. »Le droit international est jeune, il est lié à l’histoire récente des États-nations, et surtout à l’évolution des relations internationales au XXe siècle.
 La justice internationale
La justice internationale naît avec la Cour permanente d'arbitrage de La Haye, créée en 1899, à laquelle à succédé en 1922 la Cour permanente de Justice internationale (CPJI), tout comme la Société des nations (SDN).
La Cour internationale de justice (CIJ) est créée en 1945 et devient l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Son Statut est annexé à la Charte des Nations Unies dont il est partie intégrante.
Elle peut rendre des arrêts ou des avis consultatifs.
Ses arrêts ont pour but de régler, en application des traités internationaux, les litiges qui sont portés à sa connaissance par les États (différends frontaliers par exemple). Ils sont obligatoires. L’article 94 de la Charte des Nations Unies prévoit que chaque État membre des Nations Unies s’engage à se conformer aux décisions de la Cour internationale de Justice dans tout litige auquel il est partie. Si un État partie à un litige ne satisfait pas aux obligations qui lui incombent en vertu d’une décision de la Cour, l’autre État partie peut saisir le Conseil de sécurité des Nations Unies qui peut faire des recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exécuter la décision.
Au titre de sa compétence consultative, la Cour donne des avis consultatifs sur les questions d’ordre juridique que lui posent les organes des Nations Unies et les institutions spécialisées. Cette compétence est prévue par l’article 96 de la Charte des Nations Unies. Par contre, les avis consultatifs rendus par la Cour sont dépourvus de toute force exécutoire et n'ont qu'une autorité morale.
Mais il est communément admis dans la pratique des États et la doctrine que les avis consultatifs de la CIJ, même s'ils ne sont pas formellement contraignants, ont une valeur juridique et peuvent, à bien des égards, être assimilés à des arrêts juridiquement contraignants.
Le droit international humanitaire
Parallèlement à la justice internationale qui réglemente le droit public entre les États, s’est développé un droit international humanitaire, notamment par l’établissement des  conventions de Genève.
La première convention de Genève date de 1864. Deux autres Conventions sont signées en 1906 et 1929. Cependant, les textes qui sont en vigueur aujourd'hui ont été écrits après la Seconde Guerre mondiale. Sept textes ont cours actuellement : les quatre conventions de Genève du 12 août 1949 ; les deux protocoles additionnels du 8 juin 1977 ; le troisième protocole additionnel de 2005.
Que contiennent les 4 conventions de Genève ?
1ère Convention : protection des malades et blessés des forces armées en campagne.
2ème Convention : protection des malades et blessés et naufragés dans les forces armées sur mer.
3ème Convention : traitement des prisonniers de guerre.
4ème Convention : protection des populations civiles.
Sur le plan des droits humains, on peut estimer que la grande réalisation des Nations Unies après 1945 est d’avoir créé un ensemble complet de standards relatifs aux droits humains – un socle de normes universelles et internationalement protégées auquel toutes les nations du monde peuvent aspirer et souscrire. Les fondements de ces normes sont la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptés par l’Assemblée générale de l’ONU respectivement en 1945 et 1948.
Depuis lors, les Nations Unies ont progressivement élargi le socle des droits humains pour y inclure des normes spécifiques visant les femmes, les enfants (Convention des Droits de l’enfant par ex), les personnes handicapées, les minorités et les groupes les plus vulnérables.
 La justice pénale internationale
Si le développement du droit humanitaire permet, en théorie, de protéger et de défendre les victimes des guerres, donc, théoriquement, d’empếcher les crimes de guerre, pendant longtemps, rien n’a existé pour juger et punir les responsables des crimes, puis des crimes contre l’humanité, ce qui relève donc de la justice pénale.
Les premiers exemples de justice pénale internationale sont fournis par les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo, établis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale mais qui incarnent à plusieurs égards une forme de "justice des vainqueurs".
Il faut attendre la fin de la Guerre froide pour qu’en 1993 et 1994, le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) crée successivement un Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et un Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) afin de juger les principaux responsables des atrocités commises lors des conflits dans ces pays.
Dans la foulée, après une bataille d’opinion, menée notamment par des réseaux d’ONG, le Statut de Rome, est adopté le 17 juillet 1998. Il institue la Cour pénale internationale (CPI) en 2002. Elle est créée pour juger les crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis dans plusieurs pays dans les années 1990. Première juridiction pénale internationale, la CPI siège de façon permanente.
123 États, dont la France, reconnaissent aujourd’hui sa compétence pour juger les crimes les plus graves commis sur leur territoire et qui touchent l'ensemble de la communauté internationale : crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, crimes d'agression.
Pour parler de bilan de la justice pénale et de la justice internationale, il faut prendre en compte l’évolution accélérée de la place prise par celle-ci. L’année 2024, de ce point de vue, a été exceptionnelle, voire historique, marquée par un arrêt de la CIJ puis un avis consultatif, et un mandat d’arrêt très fort délivré par la CPI et actuellement, un nouveau débat vient de s’ouvrir à la CIJ à La Haye.
Pourquoi parler de situation nouvelle en matière de justice internationale inter-étatique ou pénale ?

La Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu un verdict le 26 janvier sur le premier volet de la plainte déposée le 29 décembre 2023 par l’Afrique du Sud contre Israël pour « génocide » à Gaza. Elle a ordonné qu’Israël prenne immédiatement des mesures pour garantir que son armée ne viole pas la Convention sur le génocide. La Cour a également demandé à Israël de laisser davantage d’aide entrer dans l’enclave palestinienne. Toutefois, elle n’a pas ordonné à Israël de cesser ses opérations militaires.
Cette décision est une première qui touche un volet politique direct et vise un pays qui est soutenu par les États les plus puissants de la planète. Il faut comprendre la nouveauté et l'importance de la démarche de l’Afrique du sud auprès de la Cour internationale de justice. C’est l’expression de la volonté de sortir le droit international des rapports de force de sommet, pour ouvrir un débat public, et cela à l’initiative d’un pays du Sud et non d’un des cinq Grands.
Rappelons que les décisions de la CIJ sont contraignantes sur le plan légal mais le tribunal n’a pas les moyens de les faire respecter. Seule une résolution du Conseil de sécurité pourrait obliger dans les faits un État à les appliquer. Or, le Conseil de sécurité est toujours divisé sur le principe d’un cessez-le-feu humanitaire à Gaza. On peut regretter qu'il n'y ait pas encore d'automatisme dans l'application de la décision, mais on voit le chemin : il est possible, s’il existe un rapport de force dans l’opinion, d’obtenir une réunion du Conseil de sécurité et la possibilité d’une résolution.
Six mois après cette décision, le 19 juillet, 2024, la CIJ rend un avis consultatif, qui avait été demandé par l’Assemblée générale des Nations Unies à la CIJ en décembre 2022, sur « les conséquences juridiques des politiques et pratiques d’Israël dans les Territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est ».
La CIJ déclare que « L’utilisation abusive persistante de sa position en tant que puissance occupante à laquelle Israël se livre en annexant le Territoire palestinien occupé et en imposant un contrôle permanent sur celui-ci, ainsi qu’en privant de manière continue le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, viole des principes du droit international et rend illicite la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé ».
La CIJ se déclare compétente, et juge que les politiques et pratiques d’Israël dans ces territoires, définis comme « une seule unité territoriale comprenant la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza », ne sont pas conformes à la loi internationale.
Ce caractère illicite contraint Israël « à l’obligation de mettre fin à sa présence dans les territoires palestiniens occupés dans les plus brefs délais, (…) et l’obligation de réparer les dommages causés à toutes les personnes morales et physiques concernées. »
La Cour estime que les modalités de la fin de la présence d’Israël dans les territoires palestiniens, avec « évacuation de tous les colons », incombent à l’Assemblée générale de l’ONU et au Conseil de sécurité.
La question de l'illégalité de l'occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza date de 1967, près de 60 ans.
Une résolution du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967, après la Guerre des Six Jours avait adopté la résolution 242 qui requiert :
- selon sa version officielle en français, « le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit » ;
- selon sa version officielle en anglais, « the withdrawal of Israel armed forces from territories occupied in the recent conflict » ;
- selon ses versions officielles en espagnol, arabe, russe et chinois (autres langues officielles de l'ONU), un texte dont le sens est le même qu'en français.
C’est en s’appuyant sur cette ambiguïté, que, depuis des décennies Israël et ses soutiens américains et britanniques ont justifié la poursuite de l'occupation. On comprend combien l'avis de la CIJ, très clair sur les territoires concernés par l’occupation, peut prendre un poids considérable dans ce débat.
La troisième décision de la justice internationale qui fait de 2024 une année extraordinaire est celle du 26 novembre 2024, lorsque que les trois juges de la Chambre préliminaire I de la CPI ont délivré des mandats d’arrêt à l’unanimité contre Mohammed Deif, chef du Hamas, pour des accusations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre qui, selon le Procureur de la Cour, Karim Khan, auraient été commis dans le cadre de la guerre actuelle contre le Hamas à Gaza.
Elle a également émis des mandats d’arrêt contre Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui auraient été commis dans la bande de Gaza. Selon la CPI, les deux responsables israéliens portent chacun la responsabilité pénale des crimes suivants en tant que coauteurs pour avoir commis les actes conjointement avec d’autres : le crime de guerre consistant à faire de la famine une méthode de guerre ; et les crimes contre l’humanité consistant en meurtres, persécutions et autres actes inhumains.
Certes, ces décisions contre des chefs d'états ne sont pas une première absolue. Trois dirigeants en exercice ont été l'objet de mandats d'arrêt depuis la création de la CPI : Omar El-Béchir, Mouammar Kadhafi et Vladimir Poutine.
En 2009, le président soudanais Omar El-Béchir était le premier chef d'État en exercice à être recherché par la CPI ainsi que la première personne à être poursuivie pour génocide. Il était visé par un mandat d'arrêt en raison des milliers de morts, de villages brûlés ainsi que des massacres, des viols, des raids contre les camps de réfugiés au Darfour.
En juin 2011, le colonel Kadhafi a été à son tour la cible d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale. La Cour rendait sa décision en reprochant à Mouammar Kadhafi et à son fils Saïf al-Islam d'avoir organisé la répression contre les opposants au régime et d’avoir commis des crimes contre l'humanité.
Enfin le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale décidait de lancer un mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine pour crimes contre l’humanité. Le président russe et sa commissaire aux droits de l'enfant, Mariel Vova, étaient recherchés pour leur responsabilité présumée dans la déportation d'enfants ukrainiens.
Justice pénale internationale : premier bilan
La première réussite de la justice pénale internationale tient indiscutablement à sa progression et à son ancrage dans les relations internationales.
La rapidité avec laquelle ses concepts, son langage et ses outils se sont diffusés dans les sphères juridiques, politiques et médiatiques au cours des deux dernières décennies est remarquable. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer la façon dont les victimes et leurs défenseurs, en Syrie, en Birmanie, au Venezuela, en Palestine, en Ukraine et ailleurs, utilisent aujourd’hui le droit pénal international pour demander justice, avec succès ou non d’ailleurs.  
Ce développement constitue une véritable révolution, car il vient bousculer les principes de souveraineté des États et d’immunité de leurs dirigeants, qui demeurent profondément ancrés dans les relations internationales. Qui aurait pu imaginer, voilà encore quelques années, que le président en exercice d’un État membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, dirigeant d’une puissance nucléaire serait un jour inquiété par la justice pénale internationale et privé de sa liberté de voyager comme c’est le cas pour Vladimir Poutine depuis mars 2023 (même en exceptant le cas de la Mongolie, lors de la dernière réunion des BRICS) ? De même pour le mandat d’arrêt international transmise par le procureur à la Cour à l’encontre du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, contre un dirigeant qui est le protégé direct des grandes puissances du camp occidental ? Comment la place de ce droit international peut-elle évoluer et comment peut-il devenir un élément essentiel de la transformation des relations internationales ?

Le droit international : élément d’une nouvelle puissance ?

Si l’on veut répondre à cette question, cela suppose de refaire un détour sur les changements du monde depuis 80 ans. C’est la seule manière de faire comprendre l’importance du droit international, de ses organismes, du respect absolu de la Charte des Nations unies, du rôle central de celles-ci dans le monde d’aujourd’hui, pour surmonter l’obstacle des grandes puissances, pour donner sa vraie place à l’humain, à « We, the people ». C’est nécessaire pour obtenir le soutien de l’opinion publique dans sa masse, hors de sa seule partie informée et militante ?
Le cadre de cette réflexion est celle-ci : les grands problèmes posés à nos générations relèvent tous de solutions globales et planétaires.
 JAMAIS, les humains n’ont pu dire comme aujourd’hui, nous sommes dans un « même bateau », un « bateau monde » qui peut couler, soit à cause de menaces physiques (liées au réchauffement climatique) ce qui est bien compris dans la jeunesse, soit à cause de menaces militaires (conflit nucléaire ou conflit régional incontrôlable, au Moyen-Orient ou en Asie), ce qui est parfois sous-estimé, sauf, peut-être par ceux qui ont connu les périodes de la Guerre froide.
       C’est en s’appuyant sur la perception, peut-être plus répandue aujourd’hui de la globalité des enjeux planétaires climatiques, notamment dans la jeunesse, qu’il nous faut avancer sur la notion de « même bateau » ou « même maison ».
       Je préfère, pour ma part, parler de « maison commune » dont nous nous serions les copropriétaires, très inégaux de statut certes. Cette réflexion est inséparable de celle sur la création des Nations unies.
       Il nous faut franchir aujourd’hui une étape ! Pourquoi jeter un regard neuf ?
       1/ Le nombre des États a quadruplé depuis 1945, la place des pays émergents et de ceux du Global South grandit.
       2/ Dans le même temps, s’est développé le système multilatéral onusien : agences, traités.
       3/ Nous sommes passés, en quelques décennies, de l’ordre exclusif des États en 1945 à un réseau de forces, mondial complexe, où on trouve à côté de ces États, des entités non – étatiques, forces économiques et ONG.
       4/ Dernier élément à ne pas négliger : c’est la révolution dans les moyens d’information avec des technologies qui favorisent l’information et les possibilités d’interventions individuelles.
       Il faut réévaluer ce qui s’est passé il y a 80 ans. Oui, il y a des contradictions ! D’une part, la création des Nations unies relève pour une part d’un accord entre les vainqueurs de la Guerre, à travers la réaffirmation de la souveraineté des États et du fonctionnement du Conseil de sécurité, mais, en même temps, cela a abouti à la pose des fondations de notre copropriété commune et à l’établissement d’un « règlement de copropriété », la Charte des Nations unies, avec un « conseil syndical » qu’est le Conseil de sécurité et des commissions de travail, avec toutes les institutions onusiennes.
       Quel est le cœur de cette Charte des Nations unies ? Il est de construire la paix, de bannir la force et la guerre des relations internationales. C’est établi dès son préambule et son article 1. Il est fondamental de le comprendre, de l’expliquer et de se battre pour le faire respecter !
       Cela concerne aussi bien le droit international lié aux conflits, le droit international humanitaire, le droit relatif lié aux droits humains, que la justice internationale et la justice pénale internationale.
Un droit international en progression
Oui, le droit international est contesté, parfois bafoué mais il est de plus en plus présent et compte de plus en plus.
Un débat existe sur la place du droit international, c’est positif. Certains juristes ou chercheurs estiment que le droit international a échoué face à la puissance des États, qu’en conséquence, la structure qui porte la Charte des Nations unies, l’ONU a également échoué. Donc, selon eux, il n’y aura pas d’avancée sans la reconstruction d’un nouveau système à partir de zéro.
Je ne partage pas cette analyse. Le droit international a avancé, sur le plan pénal, nous avons réussi à imposer une nouvelle structure, la CPI, pour juger les crimes de guerre. Le mandat d’arrêt de la CPI empêche aujourd’hui Poutine de sortir de Russie, demain, elle fera la même chose avec Netanyahou.
La Cour internationale de justice aborde pour la première fois de son histoire des questions politiques sensibles : la menace de génocide à Gaza, l’illégalité de l’occupation israélienne. Ces évolutions tiennent à la fois à la nouvelle place des sociétés civiles dans le monde, et à l’apparition de puissances émergentes et d’un Global South qui refusent les « doubles standard ».
Déjà, il y a trois ans, nous avions vu la portée possible de la justice internationale sur d’autres domaines que la guerre ou la paix.
Ainsi, sur le plan national, « l’Affaire du siècle » a été un tournant dans les actions pour le climat. À la fin des années 2010, quatre organisations d’intérêt général ont assigné l’État français en justice devant le Tribunal administratif de Paris pour inaction face aux changements climatiques. Le but était de faire reconnaître par les juges l’obligation de l’État d’agir pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, afin de protéger les Français face aux risques induits par les changements climatiques. Le 3 février 2021, la faute de l’État a été établie ; la justice a reconnu aussi sa responsabilité et le préjudice écologique causé par l’inaction climatique de la France.
En ce moment même, la Cour internationale de justice (CIJ) a ouvert depuis hier, ce lundi 2 décembre des audiences visant à définir les obligations juridiques des pays face au changement climatique. Jusqu'au 13 décembre, plus de 100 pays et organisations présenteront des observations sur le sujet, un record.
La République de Vanuatu (223 000 hab, ex Nouvelles-Hébrides), est un des petits États insulaires qui est à l'origine de la demande d'avis consultatif, demande qui a été reprise par l’Assemblée générale de l’ONU, par consensus le 29 mars 2023.
Les deux questions posées sont les suivantes : quelles sont les obligations juridiques internationales des États en matière de protection climatique ? Et quelles conséquences juridiques peuvent encourir les pollueurs, aujourd’hui et demain ?
Les États les plus vulnérables, ceux du Sud global, veulent obtenir une décision qui les renforce lors de futures négociations sur le climat et rééquilibre le rapport de force. Ils espèrent aussi que l’avis juridique de la CIJ offrira une base solide et unifiée aux juges du monde entier saisis de contentieux climatiques.
Ces exemples montrent que le droit international est devenu un élément des solutions pour un monde de paix durable, élément de solution et aussi un outil de cette solution. Agir avec le droit international comme outil n’est pas se lancer dans des batailles de prétoire loin des opinions publiques, mais le moyen de pointer les responsabilités des puissants de ce monde et de contourner les blocages institutionnels qu’ils utilisent, en s’appuyant sur les nouveaux rapports de force possibles dans le monde d’aujourd’hui, y compris sur de nouveaux terrains de lutte.
Il en est ainsi de la fameuse question de la « légitime défense » brandie au-delà de son sens d’origine.
Concernant la question de l’Ukraine, l’obligation, posée par le respect de la Charte des Nations unies, notamment pour les membres du Conseil de sécurité, n’est pas simplement de dire « la Russie ne peut pas et ne doit pas gagner cette guerre » ou la priorité est de « vaincre l’agresseur russe ».
Non, la priorité imposée par le droit international est fondamentalement, aujourd’hui, en Ukraine, d’obtenir un cessez-le-feu, de créer les conditions d’un cadre de discussions diplomatiques conforme à la Charte des Nations unies donc au droit international, et ainsi, de permettre de construire des solutions de compromis dont certaines avaient été esquissées dans les accords de Minsk en 2014.
Plus de deux ans après le début de l’agression russe, il faut appliquer entièrement l’article 51 de la Charte des Nations unies, qui reconnaît au pays agressé son « droit naturel de légitime défense », mais qui ajoute « jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Ce sont ces initiatives politiques et diplomatiques qui doivent être prises en priorité maintenant.
Or, depuis plus de deux ans, le « bloc occidental » qui s’est reformé, a fait échouer toutes les initiatives diplomatiques pour explorer des issues politiques, qu’elles soient individuelles (le pape François, le turc Recip Erdogan) ou étatiques (Brésil, Afrique du sud). Mieux, les 15 et 16 juin 2024, la Suisse a organisé une conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine, qui s’est tenue sans la présence de la Russie. « Malgré certaines avancées, la stratégie ukrainienne de ralliement des pays du Sud global n’a pas fonctionné, en témoigne le fait qu’aucun membre des BRICS+ n’ait signé le communiqué final », estime le chercheur de l’IRIS, Jean de Gliniasty. Un des seuls points positifs est le fait que le président ukrainien a ouvert, pour la première fois, la porte à la participation d’une délégation russe à un autre futur sommet pour la paix.
Aujourd’hui, l’évolution de la situation sur le terrain, les incertitudes liées à la future politique américaine, font que des choses bougent, que l’éventualité d’un armistice est évoquée, que des compromis territoriaux provisoire soient évoqués. Mais que de temps perdu, de morts inutiles gaspillées !
Au-delà des conflits et des situations d’urgence, considérons des questions plus larges comme celles liées à la réforme de l’ONU. 

Nous devons réfléchir à l’utilisation nouvelle du droit international et des décisions de ses organes comme la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale pour faire évoluer le fonctionnement du Conseil de sécurité, trouver des issues aux blocages et à l’impasse provoquée par l’utilisation du « droit de veto » par les membres permanents du Conseil de sécurité.
Plusieurs initiatives sont en cours pour trouver des formes d’auto-limitation du droit de veto au Conseil de sécurité. Ainsi, 106 États soutiennent actuellement une initiative d’encadrement du droit de véto qui prévoit une suspension volontaire et collective du recours au veto en cas d’atrocités de masse. L'Assemblée générale des Nations unies a adopté aussi le 26 avril 2022, une résolution permettant de convoquer automatiquement l'Assemblée générale si un membre permanent oppose son veto à une résolution du Conseil de sécurité.
Dans cet esprit, comment arriver à imposer le respect des décisions de la Cour internationale de justice et de la Cour pénale internationale, en obtenant qu’il y ait interdiction du veto par un membre permanent, après une décision de la CIJ ? On peut estimer qu’une résolution de l’Assemblée générale soit prise en ce sens, qu’il serait compliqué ensuite aux membres permanents du Conseil de ne pas respecter.
L’étape suivante pourrait être d’obtenir que les membres du Conseil de sécurité soient obligés de faire respecter et appliquer les décisions de la CIJ et de la CPI, et, pour cela, qu’ils placent systématiquement, tout arrêt de la CIJ ou de la CPI, sous l’égide du chapitre VII de la Charte, qui permet si nécessaire l’utilisation de la contrainte, voire de la force pour son application.
Vu sous cet angle, le droit international n’est pas uniquement une affaire de spécialistes, de juristes. Il devient un enjeu politique, un outil politique au service des gouvernements et au service des peuples, des opinions publiques.

CONCLUSION

Sur les champs de la guerre et de la paix, l’application du droit international s’oppose directement aux politiques de domination des grandes puissances.
Or, la domination étatique des grandes puissances recouvre très largement, non seulement des politiques de domination géopolitiques, stratégiques, mais plus largement des politiques de dominations économiques et financières, maîtrise des ressources énergétiques, des métaux rares, des voies de communication, etc.
Nos abordons des questions qui touchent aux confrontations autour de la transformation de notre monde, de l'affaiblissement des dominations mondiales, d’une véritable "révolution" des rapports planétaires ?
Ce n’est pas un hasard, si face aux institutions multilatérales onusiennes, qui portent le droit international, on assiste dans ces deux dernières décennies, à des tentatives de redirection des décisions internationales vers des institutions comme le G7 ou le G20, vers des « groupes de contacts », qui fonctionnent hors des règlent admises.  
J’ai parlé dans mon résumé de présentation de la dichotomie entre les atteintes qui perdurent contre le droit international et sa présence grandissante dans les problèmes internationaux. Il faut ouvrir le débat.
Cette dichotomie peut-elle perdurer ou le droit international peut-il devenir lui-même un instrument de puissance au service des peuples et des pays émergents,en affaiblissant durablement la puissance brute des États dominants ?
Pour condenser mon opinion, je dirai que le droit international n’est pas condamné à l’impuissance face à la puissance, il est en train de devenir instrument, au travers de ces exemples, d’une nouvelle puissance, et provoquer ainsi l’impuissance de la puissance étatique d’aujourd’hui. 

 Le lien vers la video de cette conférence :

 https://www.youtube.com/watch?v=gdzOoQP6Y3Y

 


NOTES
i - Directeur de l’IDRP (Institut de documentation et de recherches sur la paix)
ii -  Daniel Durand - Editions Edilivre - 2018
iii - "La paix, c'est mon droit !" 21e siècle, vers la guerre ou vers la paix ? - Daniel Durand - Éditeur : Books on Demand - Date de parution : 31.07.2023
iv - Daniel DURAND, « Le droit humain à la paix, étape décisive d … - YouTube · Espaces Marx Aquitaine-Bordeaux-Gironde - 14 déc. 2023
v - https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/28/monique-chemillier-gendreau-lechec-du-droit-international-a-devenir-universel-et-ses-raisons/
vi - https://www.sciencespo.fr/research/cogito/home/conflits-armes-limpact-croissant-du-droit-international/
vii - https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/294485-justice-penale-internationale-quel-bilan-par-johann-soufi
viii - https://www.kaakook.fr/citation-34984
 

jeudi 21 novembre 2024

Israël : la Cour pénale internationale émet des mandats d’arrêt contre Netanyahou, Gallant et Deif

La Cour pénale internationale a émis ce jeudi des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, l’ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant et le chef de la branche armée du Hamas Mohammed Deif, commis au moins à partir du 8 octobre 2023 jusqu’au 20 mai 2024 au moins, jour où l’accusation a déposé les demandes de mandats d’arrêt.
Le procureur de la CPI, Karim Khan, avait demandé en mai à la cour de délivrer des mandats d’arrêt contre quatre chefs du Hams et contre Netanyahou et Gallant (qui a été limogé début novembre par le Premier ministre israélien) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés à Gaza.
Lorsqu’un mandat est émis par la Cour pénale internationale, les 123 Etats membres sont désormais responsables de l’arrestation des personnes visées dans le cas où celles-ci sont présentes sur leur territoire.,
Rappelons qu'un tel mandat d'arrêt a été émis contre Vladimir Poutine, et que depuis, celui-ci ne sort plus de Russie ou d'un pays satellite comme le Kazakhstan. Il avait du renoncer à assister, il y a quelques mois au sommet des Brics à Pretoria.
On peut en déduire qu'il est exclu que M. Netanyahou se promène maintenant en Europe.
Venant après les attendus de la Cour internationale de justice sur l'illégalité de l'occupation israélienne, cette annonce montre également que la justice internationale pèse de plus en plus dans les débats internationaux. Nous y reviendrons dans un prochain article.
Daniel Durand - IDRP - 21 novembre 2024

jeudi 7 novembre 2024

« Une guerre d’avance » ou « une paix de retard » ? - La folie du budget militaire français et de la Loi de programmation

Le budget du ministère des Armées, qui était de 32 milliards d'euros en 2017 à l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir, devrait grimper à 67,4 milliards en 2030, à la faveur de deux Lois de programmation successives, prévoyant une augmentation des crédits de défense, sur fond de guerre en Ukraine. C’est la première fois que le budget militaire français double par temps de paix en deux mandats d’un président de la République. Le budget figurant dans la Loi de finances pour 2025 s’inscrit dans cette trajectoire puisque les budgets militaires français sont pilotés par des Lois de programmation militaire généralement quinquennales. Celles-ci existent depuis les années 1960 dans la logique du développement de la dissuasion nucléaire. C’est pourquoi avant de discuter du budget pour 2025, il faut examiner le cadre de la LPM en cours.

L’augmentation énorme des crédits d’armement dans la LPM
La Loi de programmation militaire 2024-2030 a été discutée à l’Assemblée nationale et au Sénat en mai-juin 2023. Ces LPM viennent après un exercice de prospection stratégique, appelés « Livre Blanc » ou « Revue stratégique ». La LPM votée en 2018 a été précédée par une « Revue stratégique » en 2017. Pour cette LPM, une « Revue nationale stratégique » (RNS)i a été rendue publique le 9 novembre 2022 et une présentation des orientations de cette Loi a été faite par le Président de la République sur la base aérienne de Mont-de-Marsan, le 20 janvier 2023ii.
En théorie, le processus est parfait mais en fait, seule la discussion au Parlement de la Loi de programmation est médiatisée, essentiellement sous son aspect financier. Les orientations qui ont présidé à ses choix, ont tendance à être mis en arrière-plan, ce qui amène une sous-estimation des analyses politiques qui sous-tendent la décision.
En 2023, le cadre politique avait été fixé par le Président Macron, en janvier, qui avait affirmé « Nous devons donc avoir une guerre d’avance ». Il a ajouté cette phrase audacieuse : « cette loi de programmation militaire devra donc tirer les conclusions de ce que notre époque porte en germe ». Il a résumé le passé récent à une « accumulation des menaces dans tous les ordres et dans toutes les géographies ». Quelle courte vue de résumer le 21e siècle ainsi !
Il ne faut pas s’étonner que cette logique militariste ait conduit à ce que cette Loi de programmation militaire (LPM) augmente considérablement (plus d’un tiers) les crédits de la précédente LPM, qui étaient de 295 milliards d’euros sur cinq ans, en prévoyant une somme totale de 413 milliards d’euros jusqu’en 2030, soit sur sept ans.

Un budget militaire 2025 indécent
Le Projet de loi de finances 2025 affirme respecter cette trajectoire et propose une enveloppe de 50,5 milliards d’euros de crédits budgétaires pour le ministère des Armées et des Anciens combattants, soit une hausse de 3,3 milliards d’euros (soit + 7%) par rapport à 2024. Pourquoi une telle augmentation ? La justification par des prétendues menaces est toujours la même : « L’effort est colossal […] car la programmation militaire obéit à des menaces extérieures qui touchent à la survie du pays et à nos intérêts vitaux », estime Sébastien Lecornu.
La dissuasion nucléaire continue d’être modernisée. Elle bénéficie une hausse de 508 millions d’euros par rapport à 2024, près de +8 %, notamment pour rénover les têtes nucléaires, la trame des missiles de la composante océanique.
Les dépenses pour les munitions sont en hausse de +27 % pour prendre en compte notamment la fourniture d’armes et de munitions à l’Ukraine. Elles représentent un effort important : 1,9 Md € en 2025, soit 400 millions d’euros en plus par rapport à 2024.
Mais le plus éclairant est la déclaration de Sébastien Lecornu qui affirme « La France remplira l’objectif des 2 % donné par l’Otan, 2 % du PIB en cette année 2024 ». La France est devenue un bon élève de l’OTAN !
Alors que le gouvernement Barnier multiplie les annonces de restrictions de crédits qui toucheront, quoiqu’il en dise, d’abord les plus pauvres, c’est bombance pour les marchands de canon et de mort.

Quel contexte ? Quelles menaces ?
Peut-on affirmer que le contexte international justifie une telle remilitarisation de la France ?

Je pense, au contraire, pour moi, les deux dernières décennies sont marquées par l’échec de toutes les solutions de force, de nature militaire essentiellement, qui ont été appliquées dans les diverses crises ou conflits : Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Afrique centrale et aujourd’hui Ukraine et Palestine.
« Tirer les conclusions de ce que notre époque porte en germe » ? Chiche! Alors, reconnaissons que les solutions militaires ont été en échec depuis vingt ans et qu’il ne peut exister qu’une conclusion : les seules issues viables, crédibles aux conflits et aux crises internationales relèvent de l’action politique et diplomatique et le meilleur cadre pour déployer celle-ci dans le monde d’aujourd’hui est le cadre multilatéral, c’est-à-dire le cadre onusien.
Deuxièmement, Affirmer qu’il faut « avoir une guerre d’avance » ne peut signifier en toute logique qu’une chose : le but de l’action publique aujourd’hui n’est pas ou plus de préparer la paix mais clairement de préparer la guerre…
Cela explique que la France a décidé, non pas d’une simple modernisation, mais d’un renouvellement quasi complet de ses forces nucléaires d’ici 2035.
C’est une véritable fuite en avant ! Comme les programmes nucléaires lancés dans cette LPM ne s’achèveront qu’en 2035-2037, cela signifiera que la LPM suivante comptera une somme équivalente pour les équipements nucléaires. La dépense prévue entre 2024 et 2030 pour les armes nucléaires représente une somme totale minimum de 53,9 Mds d’euros en sept ans ce qui est considérable. Donc sur douze ans, on peut estimer que la construction de nouvelles armes nucléaires et la modernisation de certaines représenteront un coût total en 2035 d’au moins cent milliards d’euros !
Ainsi, l’examen approfondi de la Loi de programmation montre qu’elle est “plombée” par la priorité absolue donnée au renouvellement , des armes nucléaires françaises.

Une période nouvelle :
Je critique la hausse des crédits militaires, car elle se justifie moins que jamais, et ce pour une raison fondamentale. Nous sommes dans une période nouvelle, sur le plan du droit international,  avec l’avènement d’un Traité sur l’Interdiction des armes nucléaires (TIAN) – norme de droit international signée par 93 États et qui compte 69 États membres –
Personne ne conteste que le processus pour inclure les États nucléaires actuels dans le TIAN sera long et compliqué, mais la France n’a-t-elle pas une carte diplomatique à jouer pour promouvoir cette démarche ? Ne serait-elle pas capable d’obtenir des avancées significatives dans les dix ans à venir ? Ce délai ne permettrait-il pas d’éviter de se précipiter dans le ruineux renouvellement des grands programmes nucléaires, sans compromettre dans la décennie à venir notre sécurité ?
Sans partager mes analyses, un site proche des milieux militaires comme DSI n’est peut-être pas si loin de ce constat lorsqu’il écrit : « 2035 laisse 12 ans au politique pour considérer que la réduction d’une menace russe implique que l’on puisse revoir à la baisse les ambitions budgétaires »iii…
Les deux décennies à venir seront capitales :
— Soit, s’enfoncer dans une militarisation incontrôlable et aller vers les 3 % du PIB en 2030 comme certains le réclament déjà.
- Soit, choisir une politique innovante visant à faire redémarrer et progresser tous les processus de désarmement à l’échelle internationale. Si l’on s’inscrit dans cette deuxième voie, dans cette période transitoire, on peut admettre qu’il faille maintenir en bonnes conditions les programmes d’armement existants terrestres et aériens (visés souvent par les “glissements” et “coupes” dans la LPM) pour conserver une base militaire solide en cas d’impondérables, mais il s’agit plus de décisions « conservatoires » et non de la fuite en avant comme dans la Loi de programmation militaire prévue. Il faut aussi être capable d’assister l’ONU dans ses missions de maintien de la paix.
Mais dans tous les cas de figure, la priorité reste celle-ci : va-t-on ou non à la construction d’une paix mondiale durable, à un « Ci vis pacem, para pacem » et non au mortifère « Ci vis pacem, para bellum » ?

Pour une politique innovante
Que peut signifier une « politique innovante visant à faire redémarrer et progresser tous les processus de désarmement à l’échelle internationale » ? Je vois six axes pour une véritable politique nouvelle, en faveur de la paix dans le monde, six axes qui pourraient inspirer un gouvernement et une majorité politique progressiste :
— éliminer la menace nucléaire en travaillant à universaliser le TIAN
— travailler à la démilitarisation des relations internationales en renforçant le Traité sur le commerce des armes et en aboutissant à un vrai Traité sur la démilitarisation de l’espace
— renforcer le rôle des Nations unies pour qu’elles reprennent le leadership dans la résolution des conflits
— le quatrième enjeu est de reprendre le chantier de la construction d’une infrastructure de sécurité commune en Europe, avec et non contre la Russie, en repartant sur ce qui avait commencé d’être bâti à la fin des années 1990 avec l’OSCE.
- renforcer la place des opinions dans toutes les enceintes internationales où elles doivent pouvoir s’exprimer et être consultées systématiquement. L’exemple des Conférences sur le climat montre que la pression des ONG est de plus en plus essentielle dans les rapports de force internationaux. Cela sera encore pus nécessaire demain, compte tenu du résultat des élections aux États-Unis.
- enfin, le sixième mais sans doute principal enjeu est d’arriver à une prise en compte généralisée par les gouvernements du  monde et par les peuples, du sens et de la centralité du Droit international. Il faut rappeler que la Charte des nations unies est la base du droit international, il n’y a rien au-dessus. Le cœur de ce texte dès son article 1 est le refus de la force dans les relations internationales. Tout le reste de la Charte est subordonné à cet objectif.
Il y a un débat qui commence à se développer sur la place du droit international dans les relations mondiales. Certains juristes ou chercheurs estiment que le droit international a échoué face à la puissance des États, qu’en conséquence, la structure qui porte la Charte des Nations unies, l’ONU a également échoué. Donc, selon eux, il n’y aura pas d’avancée sans la reconstruction d’un nouveau système international à partir de zéro iv.
Je ne partage pas cette analyse. Le droit international a avancé, nous avons réussi à imposer une nouvelle structure, la Cour pénale internationale, pour juger les crimes de guerre, elle empêche aujourd’hui Poutine, qui est sous le coup d’un mandat d’arrêt international, de sortir de Russie, demain, elle fera la même chose avec Netanyahou.
De son côté, la Cour internationale de justice aborde pour la première fois de son histoire des questions politiques sensibles : la menace de génocide à Gaza, l’illégalité de l’occupation israélienne. Ces évolutions tiennent à la fois à la nouvelle place des sociétés civiles dans le monde, et à l’apparition de puissances émergentes et d’un Global South qui refusent les « doubles standard ». Le droit international n’est pas condamné à l’impuissance face à la puissance, il peut devenir instrument, au travers de ces exemples, d’une nouvelle puissance, et provoquer ainsi l’impuissance la puissance.

La question des dépenses militaires
J’attire l’attention sur une des dispositions les plus importantes de la Charte des Nations unies c'est l'article 26.
Que dit-il ?
« Afin de favoriser l'établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde »,
Cela veut dire que le doublement des dépenses militaires depuis la fin de la guerre froide est proprement scandaleux et illégal. Rien ne justifie qu'on soit passé de 1000 milliards de dollars par an à 2400 milliards comme aujourd'hui avec des armes encore plus perfectionnées.
Je rappelle les chiffres officiels du SIPRI : le total des dépenses militaires mondiales s’élève à 2 443 milliards de dollars en 2023, soit une augmentation de 6,8 % en termes réels par rapport à 2022. Il s'agit de la plus forte augmentation d'une année sur l'autre depuis 2009.
En 2023, les dépenses militaires des 31 membres de l’OTAN s’élèvent à 1341 milliards de dollars, soit 55% des dépenses militaires mondiales. Les dépenses militaires des États-Unis ont augmenté de 2,3 % pour atteindre 916 milliards de dollars en 2023, ce qui représente 68 % du total des dépenses militaires de l'OTAN.
Aucune évolution du monde ne justifie qu'un pays comme la France augmente ses dépenses militaires de 35 % : c'est illégal, c'est contraire à la Charte des Nations Unies.
Les dépenses militaires n’assurent pas la paix de la planète et ne garantissent pas la sécurité de ses habitants. 

Le deuxième point est le gaspillage de ressources qu’elles représentent au regard des besoins dans le monde. Que l’on songe que les besoins de financement pour réaliser les Objectifs de développement durable dans les 59 pays en développement à faible revenu s’élèvent à 400 milliards de dollars par an, à comparer aux 2400 Mds de dollars de dépenses militaires ;
Que l’on songe aux 3,3 milliards d’euros d’augmentation des dépenses militaires françaises face aux diminutions de ressources prévues pour l’éducation et la santé par exemple !
Ce sont ces choses simples et claires qu'il faut rendre accessible au plus grand nombre pour que la population, les citoyens et citoyennes de cette planète exercent une pression complètement différente sur leurs gouvernements, partout, pour changer de direction, pour changer de cap et pour faire respecter nos règles de vie communes, fondamentales telles qu'elles ont été pensées à l'origine des Nations unies en 1945.

Réagir !

La présentation biaisée des conflits actuels, la déformation systématique de la nécessité et de la possibilité de trouver des issues politiques négociées, de construire ou renforcer des règles de vie et de sécurité commune, a conduit à un recul dans l’opinion sur la nécessité de réduire et non d’augmenter les dépenses d’armement. Il faut inverser cette vision. Il y a besoin de relancer des campagnes d’information, des actions de sensibilisation et de pression v sur l’urgence de réduire partout les dépenses d’armement. Ce n’est pas le seul moyen mais c’est un élément essentiel pour combattre la remilitarisation des relations internationales et pour travailler à un monde plus sûr et plus pacifié.

Daniel Durand – Président de l’IDRP
Conférence tenue à Saint-Étienne, 6 novembre 2024

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NOTES
i - https://www.vie-publique.fr/rapport/287163-revue-nationale-strategique-2022 – vu le 21 avril 2023
ii-https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/01/20/transformer-nos-armees-le-president-de-la-republique-presente-le-nouveau-projet-de-loi-de-programmation-militaire – vu le 21 avril 2023
iii-https://twitter.com/DSI_Magazine/status/1643895501895479297?s=20 – vu le 21 avril 2023
iv-Interview de Monique Chemillier-Gendreau dans l’Humanité du 10 octobre 2024
v-À noter la pétition du Mouvement de la paix pour réduire les dépenses d’armement nucléaires françaises sur https://www.change.org/non-au-doublement-des-depenses-pour-les-armes-nucleaires 

lundi 23 septembre 2024

Macron à l’ONU : pour dire quoi ?

Le Président de la République parlera cette semaine devant les chefs d’État, à l’Assemblée générale des Nations unies.
Cette Assemblée générale a adopté ce mercredi 18 septembre, à une large majorité de 124 États, une résolution reconnaissant l’occupation israélienne de la Palestine comme illégale, et lui fixant un an maximum de délai pour se retirer, restituer les terres confisquées depuis 1967 et faire évacuer les colons. Elle reprend ainsi l’avis consultatif de la Cour internationale de justice de juillet dernier. La France a voté cette résolution, cela montre que les pressions de l’opinion publique dans notre pays sont utiles et peuvent être efficaces.
Maintenant, il faut passer aux actes ! Les grandes puissances ne peuvent poursuivre l’attitude de passivité qu’elles observent depuis un an, c’est-à-dire enregistrer, voire même approuver des décisions des instances internationales et laisser M. Netanyahou les fouler au pied, sans prendre des mesures de contraintes, comme elles le font pour la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine.
Rappelons notamment l’exigence de cessez-le-feu immédiat prononcée par la Cour internationale de justice, dans son avis de février 2024 sur les risques de génocide à Gaza, reprise dans la résolution du Conseil de sécurité, votée enfin le 10 juin dernier, à la demande même des États-Unis : sans résultats aucun.
Emmanuel Macron s’honorerait, s’il appelait, cette semaine à l’ONU, les principales puissances du Conseil de sécurité à sortir de leur inaction et proposait des initiatives diplomatiques fortes pour qu’Israël applique ces résolutions : embargo mondial sur toutes les fournitures militaires à l’État hébreu, suspension de l’accord UE-Israël, tant qu’Israël n’a pas mis en œuvre des dispositions, dont la première est un cessez-le-feu immédiat, puis des discussions pour les libérations d’otages et de prisonniers, l’établissement d’un calendrier d’application sur le retrait israélien comme le demandent la Cour internationale de justice et l’Assemblée générale de l’ONU.
Deuxièmement, comme dirigeant européen, le président a une responsabilité particulière pour prendre enfin des initiatives politiques en faveur de la recherche de la paix en Ukraine. Dans les deux derniers mois, la possibilité d’ouvertures de discussions diplomatiques tant par la Russie que l’Ukraine, s’est exprimée de diverses sources, notamment à la suite de la Conférence pour la paix en Ukraine, qui s’est tenue en Suisse, en juin dernier.
Le président français pourrait se prononcer publiquement pour le soutien à une nouvelle Conférence de paix sur l’Ukraine, mais cette fois, avec la participation de la Russie, en exigeant un cessez-le-feu immédiat de la part des parties, Russie et Ukraine, jusqu’à la tenue de cette Conférence. En cet automne, rester sur un statu quo politique, serait catastrophique, avec d’un côté l’occupation par les Russes d’une partie quasi totale du Donbass, et maintenant, à l’ouest, une occupation partielle de territoires russes par les ukrainiens. Nous entrerions ainsi dans un schéma de guerre de terrain classique généralisée, propice à toutes les escalades.
Enfin, le président français, qui s’est présenté à plusieurs occasions comme le promoteur du développement de l’éducation partout dans le monde, pourrait donner une portée politique mondiale au thème de cette année, de la Journée internationale de la paix, qui était « promouvoir une culture de paix ». Il pourrait lancer l’idée d’une résolution de l’Assemblée générale appelant tous les pays à inclure dans leurs programmes scolaires un module d’éducation à la culture de paix et à la non-violence.
Rappelons qu’en France, existe depuis plusieurs années la demande auprès du Ministère de l’Éducation, de création d’une semaine annuelle consacrée à la culture de paix et à la non-violence, comme existent déjà des semaines pour le développement, contre le racisme et l’anti-sémitisme, l’éducation à la citoyenneté, etc.
Le président Emmanuel Macron avait boudé en septembre 2023 sa participation à l’Assemblée générale des Nations unies, sous le motif futile de recevoir Charles III, le monarque anglais, dernier vestige des royautés européennes décadentes !
Il faut souhaiter qu’en cette année 2024, année de tant de drames sur la planète, d’incertitudes même sur les risques de crises graves, même de guerre, le président français cesse cet « effacement de la France », critiqué récemment par M. de Villepin, et renoue avec une présence plus forte de la France sur le plan international.

23 septembre 2024
Daniel Durand
Président de l’IDRP (Institut de documentation et de recherches sur la paix)

lundi 16 septembre 2024

21 septembre : une journée essentielle dans « ce temps quotidien »i

Depuis 2001, la journée du 21 septembre est consacrée « journée internationale de la paix » par l’Assemblée générale des Nations unies. Celle-ci invite tous les pays et tous les peuples à respecter l'arrêt des hostilités durant cette Journée et à la commémorer avec des mesures éducatives et de sensibilisation du public aux questions liées à la paix.
Le thème de cette année 2024 est : « Faisons germer une culture de paix ». António Guterres, le Secrétaire général de l’ONU, a déclaré que « dans un monde aux prises avec les conflits, les inégalités et la discrimination, nous devons plus que jamais nous efforcer de promouvoir le dialogue, l’empathie et les droits humains pour toutes les personnes ».
Saisir l'occasion de cette journée pour essayer de rassembler le plus largement possible les hommes, les femmes, jeunes, moins jeunes, est un défi. Il est vital de les appeler à réfléchir sur l'importance d’agir pour établir, consolider la paix sur tous les continents, pour eux, leur vie quotidienne, leur épanouissement.
La paix est l'oxygène de la vie des hommes et des femmes sur notre planète. La guerre, les violences armées sont l’oxyde de carbone mortifère qui tue des dizaines de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants chaque année dans le monde (1,7 millions de tués en Afrique depuis la fin de la Guerre froide, 650 000 au Moyen-Orient ii).
La nécessité d’agir avec force contre les guerres, les violences armées et pour la paix est vitale, en cette année 2024, face au drame humanitaire et au risque génocidaire à Gaza iii, à l’enlisement du co nflit en Ukraine où depuis deux ans, aucun effort sérieux n’a été fait par les grandes puissances pour construire une solution diplomatique, au Congo où les combats entre les forces de l'ordre et le groupe rebelle M23 soutenu par des forces rwandaises, dans le Nord-Kivu, ont fait en 2024, des centaines de victimes et des milliers de personnes déplacées
Ce sont des dizaines de pays où les populations ont besoin de l'oxygène de la paix. Oui, plus que jamais, partout dans le monde, donner de la force et de la visibilité à la Journée internationale de la paix est primordial !
En France, il faut s’en féliciter, existe un « Collectif français pour les marches pour la paix » qui réunit plus de 200 organisations (associations comme Le Mouvement de la paix, la LDH, le MRAP, grands syndicats comme la CGT, la FSU, partis politiques de gaucheiv). Celui-ci appelle, dans toutes les communes de France, à prendre des initiatives petites ou grandes, pour demander au Président de la République, qu’il agisse pour booster partout les démarches pour aboutir à des cessez-le-feu, contribuer à la mise sur pied de démarches politiques et diplomatiques pour construire la paix.
Cette journée du 21 septembre sera d’autant plus utile qu’elle permettra d’entraîner , de manière large et fraternelle, des citoyennes, des citoyens qui n'ont pas l'habitude de se mobiliser pour des questions internationales. Il y a là, c’est évident, une vraie gageure et une réelle nécessité. Réussir cette journée en France, aujourd’hui, est vital alors que les médias « main stream » banalisent les drames quotidiens à Gaza, présentent comme naturelle l’extension de l’OTAN, l’augmentation considérable des budgets militaires en Europe.
Mais, soyons lucides, cette journée du 21 septembre n’atteindra son but profond que, si elle ne s’arrête pas là et ne constitue pas un but en soi. Elle doit permettre de faire comprendre que c’est par une action obstinée de chaque jour, une vigilance permanente, que pourront vraiment se construire des rapports de force suffisants pour imposer des changements d’attitude réels dans la pratique politique des gouvernements qui reste marquée par le culte de la puissance. L’humanité civilisée n’a pas encore abattu le sinistre « Ci vis pacem parabellum » (« Si tu veux la paix, prépare la guerre ») et imposé le seul adage civilisé qui soit : « Ci vis pacem para pacem » (« Si tu veux la paix, prépare la paix ») !
Pourtant, les bases de ce renversement copernicien de la marche du monde ont été posées, il y a presque 80 ans, au sortir de la grande tourmente mondiale de la guerre dès 1944. Nous sommes tous liés par l’engagement pris, dans la Charte des Nations unies, dans son article 1 : « Réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ».
Oui, un pays agressé a le droit à la légitime défense mais ce droit est encadré par l’obligation faite, notamment aux pays membres du Conseil de sécurité, de mettre parallèlement en œuvre l’article 1 de la Charte.
C'est cela le droit international. En Ukraine, le soutien à la légitime défense de ce pays agressé par la Russie, sert de prétexte aux grandes puissances occidentales, pour mettre en œuvre des plans et des stratégies parallèles de domination, au lieu de consacrer tous leurs efforts à trouver une solution diplomatique à la situation.
À Gaza, le soutien des USA à Israël, dans l’exigence de la délivrance urgente et prioritaire des otages israéliens, détenus après l’attaque terroriste du Hamas, sert de prétexte à ne pas mettre en œuvre les recommandations de la Cour de justice internationale, du Tribunal pénal international et du Conseil de sécurité qui, toutes, exigent un cessez-le feu immédiat et demandent  la reconnaissance diplomatique de deux États souverains.
Au Soudan, des difficultés sur le terrain entre les différents intérêts, servent de prétexte à une inaction coupable et un manque de moyens flagrant pour les Casques bleus pour  avoir la capacité d'imposer la paix dans cette région, en laissant se perpétuer le pillage des ressources en lithium du Kivu.
Alors, oui, il faut se rassembler de manière massive pour la Journée internationale de la paix, le 21 septembre, mais il faudra poursuivre cet effort dans toutes les associations, organisations, partis pour en faire un tremplin pour trouver les formes afin de hisser l’action pour la paix dans le monde, la fin des conflits, en haut des agendas.
Nous devons particulièrement mettre au centre du débat la place centrale du droit international. Les 22 et 23 septembre se déroulera le « Sommet de l’avenir » organisé par les Nations Unies pour jeter les bases du monde demain. Le 24 septembre, s'engagera le débat annuel à l'Assemblée générale de l’ONU, avec la présence de nombreux chefs d'État. Ne faut-il pas exiger du président Macron qu'il y participe et qu’il y prenne des engagements clairs et nets en faveur de la paix à Gaza, en Ukraine, en faveur du rôle central des Nations unies pour la paix ?

Daniel Durand
Président de l’IDRP (Institut de Documentation et de Recherches sur la Paix)

Sources:

i -  21 septembre : une journée essentielle dans « ce temps quotidien »

ii - Nombre de morts dans des conflits armés par continent entre 1989 et 2022 – Statista - https://fr.statista.com/statistiques/1481259/nombre-de-morts-dans-des-conflits-armes-par-continent/

iii - La menace de génocide à Gaza est soulevée par la Cour internationale de justice dans ses ordonnances du 28 mars et du 24 mai 2024

iv - Voir le site du Collectif : https://www.collectifpaix.org/


 

 

lundi 2 septembre 2024

"Un sursaut nécessaire pour la paix"

 English translation below

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"Un sursaut nécessaire pour la paix",

C'est le titre de ma tribune libre que le journal L'Humanité publie sur son site.


J'espère que vous trouverez un intérêt à sa lecture

Cordialement

Daniel Durand

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"A necessary boost for peace    "

Tribune

By Daniel Durand, President of the Institute for Documentation and Research on Peace (IDRP).


Between May 2024 and May 2025, we commemorate and remember that eighty years ago we defeated the Nazi Hydra and restored world peace .

Today, our societies, on all continents, seem inclined to take warlike and dangerous paths again. These situations are aggravated by the fact that the amount of military spending is reaching new heights in the world. More than 2400 billion dollars during the year 2023 according to the Swedish institute SIPRI!

The July summit in Washington of the world's largest military alliance, NATO, has heightened concerns. Twenty-three member countries now spend more than 2 percent of their gross domestic product on military spending. Moreover, NATO has decided to re-establish long-range missiles in the heart of Europe and to turn our continent back into a stage for future terrible military confrontations.

For its part, Europe no longer aims to be an actor in world peace but a participant in the power rivalries of today's world. The tone of the latest resolution adopted by the European Parliament on 17 July clearly shows this. It "  welcomes the results of the NATO summit and reaffirms its conviction that Ukraine is irreversibly committed to its accession to NATO  ".

On the French side, President Macron, after aligning himself with Ms. von der Leyen's positions during his presidency of the European Union in 2023, ultimately chose to play the firebrand by proposing the sending of troops to Ukraine, while planning new increases in French military spending . On July 14, he declared that he wanted to "  prepare an adjustment of our military programming for 2025  ", a programming that already marks a 42% increase in French military spending.

It is very worrying to note that in political speeches, and in particular in those of Russian leaders, nuclear weapons are once again becoming a subject of political controversy. Moreover, in order to support its senseless offensive, which is contrary to the United Nations Charter, this country is developing a war economy, which is plunging its population into poverty and serves as a justification for all those who promote the militarization of the world.

The planet is therefore facing the highest risks of war known since the end of the Cold War. In this situation, faced with these dangers, we must go beyond simple observations or critical analyses, which are certainly lucid but powerless. We must imagine innovative solutions to ensure world peace in the 21st century , which can mobilize public opinion around the world and sweep away the resistance of state apparatuses.

Let us ask ourselves: what have we forgotten since the end of the Cold War? Let us open our eyes: all conflicts in the world are linked. Peace will not be resolved on a European scale alone. We have forgotten why the Charter of the United Nations was proclaimed and why the organisation was created.

We have forgotten the basis of its action stated in its preamble and in its article 1: "  To achieve, by peaceful means, in accordance with the principles of justice and international law, the adjustment or settlement of disputes or situations of an international character which could lead to a breach of the peace  ."

This is the basis of international law. This is the principle and rule that all the great powers are trampling on. This is what we must reimpose.

The obligation, imposed by respect for the United Nations Charter, particularly for the members of the Security Council, is, today, in Ukraine, for example, to obtain a ceasefire, to create the conditions for a framework for diplomatic discussions, to allow the construction of compromise solutions, some of which had been outlined in the Minsk agreements in 2014.

More than two years after the start of the Russian aggression, it is necessary to fully implement Article 51 of the UN Charter, which recognizes the "  inherent right of self-defense  " of the attacked country, but adds "  until the Security Council has taken the necessary measures to maintain international peace and security  ." These are the political and diplomatic initiatives that must be taken as a priority now.

More generally, we have reached a turning point in international life. The only positive and forward-looking perspective is to make, in concrete terms, the application of international law the pivot of global multilateralism.

Despite the obstacles, international law is already emerging at the centre of political debates, particularly around the dramatic situation in Gaza. The expectations of the International Court of Justice and the International Criminal Court appear to be the essential levers to use to resolve the situation in Palestine.

We are not doing enough to increase pressure on France and the European Union to enforce the obligation to immediately ceasefire in Gaza .

Beyond the emergency, we must reflect on the new use of international law and the decisions of its organs such as the International Court of Justice and the International Criminal Court to reform the functioning of the Security Council and to break the deadlocks and impasse caused by the use of the "  right of veto  " by the permanent members of the Security Council.

How can we impose compliance with the decisions of the International Court of Justice and the International Criminal Court, by obtaining a ban on the veto by a permanent member, after a decision by the ICJ, by obtaining that the members of the Security Council are obliged to respect and apply the decisions of the ICJ and the ICC, and, in the event of refusal, that there can be a binding vote by the UN General Assembly. This is possible today, when the Security Council considers that there is a "  threat to peace  ", within the framework of Chapter VII of the Charter. How can we broaden this notion?

In this year of the 80th anniversary of the founding of the United Nations, should we not launch a major public opinion campaign to obtain a major international truce for one year in the world, in all conflicts, to allow a cycle of international discussions to be held. This could consist of regional peace conferences, continent by continent, followed by a major international conference, all under the aegis of the United Nations to build a more lasting peace in the world.
This proposal could be part of the "  Summit of the Future  " to be held in September 2024. It would be unthinkable for a "  Summit of the Future  " to discuss the problems of sustainable development, the problems of global warming, without placing the same level of urgency on the issues of world peace and action against the current excessive militarization?

More than ever, this reflection arises: "  to get out of the deadlocks of war, 80 years after its foundation, let us bring back the United Nations, our common Charter, everywhere to the heart of world peace . "

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