La première semaine de débats de la commission préparatoire à la Conférence du TNP de 2015 s'est terminée vendredi dernier par la discussion des thématiques de non-prolifération et des normes de vérification, après la discussion sur la thématique du désarmement mercredi et jeudi.
La semaine a été marquée par l'événement qu'a constitué le mercredi la déclaration adoptée par 77 États annonçant leur soutien à l'approche humanitaire concernant le désarmement nucléaire et souhaitant aller vers l'interdiction des armes nucléaires. Cette vision, différente bien que complémentaire aux yeux de ses promoteurs, de la démarche de négociations "graduelles" de réductions d'armement, avait été initiée en mars à Oslo et devrait se poursuivre jusqu'à la conférence de Mexico qui aura lieu début 2014.
La Déclaration de ces 77 pays (en fait, ils sont déjà 78 aujourd'hui et d'autres hésitent encore avant de les rejoindre) est certes ambivalente : elle marque à la fois une forte volonté d'un nombre croissant de pays non-nucléaires de sortir du marasme des négociations de désarmement nucléaire tant dans le cadre du TNP que celui de la Conférence du Désarmement et, en même temps, elle peut conduire à un affrontement de pays blocs contre blocs (pays non-nucléaires contre P5) qui pourrait être un obstacle aux avancées vers le désarmement. De manière claire, elle traduit le sentiment majoritaire chez les états non-nucléaires que la responsabilité du manque de progrès sur le plan du désarmement nucléaire est d'abord de la responsabilité des états dotés : plusieurs études montrent que des progrès ont été réalisés en matière de contrôle de la non-prolifération, malgré les crises actuelles de Corée du Nord et d'Iran, mais que les progrès en matière de désarmement ont été très faibles. C'est cette exaspération qui se traduit dans l'intérêt pour des processus alternatifs comme celui de l'interdiction au nom du droit humanitaire. Les pays du P5, responsables en partie de cette crispation par leur boycott de la Conférence d'Oslo, doivent sentir ce mécontentement. Certains pays comme la Grande-Bretagne, la Chine, même la Russie ou les États-Unis ont été très prudents dans leur réaction à la déclaration faite par l'Afrique du Sud, au nom des "77". La France qui a été la première à intervenir et à critiquer les pays qui "créent des enceintes parallèles. elles ne font que fragiliser le plan d'action et le processus d'examen du TNP qui nous réunit ici", a sans doute sous-estimé le mouvement en train de se construire.
Un autre exemple, cette semaine, de la profondeur des critiques faites aux états nucléaires est le fait que cette critique s'est élargie très souvent à la critique de la place persistante tenue par les armes nucléaires dans les doctrines militaires. Les P5 ont été obligés d'essayer de se justifier en affirmant qu'ils avaient réduit au plus bas cette place dans les doctrines. Pour le Royaume-Uni, elles "jouent un rôle très discret et limité" ; les USA ont déclaré que depuis la Revue de politique nucléaire de 2010, ils considéraient "l'utilisation des armes nucléaires seulement dans des circonstances extrêmes pour défendre leurs intérêts vitaux". la France a, elle aussi, affirmé que la dissuasion française avait "pour seul but la sauvegarde de nos intérêts vitaux dans des circonstances extrêmes de légitime défense". Cette notion de circonstances extrêmes peut sembler positive mais elle s'accompagne de la défense des "intérêts vitaux" dont la définition pose de plus en plus problème : jusqu'aux voies de communication ou d'approvisionnement comme l'avait imprudemment affirmé le président Chirac ? Jusqu'à la défense de nos alliés de l'OTAN comme l'ont réaffirmé Royaume-Uni et USA ? Pour "tenir notre rang dans le monde" comme l'a affirmé récemment le Ministre de la Défense Le Drian ? On voit que les marges d'appréciation des fameuses "circonstances extrêmes" peuvent se révéler bien floues...
C'est un petit pays, la Suisse, mais qui connaît bien les vicissitudes des guerres sur le continent européen pour avoir été le refuge de beaucoup de personnes, qui a eu la sagesse de rappeler que les armes nucléaires "ne sont pas une source de sécurité, mais constituent une menace à la fois pour la sécurité internationale et pour la sécurité humaine" et que, "près d'un quart de siècle après la fin de la guerre froide (...), il est nécessaire (...) de les éliminer comme toutes les autres armes de destruction massive"... La seconde semaine qui s'ouvre ce lundi à Genève verra-t-elle le climat s'améliorer et des nouvelles plus positives être annoncées, notamment pour la tenue enfin d'une Conférence pour la création d'une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient ? Le bon sens le voudrait, mais...
Ce blog est dédié aux problématiques de la paix et du désarmement, des institutions internationales (ONU, OTAN), à la promotion d'une culture de la paix. Textes sous license Creative Commons by-nc-sa
lundi 29 avril 2013
TNP : "77" contre "5" ?
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mardi 23 avril 2013
Désarmement nucléaire : le besoin de lucidité...
Ainsi que le fait remarquer l'éditorial de "NPT News in Review", le journal du Reaching Critical Will (http://www.reachingcriticalwill.org), plusieurs diplomates ont insisté, dans leurs interventions dans le débat à la commission du Traité de non-prolifération nucléaire qui s'est ouverte depuis lundi, sur le fait que le désarmement nucléaire ne concernait pas seulement les pays nucléaires mais aussi les pays non-nucléaires. Effectivement, c'est de l'engagement de tous que pourront être prises les mesures de confiance, de transparence et de contrôle nécessaires, tout comme les mesures de diminution et de destruction finale des armes. On peut y ajouter aussi l'engagement nécessaire des opinions publiques, des sociétés civiles. En bref, tout le monde est "dans le même bateau" !
La première conséquence en est qu'il faut progresser simultanément sur les trois "piliers" du TNP : progrès du désarmement vers l'élimination, maîtrise de la prolifération, usage pacifique et contrôlé de l'énergie nucléaire. Un enjeu majeur est certainement d'obtenir des résultats concrets avant la prochaine Conférence plénière du TNP prévue en 2015. Les études faites par plusieurs instituts montrent que si de légers progrès ont été effectués en matière de prolifération et d'usage de l'énergie, le désarmement nucléaire est en pleine stagnation. Cette stagnation entraîne beaucoup de frustration et de méfiance parmi les pays non-nucléaires.
La guerre d'Irak en 2003 sous le fallacieux prétexte d'armes de destruction massive cachées, puis la guerre en Libye après que celle-ci ait abandonné ses recherches sur le sujet, n'ont pas incité d'autres pays comme la Corée du Nord ou l'Iran à faire preuve de bonne volonté, en y ajoutant leurs prétextes de politique intérieure.
Cette stagnation a justifié la recherche de voies alternatives : c'est parce qu'au sein de la Conférence du désarmement la création d'une commission sur les problèmes du désarmement nucléaire a été refusée que la proposition d'un"groupe de travail à composition non limitée chargé de se réunir en 2013 pour élaborer des propositions sur le désarmement nucléaire" est venue et a été votée à l'Assemblée générale des Nations unies.
Les réticences des pays nucléaires à la Conférence sur le TNP de 2010 à New York à s'engager franchement dans la discussion sur une Convention d'élimination des armes nucléaires, avec des étapes successives, a conduit certains pays comme la Norvège, la Suisse à organiser une Conférence à Oslo en mars sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires dans le but d'aboutir à un Traité d'interdiction totale des armes nucléaires, au nom du droit humanitaire.
On voit bien que, qu'ils le veuillent ou non, les États nucléaires "dotés" ont une responsabilité particulière : certes, il ne s'agit pas d'aller vers une division simpliste du monde entre "méchants" (les états nucléaires) et "bons" (les états non-nucléaires) qui serait contre-productive. Il faut noter d'ailleurs, sur ce point, que le boycott par les "P5" (les 5 puissances nucléaires) de cette Conférence d'Oslo risque d'avoir cet effet de division, "bloc contre bloc" et d'aller à l'inverse des intentions affichées du "tous dans le même bateau". Cette division est renforcée par l'opposition du P5 à l'ONU à la création du "groupe de travail à composition non limitée".
En fait, cette attitude très "frigide" des puissances et dans laquelle la France s'est particulièrement impliquée, cache une véritable peur voire panique des états nucléaires de perdre le contrôle complet de la discussion sur le désarmement nucléaire. Certains le disent ouvertement comme les diplomates russes mais tous le pensent, la discussion sur le désarmement nucléaire est réservée aux diplomates des pays nucléaires, seuls compétents en la matière !
Derrière, la crainte que la Conférence d'Oslo qui devrait être suivie cet hiver par une Conférence à Mexico ne débouche sur un processus similaire à celui d'Ottawa sur les mines antipersonnels, est réelle. Rappelons que la diplomatie française par exemple fut, au départ, très réticence au processus d'Ottawa avant de le soutenir par souci de "comm" lorsque la réussite apparut inévitable. Ce fut la même valse hésitation pour la Conférence d'Oslo sur les armes à sous-munitions et aujourd'hui encore, les diplomates français sont en privé très réticents sur le bilan de ces deux traités...
Il y a aujourd'hui un vrai besoin pour les diplomates des pays nucléaires d'être lucides sur les frustrations accumulées dans les pays non nucléaires. J'ai parlé du groupe de travail sur le désarmement nucléaire et de la Conférence d'Oslo, mais il faut ajouter un troisième motif de frustration avec le report de la Conférence prévue fin 2012 sur l'établissement d'une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient. Si des avancées sur cette Conférence ne se produisent pas avant 2015, on peut prédire sans être un oiseau de malheur que la Conférence du TNP sera un échec.
Alors, oui, tous dans le même bateau, mais tous lucides...
La première conséquence en est qu'il faut progresser simultanément sur les trois "piliers" du TNP : progrès du désarmement vers l'élimination, maîtrise de la prolifération, usage pacifique et contrôlé de l'énergie nucléaire. Un enjeu majeur est certainement d'obtenir des résultats concrets avant la prochaine Conférence plénière du TNP prévue en 2015. Les études faites par plusieurs instituts montrent que si de légers progrès ont été effectués en matière de prolifération et d'usage de l'énergie, le désarmement nucléaire est en pleine stagnation. Cette stagnation entraîne beaucoup de frustration et de méfiance parmi les pays non-nucléaires.
La guerre d'Irak en 2003 sous le fallacieux prétexte d'armes de destruction massive cachées, puis la guerre en Libye après que celle-ci ait abandonné ses recherches sur le sujet, n'ont pas incité d'autres pays comme la Corée du Nord ou l'Iran à faire preuve de bonne volonté, en y ajoutant leurs prétextes de politique intérieure.
Cette stagnation a justifié la recherche de voies alternatives : c'est parce qu'au sein de la Conférence du désarmement la création d'une commission sur les problèmes du désarmement nucléaire a été refusée que la proposition d'un"groupe de travail à composition non limitée chargé de se réunir en 2013 pour élaborer des propositions sur le désarmement nucléaire" est venue et a été votée à l'Assemblée générale des Nations unies.
Les réticences des pays nucléaires à la Conférence sur le TNP de 2010 à New York à s'engager franchement dans la discussion sur une Convention d'élimination des armes nucléaires, avec des étapes successives, a conduit certains pays comme la Norvège, la Suisse à organiser une Conférence à Oslo en mars sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires dans le but d'aboutir à un Traité d'interdiction totale des armes nucléaires, au nom du droit humanitaire.
On voit bien que, qu'ils le veuillent ou non, les États nucléaires "dotés" ont une responsabilité particulière : certes, il ne s'agit pas d'aller vers une division simpliste du monde entre "méchants" (les états nucléaires) et "bons" (les états non-nucléaires) qui serait contre-productive. Il faut noter d'ailleurs, sur ce point, que le boycott par les "P5" (les 5 puissances nucléaires) de cette Conférence d'Oslo risque d'avoir cet effet de division, "bloc contre bloc" et d'aller à l'inverse des intentions affichées du "tous dans le même bateau". Cette division est renforcée par l'opposition du P5 à l'ONU à la création du "groupe de travail à composition non limitée".
En fait, cette attitude très "frigide" des puissances et dans laquelle la France s'est particulièrement impliquée, cache une véritable peur voire panique des états nucléaires de perdre le contrôle complet de la discussion sur le désarmement nucléaire. Certains le disent ouvertement comme les diplomates russes mais tous le pensent, la discussion sur le désarmement nucléaire est réservée aux diplomates des pays nucléaires, seuls compétents en la matière !
Derrière, la crainte que la Conférence d'Oslo qui devrait être suivie cet hiver par une Conférence à Mexico ne débouche sur un processus similaire à celui d'Ottawa sur les mines antipersonnels, est réelle. Rappelons que la diplomatie française par exemple fut, au départ, très réticence au processus d'Ottawa avant de le soutenir par souci de "comm" lorsque la réussite apparut inévitable. Ce fut la même valse hésitation pour la Conférence d'Oslo sur les armes à sous-munitions et aujourd'hui encore, les diplomates français sont en privé très réticents sur le bilan de ces deux traités...
Il y a aujourd'hui un vrai besoin pour les diplomates des pays nucléaires d'être lucides sur les frustrations accumulées dans les pays non nucléaires. J'ai parlé du groupe de travail sur le désarmement nucléaire et de la Conférence d'Oslo, mais il faut ajouter un troisième motif de frustration avec le report de la Conférence prévue fin 2012 sur l'établissement d'une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient. Si des avancées sur cette Conférence ne se produisent pas avant 2015, on peut prédire sans être un oiseau de malheur que la Conférence du TNP sera un échec.
Alors, oui, tous dans le même bateau, mais tous lucides...
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dimanche 21 avril 2013
Armes nucléaires : les bonnes questions... (suite)
Dans un précédent article, j'ai évoqué le boycott par les pays nucléaires "officiels" (les P5) de la Conférence d'Oslo sur les conséquences humanitaires de l'emploi des armes nucléaires les 4 et 5 mars dernier.
Ils s'en sont plus ou moins expliqué le même jour à Genève dans le débat de la Conférence du Désarmement. Leur argumentation révèle leurs contradictions. Tous ont essayé de se justifier en montrant qu'ils étaient des "bons élèves" du désarmement et que le processus du TNP qui se traîne sans guère de progrès depuis 1995 était le seul envisageable.
La Russie a présenté comme un progrès le fait d'avoir stocké ses armes tactiques qui ainsi ne seraient plus déployées et a essayé de montrer que les efforts de "délégitimisation" des armes nucléaires s'opposeraient à la réduction des armes nucléaires...
Le Royaume-Uni a essayé de justifier la possession de ses armes nucléaires par le contexte stratégique qui verrait le maintien de stocks nucléaires importants, le risque d'arrivée de nouveaux pays possesseurs. Or, justement, la possession d'armes nucléaires, la "dissuasion" ont été incapables jusqu'à présent d'empêcher ces nouveaux risques de prolifération... Le Royaume-Uni a mis à son actif le "déciblage" de ses armes nucléaires, la baisse du nombre de missiles sur chaque sous-marin nucléaire et a réaffirmé sa foi en une approche "graduelle" au sein du TNP et de la Conférence du Désarmement.
C'est cette même méthode Coué qui a été utilisée par le représentant des USA, en ne voyant pas qu'il ne suffit pas de répéter que cette approche "graduelle" était la plus efficace pour qu'elle le devienne, sans aucune preuve concrète. Dire qu'après les derniers accords USA-Russie, le stock d'armes nucléaires mondial n'avait jamais été aussi bas serait risible s'il n'était pas tragique : "aussi bas" avec 17 000 têtes nucléaires sur la planète, qu'est-ce que cela signifie ?
Le rappel de la célèbre déclaration du président Obama à Prague, en avril 2009, sur un monde sans armes nucléaires, qui avait soulevé beaucoup d'espoirs mais n'a malheureusement jamais été suivie d'effets, n'apparaît dans ce contexte que comme un simple effet de "comm", tout comme l'affirmation répétée que les États-unis avançaient dans la voie de la ratification du traité d'interdiction des armes nucléaires (TICEN) au Sénat américain..
La Chine, qui, elle aussi, a boycotté contre toute attente la Conférence d'Oslo s'est laborieusement rappelé qu'elle était toujours favorable à un monde sans armes nucléaires mais que c'était aux gros possesseurs de stocks nucléaires de désarmer les premiers, et qu'elle craignait également qu'un nouveau processus de négociations sur le désarmement ne vienne saper les mécanismes existants, dont elle n'a pas pour autant célébré "l'efficacité"..
L'intervention française a été, sans surprise, une simple reprise des discours de 2012 à Vienne et 2010 à New-York : le "changement" n'est pas à l'ordre du jour en matière de désarmement nucléaire, et le même manque d'esprit d'innovation stratégique pèse toujours sur la réflexion française sur la place de l'arme nucléaire aujourd'hui, comme le regrettent le général de réserve Bernard Norlain ou l'ex-ministre de la Défense Paul Quilès. L'intervention française a donc consisté en un long plaidoyer sur les "efforts" de désarmement de la France, en oubliant de préciser que pour l'essentiel, ils découlent des mesures décidées par Jacques Chirac en 1996, après sa désastreuse campagne de reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique et une tentative (avortée à l'époque) de rapprochement avec l'OTAN. Ce plaidoyer apparaît pour beaucoup de représentants d'ONG comme prononcé de manière suffisante et nourrit le vieux thème de "l'arrogance" française. Le sentiment très critique envers la diplomatie française est nourrie par la rumeur persistance affirmant que la France a joué un rôle décisif pour entraîner les P5 dans le boycott de la Conférence d'Oslo alors que au moins deux pays, Royaume-Uni et Chine, étaient tentés d'y participer..
Dans de précédents articles lors des dernières réunions du TNP, nous avions souligné certaines contradictions françaises comme celle d'affirmer que la France ne considérait pas l'arme nucléaire comme une "arme d'emploi" alors que la plus grande ambiguïté règne sur le statut des missiles nucléaires aéroportés, qui seraient utilisés lors d'un "ultime avertissement" qui ressemble, à s'y méprendre, à un possible tir punitif de missile nucléaire contre un état jugé "voyou". Le jour où cette "2e composante" sera supprimée comme l'a déjà fait le Royaume-Uni, il sera plus crédible de dire que l'arme nucléaire française est une arme de "non-emploi" ...
Comme je l'ai écrit dans mon dernier article, ces différents arguments des P5 ont été sérieusement contestés par les représentants des 127 pays ou institutions, des nombreuses ONG participant à la Conférence d'Oslo. Ils l'ont été également lors de la réunion du réseau ICAN (Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires) à Genève en cette veille de session du TNP. Les participants ont redit que l'impact humanitaire des armes nucléaires serait inacceptable, qu'il n'y pas de capacité de réponse adéquate au niveau national ou international pour faire face aux conséquences de ces armes, et que ces armes nucléaires ne doivent jamais être utilisées. Pour Arielle Denis, directrice d'ICAN, "la seule garantie contre l'usage des armes nucléaires est leur interdiction et leur élimination" ; pour elle, "il y a une anomalie dans le droit international : les armes nucléaires sont les seules armes de destruction massive qui ne font pas l'objet d'une interdiction explicite".
L'affirmation des puissances nucléaires selon lesquelles seul un processus soumis à un consensus de tous les pays serait efficace a été contesté comme l'a montré la réussite en 1997 de la Campagne pour l'interdiction des mines antipersonnelles. De même, il semble tout à fait évident que des avancées dans les discussions sur l'impact humanitaire des armes nucléaires viendraient compléter et renforcer les efforts sur la non-prolifération et le désarmement et non les saborder..
La mise en oeuvre de tous les points du TNP a ainsi tout à gagner à la plus grande compréhension du caractère inadmissible des armes nucléaires au regard du droit humanitaire. Ne faut-il pas en faire prendre conscience aux opinions publiques ? Qui pourrait craindre cette meilleure information des citoyens ?
Ils s'en sont plus ou moins expliqué le même jour à Genève dans le débat de la Conférence du Désarmement. Leur argumentation révèle leurs contradictions. Tous ont essayé de se justifier en montrant qu'ils étaient des "bons élèves" du désarmement et que le processus du TNP qui se traîne sans guère de progrès depuis 1995 était le seul envisageable.
La Russie a présenté comme un progrès le fait d'avoir stocké ses armes tactiques qui ainsi ne seraient plus déployées et a essayé de montrer que les efforts de "délégitimisation" des armes nucléaires s'opposeraient à la réduction des armes nucléaires...
Le Royaume-Uni a essayé de justifier la possession de ses armes nucléaires par le contexte stratégique qui verrait le maintien de stocks nucléaires importants, le risque d'arrivée de nouveaux pays possesseurs. Or, justement, la possession d'armes nucléaires, la "dissuasion" ont été incapables jusqu'à présent d'empêcher ces nouveaux risques de prolifération... Le Royaume-Uni a mis à son actif le "déciblage" de ses armes nucléaires, la baisse du nombre de missiles sur chaque sous-marin nucléaire et a réaffirmé sa foi en une approche "graduelle" au sein du TNP et de la Conférence du Désarmement.
C'est cette même méthode Coué qui a été utilisée par le représentant des USA, en ne voyant pas qu'il ne suffit pas de répéter que cette approche "graduelle" était la plus efficace pour qu'elle le devienne, sans aucune preuve concrète. Dire qu'après les derniers accords USA-Russie, le stock d'armes nucléaires mondial n'avait jamais été aussi bas serait risible s'il n'était pas tragique : "aussi bas" avec 17 000 têtes nucléaires sur la planète, qu'est-ce que cela signifie ?
Le rappel de la célèbre déclaration du président Obama à Prague, en avril 2009, sur un monde sans armes nucléaires, qui avait soulevé beaucoup d'espoirs mais n'a malheureusement jamais été suivie d'effets, n'apparaît dans ce contexte que comme un simple effet de "comm", tout comme l'affirmation répétée que les États-unis avançaient dans la voie de la ratification du traité d'interdiction des armes nucléaires (TICEN) au Sénat américain..
La Chine, qui, elle aussi, a boycotté contre toute attente la Conférence d'Oslo s'est laborieusement rappelé qu'elle était toujours favorable à un monde sans armes nucléaires mais que c'était aux gros possesseurs de stocks nucléaires de désarmer les premiers, et qu'elle craignait également qu'un nouveau processus de négociations sur le désarmement ne vienne saper les mécanismes existants, dont elle n'a pas pour autant célébré "l'efficacité"..
L'intervention française a été, sans surprise, une simple reprise des discours de 2012 à Vienne et 2010 à New-York : le "changement" n'est pas à l'ordre du jour en matière de désarmement nucléaire, et le même manque d'esprit d'innovation stratégique pèse toujours sur la réflexion française sur la place de l'arme nucléaire aujourd'hui, comme le regrettent le général de réserve Bernard Norlain ou l'ex-ministre de la Défense Paul Quilès. L'intervention française a donc consisté en un long plaidoyer sur les "efforts" de désarmement de la France, en oubliant de préciser que pour l'essentiel, ils découlent des mesures décidées par Jacques Chirac en 1996, après sa désastreuse campagne de reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique et une tentative (avortée à l'époque) de rapprochement avec l'OTAN. Ce plaidoyer apparaît pour beaucoup de représentants d'ONG comme prononcé de manière suffisante et nourrit le vieux thème de "l'arrogance" française. Le sentiment très critique envers la diplomatie française est nourrie par la rumeur persistance affirmant que la France a joué un rôle décisif pour entraîner les P5 dans le boycott de la Conférence d'Oslo alors que au moins deux pays, Royaume-Uni et Chine, étaient tentés d'y participer..
Dans de précédents articles lors des dernières réunions du TNP, nous avions souligné certaines contradictions françaises comme celle d'affirmer que la France ne considérait pas l'arme nucléaire comme une "arme d'emploi" alors que la plus grande ambiguïté règne sur le statut des missiles nucléaires aéroportés, qui seraient utilisés lors d'un "ultime avertissement" qui ressemble, à s'y méprendre, à un possible tir punitif de missile nucléaire contre un état jugé "voyou". Le jour où cette "2e composante" sera supprimée comme l'a déjà fait le Royaume-Uni, il sera plus crédible de dire que l'arme nucléaire française est une arme de "non-emploi" ...
Comme je l'ai écrit dans mon dernier article, ces différents arguments des P5 ont été sérieusement contestés par les représentants des 127 pays ou institutions, des nombreuses ONG participant à la Conférence d'Oslo. Ils l'ont été également lors de la réunion du réseau ICAN (Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires) à Genève en cette veille de session du TNP. Les participants ont redit que l'impact humanitaire des armes nucléaires serait inacceptable, qu'il n'y pas de capacité de réponse adéquate au niveau national ou international pour faire face aux conséquences de ces armes, et que ces armes nucléaires ne doivent jamais être utilisées. Pour Arielle Denis, directrice d'ICAN, "la seule garantie contre l'usage des armes nucléaires est leur interdiction et leur élimination" ; pour elle, "il y a une anomalie dans le droit international : les armes nucléaires sont les seules armes de destruction massive qui ne font pas l'objet d'une interdiction explicite".
L'affirmation des puissances nucléaires selon lesquelles seul un processus soumis à un consensus de tous les pays serait efficace a été contesté comme l'a montré la réussite en 1997 de la Campagne pour l'interdiction des mines antipersonnelles. De même, il semble tout à fait évident que des avancées dans les discussions sur l'impact humanitaire des armes nucléaires viendraient compléter et renforcer les efforts sur la non-prolifération et le désarmement et non les saborder..
La mise en oeuvre de tous les points du TNP a ainsi tout à gagner à la plus grande compréhension du caractère inadmissible des armes nucléaires au regard du droit humanitaire. Ne faut-il pas en faire prendre conscience aux opinions publiques ? Qui pourrait craindre cette meilleure information des citoyens ?
vendredi 19 avril 2013
Armes nucléaires : les bonnes questions...
Prolifération et désarmement nucléaires seront, comme chaque année, à l'ordre du jour des discussions, qui s'ouvriront, ce lundi 22 avril à Genève, dans la préparation de la Conférence d'examen du TNP (Traité de non-prolifération nucléaire) en 2015. Cette réunion devait initialement être un simple point d'étape dans le suivi du plan d'action, modeste mais réel, décidé en 2010 par la Conférence de New-York. Ce bilan aurait été considéré comme décevant par la majorité des pays non-nucléaires et par les ONG : aucun progrès significatif dans la réduction du nombre de têtes nucléaires dans le monde, poursuite de la modernisation des armes et aucune évolution dans la prééminence des doctrines militaires basées sur la fameuse et contestée notion de "dissuasion" nucléaire. Mais cette réunion qui s'annonçait tristement routinière, risque d'être bouleversée par trois événements majeurs, un positif et deux négatifs selon moi, qui se sont produits dans ces six derniers mois.
Commençons par la Conférence qui s'est tenue à Oslo, le 6 mars 2013, sur les "conséquences humanitaires de l'emploi des armes nucléaires". Pour la première fois depuis 1945, une Conférence internationale au plus haut niveau a réuni 127 représentants de gouvernements, d'institutions internationales dont la Croix Rouge Internationale qui ont décidé de donner un nouvel élan pour écarter la menace nucléaire de l'humanité. Ils ont suivi en cela l'opinion de la Croix-Rouge qui a rappelé que tant au niveau international que national, aucun moyen n'existe pour répondre effectivement aux conséquences d'une explosion nucléaire, même limitée.
La Déclaration finale de la Conférence, prise à l'initiative de ICAN (Campagne internationale pour le désarmement nucléaire) note qu'en cas d'explosion nucléaire, "Les conséquences seraient mondiales, de long terme et complètement catastrophiques pour le santé humaine, notre environnement, notre développement, la sécurité, les droits humains et les ressources alimentaires (...)". Les Cinq puissances nucléaires ont finalement décidé de boycotter cette Conférence en estimant qu'elle risquait de créer une "diversion" du processus "pas-à-pas" existant avec le TNP et la Conférence du désarmement. Cette position n'a pas été suivie par plusieurs pays de l'OTAN, et d'autres grands pays comme le Japon, la Corée du Sud ou l'Australie, tous pays "bénéficiant" pourtant du parapluie nucléaire étatsunien. Le surplace marqué par le processus des Conférences d'examen du TNP, et l'absence de travail depuis 16 ans à la Conférence du désarmement, laisse sceptique sur ce "risque de diversion" !
On peut espérer que, lors de la réunion de Genève sur le TNP, les représentants des puissances nucléaires seront sévèrement questionnés sur leur absence à Oslo...
Deux événements risquent de peser négativement sur le déroulement de la réunion genevoise : le premier est le report annoncé le 23 novembre 2012, par les USA de la Conférence sur la création au Moyen-Orient d'une Zone libre d'armes de destruction massive qui devait se tenir le 18 décembre à Helsinki.
Cette Conférence, initialement décidée en 1995 lors de la réunion qui décida de proroger indéfiniment le TNP, avait permis d'obtenir le soutien à la prorogation de nombreuses délégations arabes. En 2010, après de multiples discussions, la décision avait été prise d'aboutir enfin concrètement à une telle Conférence : la perspective d'un Moyen-Orient sans armes de destruction massive semble pour beaucoup d'observateurs la seule manière de supprimer la menace représentée par le stocks d'armes nucléaires illégales détenues par Israël, de lever tout ambiguïté sur un éventuel programme de construction d'armes nucléaires par l'Iran, sans compter que cela permettrait sans doute d'obtenir la ratification de la Convention d'interdiction des armes chimiques par la Syrie et l'Égypte. Les prétextes avancés par les États-Unis, sous la pression du gouvernement israélien, estimant que les "conditions de sécurité" n'étaient pas réunies, ne sont pas convaincants. De ce fait, les pays arabes risquent de montrer fortement leur mécontentement lors des discussions de Genève : de nouveaux risques de blocage sont ainsi créés.
Le deuxième événement survenu est bien sûr la suite des provocations et des gesticulations militaires nucléaires de la Corée du Nord : la situation est évidemment préoccupantes, des initiatives politiques doivent être prises notamment avec l'aide des puissances régionales comme la Chine. Il serait malgré tout contre-productif que ces événements servent de prétexte aux puissances nucléaires pour faire porter l'essentiel des débats de Genève sur les menaces sur la prolifération dues à la situation coréenne, voire en y ajoutant les interrogations sur l'Iran, et ainsi, d'éviter d'avoir à répondre sur leur inactivité, voire leur obstruction sur les questions de désarmement nucléaire complet, abordées notamment à Oslo. À suivre...
Commençons par la Conférence qui s'est tenue à Oslo, le 6 mars 2013, sur les "conséquences humanitaires de l'emploi des armes nucléaires". Pour la première fois depuis 1945, une Conférence internationale au plus haut niveau a réuni 127 représentants de gouvernements, d'institutions internationales dont la Croix Rouge Internationale qui ont décidé de donner un nouvel élan pour écarter la menace nucléaire de l'humanité. Ils ont suivi en cela l'opinion de la Croix-Rouge qui a rappelé que tant au niveau international que national, aucun moyen n'existe pour répondre effectivement aux conséquences d'une explosion nucléaire, même limitée.
La Déclaration finale de la Conférence, prise à l'initiative de ICAN (Campagne internationale pour le désarmement nucléaire) note qu'en cas d'explosion nucléaire, "Les conséquences seraient mondiales, de long terme et complètement catastrophiques pour le santé humaine, notre environnement, notre développement, la sécurité, les droits humains et les ressources alimentaires (...)". Les Cinq puissances nucléaires ont finalement décidé de boycotter cette Conférence en estimant qu'elle risquait de créer une "diversion" du processus "pas-à-pas" existant avec le TNP et la Conférence du désarmement. Cette position n'a pas été suivie par plusieurs pays de l'OTAN, et d'autres grands pays comme le Japon, la Corée du Sud ou l'Australie, tous pays "bénéficiant" pourtant du parapluie nucléaire étatsunien. Le surplace marqué par le processus des Conférences d'examen du TNP, et l'absence de travail depuis 16 ans à la Conférence du désarmement, laisse sceptique sur ce "risque de diversion" !
On peut espérer que, lors de la réunion de Genève sur le TNP, les représentants des puissances nucléaires seront sévèrement questionnés sur leur absence à Oslo...
Deux événements risquent de peser négativement sur le déroulement de la réunion genevoise : le premier est le report annoncé le 23 novembre 2012, par les USA de la Conférence sur la création au Moyen-Orient d'une Zone libre d'armes de destruction massive qui devait se tenir le 18 décembre à Helsinki.
Cette Conférence, initialement décidée en 1995 lors de la réunion qui décida de proroger indéfiniment le TNP, avait permis d'obtenir le soutien à la prorogation de nombreuses délégations arabes. En 2010, après de multiples discussions, la décision avait été prise d'aboutir enfin concrètement à une telle Conférence : la perspective d'un Moyen-Orient sans armes de destruction massive semble pour beaucoup d'observateurs la seule manière de supprimer la menace représentée par le stocks d'armes nucléaires illégales détenues par Israël, de lever tout ambiguïté sur un éventuel programme de construction d'armes nucléaires par l'Iran, sans compter que cela permettrait sans doute d'obtenir la ratification de la Convention d'interdiction des armes chimiques par la Syrie et l'Égypte. Les prétextes avancés par les États-Unis, sous la pression du gouvernement israélien, estimant que les "conditions de sécurité" n'étaient pas réunies, ne sont pas convaincants. De ce fait, les pays arabes risquent de montrer fortement leur mécontentement lors des discussions de Genève : de nouveaux risques de blocage sont ainsi créés.
Le deuxième événement survenu est bien sûr la suite des provocations et des gesticulations militaires nucléaires de la Corée du Nord : la situation est évidemment préoccupantes, des initiatives politiques doivent être prises notamment avec l'aide des puissances régionales comme la Chine. Il serait malgré tout contre-productif que ces événements servent de prétexte aux puissances nucléaires pour faire porter l'essentiel des débats de Genève sur les menaces sur la prolifération dues à la situation coréenne, voire en y ajoutant les interrogations sur l'Iran, et ainsi, d'éviter d'avoir à répondre sur leur inactivité, voire leur obstruction sur les questions de désarmement nucléaire complet, abordées notamment à Oslo. À suivre...
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