vendredi 25 mai 2012

Sommet de l'OTAN : la quête de la légitimité (2)

Que se cache--il derrière les déclarations abstraites de l'OTAN sur son "concept stratégique" et sur l'examen de sa "posture générale (...) s'agissant de la dissuasion et de la défense face à l'ensemble des menaces contre l'Alliance" ?
Créée il y a cinquante trois ans, l'Alliance atlantique reste, trente ans après la fin de la Guerre froide et du partage du monde en deux blocs, face à un problème existentiel non-résolu : à quoi sert l'OTAN aujourd'hui dans un monde qui a si largement changé ?
L'OTAN doit reconnaître que les menaces militaires ont quasiment disparu : elle le fait de manière ampoulée : "Bien que la menace d'une attaque conventionnelle contre l'OTAN soit faible" ou "Les conditions dans lesquelles un recours à l’arme nucléaire pourrait être envisagé sont extrêmement improbables". Du coup, elle transforme, comme le font certains stratèges militaires, les "problèmes" du monde qui relèvent soit d'une politique de prévention des conflits, soit de politique de développement, soit d'actions de justice internationale, en "menaces" sécuritaires. On y trouve pêle-mêle : "La mondialisation, les défis de sécurité émergents, comme les cybermenaces, les contraintes majeures en termes d'environnement et de ressources, y compris le risque de perturbation des approvisionnements en énergie, ainsi que l'apparition de nouvelles technologies (...) la piraterie et le terrorisme".
Cet inventaire à la Prévert, cette confusion entre sécurité et défense sur le plan militaire, présentent plusieurs avantages pour les dirigeants de l'Alliance : atténuer les éventuels renâclements de certains partenaires devants les coûts financiers de la "cotisation" OTAN, renâclements de pays comme l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas devant la persistance du stationnement de bombardiers nucléaires sur leur sol : bref, cela aide à "serrer les rangs". Cela fait le bonheur d'une bureaucratie militaire otanienne qui s'est développée et fournit un débouché de carrière prestigieux aux diplomates ou officiers, même provenant de petits pays comme le Danemark (comme le Secrétaire général Rasmussen). Cet élargissement du champ des menaces produit un élargissement géographique des missions possibles de l'OTAN (ex des routes d'approvisionnement en matières premières), y compris largement hors du territoire des états membres.
Mais en même temps, cet élargissement constitue une tentative de contourner une des grandes évolutions du monde de ces dernières décennies : l'encadrement de plus en plus net de l'usage de la force dans le cadre de la Charte des Nations unies et du Conseil de sécurité. En essayant de démontrer une capacité à prendre en compte un éventail très larges de problématiques mondiales, l'OTAN rêve d'être la "boîte à outils" incontournable de l'application des grandes décisions du Conseil de sécurité pour le rétablissement et le maintien de la paix, y compris bien sûr, en manipulant et interprétant de manière extensive les mandats donnés par les résolutions éventuelles de celui-ci. L'exemple de l'Afghanistan et de la Libye sont très clairs à cet égard.
Pour l'Afghanistan, la FIAS (IFAS en anglais) Force internationale d’Assistance et de Sécurité, a été créée le 20 décembre 2001 (résolution 1386 du Conseil de Sécurité de l’ONU) avec un mandat précis : “ aider l’Autorité intérimaire afghane à maintenir la sécurité à Kaboul et dans ses environs, de telle sorte que l’Autorité intérimaire afghane et le personnel des Nations Unies puissent travailler dans un environnement sûr ”. Le 11 août 2003, l’OTAN, qui sort de son cadre géographique, en prend le commandement. En octobre, une nouvelle résolution (1510) en étend le rôle à l’ensemble du pays.  Depuis, l'OTAN a constamment privilégié les options militaires et stratégiques régionales sur les dimensions civiles de reconstruction, éducation et développement, au mépris de la résolution de l'ONU initiale.
Pour la Libye, la résolution 1973 du Conseil de sécurité du 17 mars 2011 instaure une zone d'exclusion aérienne au-dessus du territoire de la Libye et permet de « prendre toutes les mesures jugées nécessaires pour protéger les populations civiles ». À partir du 31 mars 2011, l'ensemble des opérations sont conduites par l'OTAN dans le cadre de l'opération Unified Protector25. Au mépris du mandat initial de l'ONU, l'OTAN conduit une opération militaire, non pas de protection des populations civiles, mais de renversement du régime Kadhafi.
Les dirigeants de l'OTAN espèrent-ils profiter des crises futures et de l'absence pour l'ONU d'autres moyens ou capacité civilo-militaires propres pour devenir le seul recours disponible et en profiter pour mener des politiques très éloignées des mandats initiaux ? La question mérite d'être posée !
Cette éventualité d'engagement otanien "tous azimuts" n'est pas sans soulever des contradictions chez les États-membres. La présidence Obama semble marquer une nette inflexion de la politique étrangère étatsunienne en faveur du "smart-power" (puissance intelligente conciliant les outils du "hard-power" (puissance militaire, économie), et du "soft-power" (diplomatie, culture, capacité d’influence) et devient interrogative sur son implication trop grande dans l'OTAN, à l'efficacité douteuse. Beaucoup d'états-membres rechignent devant des interventions "hors zone" qui sont coûteuses et souhaitent un repli sur les missions strictes de défense des alliés de l'origine de l'alliance.
Dernier obstacle, les efforts pour "relégitimer" l'OTAN se heurtent à une vraie légitimité, celle-ci, en droit international, celle des Nations unies, des normes fixées par leur Charte. Or, même si les insuffisances, l'inefficacité dans le fonctionnement de certaines instances de l'ONU, sont patents, l'évolution de ces dernières décennies s'est faite en faveur de l'amélioration du droit international, de l'augmentation et de l'efficacité grandissante d'un certains nombre de Traités qui ont des conséquences positives, directes ou indirectes, sur la sécurité mondiale : tous témoins d'une place de plus en plus grandissante du "réseau onusien" dans le "tissu" mondial. Alors, où est l'avenir, quelle doit être la place demain des différentes institutions : Nations unies, Union européenne, OTAN ? Ce sont quelques unes des réflexions que devra inévitablement se poser le nouveau président de la République, François Hollande. Nous aborderons ces problématiques dans un prochain article.

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