lundi 14 novembre 2022

Emmanuel Macron : des objectifs stratégiques discutables

Le président de la République Emmanuel Macron a présenté le 9 novembre à Toulon les grands objectifs stratégiques de la France en matière de défense (1). Ceux-ci sont contenus dans un document appelé "Revue nationale stratégique 2022" qui va servir à éclairer les orientations prises dans la future Loi de programmation militaire 2024-2030 examinée en mars prochain.
Peu d'annonces concrètes dans ce discours, mais beaucoup de considérations générales agrémentées de formules de "comm" qui deviennent habituelles dans les discours du Président.
Dans son discours, Emmanuel Macron a évoqué la doctrine nucléaire française. Selon lui, la dissuasion nucléaire protège « les intérêts vitaux » de la France, mais "aujourd'hui, plus encore qu'hier, les intérêts vitaux de la France ont une dimension européenne. Nos forces nucléaires contribuent à la sécurité de la France et de l'Europe". « Cela nous préserve de toute agression », a ajouté le chef de l’État bien qu'il ait parlé par ailleurs du "risque de guerre de haute intensité entre États". Comment s'articulent ces deux affirmations ? N'y-a-t-il pas une réelle contradiction entre affirmer d'une part que la dissuasion protège de toute agression et d'autre part que nous sommes exposés à un conflit majeur ? Il y a là un débat à avoir..
Le président Macron a également insisté sur la coopération avec l'OTAN, rappelant que la France a "un fort ancrage atlantique" et que "l'Europe de la défense renforce l'Otan". Il a rappelé d'ailleurs que la "Revue nationale stratégique française" avait été élaborée à la suite de "la Boussole stratégique de l'Union européenne" et après "le concept stratégique nouveau de l'OTAN" au début de 2022.
Dans ce cadre, l'affirmation selon laquelle "La France réaffirme son ambition d'être en 2030 une puissance d'équilibres sur la scène internationale" soulève quelques interrogations : comment être à la fois une "puissance d'équilibre" et une puissance clairement engagée dans l'OTAN ? Là encore, un débat de clarification semble s'imposer.
Une des rares annonces concrètes faites par le Président Macron a été l'annonce de la fin officielle de l’opération Barkhane au Sahel (2). La mission, lancée en 2014, était mobilisée face aux djihadistes liés à Al-Qaida et au groupe État islamique. Ce retrait intervient un peu moins de trois mois après celui des forces françaises au Mali, sur demande du nouveau gouvernement malien et sur un fond d'hostilité grandissante des populations. Emmanuel Macron s'efforce d'atténuer cet échec diplomatique en en rejetant la responsabilité sur des puissances malveillantes (suivez mon regard vers la Chine et la Russie) qui auraient monté la population contre la France. Il reconnaît malgré tout qu'il faut tirer les leçons "des présences de nos forces à l'étranger, parfois vécues comme des contestations de souveraineté par certains ou utilisées par des puissances ennemies dans le champ de la lutte informationnelle". La France, qui entend continuer d'être un "pourvoyeur de sécurité", notion, qui a quand même toujours un certain relent de paternalisme, annonce que "notre engagement aux côtés de nos partenaires en Afrique doit désormais être centré sur une logique de coopération et d'appui à leurs armées", ce qui induit la reconnaissance que cela n'était pas vraiment le cas jusqu'à présent.
Tirant la leçon de ces "guerres hybrides", le Président Macron annonce le renforcement des techniques de communication (ou de propagande ?) : "L'influence sera désormais une fonction stratégique" dans la défense française, et précise également que "nous devrons posséder, d'ici à cinq ans, d'une force de cyberdéfense".
Le Président de la République s'est étendu sur les forces militaires françaises tant classiques que nucléaires, mais sa description du contexte international et de l'environnement de sécurité mondial laisse sur sa faim. Il est très disert sur les "défis du futur" qu'il présente implicitement comme autant de nouvelles menaces. Il a évoqué pêle-mêle le "risque de guerre de haute intensité entre États", les "tensions croissantes en Asie", "l'usage généralisé des drones", "la banalisation des missiles", le développement du "cyber", les "technologies de rupture", le "quantique", "l'intelligence artificielle", "l'hypervélocité" ainsi que "les risques sanitaires comme les risques climatiques".
De mauvaises langues parleraient "d'inventaire à la Prévert" où sont mélangés menaces, potentialités ou défis. Cette énumération se termine par cette phrase sibylline " C'est désormais un monde où, contrairement à hier quand on cherchait la paix par l’interdépendance, on cherche désormais l’indépendance en prévision des guerres". Cela signifie-t-il que le but de l'action publique aujourd'hui n'est pas ou plus de préparer la paix mais clairement de préparer la guerre ?
Si "l'actualisation des menaces" est largement développée, la réflexion sur cet autre volet indispensable de notre sécurité qu'est le renforcement du multilatéralisme, des institutions internationales (le mot Nations unies est même absent du texte !), des accords de désarmement ou de contrôle des armements est complètement court-circuitée. La seule allusion faite est cette réflexion : "Quand la paix reviendra en Ukraine, il nous faudra bâtir une architecture de sécurité nouvelle et un cadre rénové de stabilité et de contrôle des armements, où l'Europe sera autour de la table".
Quelle illusion alors que l'orientation actuelle du conflit vise clairement selon Jo Biden à "punir", c'est-à-dire anéantir l'une des parties, aujourd'hui la Russie ! Si des efforts diplomatiques conséquents ne sont pas déployés aujourd'hui pour enclencher un processus de résolution politique du conflit aboutissant vite à la paix, on ne peut qu'être sceptique sur les possibilités de reconstruire une nouvelle sécurité collective sur ces bases. Rappelons-nous l'échec après 1918 du Traité de Versailles et de la Société des nations (3).
Dans ces conditions, le discours sur les nouvelles menaces et les changements du monde n'aboutirait qu'à justifier le renforcement de la militarisation des relations internationales et à préparer progressivement, dans un premier temps, un affrontement mondial "par procuration" entre les États-Unis et un bloc occidental en voie de reformation (4), d'une part, contre un nouveau "camp du mal" au centre duquel seraient la Russie et surtout la Chine, d'autre part.
Est-ce bien le monde de demain que nous voulons préparer pour nos enfants ?
Daniel Durand - 13 novembre 2022

Président de l'IDRP (Institut de Documentation et de Recherches sur la Paix)

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1 - voir sur https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/11/09/a-toulon-le-president-de-la-republique-presente-la-revue-nationale-strategique
2 - pour une première approche, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Barkhane
3 - voir mon article précédent sur mon blog  : https://culturedepaix.blogspot.com/2022/11/11-novembre-se-souvenir-et-reflechir.html
4 - "Kherson reprise, Kiev entrevoit "une victoire commune" de l'Occident", lire sur Le Dauphiné libéré : https://www.ledauphine.com/defense-guerre-conflit/2022/11/12/kherson-reprise-kiev-entrevoit-une-victoire-commune-de-l-occident






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