lundi 20 avril 2020

COVID-19/SE RÉINVENTER - Nous sommes en guerre ? Alors, préparons la paix de demain ! (III/III)

(See English translation below)

« Nous sommes en guerre » : la posture adoptée par Emmanuel Macron est révélatrice d'une certaine culture : « La pandémie à laquelle nous sommes confrontés exige des mesures plutôt opposées à un temps de guerre » explique l’économiste Maxime Combes dans une tribune de Basta ! le 18 mars dernier. "Les impératifs actuels, au vu de la gravité et de l’ampleur de la situation, appellent à la solidarité et au maintien du lien social plus qu’à de discutables rhétoriques mobilisant des imaginaires de guerre totale ayant transformé le monde en un cimetière entre 1914 et 1945", fait remarquer l'historienne Claire Demoulin dans Libération du 19 mars dernier.
Le premier moment de surprise passée, de nombreuses voix se sont élevées pour critiquer cette posture et dire que, non, l'heure n'est pas à la mobilisation guerrière sauce 1914, mais à la mobilisation citoyenne, à l'appel à la responsabilité de chacun. Cette posture présidentielle, car il s'agissait d'une posture de communication, n'est pas sans conséquence sur la vie démocratique. Les modalités de l'état d'urgence, ses dimensions bureaucratiques et punitives, restreignent la vie démocratique, (bien que les parlementaires aient réussi à imposer un certain contrôle démocratique) et donc freinent le rassemblement des citoyens, notamment chez les jeunes. La vieille culture de guerre malgré les progrès a encore de beaux jours et la promotion d'une culture de paix et de citoyenneté nécessite toujours un débat au quotidien.

On perçoit de plus en plus clairement qu'actuellement nous vivons une nouvelle étape entre deux visions du monde et de la vie : coopérations ou affrontements, culture de guerre ou culture de paix, ce qui se traduit à l'échelle internationale plus plus de multilatéralisme ou plus de souverainisme, donc plus et mieux d'ONU, et non (en schématisant un peu, je le reconnais) plus d'OTAN et plus de conflits.

Aujourd'hui renaît un début de débat sur le multilatéralisme au travers notamment de deux questions :  la caractérisation de la mondialisation et la place de l'OMS (et derrière celle-ci de tous les organismes de l'ONU). Ce débat ne doit pas être biaisé comme l'avait fait Emmanuel Macron dans sa première intervention,  en ne parlant que du rôle du G20 et du G7 (les clubs des "riches" de la planète) et pas de l'ONU.
On devine bien aujourd'hui que, derrière le mauvais procès fait à l'OMS par Donald Trump, se cache l'aiguisement de l'affrontement de puissances, USA contre Chine, débat repris en France par Emmanuel Macron, sur le thème "que cache la Chine ?". Il y a une convergence des puissances occidentales pour empêcher la Chine de gagner en influence dans les pays en développement : ils veulent faire oublier la faiblesse de leur aide et ne supportent pas que la place vide qu'ils laissent soit occupée par une autre puissance, surtout si celle-ci est émergente. Les dirigeants chinois mènent une politique obscure et opaque, peu démocratique, nous ne sommes pas naïfs, mais rien ne peut cacher le fait que si la Chine, dont la population fait 20 fois celle de la France, avait eu un nombre de morts de la même ampleur, elle déplorerait environ 400 000 victimes...

Derrière les nouveautés que revêtent certains aspects de la crise du COVID-19, on voit que perdurent vieilles idées et vieilles conceptions du monde. Oui, il faut inventer, imaginer de nouvelles solutions, mais elles ne peuvent que reposer sur un paradigme, peut-être ancien, mais fondamental : les peuples et l'humain (le "We, the people" de Koffi Annan) doivent être au centre des politiques, ce qui donne une jeunesse renouvelée à ce double concept des années 1990 : la nécessité de construire une sécurité humaine étendue, reposant sur une culture de paix généralisée.

Des solutions nouvelles, "se réinventer" ? Oui, mais est-ce que ce sera pour continuer d'affecter 2% des PIB aux dépenses militaires ou les dirigeants mondiaux vont-ils dès cette année réduire les dépenses militaires de 10 à 15% ? "C'est le moins qu'ils devraient faire maintenant, comme un premier pas vers une nouvelle conscience, une nouvelle civilisation", a fait remarquer Mikhaïl Gorbatchev. Il a raison.
Va-t-on pour se "réinventer" continuer à dépenser des centaines de milliards pour les armes nucléaires alors que les forces de "dissuasion" ont montré leurs limites devant une "simple" pandémie virale ?
Comme le fait remarquer IDN (Iniative pour le désarmement nucléaire) dans sa revue de presse du 17  avril, quasiment toutes les bases nucléaires américaines ainsi qu’au moins quatre porte-avions ont été touchés par le virus – situation qui rappelle celle du Charles-de-Gaulle en France (la moitié de l'équipage contaminé !). Même la pérennité de la fameuse "chaîne de commandement", l’autorité sur le lancement des armes devant éventuellement être déléguée, a pu être temporairement fragilisée comme le montre le cas de Boris Johnson au Royaume-Uni.
Est-ce que "se réinventer" serait un remake de la fameuse formule dans le Guépard écrit par Lampedusa et mis en scène par Fellini : "Il faut que tout change pour que rien ne change "!

Je suis de ceux qui pensent que cette crise doit déboucher d'abord sur un nouveau regard porté sur la priorité à donner aux besoins humains à l'échelle mondiale : la santé, le travail, le revenu décent pour vivre. Et c'est autour de ces préoccupations que doivent se mobiliser les intelligences et les forces sociales et politiques. Je pense également que la réflexion doit être élargie à la construction d'une mondialisation plus solidaire, qui n'oppose pas coopérations inter-étatiques et développements nationaux.

Cela passera forcément par un monde moins militarisé, où les intérêts égoïstes des États seront plus contenus, et où la voix des peuples se ferait plus entendre, ce qui serait une formidable innovation !.
On peut espérer que ce débat pourra émerger dans la seconde partie de l'année 2020 autour du 75e anniversaire de la création des Nations unies, de leur Charte et de l'ensemble des institutions. Il y a besoin d'un débat sur leur réforme et sur un double élargissement : une meilleure représentation des États émergents comme nouveaux membres permanents au Conseil de sécurité, une représentation plus directe des peuples à côté de l'Assemblée générale des États, avec la création d'Assemblée des peuples, une Assemblée parlementaire mondiale ?

Mais je suis convaincu que dès maintenant l'opinion devrait se mobiliser pour quelques grandes décisions simples et novatrices.
Il suffit d'écouter des grandes voix qui se sont élevées dans la cacophonie autour du virus COVID-19 : la première, celle du secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutteres le 23 mars 2020 qui a déclaré : "La furie avec laquelle s’abat le virus montre bien que se faire la guerre est une folie. Mettons un terme au fléau de la guerre et luttons contre la maladie qui ravage notre monde. C’est la raison pour laquelle j’appelle aujourd’hui à un cessez-le-feu immédiat, partout dans le monde".
La seconde est celle du pape François  dans son traditionnel message de Pâques, prononcé le dimanche 12 avril 2020 appelant à l'abolition de la dette pour les pays les plus pauvres et au « courage » d'un « cessez le feu mondial » avec arrêt de la fabrication des armes.
Local et mondial sont liés ! Oui, sachons nous réinventer en tournant le dos aux vieux dogmes du passé, aux logiques d'affrontement, pour travailler lucidement à une vraie "mondialisation heureuse" !

Daniel Durand - 18 avril 2020

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COVID-19/REINVENTER - Are we at war? Then let's prepare for tomorrow's peace! (III/III)

"We are at war": the stance adopted by Emmanuel Macron is indicative of a certain culture: "The pandemic that we are facing requires measures that are rather the opposite of a time of war," explained the economist Maxime Combes in a Basta! tribune on March 18. "The current imperatives, given the gravity and scale of the situation, call for solidarity and the maintenance of social ties more than for debatable rhetoric mobilising imaginaries of total war that transformed the world into a cemetery between 1914 and 1945," notes historian Claire Demoulin in Libération on 19 March last.
Once the first moment of surprise had passed, many voices were raised to criticise this posture and say that, no, this is not the time for warlike mobilisation like in 1914, but for citizen mobilisation, for calling for everyone to take responsibility. This presidential posture, because it was a communication posture, is not without consequences for democratic life. The modalities of the state of emergency, its bureaucratic and punitive dimensions, restricted democratic life, (although parliamentarians succeeded in imposing a certain democratic control) and thus hindered the gathering of citizens, especially young people. The old culture of war, despite progress, still has a long way to go, and the promotion of a culture of peace and citizenship still requires daily debate.

It is becoming increasingly clear that we are currently experiencing a new stage between two visions of the world and of life: cooperation or confrontation, a culture of war or a culture of peace, which at the international level translates into more multilateralism or more sovereignism, and therefore more and better UN, and not (to put it mildly, I admit) more NATO and more conflicts.

Today, the debate on multilateralism has begun anew, notably through two questions: the characterization of globalization and the place of the WHO (and behind it of all UN bodies). This debate must not be biased as Emmanuel Macron did in his first intervention, when he spoke only of the role of the G20 and the G7 (the clubs of the world's "rich") and not of the UN.
We can now guess that behind the bad trial made at the WHO by Donald Trump, hides the sharpening of the confrontation of powers, USA against China, a debate taken up in France by Emmanuel Macron, on the theme "what is China hiding? There is a convergence of Western powers to prevent China from gaining influence in developing countries: they want to make people forget the weakness of their aid and cannot bear to see the empty space they leave occupied by another power, especially if it is an emerging one. The Chinese leaders are pursuing an obscure and opaque policy, not very democratic, we are not naïve, but nothing can hide the fact that if China, whose population is 20 times that of France, had had a death toll on the same scale, it would have suffered around 400,000 victims .

Behind the novelty of certain aspects of the VIDOC-19 crisis, we see that old ideas and old world views persist. Yes, new solutions must be invented and imagined, but they can only be based on a paradigm, perhaps old, but fundamental: peoples and the human being (Koffi Annan's "We, the people") must be at the centre of policies, which gives a renewed youthfulness to this double concept of the 1990s: the need to build a broad human security, based on a generalized culture of peace.

New solutions, "reinventing ourselves"? Yes, but will it be to continue to allocate 2% of GDP to military spending or will world leaders this year cut military spending by 10 to 15%? "This is the least they should do now, as a first step towards a new consciousness, a new civilization," Mikhail Gorbachev pointed out. He is right.
Are we going to "reinvent" ourselves by continuing to spend hundreds of billions on nuclear weapons when the forces of "deterrence" have shown their limits in the face of a "simple" viral pandemic?
As IDN (Iniative for Nuclear Disarmament) points out in its press review of 17 April, almost all American nuclear bases and at least four aircraft carriers have been affected by the virus - a situation reminiscent of that of the Charles-de-Gaulle in France (half the crew contaminated!). Even the continuity of the famous "chain of command", with authority over the launching of weapons possibly having to be delegated, was temporarily weakened, as shown by the case of Boris Johnson in the United Kingdom.

Would "reinventing oneself" be a remake of the famous formula in the Cheetah written by Lampedusa and directed by Fellini: ""Everything must change so that nothing changes"!

I am one of those who believe that this crisis must first lead to a new look at the priority to be given to human needs on a global scale: health, work, a decent income to live on. And it is around these concerns that intelligences and social and political forces must be mobilized. I also think that the reflection must be broadened to include the construction of a more inclusive globalization, which does not pit inter-state cooperation against national development.

This will inevitably involve a less militarized world, where the selfish interests of States will be more contained, and where the voice of the people will be heard more, which would be a formidable innovation!
It is to be hoped that this debate can emerge in the second half of the year 2020 around the 75th anniversary of the creation of the United Nations, its Charter and all its institutions. There is a need for a debate on their reform and on a double enlargement: a better representation of emerging States as new permanent members in the Security Council, a more direct representation of peoples alongside the General Assembly of States, with the creation of an Assembly of Peoples, a World Parliamentary Assembly?

But I am convinced that, from now on, public opinion should be mobilized for a few major, simple and innovative decisions.
Just listen to the great voices that have been raised in the cacophony around the COVID-19 virus: the first, that of UN Secretary-General Antoinio Gutteres on 23 March 2020, who said: "The fury with which the virus is being struck shows that making war on each other is madness. Let us put an end to the scourge of war and fight against the disease that is ravaging our world. That is why I am calling today for an immediate ceasefire throughout the world".
The second is that of Pope Francis in his traditional Easter message, delivered on Sunday 12 April 2020, calling for the abolition of debt for the poorest countries and for the "courage" of a "global ceasefire" with a halt to the manufacture of arms.
Local and global are linked! Yes, let us reinvent ourselves by turning our backs on the old dogmas of the past, on the logics of confrontation, to work lucidly towards a true "happy globalisation"!

Daniel Durand - 18 April 2020

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