Le Président de la République, Emmanuel Macron, a confié dans une interview au Journal du Dimanche du 6 mai, sa vision du monde et des relations internationales aujourd'hui.
Trois semaines après les bombardements aériens français controversés en Syrie, dix jours avec sa séance, à la limite du ridicule, de "brolove" avec Donald Trump, il s'est efforcé de démontrer qu'il maîtrisait le cours des événements, qu'il n'était pas à la remorque des États-Unis, que la sécurité de la France était sa priorité et le multilatéralisme toujours sa boussole internationale.
De fait, la plus grande partie de son interview est constituée par la narration de ses relations avec les grands dirigeants du monde, Trump, Poutine, voire Netanyahu, comme si le multilatéralisme consistait seulement à "parler en même temps avec tout le monde". Le Président Macron détaille, non sans une certaine ingénuité, les brillantes combinaisons stratégiques qu'il élabore avec chacun d'eux : ""remaçonner" la stratégie avec Donald Trump en se focalisant sur le politico-militaire et la lutte contre le terrorisme" car "Donald Trump, je le connais bien maintenant". Quant à Poutine, "Je lui dis donc que je sais, qu’il sait que je sais, qu’il n’y a pas de doutes sur l’issue et que je fais ce que le devoir m’impose". Les décisions de Donald Trump de "soulever le couvercle de la boite de Pandore iranienne" (voir mon article du 24 avril dernier) malgré les recommandations d'Emmanuel Macron, son attitude insultante envers les victimes française du Bataclan, montrent le dédain du président US envers le partenaire français.
Sur la nécessité du multilatéralisme, Emmanuel Macron semble avoir oublié ce qu'il déclarait en septembre dernier à la tribune des Nations unies : « le multilatéralisme, c'est la règle du droit, c'est l'égalité entre les peuples, c'est l'égalité de chacune et de chacun d'entre nous, c'est ce qui permet de construire la paix et relever chacun de nos défis ». C'est une définition qui dépasse largement le tête-à-tête entre "Grands", cette vieille conception des relations internationales. Bien qu'il fasse une courte référence au Général de Gaulle au début de son interview, le Président Macron oublie justement cette originalité de la politique de De Gaulle : celle d'être capable de s'appuyer sur l'ensemble des peuples, notamment sur les pays non-alignés, pour desserrer l'étau du tête-à-tête entre puissances, comme il le fit lors de son discours de Pnom-Penh en 1966. C'est cette vision qui avait conduit Jacques Chirac et Dominique de Villepin à s'appuyer sur l'ensemble des nations et sur les opinions publiques en 2003, pour s'opposer aux décisions guerrières de George W. Bush en Irak.
Ce glissement progressif d'Emmanuel Macron vers une surévaluation de ses capacités personnelles, dans le seul relationnel direct avec les Grands, décrédibilise les "quatre priorités" qu'il énonce dans le JDD : "la sécurité, ensuite les valeurs, puis les biens communs à commencer par le climat et enfin la stabilité économique pour favoriser nos intérêts commerciaux". Le renforcement de la construction européenne n'y suffira pas à elle seule,comme il le propose.
Concernant la lutte pour les biens communs dont le climat, la Conférence de Paris, COP21, a montré la nécessité de s'appuyer sur la force des opinions publiques, pour surmonter les réticences et les égoïsmes des grandes puissances.
La recherche de la sécurité pose aujourd'hui, plus que jamais, la nécessité de la relance des efforts diplomatiques pour des objectifs de court terme. Il s'agit de reprendre, avec modestie et persévérance, les discussions avec les trois autres membres permanents du Conseil de sécurité, les Européens, les non-alignés, pour isoler Trump et ses soutiens, Netanyahu et les Saoudiens, afin de maintenir l'accord sur le nucléaire iranien, et de contrer les sanctions économiques futures des États-Unis.
Il faut retravailler sans a priori politique avec tous les acteurs régionaux intéressés, dont la Russie et l'Iran, avec au moins une partie de l'équipe gouvernementale syrienne actuelle, pour aboutir rapidement à une solution politique en Syrie, permettant de diminuer les tensions régionales, même si la France sera handicapée par la faute politique des bombardements illégaux d'avril.
À moyen terme, se pose la question de remettre au premier plan de l'agenda, en lien avec les Nations unies et son Secrétaire général, les différentes négociations pour la démilitarisation des relations internationales. Les chiffres des dépenses militaires publiés, il y a quelques jours, par l'institut suédois du SIPRI (1739 Mds de $ en 2017, avec la montée de l'Arabie saoudite et de l'Inde) sont très inquiétants.
Les dernières discussions à Genève dans le cadre du Traité de non-prolifération nucléaire ont montré l'importance d'aboutir, au plus vite, à la tenue d'une Conférence sur la création d'une zone sans armes de destruction massive (ni nucléaires, ni chimiques, ni biologiques) au Moyen-Orient. Ces discussions ont montré également que les pays nucléaires devaient regarder d'un oeil différent et avec plus d'ouverture, le processus de ratification du Traité d'interdiction des armes nucléaires, faute de voir se creuser un fossé préjudiciable dans la communauté internationale.
Il s'agit là, tant dans le court terme que le moyen terme, d'objectifs sérieux, réalisables au prix d'efforts politiques intenses, loin des paillettes de la communication facile, des combinaisons intellectuelles présomptueuses dont les échecs répétés décrédibiliseraient la diplomatie française.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire