mardi 8 mai 2012

Vienne 2012 : sortir des raisonnements spécieux (5)

Jeudi 3, vendredi 4 et lundi 7 mai, les discussions au comité préparatoire de la conférence du TNP ont porté sur des sujets plus précis : désarmement nucléaire et assurances de sécurité (chapitre 1), non-prolifération (chapitre 2). Cela a obligé les diplomates à des argumentations plus serrées, ce qui amène à des réflexions de fond sur le traité de non-prolifération nucléaire, ses contradictions internes, son devenir possible.
Les pays nucléaires ont essayé de montrer qu'ils faisaient des efforts en réduisant leurs armes en quantité mais ont continué de justifier la "modernisation" de leurs arsenaux, leurs placements en dehors de leurs territoire (bombes US en Europe) et surtout, continué de justifier leur doctrine de dissuasion nucléaire au nom de leur sécurité. Or si, la possession d'armes nucléaires continue d'être proclamée "essentielle" pour la sécurité de certains pays, comment justifier qu'elle ne l'est pas pour tous les autres, et comment appliquer un traité dont l'article VI vise à l'élimination totale de ces armes si essentielles ? Cette contradiction, à elle seule, mine l'essence même du TNP !
Les pays nucléaires, notamment États-Unis, France, Royaume-Uni, ont tous déclaré que leur doctrine nucléaire était compatible avec le droit international "comme l'a rappelé l'avis consultatif de la Cour internationale de justice du 8 juillet 1996" (France), que "le niveau pour l'utilisation légitime des armes nucléaires" était extrèmement élevé (Royaume-Uni), que "une analyse sérieuse de la légalité d'un hypothétique usage des armes nucléaires devait prendre en compte les circonstances précises de cet usage..." (USA). Ces réactions visent à allumer un "contre-feu" à la déclaration conjointe de 16 pays (*), jeudi dernier, sur les conséquences humanitaires inacceptables des armes nucléaires. Celle-ci faisait écho à une déclaration conjointe de la Croix-Rouge et du Croissant rouge internationaux en novembre dernier. Le fait que la Norvège ait annoncé qu'elle organiserait une Conférence internationale au printemps 2013 sur ce thème a fait monter la pression. La riposte de certains pays nucléaires est donc très défensive et un signe de leurs difficultés politiques.
Une longue déclaration des 5 puissances nucléaires ("P5") a été publiée jeudi. Celle-ci frise le ridicule : elle comporte par exemple, un paragraphe appelant tous les pays concernés à adhérer au Traité d'interdiction des essais nucléaires (TICEN) alors que deux d'entre eux (Chine et USA) ne l'ont toujours pas ratifié ! C'est l'officialisation du double langage !
Certains observateurs (voir NPT News in Review sur http://reachingcriticalwill.org ) notent aussi que ces trois jours de débat posent le problème de la conduite même de la discussion et de l'approche de l'application du traité. L'impression ressort que les "P5" voudraient contrôler le débat à leur manière : valoriser leur conception de la mise en oeuvre des recommandations du plan d'action de la Conférence de 2010, décider de ce qui est acceptable ou non-acceptable dans les sujets soulevés par les pays non-nucléaires et dans leur interprétation des termes du Traité.
Cela a particulièrement été net dans la discussion sur le chapitre sur la non-prolifération. Les P5 veulent des dispositions pointilleuses sur les contrôles exercés par l'AIEA pour vérifier que les pays non-nucléaires ne se livrent pas à des activités prolifératrices mais refusent tout resserrement du contrôle sur leurs activités de "modernisation" d'armes nucléaires, y compris en refusant que soient mis au point des formulaires normalisés précis pour en rendre compte.
La question du respect mutuel des deux composantes des pays signataires du TNP, de leur égal engagement est décisive pour la réussite du processus : c'est ce qui avait fait le succès des discussions en 2010... Il n'y a pas des pays "raisonnables" qui seraient les P5 et une masse de pays "déraisonnables" parmi les pays non-nucléaires. Il faut donc éviter les raisonnements spécieux du genre : "tant qu'il y aura des armes nucléaires, les puissances nucléaires devront les conserver..." car "tant que les puissances nucléaires ne désarmeront et n'élimineront pas, il y aura toujours des arme nucléaires..." !
De nouveaux efforts doivent être accomplis pour surmonter les blocages. Le cycle du TNP 2007-2010 avait vu les avancées sur le projet de Convention d'abolition bousculer des positions... On peut penser que, pendant le cycle 2012-2015, le débat sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires sera susceptible de provoquer de nouvelles avancées en bousculant certaines fausses logiques. Ainsi la conférence annoncée par la Norvège portera sur les raisons et nécessité de l'ÉLIMINATION des armes nucléaires au lieu de porter sur le contrôle, la réduction mais aussi, en fait, la CONSERVATION des armes nucléaires comme c'est le plus souvent le cas. Une sorte de révolution copernicienne....
(*) Afrique du Sud - Autriche - Chili - Costa Rica - Danemark - Égypte - Indonésie  - Irlande - Malaisie - Mexique - Nouvelle-Zélande - Nigéria - Norvège - Philippines - Saint-Siège (Vatican) - Suisse


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