samedi 18 avril 2020

COVID-19/SE RÉINVENTER - situation nouvelle, causes anciennes ? (I/III)

(See English translation below)
La crise sanitaire du COVID-19 fera sans doute date dans l'histoire des siècles modernes, non par le nombre de victimes (150 000 mi-avril) assez éloigné de catastrophes récentes comme le HIV et ses 32 millions de morts depuis 1981, la grippe asiatique en 1957-58 avec 1,1 million de morts, la grippe espagnole en 1918-1919 avec 50 millions de morts, mais par des caractéristiques complètement nouvelles. La contagion a été ultra-rapide, accélérée par la mondialisation croissante des échanges, l'émotion à juste titre dans l'opinion à l'échelle planétaire a été grande, avec la résonance donnée par les réseaux sociaux, l'ampleur des décisions de protection des populations et de mise en veilleuse de l'économie a été inédite. Les sommes annoncées pour soutenir l'activité par les principales puissances sont colossales : un plan de soutien de 540 Mds d'euros décidé par l'Union européenne, 100 Mds par la France, 1100 Mds d'euros en Allemagne, 2 000 Mds d'euros aux USA, tout cela dans des pays d'économie libérale, réticents aux interventions de l'État.

Ces dimensions exceptionnelles donnent lieu à des commentaires souvent très emphatiques sur le mode "plus rien ne sera comme avant", "un changement de monde".. Oui, peut-être, mais comme les mesures financières annoncées ne semblent pas être conditionnées particulièrement à des nouveaux critères de développement, liés par exemple à la transition énergétique ou aux priorités sociétales, il n'est pas sûr qu'on n'assiste pas à une simple tentative de reconstruction du système  "à l'identique"...
Je suis également un peu dubitatif en voyant se multiplier sur tout l'arc politique et idéologique des déclarations, la main sur le coeur, affirmant, "il faut innover", foin des vieilles recettes, inventons des solutions nouvelles face à ces défis nouveaux. Nous avons même entendu le Président de la République déclarer "il faudra se réinventer, moi le premier", diantre ! Je suis généralement partant lorsqu'il s'agit d'examiner ou de mettre en oeuvre des idées neuves, mais à condition qu'elles reposent sur des fondations sérieuses.
C'est pourquoi je pense que cette énorme crise sanitaire aux dimensions politiques, économiques, sociales, sociétales, souvent inédites mérite de prendre du recul pour en examiner les origines et le contexte de son développement.
Que constate-t-on d'abord sur le plan de la pandémie et de son développement ? Surprenant, inattendu ? Oui, pour une part mais nous découvrons jour après après jour que les signaux d'alerte existaient depuis assez longtemps.
En 2007 déjà, des chercheurs de Hong Kong tiraient la sonnette d’alarme dans Clinical Microbiology Reviews. Que disaient-ils ? «La présence d’un large réservoir de virus de type SARS-CoV chez les chauves-souris rhinolophes, combinée à une culture de consommation de mammifères exotiques dans le sud de la Chine, est une bombe à retardement».
De nombreux chercheurs, historiens, politiques ont mis en cause la destruction de la biodiversité liée à une mondialisation mue par la rentabilité financière, le développement d'une agriculture productiviste mondialisée, l'interdépendance économique et industrielle non maîtrisée. Le but de cet article n'est pas d'aborder ces aspects aussi je m'en tiendrai à l'analyse de certains choix de société effectués depuis 30 ans.
D'un point de vue géostratégique, la question du risque des pandémies est traité dans un rapport d'information de la CIA, écrit en 2005, traduit et publié en France en 2008 (Le nouveau rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2025 ? Alexandre Adler - Robert Lafond).
On peut y lire : "L'apparition d'une nouvelle maladie respiratoire humaine virulente, extrêmement contagieuse, pour laquelle il n'existe pas de traitement adéquat, pourrait déclencher une pandémie mondiale. Si une telle maladie apparaît d'ici 2025, des tensions et des conflits internes ou trans-frontaliers ne manqueront pas d'éclater.[..] Si une maladie pandémique se déclare, ce sera sans doute dans une zone à forte densité de population, de grande proximité entre humains et animaux, comme il en existe en Chine et dans le Sud-Est asiatique".
En 2017, dans "la Revue stratégique de défense et sécurité nationale" , qui a servi à préparer en 2018 la Loi de Programmation militaire, il y a un chapitre dans lequel est écrit : "Risques sanitaires - L’accroissement de la mobilité de la population favorise l’extension des aires de diffusion de certaines maladies, ainsi que la propagation rapide et à grande échelle de virus à l’origine d’épidémies diverses (syndrome respiratoire aigu sévère – SRAS). Le service de santé des armées et ses capacités de recherche sont ainsi régulièrement mobilisés pour faire face à ce type de situation. [..] Le risque d’émergence d’un nouveau virus franchissant la barrière des espèces ou échappant à un laboratoire de confinement est réel".
Or ce qui fait problème, c'est de constater quelles réponses ont été apportées à ce risque identifié ? Sans caricaturer outre-mesure, l'épine dorsale de la sécurité de la France telle qu'elle a encore été décidée est essentiellement celle-ci : "Face aux menaces décrites précédemment, la France doit maintenir sur le long terme une dissuasion nucléaire reposant sur deux composantes complémentaires, et relever simultanément quatre défis majeurs.[..] Le premier est celui de la protection du territoire national,[..] Le deuxième défi est celui de la capacité à répondre à une crise dans notre voisinage, ayant aussi un impact direct sur le territoire national. La combinaison des risques peut ainsi conduire nos forces à intervenir, éventuellement seules, dans un conflit à forte dimension humanitaire et migratoire". Toutes les réponses envisagées sont d'ordre militaire, alors qu'on évoque de nouveaux risques sociaux : pandémies, migrations, risques climatiques, AUCUN de ces risques n'est pris en compte dans la détermination du concept de sécurité, censé être développé dans la Loi de programmation militaire.
Mieux ou pire, le service de santé des Armées a été mis au régime sec. Déjà en 2000,  l'établissement du Giat, à Rennes, qui fabriquaient des abris techniques mobiles (les « shelters", c'est à dire des hôpitaux de campagne) avait été démantelé. Notons qu'il a fallu 10 jours à l'armée pour installer à Mulhouse un hôpital militaire de campagne de 30 lits alors qu'à Londres,  un hôpital de campagne de 4 000 lits a été construit en une semaine...

Cela doit faire réfléchir à certaines orientations prises ces dernières décennies en France, mais aussi de manière générale dans une grande partie du monde : les dépenses militaires ont été privilégiées dans le monde depuis 2000. Dans le débat politique, elles ont été présentées comme une "assurance-vie", des "investissements" à "sanctuariser", par contre, les dépenses de santé ou de protection sociale ont été elles montrées comme un "coût" à contenir : il faut "boucher le trou de la Sécu", mettre fin aux "gaspillages des hôpitaux", combler le déficit des retraites.
Exagération ? Je vais m'expliquer.
À suivre :  COVID-19/SE RÉINVENTER : l'aveuglement de l'après-Guerre froide (II/III)
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ENGLISH TRANSLATION

 COVID-19/SE RÉINVENTER - new situation, old causes? (I/III)
The COVID-19 health crisis will undoubtedly be a milestone in the history of modern centuries, not by the number of victims (150,000 in mid-April) far removed from recent disasters such as HIV and its 32 million deaths since 1981, the Asian flu in 1957-58 with 1.1 million deaths, the Spanish flu in 1918-1919 with 50 million deaths, but by completely new characteristics. The contagion has been ultra-rapid, accelerated by the increasing globalisation of trade, the emotion rightly felt in public opinion worldwide has been great, with the resonance given by social networks, the scale of the decisions to protect populations and to put the economy on the back burner has been unprecedented. The sums announced by the major powers to support activity are colossal: a support plan of EUR 540 billion decided by the European Union, EUR 100 billion by France, EUR 1 100 billion in Germany, EUR 2 000 billion in the USA, all in countries with a liberal economy, reluctant to state intervention.

These exceptional dimensions give rise to comments that are often very emphatic about "nothing will ever be the same again", "a change of world"... Yes, perhaps, but as the financial measures announced do not seem to be particularly conditioned to new development criteria, linked for example to energy transition or societal priorities, it is not certain that we are not witnessing a simple attempt to rebuild the system "as it was before"...
I am also a little sceptical when I see the number of declarations multiplying across the political and ideological arc, with their hands on their hearts, saying, "we must innovate", hiding behind old recipes, let us invent new solutions in the face of these new challenges. We have even heard the President of the Republic declare "we will have to reinvent ourselves, I am the first", for God's sake! I am generally in favour of examining or implementing new ideas, but only if they are based on serious foundations.
That is why I think that this enormous health crisis, with its political, economic, social and societal dimensions, which are often unprecedented, deserves to take a step back to examine its origins and the context of its development.
What is the first thing we see in terms of the pandemic and its development? Surprising, unexpected? Yes, in part, but we are discovering day after day that the warning signals have existed for quite some time.
Already in 2007, researchers in Hong Kong were sounding the alarm in Clinical Microbiology Reviews. What did they say: "The presence of a large reservoir of SARS-CoV viruses in fruit bats, combined with a consumption culture of exotic mammals in southern China, is a ticking time bomb.
Many researchers, historians and politicians have questioned the destruction of biodiversity linked to a globalization driven by financial profitability, the development of a globalized production-oriented agriculture and uncontrolled economic and industrial interdependence. The purpose of this article is not to address these aspects, so I will limit myself to an analysis of certain social choices made over the past 30 years.
From a geostrategic point of view, the question of the risk of pandemics is dealt with in a CIA information report, written in 2005, translated and published in France in 2008 (Le nouveau rapport de la CIA : Comment sera le monde en 2025 ? Alexandre Adler - Robert Lafond).
It states: "The emergence of a new virulent, highly contagious human respiratory disease, for which there is no adequate treatment, could trigger a global pandemic. If such a disease emerges by 2025, internal or cross-border tensions and conflicts will inevitably erupt [...] If a pandemic disease occurs, it is likely to be in an area of high population density and close proximity between humans and animals, such as exists in China and South-East Asia".
In 2017, in the "Strategic Review of Defence and National Security", which was used to prepare the 2018 Military Planning Act, there is a chapter in which it is written: "Health risks - The increased mobility of the population favours the extension of the areas of spread of certain diseases, as well as the rapid and large-scale spread of viruses that cause various epidemics (Severe Acute Respiratory Syndrome - SARS). The armed forces health service and its research capabilities are therefore regularly mobilised to deal with this type of situation. The risk of a new virus emerging that crosses the species barrier or escapes from a containment laboratory is real".
The problem is, however, to see what responses have been made to this identified risk? Without oversimplifying, the backbone of France's security as it has yet been decided is essentially this: "Faced with the threats described above, France must maintain a nuclear deterrent based on two complementary components over the long term, and simultaneously take up four major challenges... The first is that of protecting the national territory... The second challenge is that of the capacity to respond to a crisis in our neighbourhood, which also has a direct impact on the national territory. The combination of risks can thus lead our forces to intervene, possibly alone, in a conflict with a strong humanitarian and migratory dimension". All the responses envisaged are of a military nature, while new social risks are mentioned: pandemics, migration, climatic risks. None of these risks are taken into account in the determination of the concept of security, which is supposed to be developed in the Military Planning Law.
Better or worse, the Armed Forces Health Service has been put on a dry diet. Already in 2000, the Giat establishment in Rennes, which manufactured mobile technical shelters ("shelters", i.e. field hospitals) had been dismantled. It should be noted that it took the army 10 days to set up a 30-bed military field hospital in Mulhouse, while in London, a 4,000-bed field hospital was built in one week .
This should make us reflect on some of the directions taken in recent decades in France, but also in a general way in a large part of the world: military spending has been favoured in the world since 2000. In the political debate, they have been presented as "life insurance", "investments" to be "sanctified", on the other hand, spending on health or social protection has been shown as a "cost" to be contained: we must "plug the hole in the social security system", put an end to "hospital wastage" and make up the pension deficit.
Exaggeration? Let me explain.
Next: COVID-19/REINVENTING: the post-Cold War blindness (II/III)

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