Les quatre ans de mandat de Donald Trump ont vu les USA adopter une politique du "cavalier seul" qui les a conduit à quitter plusieurs organismes internationaux ou à ne plus les financer (OMS, UNESCO, UNRWA), à se retirer de plusieurs accords ou Traités (accord nucléaire iranien, Traité INF ou "euro-missiles", accord de Paris sur le climat). Enfin, les principales initiatives de l'administration Trump ont toutes été unilatérales et ont piétiné des accords ou des positions parfois anciennes de la diplomatie américaine : soutien déséquilibré à Israël aux dépens des droits du peuple palestinien, soutien au roi du Maroc en faisant fi des résolutions de l'ONU sur le Sahara occidental, etc...). Que peut changer l'arrivée du président Biden ?
Cette question est au coeur des préoccupations non seulement des diplomates des grands pays, mais aussi des gouvernements et peuples de multiples pays, souvent petits, et qui dépendent beaucoup des orientations politiques des États-Unis. Pour avoir un cadre de référence sur les possibles orientations futures du nouveau président des États-Unis d'Amérique, il faut retourner à la source. Le document le plus détaillé des propositions de Jo Biden réside dans le long papier qu'il a donné à la revue Foreig Affairs le 23 janvier 2020 sous le titre "Why America Must Lead Again" ("Pourquoi l'Amérique doit à nouveau diriger") (lire foreignaffairs.com/articles/united-states/2020-01-23/why-america-must-lead-again). Ce texte fondateur sera soumis comme toutes les déclarations électorales à l'épreuve de vérité de la mise en oeuvre concrète une fois l'homme élu, mais il est utile à connaître, ne serait-ce que pour comparer promesses d'hier et réalisé de demain !
À la lecture de cet article, on peut résumer ainsi la pensée de Jo Biden : la future politique étatsunienne marquera certainement au retour au multilatéralisme même si la défense des intérêts nationaux restera une priorité. Les USA continueront de s'affirmer comme puissance militaire même si on peut espérer un retour à la table de négociation sur le désarmement. Enfin, l'administration Biden reviendra sur une posture plus traditionnelle avec ses alliés de l'OTAN et désignera clairement la Russie comme menace numéro 1, la Chine en numéro 2 tant sur le plan économique que militaire.
Jo Biden utilise dès le début une formule claire : "En tant que président, je prendrai des mesures immédiates pour rénover la démocratie et les alliances américaines, protéger l'avenir économique des États-Unis, et faire que l'Amérique redevienne le leader mondial". Sur le plan du multilatéralisme, deux engagements sont à noter.
Premièrement, Jo Biden veut restaurer l'image des USA sur le terrain international des droits de l'homme. Il annonce qu'au cours de sa première année de mandat, "les États-Unis organiseront et accueilleront un sommet mondial pour la démocratie afin de renouveler l'esprit et partager l'objectif commun des nations du monde libre. Il rassemblera les démocraties du monde entier pour renforcer nos institutions démocratiques, se confronter honnêtement aux nations qui reculent, et forger un agenda commun".
Deuxièmement, Biden, contrairement à Trump veut inscrire son pays dans le courant mondial pour la préservation de la planète et pense que les intérêts économiques américains seront mieux défendus dans la future sphère des énergies renouvelables et des industries "propres"du futur. Il annonce donc, dès maintenant, qu'il "rejoindra le groupe de travail de Paris de l'accord sur le climat le premier jour d'une administration Biden", puis qu'il "convoquera un sommet des principaux émetteurs de carbone du monde". S'il annonce une volonté de voir les USA arriver à la neutralité carbone en 2050, sa position n'est pas complètement désintéressée dans l'affrontement économique mondial puisqu'il ajoute : "Nous prendrons des mesures énergiques pour que les autres nations ne puissent pas faire moins que ce que font les États-Unis sur le plan économique, car nous respectons nos propres engagements. Il s'agit notamment d'insister pour que la Chine - le plus grand émetteur de carbone - arrête de subventionner les exportations de charbon et d'externaliser la pollution vers d'autres pays en finançant avec des milliards de dollars des projets d'énergie fossile sale par le biais de son initiative des "Routes de la soie".
On peut relier aussi à cette volonté de relancer une politique plus multilatérale l'annonce faite par Jo Biden de reconsidérer la position des USA vis à vis du traité conclu avec l'Iran pour contrôler son programme nucléaire ainsi que la discussion sur le futur traité NEW START avec la Russie. Jo Biden fait le constat que "En matière de non-prolifération et de sécurité nucléaire, les États-Unis ne peuvent pas être une voix crédible quand qu'ils abandonnent les accords qu'ils ont négocié". Cela ne signifie pas un tournant sur le fond des positions des USA sur les grands dossiers du désarmement, de la non-prolifération même si le nouveau Président annonce dans cet article de début 2020 : "je prendrai d'autres mesures pour démontrer notre engagement à réduire le rôle des armes nucléaires. Comme je l'ai déclaré en 2017, je pense que le seul objectif de l'arsenal nucléaire américain devrait être la dissuasion".
Qu'on ne compte pas sur les USA pour signer ou s'associer au processus du TIAN, mais, peut-être, peut-on espérer que le futur représentant américain sera plus ouvert dans les discussions du TNP que l'était par exemple John Bolton dans les années 2000 quand il déclarait que le TNP n'avait que deux et pas trois "piliers" : la non-prolifération et le nucléaire civile, en abandonnant le volet désarmement !
Bref, on peut penser que la diplomatie américaine va retrouver son sérieux et une certaine mesure, y compris avec des diplomates plus expérimentés. Dans cette déclaration au Foreign Affairs, Jo Biden insiste sur le fait qu'il "élèverait la diplomatie au rang de principal outil de la politique étrangère des États-Unis. Je vais réinvestir dans le corps diplomatique, que cette administration a vidé de sa substance, et remettre la diplomatie américaine entre les mains de véritables professionnels". Depuis, les noms annoncés pour son équipe confirment cette volonté de faire appel à l'expérience de politiques rompus au multilatéralisme.
Désormais au poste-clé de secrétaire d'État, Antony Blinken était le numéro deux du département d'État sous le président Barack Obama et l'un des principaux conseillers en diplomatie de Joe Biden. Fervent partisan du multilatéralisme, il devrait s'attaquer en priorité au dossier du nucléaire iranien et au retour des États-Unis dans l'accord de Paris sur le climat. S'il est confirmé par le Sénat, il succédera à Mike Pompeo, le sulfureux chef de la diplomatie de Donald Trump. Linda Thomas-Greenfield deviendra ambassadrice à l'ONU. Diplomate afro-américaine chevronnée de 68 ans, elle a déjà occupé le poste de secrétaire d'État adjointe pour l'Afrique. Enfin l'ancien secrétaire d'État de Barack Obama, John Kerry, sera l'émissaire spécial du président américain sur le climat, signe de l'importance qu'accorde Joe Biden à ce dossier.
Jo Biden a une longue expérience politique et diplomatique, ces déclarations d'intention au début de la campagne électorale ont bien sûr tenu compte des compromis entre les différentes tendances du parti démocrate. Une fois élu, il sera face à la gestion du principe de réalité, nous verrons aussi quel est le rôle et l'influence de sa vice-présidente Kamala Harris. Il sera vite confronté à quelques dossiers chauds, comme par exemple, son positionnement en Israël et au Moyen-Orient après la série de décisions prises par Trump. Dans ce dossier, même s'il ne remettra sans doute pas en question toutes les décisions de Trump, il prendra probablement des gestes d’apaisement tels que la restauration des programmes d’assistance, de coopération sécuritaire et de développement économique en faveur des Palestiniens. L’accession de Joe Biden à la présidence des États-Unis permettra aux Palestiniens de se faire entendre à nouveau. Elle ne garantit pas qu’ils seront écoutés !
Une chose est certaine : le retour à un multilatéralisme élargi à l'échelle mondiale avec la participation de la principale puissance de la planète que sont les USA, offrira des fenêtres d'intervention plus importantes pour les pays qui voudront jouer un rôle diplomatique, des opportunités nouvelles pour la pression des ONG sur de nombreux dossiers : on verra ce qui se passera à propos du climat, à propos du désarmement nucléaire, même si ce sera beaucoup plus compliqué dans ce dernier domaine. Une année 2021 plus "déverrouillée" pour l'intervention des citoyens et citoyennes du monde ? Ce serait au moins une des bonnes nouvelles de ce début d'année !
Le 12 janvier 2021