mardi 25 avril 2023

À propos de la prochaine Loi de programmation militaire française (I sur III)

Un projet de loi relatif à la programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 4 avril 2023, après avoir été adopté en Conseil des ministres.

Il avait été préparé par une « Revue nationale stratégique » (RNS)1 rendue publique le 9 novembre 2022 et une présentation des orientations cette Loi par le Président de la République sur la base aérienne de Mont-de-Marsan, le 20 janvier 20232.

J’ai traité des questions posées par les choix politiques et stratégiques de cette Loi dans un article précédent (voir « Une « guerre d’avance » ou une paix de retard ? » sur mon blog, le 7 avril dernier3) dont je reprends les grandes lignes ci-dessous.


« UNE « GUERRE D’AVANCE » OU UNE PAIX DE RETARD ? »


En présentant les orientations de la Loi de programmation militaire française le 20 janvier, le président de la République a voulu se montrer bon communicant en affirmant « Nous devons donc avoir une guerre d’avance ». Il a ajouté cette phrase audacieuse : « cette loi de programmation militaire devra donc tirer les conclusions de ce que notre époque porte en germe ».

« Avoir une guerre d’avance » est une obsession des dirigeants français qui essaient de gommer des esprits un siècle d’erreurs de choix militaires : les pantalons rouge garance et l’offensive en terrain découvert de 1914, la ligne Maginot statique de 1939, la méconnaissance de la guérilla révolutionnaire à Diên Biên Phu en 1954, la perte de la bataille de l’opinion publique nationale et internationale dans la Guerre d’Algérie en 1962 et enfin l’arrêt humiliant de l’opération Barkhane au Mali en 2021.

Si l’on considère que la sécurité de notre pays tout comme la sécurité internationale sont des concepts globaux, comprenant tout à la fois des dimensions militaires mais aussi diplomatiques, économiques, culturelles et politiques, se fixer comme but principal, sinon unique d’avoir « une guerre d’avance » est complètement réducteur et ne peut qu’atrophier la pertinence des choix militaires proprement dits.

En effet, que signifie « tirer les conclusions de ce que notre époque porte en germe » ? Dans une démonstration facile destinée à frapper le grand public et les médias, Emmanuel Macron résume le passé récent à une « accumulation des menaces dans tous les ordres et dans toutes les géographies ». Quelle courte vue de résumer le 21e siècle ainsi !

L’échec des solutions de force

Je propose une autre grille de lecture. Pour moi, les deux dernières décennies sont marquées par l’échec de toutes les solutions de force, de nature militaire essentiellement, qui ont été appliquées dans les diverses crises ou conflits.

Irak ? L’invasion par les États-Unis d’un État souverain, sur la base d’un mensonge sur la soi-disant présence d’armes de destruction massive, au mépris de la Charte des Nations-Unies, ressemble comme une sœur à l’agression des troupes russes en Ukraine. Le résultat est un pays, l’Irak, dévasté, à la vie économique et sociale ruinée. La conséquence collatérale en a été de conforter l’Iran dans l’intention de se doter un jour, si possible, de l’arme nucléaire pour ne pas être à la merci des aléas de la politique états-unienne.

L’exemple de la Libye est tout aussi éclairant : l’intervention militaire illégale des franco-britanniques, basée sur un dévoiement du sens de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU du 17 mars 20114 a transformé une crise interne grave qui pouvait se régler avec des efforts et pressions diplomatiques soutenus sur Kadhafi en un désastre, avec là aussi, un pays aux fragiles structures sociales et tribales détruites, devenu un refuge et une plateforme d’action pour les groupes terroristes fuyant la Syrie.

Il faut ajouter à ces deux exemples, l’Afghanistan, où la guerre, puis l’occupation militaire US, puis otanienne, ont fait le lit des mollahs et réduit encore plus les femmes à la servitude ; la Syrie devenue un champ d’affrontements par procuration entre puissances régionales.

Pourtant les moyens militaires engagés dans ces pays n’ont pas manqué, l’OTAN est même sortie de son périmètre légal d’intervention, les diplomates de l’ONU ont été écartés !

Alors, est-ce la violence et les conflits qui ont provoqué le chaos dans ces régions, ou les solutions imposées par les grandes puissances, au service le plus souvent d’intérêts économiques et stratégiques qui ne sont pas difficiles à pointer dans chaque conflit ?

« Tirer les conclusions de ce que notre époque porte en germe » ? Oui, alors, reconnaissons que les solutions militaires ont été en échec depuis vingt ans et qu’il ne peut exister qu’une conclusion : les seules issues viables, crédibles aux conflits et aux crises internationales relèvent de l’action politique et diplomatique et le meilleur cadre pour déployer celle-ci dans le monde d’aujourd’hui est le cadre multilatéral, c’est-à-dire le cadre onusien.

L’outil diplomatique malmené

Si l’outil politique le plus efficace est l’outil politique et l’outil diplomatique, comment ne pas être scandalisé par la décision de supprimer la filière diplomatique en France au bénéfice des appels à des consultants privés ? On ne construit pas une force de frappe de négociations, de contacts et d’influence en se privant de l’arme principale !

Affirmer qu’il faut « avoir une guerre d’avance » ne peut signifier en toute logique qu’une chose : le but de l’action publique aujourd’hui n’est pas ou plus de préparer la paix mais clairement de préparer la guerre…

Le Président Macron devient le seul Président de la République à avoir doublé le budget militaire de la France en deux mandats électoraux (de 32 à 67 Mds d'€). 

Pour quels résultats ? La France est hors-jeu en Afrique, elle est à la remorque des USA et de l’Allemagne dans la stratégie occidentale de soutien à l’Ukraine, elle n’a joué qu’un rôle négatif dans les négociations qui ont abouti à un Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Enfin, Emmanuel Macron a subi l’affront en septembre dernier, lors de son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies, de devoir parler avec un tiers des sièges vides, notamment ceux des pays africains.

Avant d’examiner concrètement une loi de programmation militaire et les besoins concrets de nos armées, qui sont réels et à discuter (même s’ils ne sont pas forcément ceux mis en avant par la communication gouvernementale), il faut d’abord un débat large au Parlement et dans le pays, sur les choix de la France en matière de paix et de sécurité. Sinon, nous n’aurons pas forcément « une guerre d’avance » mais peut-être, malheureusement, « une paix de retard ».

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