Selon plusieurs observateurs (voir Le Monde du 3/07/2010 ou le le blog de JD Merchet), la baisse de 3,5 Mds d'euros des dépenses militaires français a des conséquences stratégiques, car elle met en cause la loi de programmation militaire 2009-2014, support du Livre blanc de la Défense et de la sécurité nationale, et prévoyant une stabilité en volume du budget de 2009 à 2011, puis son augmentation de 1% à partir de 2012. Un chercheur de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), estime même que « le mouvement actuel est suicidaire », et marque « la fin de toute forme d’Europe de la défense ». Les articles catastrophistes se multiplient cet été sur ce thème et pour avertir que l'Europe resterait un "nain politique" si elle ne stoppait pas cette érosion des dépenses militaires.
Sur le même registre, de l'autre côté de l'Atlantique, les partisans d'une armée américaine forte estiment indispensable de maintenir le rythme actuel du budget de la défense pour faire face à la hausse des dépenses de la Chine, son adversaire le plus probable en cas de grand conflit. Les services de renseignement américains estiment que le budget chinois de la défense s'élèvera à 225 milliards de dollars d'ici à 2025, soit près du triple de son niveau actuel. Notons quand même que d'ici 2025, le budget du Pentagone s'élèverait à 800 milliards de dollars (hors coût des guerres en Irak et en Afghanistan) !
Au travers de ces réactions se développe la campagne de ceux qui refusent de voir les évolutions du monde, un "choeur des pleureuses" relayé par les lobbies de l'armement (Lockheed Martin, Northrop Grumman et Boeing aux USA, Dassault, Thalès en France, par ex.) qui ont tout intérêt à voir tourner la machine à militariser et à dépenser sans compter.
Un deuxième courant d'opinion, qu'on peut qualifier de pragmatique s'exprime pour dire qu'on peut dépenser moins pour des résultats identiques : c'est le cas du général Coppel qui critique l'empilage coûteux de nouveaux programmes nucléaires (M51, Rafale nucléarisé) ou conventionnels (Rafale). Sur le plan européen, dans la même approche, certains estiment que la crise peut être une chance en obligeant les pays du vieux continent à développer des coopérations forcées pour optimiser leurs moyens : ils se félicitent que la France et l'Allemagne viennent de constituer un groupe de travail pour étudier "les sujets pour lesquels nous pouvons aller vers la mise en commun et la mutualisation" afin de réaliser "des gains budgétaires et des économies d'échelle", selon les déclarations du ministre français de la Défense, Hervé Morin. De même, la mise sur pied d'une commission bilatérale dans le même but par Paris et Londres est saluée.
Mais peu de responsables politiques ou de spécialistes abordent un problème de fond : et si la crise économique, ses conséquences sur les relations internationales, étaient l'occasion de remettre à plat les stratégies et analyses des principales puissances ? Des dépenses militaires pour quelles stratégies, dans quel monde et pour quel monde ?
Les États ont peu fait varier leurs analyses des menaces sur la sécurité et des réponses à y apporter depuis la fin de la guerre froide : ils ont plus procédé à un "empilage" en rajoutant de nouvelles menaces (terrorismes, conséquences de la mondialisation) aux précédentes sans chercher à véritablement tenir compte du monde des années 2000.
Les grands pays n'ont pas le courage de reconnaître que nous sommes dans un monde aujourd'hui, où les opérations militaires sont gérées dans le cadre du droit défini par le cadre onusien et le Conseil de sécurité. Les seules notables exceptions sont l'Irak (mais, où, moins de sept ans après l'action illégale de G. Bush, un Président américain, B. Obama, a reconnu de fait qu'il s'agissait d'une erreur voire d'une faute en retirant ses troupes de combat !) et Israël, où un gouvernement, de plus en plus isolé, continue d'ignorer la réprobation internationale.
L'outil militaire s'inscrit quasi exclusivement aujourd'hui dans la participation au opérations onusiennes visant le maintien ou le rétablissement de la paix ! Dans ces opérations, les dimensions de police, de justice, de construction des structures sociales prennent le pas sur les dimensions militaires même si celles-ci demeurent encore souvent nécessaires. Il faut en tirer les conséquences !
Un pays (ou un ensemble géographique comme l'Europe) qui veut tenir compte du monde d'aujourd'hui et jouer un rôle actif n'est donc pas un pays qui cherche à maintenir une puissance classique basée sur la puissance militaire mais un pays capable de mobiliser des coalitions diplomatiques avec un débouché au Conseil de sécurité pour renforcer le droit international et le désarmement (par exemple, faire aboutir vite une Convention d'abolition des armes nucléaires), travailler à renforcer et améliorer l'efficacité des interventions onusiennes (mise à disposition de moyens d'observation et de troupes mobilisables rapidement, mise en place de structures de prévention des crises).
Ces orientations supposent des choix d'armement loin des programmes dispendieux actuels des grands pays. La vieille problématique de la baisse des dépenses d'armement en est renouveléee ! Certes, dans ce cadre, une baisse des dépenses militaires dégagerait aussi des ressources qui pourraient être en partie utilisées, même s'il n'y a pas d'automatisme, à financer des politiques de développent ambitieuses.
Mais aujourd'hui, fondamentalement, la baisse des dépenses militaires devrait être liée à des nouvelles politiques de sécurité visant à diminuer la militarisation des relations internationales qui n'a pas encore suffisamment évoluée malgré la fin de la Guerre froide, il y a vingt ans.
Daniel Durand - 26 août 2010
merci Daniel pour ta contribution
RépondreSupprimerje trouve que dans une certaine mesure obama a fait quelques pas vers le multilateralisme voir lE Monde en juillet
qu'en penses tu ?
au CN
je m'appuierai sur ta contribution pour la mettre en débat ? car c'est une des pistes que nous devons creuser , et pas seulement diminution des dépenses d'armement , mais comment orienter le budget de l Etat pour la Paix