dimanche 18 janvier 2015

CHARLIE et culture de paix

Huit jours après l'attentat contre le journal Charlie Hebdo mercredi 7 janvier et trois journées d’action terroristes qui ont fait 17 morts en France, l'émotion est toujours vive, mais l'espace de débats s'est entrouvert : sur les médias, dans la vie quotidienne, dans les repas de famille ou d'amis.
Pas de nombrilisme ! La violence, l'intolérance et la haine ne touchent pas seulement notre pays. Nous sommes aussi profondément émus par l'attentat suicide épouvantable commis, volontairement ou de manière forcée, par une jeune fille âgée de dix ans à peine, tuant plusieurs personnes sur un marché à Maiduguri, au Nigéria, mais également par les centaines voire plusieurs milliers de morts dans l'attaque meurtrière de l'organisation terroriste Boko Haram dans la ville et la région de Baga, toujours au Nigéria.
La Directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova, a eu raison de déclarer lors d'une journée de réflexion cette semaine qu'il faut aussi renforcer « drastiquement les moyens de l'éducation, du dialogue et de la compréhension entre les cultures et les religions ».
Comme la violence sectaire se propage par des discours de haine, par le mensonge et l’instrumentalisation des religions, il faut, de manière fondamentale, pouvoir y répondre et forger des outils qui permettent aux jeunes de résister à ces manipulations. Cela nous ramène au principe fondateur de l’UNESCO : « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes et des femmes, c’est dans l’esprit des hommes et des femmes que doivent s’élever les défenses de la paix". 
En gardant cette boussole bien présente dans notre réflexion, nous pouvons commencer à faire plusieurs réflexions après le drame que nous avons vécu.
La première est que chacun, simple individu ou responsable politique, homme ou femme de média, doit réfléchir et agir en gardant raison, lucidité et créativité. L'émotion légitime doit être transcendée par la raison et le bon sens.
Oui, il y a besoin d'améliorer la sécurité de nos concitoyens mais il n'existe pas de solutions miracle ! Beaucoup d'experts, de responsables le disent : la panoplie législative est suffisante mais il faut améliorer l'efficacité des mesures de surveillance, de coopérations entre services nationaux, de coopérations entre pays européens, de coopérations à l'échelle internationale. Certaines mesures nécessitent le déploiement despressions politiques et économiques nécessaires sur certains pays : Turquie, monarchies du Golfe.
Certaines mesures de "justice" exceptionnelles (déchéance de nationalité, blocage du retour des djihadistes en France) relèvent plus de la gesticulation et des arrière-pensées politiciennes et démagogiques que de propositions efficaces.
Deuxième réflexion : dans cette période tendue et prompte à toutes les peurs et tous les fantasmes, il convient de passer au crible de la raison certaines fausses évidences.
Est-il raisonnable de vouloir généraliser l'armement des polices municipales ? Indiscutablement, ces fonctionnaires territoriaux ont droit à une protection efficace (gilet pare-balles, armes non-léthales) mais le port d'armes de 4e catégorie, c'est-à-dire le droit de tuer, doit continuer à mon avis à être encadré nationalement et relever de la police nationale et de la gendarmerie.
Est-il raisonnable d'envisager de ré-augmenter les dépenses militaires sous prétexte qu'il devient impossible d'avoir en même temps dix mille hommes sur le terrain dans le cadre du plan Vigie pirate renforcé et dix mille hommes à l'étranger dans les diverses OPEX ou opérations de police internationale ?
Ne faut-il pas questionner l'ampleur de cette présence militaire dans nos gares et autres lieux publics pour lutter contre des menaces terroristes ? Ne relève-t-elle pas d'abord d'une posture (rassurer l'opinion, éviter les critiques politiques de laxisme) plus que d'une réelle efficacité ? Les responsables des attentats ont été neutralisés par des équipes de police ou de gendarmerie spécialisées. La surveillance des lieux publics relève d'une mission de police et de sécurité intérieure : le mélange de plus en plus souvent fait entre sécurité nationale et sécurité intérieure est lourd de dérive.
Troisième réflexion : toute période troublée est propice aux excès de langage et aux postures.
Je m'interroge sur la banalisation de l'emploi et du glissement de sens dans l'utilisation à tout propos du mot "guerre" : guerre contre le terrorisme, mener une guerre acharnée, etc..
Nous luttons énergiquement contre l'intolérance, contre les fanatismes, contre les réseaux terroristes. La guerre est fondamentalement l'affrontement armé entre des états : même contre l'EI ou Daesh, nous menons une opération de police, car mener la guerre contre lui serait lui reconnaître indirectement une qualité d'état que nous refusons..
Ce n'est pas une querelle sémantique d'intellectuel désoeuvré. Nous nous plaignons de vivre actuellement das une société où beaucoup de repères sont flous et manquent, notamment aux adolescents et enfants. Attention à ne pas banaliser la guerre cent ans après la boucherie de 1914-1918 ! Même si beaucoup de jeunes sont assez lucides pour différencier réalité et virtuel, trop d'esprits fragiles sont perdus dans les irréalités virtuelles des jeux vidéos où des monstres tuent allègrement.
Alors, oui, "c’est dans l’esprit des hommes et des femmes que doivent s’élever les défenses de la paix"...
Si nous voulons prolonger l'esprit des rassemblements "Je suis Charlie", ne faut-il pas changer de braquet sur le plan éducatif ?
Comment, en France, mieux soutenir et encourager les programmes officiels d'éducation à la citoyenneté, à la tolérance, à l'antiracisme, développer la formation des éducateurs, dynamiser les foyers d'élèves, les clubs UNESCO et autres ?
Quand le ministère de l'Éducation nationale va-t-il créer une semaine de l'éducation à la culture de la paix et de la non-violence comme le recommande les résolutions des Nations unies sur la culture de paix ?
À l'échelle internationale, ne faut-il pas que les États, et au premier plan la France dont le sol abrite le siège, renforcent les crédits pour les programmes de l'UNESCO, sur la tolérance, la culture de paix, le dialogue des civilisations ?
Cet effort énorme à faire sur le plan des esprits ne s'oppose pas comme je l'ai écrit la semaine dernière aux efforts pour modifier le terrain sur lequel se développent les frustrations et plus tard, les haines.
Il est plus que jamais nécessaire de ré-hausser le niveau des efforts financiers pour atteindre et dépasser les Objectifs du Millénaire pour l'éradication de la pauvreté dans le monde et pour le développement.
Il est urgent de trouver une voie de sortie pour la crise syrienne ( la plus grave crise humanitaire depuis la Seconde guerre mondiale selon l'ONU), par exemple par la tenue d'une  conférence internationale intégrant une forme de représentation du régime syrien actuel et permettant à l'Iran de jouer un rôle diplomatique.
Il est urgent de relancer le processus de paix entre israéliens et palestiniens : Netanyahu et Abbas ont défilé à Paris ensemble. Israël doit accepter l'évacuation des territoires occupés d'ici deux ans et Paris reconnaître unilatéralement la République de Palestine.
Oui, il ne faut pas laisser retomber "l'esprit Charlie" : les divergences d'opinion subsistent mais il faut en surmonter un certain nombre pour répondre aux défis posés aujourd'hui, à moins de vouloir se tirer une balle dans le pied !


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