lundi 17 février 2025

Intelligence artificielle : pour la paix ou pour la guerre ?

Le « Sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle », tenu à Paris la semaine dernière, a suscité beaucoup de débats et d’interrogations, mais pas assez à mon sens sur la question du rapport entre l’IA et la guerre. Le mathématicien Cédric Vilani est un des seuls à mettre au premier plan cette problématique : « Par rapport à la paix, l’équité et la trajectoire écologiquement viable, les trois questions qui forment les grands critères actuels de progrès, l’intelligence artificielle représente au mieux une difficulté supplémentaire, au pire une catastrophe, au même titre que la bombe nucléaire pouvait constituer à la fois un sujet scientifique et intellectuel passionnant, mais aussi une invitation à la destruction de l’humanité » (journal l’Humanité du 9 février 2025).
En effet, l’intelligence artificielle (IA) transforme profondément la guerre moderne en influençant les stratégies, les armes et la cybersécurité. Son intégration soulève des questions éthiques et légales, notamment sur l’autonomie des systèmes et la responsabilité des actions de guerre entreprises avec son aide. J’y ai consacré une trentaine de pages dans mon dernier livre « La paix, c’est mon droit » (BoD éditeur), au travers du questionnement sur les drones armés, sur les SALA (armes autonomes), la cyberguerre.
Faisons rapidement une revue de détail.
Les drones armés
Concernant les drones armés, l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) a transformé leur fonctionnement, augmentant leur autonomie, leur précision et leurs capacités d’analyse en temps réel.
Elle leur permet de naviguer sans intervention humaine, de détecter des cibles et de prendre des décisions en temps réel. Surtout, grâce à elle, des essaims de drones coordonnent leurs actions de manière presque autonomes pour maximiser l’efficacité des attaques et des missions de reconnaissance.
L’usage de drones dans les conflits soulève des problèmes politiques, juridiques, éthiques et de sécurité internationale. Ces armes télécommandées favorisent l’emploi extraterritorial de la force.
Dans une résolution du 27 février 2014 (2014/2567 (RSP)), le Parlement européen a estimé que « les frappes de drones, alors qu’aucune guerre n’a été déclarée, menées par un État sur le territoire d’un autre État sans le consentement de ce dernier ou du Conseil de sécurité des Nations unies, constituent une violation du droit international ainsi que de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de cet État ».
Il semble urgent que le contrôle des drones armés soit intégré dans les enceintes traitant du désarmement au sein des Nations unies pour progresser sur les voies du contrôle, de la limitation d’usage, voire de l’interdiction de ces nouvelles armes.
Dans les cinq dernières années, l’usage de ce type de drones s’est développé, soit dans les actions contre des groupes terroristes comme au Mali, soit dans des opérations de guerre comme en Ukraine actuellement. Selon Agnès Callamard, rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, une dizaine de pays en ont déjà employé pour recourir à l’élimination d’une « cible terroriste qui représente une menace potentielle, non définie, pour l’avenir » en dehors de tout contexte de guerre interétatique. Selon cette experte, la neutralisation du général Qassem Soleimani le 3 janvier 2020 a marqué un tournant dans l’emploi de ces systèmes, quand « pour la première fois, un drone armé par un État a pris pour cible un haut fonctionnaire d’un État étranger et l’a fait sur le territoire d’un État tiers ».
Depuis, les exécutions de dirigeants du Hamas en Iran, au Liban, soit par des drones, soit par l’explosion provoquée à distance de téléphones satellites, ont représenté une escalade dans la négation du droit international.
Du point de vue militaire, l’intelligence artificielle a franchi un nouveau pas et permet aujourd’hui à des drones de mener des attaques autonomes, notamment par la technique dite de l’« essaim » [ensemble coordonné de drones]. Si on combine les drones et les algorithmes, il est possible de développer une attaque massive si on accroît leur autonomie. Or, aujourd’hui dans la guerre d’Ukraine, Russie et Ukraine fabriquent chaque année des millions de drones. Selon RFI du 12 janvier dernier, l’Ukraine utilise jusqu’à 10 000 drones de toute nature par jour !
Les SALA
Au niveau des Systèmes d’Armes Létales Autonomes (SALA), l’intelligence artificielle joue un rôle clé dans leur développement, en améliorant leur précision et leur autonomie, ce qui soulève de nombreuses préoccupations éthiques et légales. Au premier plan de celles-ci, l’absence d’un opérateur humain capable de corriger une erreur de l’IA, le risque de non-respect par des SALA des principes de distinction et de proportionnalité du droit humanitaire.
En effet, pour être conformes au droit international humanitaire, elles devraient être capables de faire la distinction entre civils et combattants. Peut-on accepter en conscience que les machines puissent avoir un pouvoir de vie et de mort sur le champ de bataille ? Qui serait responsable dans le cas où l’utilisation d’une arme autonome entraînerait un crime de guerre : le programmeur, le fabricant ou bien le chef militaire qui déploie l’arme ?
À ces risques éthiques, il faut ajouter leur tendance “automatique” à faciliter la course aux armements.
L’emploi de « robots tueurs » modifie le rapport des autorités politiques au recours à la force. « Envoyer des robots plutôt que des personnes sur la ligne de feu […] reviendrait à faciliter la décision d’entrer en guerre, générant ainsi davantage de conflits » s’inquiète un membre de la coalition « Stop killer robots ». 53 ONG venant de 25 pays se sont en effet rassemblées depuis avril 2013 au sein d’une coalition intitulée « Campaign to stop killer robots ».
De nombreuses ONG et experts militent pour l’interdiction des SALA par le biais de traités internationaux. Un traité est en discussion à l’ONU mais les négociations piétinent.
Le « soldat du futur »
Un des aspects de la militarisation de l’IA réside aussi dans son rôle accru dans le concept de « soldat du futur ».
Des technologies basées sur l’IA améliorent les capacités physiques et cognitives des soldats, en utilisant des exosquelettes, en réduisant la fatigue et en augmentant la réactivité des soldats, enfin en améliorant l’interaction entre le cerveau humain et les systèmes de combat (contrôle direct des drones et autres équipements militaires).
Ces recherches visent à modifier les techniques de combats sur le terrain en combinant la gestion des décisions opérationnelles, ces nouveaux soldats et l’utilisation de Véhicules de combat autonomes, capables de détecter et d’engager des cibles sans intervention humaine.

Le ciblage automatique
Une des plus récentes applications de ces concepts a été à l’œuvre lors des bombardements israéliens sur Gaza.
Les Forces de Défense Israéliennes (FDI) ont utilisé un système d’IA surnommé « The Gospel » pour identifier et sélectionner des cibles. Ce système analyse des données pour recommander des cibles potentielles, telles que des combattants, des lance-roquettes ou des postes de commandement. Un analyste humain valide ensuite ces recommandations avant de les transmettre aux unités opérationnelles.
Le système a pu générer jusqu’à 100 cibles potentielles par jour, contre 50 par an auparavant. Cette rapidité a conduit à une intensification des frappes, avec plus de 22 000 cibles frappées à Gaza, soit un rythme quotidien plus de deux fois supérieur à celui du conflit de 2021.
Deux médias israéliens ont révélé aussi le rôle d’un autre système d’IA, appelé “Levender”, conçu pour identifier des responsables du Hamas comme cibles. Selon les interviews réalisées par ces médias, les dégâts seraient encore plus préoccupants, avec des ciblages systématiques des familles de terroristes la nuit, ce qui amènerait des taux de « dommages collatéraux » entre 20 tués et 100 tués innocents pour un terroriste tué (selon son importance politique supposée).
Les critiques soulignent le risque de « biais d’automatisation », où les opérateurs font une confiance excessive aux recommandations de l’IA sans validation approfondie. Cela entraîne une tendance à accepter une part de plus en plus importante de « dégâts collatéraux acceptables » pour être plus “efficaces”.
Espace et nucléaire

L’IA joue aussi un rôle bien sûr très important dans les systèmes militaires “lourds” que constituent la militarisation de l’espace et les armements nucléaires.
Sa place est essentielle notamment dans la gestion des satellites, la surveillance orbitale et les systèmes d’armement autonomes. Elle améliore la surveillance des satellites et détecte les menaces en temps réel grâce à des systèmes comme le Space-Based Infrared System (SBIRS). Mais elle est utilisée aussi pour contrôler des drones et des systèmes offensifs en basse orbite terrestre. L’absence de régulation claire et les risques d’escalade nécessitent une réflexion approfondie pour éviter des conflits incontrôlables dans l’espace.
Concernant les armements nucléaires, l’intelligence artificielle joue un rôle croissant dans la gestion et la stratégie des armes nucléaires, en influençant la détection des menaces, la prise de décision et les systèmes de commandement et de contrôle.
Certaines études suggèrent que l’IA pourrait un jour jouer un rôle dans la gestion autonome des ripostes nucléaires, ce qui représente un danger majeur. En effet, elle pourrait rendre les systèmes nucléaires plus vulnérables aux cyberattaques ou à des erreurs de calcul stratégique, mettant en cause la fiabilité même du concept « rationnel » de dissuasion. Elle pose ainsi de graves risques pour la stabilité stratégique mondiale. Ce qui ne peut que conforter les partisans de l’interdiction totale des armes nucléaires.
Ce rapide tour d’horizon montre à quel point il faut prendre conscience des risques supplémentaires que fait peser l’introduction de l’Intelligence artificielle dans le domaine militaire.
Quelle réglementation ?
À ce jour, aucun traité international de désarmement spécifiquement dédié n’a été adopté. Cependant, plusieurs initiatives et discussions sont en cours pour en encadrer l’utilisation dans le domaine militaire :
• Conseil de l’Europe : Le Conseil de l’Europe a adopté le 17 mai 2024, une Convention-cadre sur l’intelligence artificielle et les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit. Après sa signature le 5 septembre 2024, elle est devenue le tout premier traité international juridiquement contraignant dans ce domaine.
• OTAN : En 2021, l’OTAN a publié une stratégie sur l’IA, soulignant l’importance de son utilisation responsable dans les applications de défense et de sécurité. Bien que cette stratégie ne constitue pas un traité de désarmement, elle établit des principes pour l’intégration de l’IA dans les opérations militaires, en mettant l’accent théoriquement sur la nécessité de respecter le droit international et d’éviter une course aux armements basée sur l’IA.
• Instances internationales : La Convention sur certaines armes classiques (CCAC) est un cadre international visant à restreindre ou interdire l’utilisation de certaines armes considérées comme inhumaines. Depuis 2014, la CCAC a initié des discussions spécifiques sur les systèmes d’armes létaux autonomes (SALA), qui intègrent des technologies d’intelligence artificielle (IA).
En 2023, un projet de résolution proposé par l’Autriche a été adopté, prévoyant la rédaction d’un rapport sur les SALA sous les auspices du Secrétaire général de l’ONU, impliquant divers acteurs tels que les États Membres, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la société civile et la communauté scientifique. Mais sa procédure d’adoption piétine et provoque l’impatience des ONG comme Human Rights Watch a cofondé la coalition Stop Killer Robots (« Stopper les robots tueurs »). Celle-ci demande une nouvelle loi internationale sur l’autonomie des systèmes d’armes.
Pour le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), il est essentiel que la communauté internationale adopte une approche véritablement centrée sur l’humain dans le développement et l’utilisation de l’IA dans les zones touchées par les conflits.
La position française
Quant à la France, elle met officiellement l’accent sur le respect du droit international et le maintien d’un contrôle humain sur les systèmes d’armes. Le ministère des Armées a clairement indiqué que la France ne développera pas de « robots tueurs » et insiste sur la nécessité de conserver un contrôle humain dans les décisions d’engagement.
Mais, parallèlement, la France reconnaît l’importance stratégique de l’IA dans le secteur de la défense. Un investissement de 2 milliards d’euros est prévu d’ici 2030 pour développer des applications d’IA militaire. Cette initiative comprend la création de l’Agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad), dont l’objectif est de centraliser les recherches et d’accélérer la mise en œuvre de projets innovants sur le terrain.
La guerre d’Ukraine semble servir de terrain d’expériences. Le colonel Olivier Pinard-Legry, conseiller intelligence artificielle auprès du ministre des Armées, explique ainsi : « Pour optimiser les interactions, par exemple, entre les canons Caesar et les drones, des projets sont en cours en France et servent aussi en Ukraine. Vous envoyez un drone, il va identifier lui-même des cibles, va envoyer les coordonnées et automatiquement le canon peut rallier sur cette position-là » (RTL – 12/07/2024).
Alors, divorce ou double jeu entre le discours officiel et les actes ? Raison de plus pour profiter de l’actualité qui a mis la place de l’Intelligence artificielle en lumière pour débattre de ce pan considérable des enjeux : une IA pour la paix, le bien-être ou pour la guerre et l’oppression ?

Dans une perspective éthique, les dirigeants de l'Église catholique ont publié ce 28 janvier dernier un  document  qui décrit le cadre éthique de l'Église sur l'utilisation de l'IA dans la guerre et souligne la nature problématique de la militarisation de l'IA. « Les atrocités commises tout au long de l'histoire suffisent à susciter de profondes inquiétudes quant aux abus potentiels de l'IA », indique le document. « Aucune machine ne devrait jamais choisir d'ôter la vie à un être humain ».
Le pape François a demandé aux armées de cesser l'utilisation de ces systèmes en affirmant qu'il s'agissait d'un « engagement effectif et concret à introduire un contrôle humain toujours plus grand et plus adéquat ».
Ces interrogations éthiques ne sont pas seulement celles d’autorités religieuses. Elles sont exprimées par nombre d’associations et ONG. Ainsi, Amnesty international, avec d’autres ONG, s’est exprimée en marge du Forum de Paris. Elle alerte l’opinion dans le point 4 des risques énumérés : « Des armes sont aujourd’hui capables, seules, sans intervention humaine, d'attaquer des cibles. Capables de décider de qui vit et de qui meurt. Une machine ne devrait pas pouvoir décider de la vie ou la mort d’une personne. Des négociations pour faire évoluer le droit international sur la question de l’autonomie des systèmes d’armes sont essentielles. Car c’est un ensemble de droit qui est menyhbacé par ces armes autonomes ».
Il me semble que c’est cette interrogation qui devrait être aujourd’hui au cœur de la réflexion de chaque citoyen et citoyen, de chaque responsable politique.

Daniel Durand – IDRP
16 février 2025

vendredi 14 février 2025

Discussions Trump - Poutine - les nécessités d'un recadrage

L'annonce par Donald Trump d'ouverture de discussions avec Vladimir Poutine sur une solution politique à la guerre russo-ukrainienne n'a été une surprise que pour ceux qui ont bien voulu être surpris. Depuis le début de l'hiver tant la probable arrivée au pouvoir de Trump que la situation sur le terrain militaire en Ukraine laissaient prévoir que la question de l'issue politique devenait de plus en plus probable. Les pertes ukrainiennes, les difficultés pour les troupes de Zélensky à maintenir le niveau d'armement nécessaire étaient évidentes, même si l'avantage russe se payait par des pertes humaines considérables avec un niveau de dépenses militaires pesant de plus en plus fortement sur l'économie. Enfin, il ne pas fallait négliger les informations diffusées au compte-goutte de chaque côté sur la lassitude grandissante dans l'opinion publique russe devant la guerre, lassitude devenue majoritaire en Ukraine, où plus de 100 000 soldats ont été inculpés en vertu des lois ukrainiennes sur la désertion depuis l'invasion massive du pays par la Russie en 2022. En 2024, l'Ukraine a ouvert 60 000 dossiers de désertion, soit deux fois plus qu'au cours des deux années de guerre précédentes.

Pourquoi la France et l'Allemagne n'ont-elles pris plus tôt l'initiative d provoquer elles-mêmes un processus politique pour explorer les possibilités d'ouverture de discussions publiques ?
Elles seraient aujourd'hui dans une bien meilleure posture diplomatique et ne seraient pas mises devant le fait accompli. Comme je l'ai écrit plusieurs fois dans des articles, il ne faut pas oublier l'obligation faite par la Charte des Nations unies dès son préambule de la Charte qui exprime les objectifs fondamentaux de l’ONU, notamment : "Préserver les générations futures du fléau de la guerre" et "recourir à des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, pour le règlement des différends internationaux". Cela établit une obligation morale et politique pour les États membres de rechercher une solution diplomatique aux conflits.
Cette obligation est renforcée par l’Article 1 qui précise qu'il faut maintenir la paix et la sécurité internationales, y compris par "des mesures efficaces de prévention et d’élimination des menaces contre la paix" ; "développer des relations amicales entre les nations, fondées sur l’égalité des peuples et le respect du droit international ; réaliser la coopération internationale pour résoudre les conflits par des moyens pacifiques".
Cela signifie que les États membres du Conseil de sécurité ont aussi une obligation formelle d’agir pour une solution politique, et pas seulement une responsabilité morale.
Au bout de trois ans de conflit, les États membres du Conseil de sécurité ne peuvent plus se contenter d'invoquer "le droit de l'Ukraine à la légitime défense individuelle ou collective en cas d'agression armée", inscrit dans l'article 51 de la Charte des Nations Unies, sans mettre aussi en application la deuxième partie de cet article qui précise "jusqu'à ce que le Conseil de sécurité prenne les mesures nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales". Les États membres du Conseil de sécurité auraient dû depuis plusieurs mois prendre des mesures pour trouver une issue politique au conflit. Le possible usage du droit de veto par la Russie ne peut être un prétexte à l'absence d'initiatives.
Aujourd'hui, la démarche volontariste de Trump envers Poutine crée une situation nouvelle : deux membres permanents du Conseil de sécurité amorcent un processus politique.
L'enjeu politique n'est pas de pleurnicher ou de protester contre cette démarche qui a un caractère unilatéral évident mais de la replacer dans le contexte du droit international et de la Charte des Nations unies.
Tout en critiquant les dimensions de coup de force et de droit du plus fort que sous-tend cette démarche, certains dirigeants européens voudraient en profiter pour faire avancer de nouvelles militarisations, en terme de défense européenne, voire de création d'un "OTAN européen" bis; C'est un véritable danger !
Au contraire, il s'agit de remettre les Nations unies, le droit international au centre du jeu. Il est nécessaire que des pays, membres permanents du Conseil de sécurité comme la France, prennent l'initiative d'initier une convocation du Conseil de sécurité pour examiner la démarche et surtout pour lui donner un cadre multilatéral. Cela suppose que le Secrétaire général des Nations unies soit associé aux discussions, que l'Ukraine le soit bien sûr, que soit consultés les autres membres du Conseil de sécurité, des représentants de l'Union européenne.
Demain, également, l'implication du seul organisme européen de sécurité qui inclut pays occidentaux et Russie, c'est-à-dire l'OSCE (Organisme pour la sécurité et la coopération en Europe) doit être incontournable. Le contenu final de cet accord doit être conforme à la Charte des Nations unies en respectant la souveraineté des États, les principes de sécurité humaine et de droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
En résumé, il s'agit d'agir avec fermeté pour transformer une initiative, qui a un caractère unilatéral, en un véritable processus multilatéral, conforme au droit international.

Daniel Durand - IDRP
14 février 2025

dimanche 9 février 2025

Gaza : prolonger le cessez-le-feu, une priorité ! (Même avec Trump ! – suite)

J'écrivais le 2 février dernier sur mon blog : « Ne nous trompons pas d’objectif politique prioritaire ! Nous sommes devant ce défi de taille : avec la bataille pour la permanence du cessez-le-feu à Gaza, allons-nous enfin construire un vrai rapport de force pérennisant le silence des armes et permettant de construire les bases de la construction d’une paix, d’une sécurité, d’une communauté de vie entre les peuples du Moyen-Orient ?»
Le fait que  Donald Trump ait annoncé, le mardi 4 février, vouloir que les États-Unis prennent le contrôle de la bande de Gaza, change-t-il les priorités politiques au Moyen-Orient ?
À mon avis, non
, car sur le terrain, la situation des populations n’a encore que peu changé. Il reste encore 70 otages israéliens à rendre à leurs familles. Leur situation tend à se dégrader. La Croix-Rouge internationale a appelé, dans un communiqué, à ce que les prochains échanges entre prisonniers palestiniens et otages israéliens se déroulent de façon "digne et privée".  Des centaines de prisonniers palestiniens sont encore à libérer, des centaines et des centaines de tonnes de nourriture à faire parvenir à la population.
Le projet de Donald Trump est jugé irréaliste, dangereux, contraire au droit international par de très nombreux pays. 

Les responsables de JCALL (« le réseau juif européen pour Israël et pour la paix ») estiment qu’une « telle annonce met aujourd’hui en danger la vie des otages encore aux mains du Hamas. L’accord de cessez-le-feu doit se poursuivre pour aboutir à la fin de la guerre ».
Il est clair que des négociations politiques ne peuvent exister et se poursuivre que parce que les armes se sont tues sur le terrain. C’est pourquoi les opérations militaires que l’armée israélienne continue de mener en Cisjordanie sont autant de menaces sur la poursuite des discussions de paix.
C’est dans ce cadre déjà qu’il faut apprécier la nocivité des déclarations de Donald Trump : en menaçant de déporter la population de Gaza, elles ne peuvent que mettre en danger la vie des otages israéliens, priver de tout espoir les civils gazaouis qui veulent choisir eux-mêmes leur avenir.
Cela pose donc la question d’une deuxième exigence politique pour la communauté internationale : celle de tout faire pour protéger la population palestinienne, et d’abord celle de Gaza. En protégeant la population palestinienne de Gaza contre l’aventurisme des États-Unis, on protège aussi la population israélienne qui a tout à perdre de la déstabilisation politique de la région.
Protéger la population palestinienne ne peut signifier qu’une chose aujourd’hui : ACCÉLÉRER LA RECONNAISSANCE UNIVERSELLE DE L’ÉTAT PALESTINIEN !
L’existence d’un État palestinien, reconnu par la quasi-totalité des pays, notamment des pays européens, qui sont ceux qui traînent le plus, ce serait bloquer Trump dans ses projets insensés. Ceux-ci deviendraient alors de purs actes d’annexion de pays, d’agression envers un pays souverain, d’atteinte grave à la Charte des Nations unies.
Dans cette démarche, la France a une responsabilité de premier plan : elle peut permettre par le geste diplomatique fort de la reconnaissance officielle de la Palestine, de faire basculer l’Allemagne et tous les autres pays de l’Union européenne, rejoignant ainsi la démarche faite en mai 2024 par l’Espagne, l’Irlande et la Norvège. L’heure n’est plus aux finasseries diplomatiques. En juin 2024, Emmanuel Macron avait déclaré que "La France reconnaîtra l'État de Palestine quand cela sera l'élément qui permettra la paix et la sécurité de tous dans la région". C’est aujourd’hui le cas ; c’est la seule posture permettant de « recadrer » Donald Trump et Netanyahou et de les faire revenir à une approche plus réaliste de la situation.
C’est ce qu’a exprimé Hala Abou Hassira, ambassadrice, Chef de la mission de Palestine en France, le 5 février : « C’est le moment de protéger ce territoire en reconnaissant l’État de Palestine, afin de donner de l’espoir au peuple palestinien en premier lieu ».
Elle a ajouté que la paix «sera le résultat du respect du droit international et des droits fondamentaux, dont celui du peuple palestinien à l’autodétermination dans un État indépendant et souverain dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale. C’est la seule manière de vivre en paix avec Israël. L’établissement de l’État palestinien est le préalable à la paix ».
Fondamentalement, ce n’est pas différent de ce que pense Alain Rozenkier, responsable de « La Paix maintenant » pour qui, « C’est la solution la plus juste et la seule à même d’apporter la sécurité aux Israéliens et aux Palestiniens. Toute autre solution est chimérique et le nettoyage ethnique que propose Trump est obscène ».
Personne ne doute qu’un tel processus sera difficile, notamment du fait de l’attitude néo-fasciste des nouveaux colons implantés en Cisjordanie. Personne ne croit à un chemin bordé de roses.
Il y faudra aussi un changement de l’attitude des dirigeants américains. Peut-on penser que Trump pourra continuer et imposer, y compris aux milieux dirigeants à Washington, au Pentagone et à Wall Street, une politique aventuriste au Moyen-Orient au détriment des grands  enjeux géo-politiques dans le Pacifique, face à la Chine ?
Aux Européens d’être plus hardis dans le respect du droit international, et à leurs opinions publiques de faire pression plus fortement.

Daniel Durand – IDRP
9 février 2024

Cet article est en ligne sur le site du média d'informations Pressenza

 

lundi 3 février 2025

Gaza : prolonger le cessez-le-feu, une priorité !

Le cessez‑le‑feu en vigueur à Gaza, mis en place depuis deux semaines, constitue un répit temporaire mais essentiel dans un conflit qui a déjà causé d’immenses souffrances humaines et des destructions massives.
Rappelons que l’accord, négocié sous l’égide des États‑Unis, du Qatar et de l’Égypte, est entré en vigueur le 19 janvier 2025. Il prévoit une série de mesures échelonnées en trois phases :
– La première phase inclut la libération progressive d’otages israéliens (par exemple, 33 dans le premier lot, pour un total prévu d’environ 98) en échange de la libération de centaines de prisonniers palestiniens.
– Le retrait progressif des forces israéliennes de l’enclave et l’ouverture des passages frontaliers afin de permettre l’acheminement massif d’aide humanitaire (nourriture, médicaments, carburant, etc.) dans une zone ravagée par des bombardements intensifs.
— Ces mesures visent à poser les bases d’un cessez‑le‑feu permanent et, à terme, à ouvrir la voie à une solution politique globale du conflit israélo‑palestinien.
Cette semaine  sera cruciale dans les décisions sur le renouvellement ou non de cette accalmie.
Comment apprécier la portée politique de cet accord, qui peut apparaître fragile, et presque dérisoire, face aux défis posés du futur politique de la région, du chantier titanesque de la reconstruction ?
Je pense que le pire danger politique aujourd’hui serait de minimiser et relativiser la portée de ce qui est en train de se passer.
18 otages dont 13 israéliens et 5 thaïlandais ont été libérés après avoir vécu 484 jours de captivité dans des conditions très difficiles. Voyons ce que cela représente de soulagement pour leurs familles après des mois d’angoisse !
Mais il en reste encore 79 dont le sort est incertain.
Du côté palestinien, ce sont 583 détenus dans les prisons israéliennes, certains condamnés, parfois à perpétuité, et d’autres non encore jugés qui ont été libérés et accueillis par leurs familles lors de scènes de liesse.
Ce sont les scènes les plus médiatisées ; mais ces deux semaines de cessez-le-feu ont vu se dérouler d’autres événements dont on sous-estime l’importance.
Le cessez-le-feu a permis l’entrée à Gaza de 2 760 camions depuis le début de la trêve le 19 janvier, dont 2 593 camions transportant de l’aide humanitaire et de secours, et 167 camions transportant du carburant et du gaz de cuisine. 47 camions, seulement, avaient pu entre le 1er janvier et le 19 janvier !
Malgré les difficultés d’information, nous avons appris que près de 500 000 Palestiniens sont revenus dans le nord de la bande de Gaza depuis le 20 janvier, selon le bureau des Affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), après l’autorisation donnée par l’armée israélienne.
Ces civils, ces femmes et enfants ont voulu retourner auprès des ruines de ce qui était leur maison pour retrouver un lien avec leur vie d’avant. Rappelons que les estimations les plus faibles des Nations unies estiment à 47 000 le nombre de morts à Gaza, sur une population de 2,1 millions d’habitants. Cela représente 2,5 % de la population totale gazaouie. Rapporté à la France, cela donnerait le chiffre peu imaginable de 1,7 millions de morts français, soit exactement le même chiffre que le total des morts en France pendant les quatre ans de la 1ʳᵉ guerre mondiale 1914-1918 ! Comment avons pu supporter cela et dormir tranquillement ?
Fin décembre, au moins sept bébés sont morts de froid ! Et pourtant, devant les crèches des églises catholiques, aucune voix morale ou religieuse ne s’est fait entendre pour dire : « Si Jésus était né à Gaza en décembre, il n’aurait pas trouvé d’étable et de paille pour se réchauffer. Il serait sans doute lui aussi mort de froid ! ».
Faire cesser ce carnage en rendant le cessez-le-feu actuel permanent ne devient-il pas une exigence humaine, morale et politique évidente ?
Depuis deux semaines, les familles d’otages israéliens ont repris un espoir fragile de revoir leur proche. Existe-t-il un but politique plus pressant que de poursuivre cette trêve et répondre à leur angoisse ?
Depuis deux semaines, des centaines de milliers de gazaouis ont retrouvé un quotidien sans le bruit et le fracas des bombes. Existe-t-il un objectif politique et humanitaire plus essentiel que de rendre permanent ce désir d’une vie quotidienne, « presque normale » ?
Des centaines de milliers de civils vivaient depuis des mois sous des lambeaux de tentes, au milieu des flaques d’eau, sans chauffage, sans nourriture régulière. Depuis deux semaines, ils commencent à recevoir de quoi manger, des médicaments, la possibilité de bâtir des abris provisoires plus solides en attendant de reconstruire leur habitat, leur vie tout simplement. Existe-t-il un objectif politique et humanitaire plus fondamental que de rendre permanente cette sécurité de vie quotidienne ?

J’entends, dans beaucoup de commentaires de journalistes, de politiques, de militants associatifs, des phrases du style : « il y a certes un cessez-le-feu, MAIS… », ce qui peut vouloir dire que le cessez-le-feu n’est pas le plus important, face aux questions en suspens, futur politique, reconstruction, etc.
J’ai envie de dire : « Il y a un cessez-le-feu et c’est fondamental. Il n’y a pour l’instant, aucune question politique plus importante que celle de le prolonger, le renouveler et le rendre permanent » !
Que faisons-nous sur le plan politique, sur le plan de l’intervention citoyenne pour le rendre indestructible et irréversible ?
Quelle pression exerçons-nous auprès des trois négociateurs, États-Unis, Qatar, Égypte et deux belligérants, Israël et Hamas pour que ce cessez-le-feu perdure et permette l’envoi plus massif d’aide humanitaire, permette l’intervention des associations humanitaires internationales, et au premier plan de l’UNWRA, qui seule a les compétences et l’expérience pour intervenir, pour permettre l’envoi de journalistes, pour commencer à déployer des enquêtes sur le terrain pour analyser toutes les atteintes aux droits de l’homme, voire les crimes contre l’humanité, commises par les deux parties ?
Comment faisons-nous enfin du soutien à un cessez-le-feu permanent, un mouvement irrésistible, unissant toutes les bonnes volontés, dépassant les divergences secondaires sur l’avenir géo-politique de la région ? Comment multiplions-nous les initiatives diverses pour faire du sauvetage de cette région, de la sécurité commune des populations qui y vivent, une préoccupation de la communauté internationale ? N’est-ce pas un des seuls moyens dont nous disposons pour rendre plus difficile à Netanyahou, au Hamas, à Trump la possibilité d’interrompre cet accord ?
Comment construisons-nous le rassemblement le plus large à l’échelle internationale, qui devrait se manifester évidemment, par l’envoi de troupes d’interposition des Nations unies, avec des mandats robustes pour se défendre et protéger les populations.
Il faudra certes discuter du statut futur de Gaza, de la reconnaissance pleine et entière de la Palestine, de la démilitarisation de celle-ci, de l’apport massif de fonds pour financer la reconstruction au service des populations et non des affairistes et requins de la finance. Cela sera difficile, il y aura des affrontements politiques mais, voyons l’enjeu aujourd’hui pour les populations qu’elles soient gazaouies ou israéliennes.
Ne nous trompons pas d’objectif politique prioritaire !
Nous sommes devant ce défi de taille : avec la bataille pour la permanence du cessez-le-feu à Gaza, allons-nous enfin construire un vrai rapport de force pérennisant le silence des armes et permettant de construire les bases permettant la construction d’une paix, d’une sécurité, d’une communauté de vie entre les peuples du Moyen-Orient ?

Daniel Durand - 2 février 2025

Une version condensée de cet article est publiée en tribune libre dans la rubrique "En débat" sur le site du journal L'Humanité au lien suivant

https://www.humanite.fr/en-debat/bande-de-gaza/gaza-prolonger-le-cessez-le-feu-une-priorite

mardi 10 décembre 2024

"DROIT INTERNATIONAL ET PUISSANCE ÉTATIQUE : AFFRONTEMENT ULTIME ?

"DROIT INTERNATIONAL ET PUISSANCE ÉTATIQUE : AFFRONTEMENT ULTIME ?
« DROIT INTERNATIONAL : LA FORCE EST AVEC TOI »
Daniel Durand i

(intervention prononcée à Bordeaux le 3 mars lors des 17émes rencontres "Nouvelles Pensées Critiques et Actualités de Marx pour de nouveaux horizons de civilisation" sur le thème "Révolution ! Vous avez dit Révolution ?"

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Cette contribution s’inscrit dans le cadre de mes réflexions démarrées en 2018 avec mon ouvrage « 1914-1918 : CENT APRÈS, LA PAIX ! ii ». Celles-ci ont évidemment été percutées, questionnées par la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, depuis bientôt trois ans, et exacerbées par les opérations, de plus en plus qualifiées de « génocidaires », menées par le gouvernement israélien à Gaza, à la suite de l’opération terroriste menée notamment par le Hamas, le 7 octobre 2023. Une partie de ces réflexions sont contenues dans mon livre « La paix, c’est mon droit iii » et dans cet esprit, j’avais délivrée une contribution l’année dernière aux Rencontres, sur le thème du Droit humain à la paix iv.
En ce mois de décembre 2024, jamais, sans doute, la question du droit international n’a été aussi présente dans le débat. Elle l’est, notamment, sous la thématique du « droit piétiné », ou du « droit impuissant ». Je vous livre un florilège non exhaustif au travers de quelques titres ;
"L’ordre international piétiné par ses garants" - Le Monde diplomatique, Anne-Cécile Robert ; "Les règles de la guerre et le droit international humanitaire sont clairement bafoués". Texte de l’IFRI, 5/10/2023 ; "Un «droit international» quasi impuissant » - titre sur Le Devoir – 8/07/2014 ; "La Cour pénale internationale entre illusions et impuissance" – étude de la revue-histoire.fr, 3 janv. 2024. Pour finir, une citation de Monique Chemillier-Gendreau - Colloque de l’Union des fédéralistes européens. du 12 octobre 2024 : « Le monde d’aujourd’hui, devenu un village par la puissance des communications et du commerce, ne dispose pourtant pas d’un droit commun à l’application effective. Le droit international élaboré au XXème siècle et les institutions alors mises en place, doivent aujourd’hui être considérées comme un échec » v.
On peut dire que rares sont les affirmations inverses comme ce titre d’une étude de Adam Baczko - site le Sciences-Po et intitulée « Conflits armés : l’impact croissant du droit international »vi ; celle du juriste Johan Soufi, sur Vie publique et titrée « Justice pénale internationale : quel bilan ? » qui relève que « La Cour pénale internationale (CPI) joue un rôle croissant sur l’échiquier géopolitique mondial » vii.
Il est donc un peu osé de ma part de poser un postulat presque complètement opposé à la thèse dominante de l’échec du droit international !
Je prétends en effet que le droit international sur le terrain de la paix, des conflits et. des guerres connaît une extension de son champ d’application, une implication d’un niveau de plus en plus élevé et en parodiant un dialogue du film Starwar : « La Force est avec toi jeune Skywalker. Mais tu n'es pas encore un Jedi» viii, je postule l’idée que le droit international contestera demain la puissance et la sacro-sainte souveraineté des États. On m’accusera d’idéalisme béat, j’en prends le risque.
Ma contestation repose sur le fait qu’il faut différencier deux visons du droit international et de son rôle. La première est une vision « photographique », donc statique, à un instant T, de l’application du droit international. On peut donc dire qu’en ce mois de décembre 2024, l’application du droit international, du droit international humanitaire et même du droit de la guerre et dans la guerre, est un échec à Gaza, par exemple.
Je pense qu’il faut prendre une autre posture, une deuxième vision : une vision cinématographique, donc en mouvement, qui nous permet d’analyser l’évolution de la place du droit international, de son respect ou non, et c’est en observant celle-ci que j’ose poser mon « La Force est avec toi » !
Pour développer ce propos, je reviendrai rapidement, de manière très simplifiée, sur la naissance, la diversité et l’évolution du droit international au cours du dernier siècle.

Le droit international : une notion en évolution

Je rappelle une évidence. La perception du grand public est de parler du droit international comme d’une évidence, une entité qui serait là immuable, d’où les réflexions « aujourd’hui, le droit international est bafoué, on ne respecte plus.. »Le droit international est jeune, il est lié à l’histoire récente des États-nations, et surtout à l’évolution des relations internationales au XXe siècle.
 La justice internationale
La justice internationale naît avec la Cour permanente d'arbitrage de La Haye, créée en 1899, à laquelle à succédé en 1922 la Cour permanente de Justice internationale (CPJI), tout comme la Société des nations (SDN).
La Cour internationale de justice (CIJ) est créée en 1945 et devient l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Son Statut est annexé à la Charte des Nations Unies dont il est partie intégrante.
Elle peut rendre des arrêts ou des avis consultatifs.
Ses arrêts ont pour but de régler, en application des traités internationaux, les litiges qui sont portés à sa connaissance par les États (différends frontaliers par exemple). Ils sont obligatoires. L’article 94 de la Charte des Nations Unies prévoit que chaque État membre des Nations Unies s’engage à se conformer aux décisions de la Cour internationale de Justice dans tout litige auquel il est partie. Si un État partie à un litige ne satisfait pas aux obligations qui lui incombent en vertu d’une décision de la Cour, l’autre État partie peut saisir le Conseil de sécurité des Nations Unies qui peut faire des recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exécuter la décision.
Au titre de sa compétence consultative, la Cour donne des avis consultatifs sur les questions d’ordre juridique que lui posent les organes des Nations Unies et les institutions spécialisées. Cette compétence est prévue par l’article 96 de la Charte des Nations Unies. Par contre, les avis consultatifs rendus par la Cour sont dépourvus de toute force exécutoire et n'ont qu'une autorité morale.
Mais il est communément admis dans la pratique des États et la doctrine que les avis consultatifs de la CIJ, même s'ils ne sont pas formellement contraignants, ont une valeur juridique et peuvent, à bien des égards, être assimilés à des arrêts juridiquement contraignants.
Le droit international humanitaire
Parallèlement à la justice internationale qui réglemente le droit public entre les États, s’est développé un droit international humanitaire, notamment par l’établissement des  conventions de Genève.
La première convention de Genève date de 1864. Deux autres Conventions sont signées en 1906 et 1929. Cependant, les textes qui sont en vigueur aujourd'hui ont été écrits après la Seconde Guerre mondiale. Sept textes ont cours actuellement : les quatre conventions de Genève du 12 août 1949 ; les deux protocoles additionnels du 8 juin 1977 ; le troisième protocole additionnel de 2005.
Que contiennent les 4 conventions de Genève ?
1ère Convention : protection des malades et blessés des forces armées en campagne.
2ème Convention : protection des malades et blessés et naufragés dans les forces armées sur mer.
3ème Convention : traitement des prisonniers de guerre.
4ème Convention : protection des populations civiles.
Sur le plan des droits humains, on peut estimer que la grande réalisation des Nations Unies après 1945 est d’avoir créé un ensemble complet de standards relatifs aux droits humains – un socle de normes universelles et internationalement protégées auquel toutes les nations du monde peuvent aspirer et souscrire. Les fondements de ces normes sont la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptés par l’Assemblée générale de l’ONU respectivement en 1945 et 1948.
Depuis lors, les Nations Unies ont progressivement élargi le socle des droits humains pour y inclure des normes spécifiques visant les femmes, les enfants (Convention des Droits de l’enfant par ex), les personnes handicapées, les minorités et les groupes les plus vulnérables.
 La justice pénale internationale
Si le développement du droit humanitaire permet, en théorie, de protéger et de défendre les victimes des guerres, donc, théoriquement, d’empếcher les crimes de guerre, pendant longtemps, rien n’a existé pour juger et punir les responsables des crimes, puis des crimes contre l’humanité, ce qui relève donc de la justice pénale.
Les premiers exemples de justice pénale internationale sont fournis par les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo, établis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale mais qui incarnent à plusieurs égards une forme de "justice des vainqueurs".
Il faut attendre la fin de la Guerre froide pour qu’en 1993 et 1994, le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) crée successivement un Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et un Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) afin de juger les principaux responsables des atrocités commises lors des conflits dans ces pays.
Dans la foulée, après une bataille d’opinion, menée notamment par des réseaux d’ONG, le Statut de Rome, est adopté le 17 juillet 1998. Il institue la Cour pénale internationale (CPI) en 2002. Elle est créée pour juger les crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis dans plusieurs pays dans les années 1990. Première juridiction pénale internationale, la CPI siège de façon permanente.
123 États, dont la France, reconnaissent aujourd’hui sa compétence pour juger les crimes les plus graves commis sur leur territoire et qui touchent l'ensemble de la communauté internationale : crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, crimes d'agression.
Pour parler de bilan de la justice pénale et de la justice internationale, il faut prendre en compte l’évolution accélérée de la place prise par celle-ci. L’année 2024, de ce point de vue, a été exceptionnelle, voire historique, marquée par un arrêt de la CIJ puis un avis consultatif, et un mandat d’arrêt très fort délivré par la CPI et actuellement, un nouveau débat vient de s’ouvrir à la CIJ à La Haye.
Pourquoi parler de situation nouvelle en matière de justice internationale inter-étatique ou pénale ?

La Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu un verdict le 26 janvier sur le premier volet de la plainte déposée le 29 décembre 2023 par l’Afrique du Sud contre Israël pour « génocide » à Gaza. Elle a ordonné qu’Israël prenne immédiatement des mesures pour garantir que son armée ne viole pas la Convention sur le génocide. La Cour a également demandé à Israël de laisser davantage d’aide entrer dans l’enclave palestinienne. Toutefois, elle n’a pas ordonné à Israël de cesser ses opérations militaires.
Cette décision est une première qui touche un volet politique direct et vise un pays qui est soutenu par les États les plus puissants de la planète. Il faut comprendre la nouveauté et l'importance de la démarche de l’Afrique du sud auprès de la Cour internationale de justice. C’est l’expression de la volonté de sortir le droit international des rapports de force de sommet, pour ouvrir un débat public, et cela à l’initiative d’un pays du Sud et non d’un des cinq Grands.
Rappelons que les décisions de la CIJ sont contraignantes sur le plan légal mais le tribunal n’a pas les moyens de les faire respecter. Seule une résolution du Conseil de sécurité pourrait obliger dans les faits un État à les appliquer. Or, le Conseil de sécurité est toujours divisé sur le principe d’un cessez-le-feu humanitaire à Gaza. On peut regretter qu'il n'y ait pas encore d'automatisme dans l'application de la décision, mais on voit le chemin : il est possible, s’il existe un rapport de force dans l’opinion, d’obtenir une réunion du Conseil de sécurité et la possibilité d’une résolution.
Six mois après cette décision, le 19 juillet, 2024, la CIJ rend un avis consultatif, qui avait été demandé par l’Assemblée générale des Nations Unies à la CIJ en décembre 2022, sur « les conséquences juridiques des politiques et pratiques d’Israël dans les Territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est ».
La CIJ déclare que « L’utilisation abusive persistante de sa position en tant que puissance occupante à laquelle Israël se livre en annexant le Territoire palestinien occupé et en imposant un contrôle permanent sur celui-ci, ainsi qu’en privant de manière continue le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, viole des principes du droit international et rend illicite la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé ».
La CIJ se déclare compétente, et juge que les politiques et pratiques d’Israël dans ces territoires, définis comme « une seule unité territoriale comprenant la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza », ne sont pas conformes à la loi internationale.
Ce caractère illicite contraint Israël « à l’obligation de mettre fin à sa présence dans les territoires palestiniens occupés dans les plus brefs délais, (…) et l’obligation de réparer les dommages causés à toutes les personnes morales et physiques concernées. »
La Cour estime que les modalités de la fin de la présence d’Israël dans les territoires palestiniens, avec « évacuation de tous les colons », incombent à l’Assemblée générale de l’ONU et au Conseil de sécurité.
La question de l'illégalité de l'occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza date de 1967, près de 60 ans.
Une résolution du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967, après la Guerre des Six Jours avait adopté la résolution 242 qui requiert :
- selon sa version officielle en français, « le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit » ;
- selon sa version officielle en anglais, « the withdrawal of Israel armed forces from territories occupied in the recent conflict » ;
- selon ses versions officielles en espagnol, arabe, russe et chinois (autres langues officielles de l'ONU), un texte dont le sens est le même qu'en français.
C’est en s’appuyant sur cette ambiguïté, que, depuis des décennies Israël et ses soutiens américains et britanniques ont justifié la poursuite de l'occupation. On comprend combien l'avis de la CIJ, très clair sur les territoires concernés par l’occupation, peut prendre un poids considérable dans ce débat.
La troisième décision de la justice internationale qui fait de 2024 une année extraordinaire est celle du 26 novembre 2024, lorsque que les trois juges de la Chambre préliminaire I de la CPI ont délivré des mandats d’arrêt à l’unanimité contre Mohammed Deif, chef du Hamas, pour des accusations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre qui, selon le Procureur de la Cour, Karim Khan, auraient été commis dans le cadre de la guerre actuelle contre le Hamas à Gaza.
Elle a également émis des mandats d’arrêt contre Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui auraient été commis dans la bande de Gaza. Selon la CPI, les deux responsables israéliens portent chacun la responsabilité pénale des crimes suivants en tant que coauteurs pour avoir commis les actes conjointement avec d’autres : le crime de guerre consistant à faire de la famine une méthode de guerre ; et les crimes contre l’humanité consistant en meurtres, persécutions et autres actes inhumains.
Certes, ces décisions contre des chefs d'états ne sont pas une première absolue. Trois dirigeants en exercice ont été l'objet de mandats d'arrêt depuis la création de la CPI : Omar El-Béchir, Mouammar Kadhafi et Vladimir Poutine.
En 2009, le président soudanais Omar El-Béchir était le premier chef d'État en exercice à être recherché par la CPI ainsi que la première personne à être poursuivie pour génocide. Il était visé par un mandat d'arrêt en raison des milliers de morts, de villages brûlés ainsi que des massacres, des viols, des raids contre les camps de réfugiés au Darfour.
En juin 2011, le colonel Kadhafi a été à son tour la cible d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale. La Cour rendait sa décision en reprochant à Mouammar Kadhafi et à son fils Saïf al-Islam d'avoir organisé la répression contre les opposants au régime et d’avoir commis des crimes contre l'humanité.
Enfin le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale décidait de lancer un mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine pour crimes contre l’humanité. Le président russe et sa commissaire aux droits de l'enfant, Mariel Vova, étaient recherchés pour leur responsabilité présumée dans la déportation d'enfants ukrainiens.
Justice pénale internationale : premier bilan
La première réussite de la justice pénale internationale tient indiscutablement à sa progression et à son ancrage dans les relations internationales.
La rapidité avec laquelle ses concepts, son langage et ses outils se sont diffusés dans les sphères juridiques, politiques et médiatiques au cours des deux dernières décennies est remarquable. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer la façon dont les victimes et leurs défenseurs, en Syrie, en Birmanie, au Venezuela, en Palestine, en Ukraine et ailleurs, utilisent aujourd’hui le droit pénal international pour demander justice, avec succès ou non d’ailleurs.  
Ce développement constitue une véritable révolution, car il vient bousculer les principes de souveraineté des États et d’immunité de leurs dirigeants, qui demeurent profondément ancrés dans les relations internationales. Qui aurait pu imaginer, voilà encore quelques années, que le président en exercice d’un État membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, dirigeant d’une puissance nucléaire serait un jour inquiété par la justice pénale internationale et privé de sa liberté de voyager comme c’est le cas pour Vladimir Poutine depuis mars 2023 (même en exceptant le cas de la Mongolie, lors de la dernière réunion des BRICS) ? De même pour le mandat d’arrêt international transmise par le procureur à la Cour à l’encontre du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, contre un dirigeant qui est le protégé direct des grandes puissances du camp occidental ? Comment la place de ce droit international peut-elle évoluer et comment peut-il devenir un élément essentiel de la transformation des relations internationales ?

Le droit international : élément d’une nouvelle puissance ?

Si l’on veut répondre à cette question, cela suppose de refaire un détour sur les changements du monde depuis 80 ans. C’est la seule manière de faire comprendre l’importance du droit international, de ses organismes, du respect absolu de la Charte des Nations unies, du rôle central de celles-ci dans le monde d’aujourd’hui, pour surmonter l’obstacle des grandes puissances, pour donner sa vraie place à l’humain, à « We, the people ». C’est nécessaire pour obtenir le soutien de l’opinion publique dans sa masse, hors de sa seule partie informée et militante ?
Le cadre de cette réflexion est celle-ci : les grands problèmes posés à nos générations relèvent tous de solutions globales et planétaires.
 JAMAIS, les humains n’ont pu dire comme aujourd’hui, nous sommes dans un « même bateau », un « bateau monde » qui peut couler, soit à cause de menaces physiques (liées au réchauffement climatique) ce qui est bien compris dans la jeunesse, soit à cause de menaces militaires (conflit nucléaire ou conflit régional incontrôlable, au Moyen-Orient ou en Asie), ce qui est parfois sous-estimé, sauf, peut-être par ceux qui ont connu les périodes de la Guerre froide.
       C’est en s’appuyant sur la perception, peut-être plus répandue aujourd’hui de la globalité des enjeux planétaires climatiques, notamment dans la jeunesse, qu’il nous faut avancer sur la notion de « même bateau » ou « même maison ».
       Je préfère, pour ma part, parler de « maison commune » dont nous nous serions les copropriétaires, très inégaux de statut certes. Cette réflexion est inséparable de celle sur la création des Nations unies.
       Il nous faut franchir aujourd’hui une étape ! Pourquoi jeter un regard neuf ?
       1/ Le nombre des États a quadruplé depuis 1945, la place des pays émergents et de ceux du Global South grandit.
       2/ Dans le même temps, s’est développé le système multilatéral onusien : agences, traités.
       3/ Nous sommes passés, en quelques décennies, de l’ordre exclusif des États en 1945 à un réseau de forces, mondial complexe, où on trouve à côté de ces États, des entités non – étatiques, forces économiques et ONG.
       4/ Dernier élément à ne pas négliger : c’est la révolution dans les moyens d’information avec des technologies qui favorisent l’information et les possibilités d’interventions individuelles.
       Il faut réévaluer ce qui s’est passé il y a 80 ans. Oui, il y a des contradictions ! D’une part, la création des Nations unies relève pour une part d’un accord entre les vainqueurs de la Guerre, à travers la réaffirmation de la souveraineté des États et du fonctionnement du Conseil de sécurité, mais, en même temps, cela a abouti à la pose des fondations de notre copropriété commune et à l’établissement d’un « règlement de copropriété », la Charte des Nations unies, avec un « conseil syndical » qu’est le Conseil de sécurité et des commissions de travail, avec toutes les institutions onusiennes.
       Quel est le cœur de cette Charte des Nations unies ? Il est de construire la paix, de bannir la force et la guerre des relations internationales. C’est établi dès son préambule et son article 1. Il est fondamental de le comprendre, de l’expliquer et de se battre pour le faire respecter !
       Cela concerne aussi bien le droit international lié aux conflits, le droit international humanitaire, le droit relatif lié aux droits humains, que la justice internationale et la justice pénale internationale.
Un droit international en progression
Oui, le droit international est contesté, parfois bafoué mais il est de plus en plus présent et compte de plus en plus.
Un débat existe sur la place du droit international, c’est positif. Certains juristes ou chercheurs estiment que le droit international a échoué face à la puissance des États, qu’en conséquence, la structure qui porte la Charte des Nations unies, l’ONU a également échoué. Donc, selon eux, il n’y aura pas d’avancée sans la reconstruction d’un nouveau système à partir de zéro.
Je ne partage pas cette analyse. Le droit international a avancé, sur le plan pénal, nous avons réussi à imposer une nouvelle structure, la CPI, pour juger les crimes de guerre. Le mandat d’arrêt de la CPI empêche aujourd’hui Poutine de sortir de Russie, demain, elle fera la même chose avec Netanyahou.
La Cour internationale de justice aborde pour la première fois de son histoire des questions politiques sensibles : la menace de génocide à Gaza, l’illégalité de l’occupation israélienne. Ces évolutions tiennent à la fois à la nouvelle place des sociétés civiles dans le monde, et à l’apparition de puissances émergentes et d’un Global South qui refusent les « doubles standard ».
Déjà, il y a trois ans, nous avions vu la portée possible de la justice internationale sur d’autres domaines que la guerre ou la paix.
Ainsi, sur le plan national, « l’Affaire du siècle » a été un tournant dans les actions pour le climat. À la fin des années 2010, quatre organisations d’intérêt général ont assigné l’État français en justice devant le Tribunal administratif de Paris pour inaction face aux changements climatiques. Le but était de faire reconnaître par les juges l’obligation de l’État d’agir pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, afin de protéger les Français face aux risques induits par les changements climatiques. Le 3 février 2021, la faute de l’État a été établie ; la justice a reconnu aussi sa responsabilité et le préjudice écologique causé par l’inaction climatique de la France.
En ce moment même, la Cour internationale de justice (CIJ) a ouvert depuis hier, ce lundi 2 décembre des audiences visant à définir les obligations juridiques des pays face au changement climatique. Jusqu'au 13 décembre, plus de 100 pays et organisations présenteront des observations sur le sujet, un record.
La République de Vanuatu (223 000 hab, ex Nouvelles-Hébrides), est un des petits États insulaires qui est à l'origine de la demande d'avis consultatif, demande qui a été reprise par l’Assemblée générale de l’ONU, par consensus le 29 mars 2023.
Les deux questions posées sont les suivantes : quelles sont les obligations juridiques internationales des États en matière de protection climatique ? Et quelles conséquences juridiques peuvent encourir les pollueurs, aujourd’hui et demain ?
Les États les plus vulnérables, ceux du Sud global, veulent obtenir une décision qui les renforce lors de futures négociations sur le climat et rééquilibre le rapport de force. Ils espèrent aussi que l’avis juridique de la CIJ offrira une base solide et unifiée aux juges du monde entier saisis de contentieux climatiques.
Ces exemples montrent que le droit international est devenu un élément des solutions pour un monde de paix durable, élément de solution et aussi un outil de cette solution. Agir avec le droit international comme outil n’est pas se lancer dans des batailles de prétoire loin des opinions publiques, mais le moyen de pointer les responsabilités des puissants de ce monde et de contourner les blocages institutionnels qu’ils utilisent, en s’appuyant sur les nouveaux rapports de force possibles dans le monde d’aujourd’hui, y compris sur de nouveaux terrains de lutte.
Il en est ainsi de la fameuse question de la « légitime défense » brandie au-delà de son sens d’origine.
Concernant la question de l’Ukraine, l’obligation, posée par le respect de la Charte des Nations unies, notamment pour les membres du Conseil de sécurité, n’est pas simplement de dire « la Russie ne peut pas et ne doit pas gagner cette guerre » ou la priorité est de « vaincre l’agresseur russe ».
Non, la priorité imposée par le droit international est fondamentalement, aujourd’hui, en Ukraine, d’obtenir un cessez-le-feu, de créer les conditions d’un cadre de discussions diplomatiques conforme à la Charte des Nations unies donc au droit international, et ainsi, de permettre de construire des solutions de compromis dont certaines avaient été esquissées dans les accords de Minsk en 2014.
Plus de deux ans après le début de l’agression russe, il faut appliquer entièrement l’article 51 de la Charte des Nations unies, qui reconnaît au pays agressé son « droit naturel de légitime défense », mais qui ajoute « jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Ce sont ces initiatives politiques et diplomatiques qui doivent être prises en priorité maintenant.
Or, depuis plus de deux ans, le « bloc occidental » qui s’est reformé, a fait échouer toutes les initiatives diplomatiques pour explorer des issues politiques, qu’elles soient individuelles (le pape François, le turc Recip Erdogan) ou étatiques (Brésil, Afrique du sud). Mieux, les 15 et 16 juin 2024, la Suisse a organisé une conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine, qui s’est tenue sans la présence de la Russie. « Malgré certaines avancées, la stratégie ukrainienne de ralliement des pays du Sud global n’a pas fonctionné, en témoigne le fait qu’aucun membre des BRICS+ n’ait signé le communiqué final », estime le chercheur de l’IRIS, Jean de Gliniasty. Un des seuls points positifs est le fait que le président ukrainien a ouvert, pour la première fois, la porte à la participation d’une délégation russe à un autre futur sommet pour la paix.
Aujourd’hui, l’évolution de la situation sur le terrain, les incertitudes liées à la future politique américaine, font que des choses bougent, que l’éventualité d’un armistice est évoquée, que des compromis territoriaux provisoire soient évoqués. Mais que de temps perdu, de morts inutiles gaspillées !
Au-delà des conflits et des situations d’urgence, considérons des questions plus larges comme celles liées à la réforme de l’ONU. 

Nous devons réfléchir à l’utilisation nouvelle du droit international et des décisions de ses organes comme la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale pour faire évoluer le fonctionnement du Conseil de sécurité, trouver des issues aux blocages et à l’impasse provoquée par l’utilisation du « droit de veto » par les membres permanents du Conseil de sécurité.
Plusieurs initiatives sont en cours pour trouver des formes d’auto-limitation du droit de veto au Conseil de sécurité. Ainsi, 106 États soutiennent actuellement une initiative d’encadrement du droit de véto qui prévoit une suspension volontaire et collective du recours au veto en cas d’atrocités de masse. L'Assemblée générale des Nations unies a adopté aussi le 26 avril 2022, une résolution permettant de convoquer automatiquement l'Assemblée générale si un membre permanent oppose son veto à une résolution du Conseil de sécurité.
Dans cet esprit, comment arriver à imposer le respect des décisions de la Cour internationale de justice et de la Cour pénale internationale, en obtenant qu’il y ait interdiction du veto par un membre permanent, après une décision de la CIJ ? On peut estimer qu’une résolution de l’Assemblée générale soit prise en ce sens, qu’il serait compliqué ensuite aux membres permanents du Conseil de ne pas respecter.
L’étape suivante pourrait être d’obtenir que les membres du Conseil de sécurité soient obligés de faire respecter et appliquer les décisions de la CIJ et de la CPI, et, pour cela, qu’ils placent systématiquement, tout arrêt de la CIJ ou de la CPI, sous l’égide du chapitre VII de la Charte, qui permet si nécessaire l’utilisation de la contrainte, voire de la force pour son application.
Vu sous cet angle, le droit international n’est pas uniquement une affaire de spécialistes, de juristes. Il devient un enjeu politique, un outil politique au service des gouvernements et au service des peuples, des opinions publiques.

CONCLUSION

Sur les champs de la guerre et de la paix, l’application du droit international s’oppose directement aux politiques de domination des grandes puissances.
Or, la domination étatique des grandes puissances recouvre très largement, non seulement des politiques de domination géopolitiques, stratégiques, mais plus largement des politiques de dominations économiques et financières, maîtrise des ressources énergétiques, des métaux rares, des voies de communication, etc.
Nos abordons des questions qui touchent aux confrontations autour de la transformation de notre monde, de l'affaiblissement des dominations mondiales, d’une véritable "révolution" des rapports planétaires ?
Ce n’est pas un hasard, si face aux institutions multilatérales onusiennes, qui portent le droit international, on assiste dans ces deux dernières décennies, à des tentatives de redirection des décisions internationales vers des institutions comme le G7 ou le G20, vers des « groupes de contacts », qui fonctionnent hors des règlent admises.  
J’ai parlé dans mon résumé de présentation de la dichotomie entre les atteintes qui perdurent contre le droit international et sa présence grandissante dans les problèmes internationaux. Il faut ouvrir le débat.
Cette dichotomie peut-elle perdurer ou le droit international peut-il devenir lui-même un instrument de puissance au service des peuples et des pays émergents,en affaiblissant durablement la puissance brute des États dominants ?
Pour condenser mon opinion, je dirai que le droit international n’est pas condamné à l’impuissance face à la puissance, il est en train de devenir instrument, au travers de ces exemples, d’une nouvelle puissance, et provoquer ainsi l’impuissance de la puissance étatique d’aujourd’hui. 

 Le lien vers la video de cette conférence :

 https://www.youtube.com/watch?v=gdzOoQP6Y3Y

 


NOTES
i - Directeur de l’IDRP (Institut de documentation et de recherches sur la paix)
ii -  Daniel Durand - Editions Edilivre - 2018
iii - "La paix, c'est mon droit !" 21e siècle, vers la guerre ou vers la paix ? - Daniel Durand - Éditeur : Books on Demand - Date de parution : 31.07.2023
iv - Daniel DURAND, « Le droit humain à la paix, étape décisive d … - YouTube · Espaces Marx Aquitaine-Bordeaux-Gironde - 14 déc. 2023
v - https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/28/monique-chemillier-gendreau-lechec-du-droit-international-a-devenir-universel-et-ses-raisons/
vi - https://www.sciencespo.fr/research/cogito/home/conflits-armes-limpact-croissant-du-droit-international/
vii - https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/294485-justice-penale-internationale-quel-bilan-par-johann-soufi
viii - https://www.kaakook.fr/citation-34984
 

jeudi 21 novembre 2024

Israël : la Cour pénale internationale émet des mandats d’arrêt contre Netanyahou, Gallant et Deif

La Cour pénale internationale a émis ce jeudi des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, l’ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant et le chef de la branche armée du Hamas Mohammed Deif, commis au moins à partir du 8 octobre 2023 jusqu’au 20 mai 2024 au moins, jour où l’accusation a déposé les demandes de mandats d’arrêt.
Le procureur de la CPI, Karim Khan, avait demandé en mai à la cour de délivrer des mandats d’arrêt contre quatre chefs du Hams et contre Netanyahou et Gallant (qui a été limogé début novembre par le Premier ministre israélien) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés à Gaza.
Lorsqu’un mandat est émis par la Cour pénale internationale, les 123 Etats membres sont désormais responsables de l’arrestation des personnes visées dans le cas où celles-ci sont présentes sur leur territoire.,
Rappelons qu'un tel mandat d'arrêt a été émis contre Vladimir Poutine, et que depuis, celui-ci ne sort plus de Russie ou d'un pays satellite comme le Kazakhstan. Il avait du renoncer à assister, il y a quelques mois au sommet des Brics à Pretoria.
On peut en déduire qu'il est exclu que M. Netanyahou se promène maintenant en Europe.
Venant après les attendus de la Cour internationale de justice sur l'illégalité de l'occupation israélienne, cette annonce montre également que la justice internationale pèse de plus en plus dans les débats internationaux. Nous y reviendrons dans un prochain article.
Daniel Durand - IDRP - 21 novembre 2024