jeudi 14 novembre 2019

Faut-il penser "l'après-OTAN" dès maintenant ? - Should we think about the "post-NATO" period now?

(English version at the end)
Le président Emmanuel Macron a lancé un pavé dans la mare politique européenne.
Qu'en penser sur le fond ? Quelle signification ? Quelles conclusions en tirer en termes de géostratégie ? Quelles enseignements en dégager pour ceux qui souhaitent construire une nouvelle politique étrangère de la France ?

"Mort cérébrale de l'OTAN", la formule est choisie pour faire le buzz et faire mouche. Le constat lui-même n'est pas vraiment original et ne surprend que ceux qui le voulaient bien, et préféraient continuer à crier au "loup-garou" OTAN pour critiquer Macron, accusé de "vouloir sauver le soldat OTAN". J'écrivais d'ailleurs sur mon blog, en parlant de l'OTAN, il y a quinze jours, "l'avenir de cette vieille organisation de la Guerre froide est de plus en plus contesté". Enfin, les Cahiers de l'IDRP, que j'ai le plaisir d'animer, ne publiaient-ils pas aussi en février dernier un article du spécialiste Olivier Kempf, intitulé "Des fins de l'Alliance à la fin de l'alliance ?".

En fait, la déclaration d'Emmanuel Macron est en cohérence avec ses déclarations  précédentes sur la nécessité d'une Europe puissance, car le désintérêt américain pour la relation transatlantique lui semble inéluctable, d'Obama à Trump.
Le président de la République prend acte finalement, sur le fond, de la crise de légitimité profonde qui mine l'Alliance atlantique. Il le reconnaît crûment : "L’OTAN a été pensé comme ayant un ennemi : le Pacte de Varsovie. En 90, nous n’avons pas du tout réévalué ce projet géopolitique à l’aune de la disparition de l’ennemi initial".
Depuis trente ans, l'OTAN court après une nouvelle justification de son existence. Certains ont espéré en faire un bras armé de l'ONU, imposant la démocratie au-delà même de sa sphère initiale d'intervention, mais, en réalité, en agissant pour leurs intérêts propres. Or, aujourd'hui, les États-Unis estiment pouvoir se passer d'un outil finalement encombrant. Comme l'écrit le spécialiste Loîc Tassé, dans le Journal de Montréal : "les États-Unis ne veulent plus que les Européens utilisent l’OTAN pour interférer dans les affaires du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Les Américains disposent eux-mêmes pour cela d’un commandement militaire distinct, l’US Central Command. Les opérations passées de l’OTAN en Afghanistan et en Irak seraient ainsi, aux yeux des Américains, des exceptions".
La crise otanienne est d'autant plus aiguë que tous les conflits depuis l'an 2000 où des solutions militaires et non politiques ont été appliquées, sont dans l'impasse : Afghanistan, Irak, Lybie, Syrie, la liste est éclairante.
La "menace russe" ne convainct que ceux qui veulent être convaincus : la puissance russe d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celle de l'Union soviétique des années 70, même si elle reste importante. Seuls quelques "porteurs d'eau", en quête de notoriété militaire, comme les généraux danois ou norvégiens tiennent à entretenir cette fiction pour justifier leur présence dans des sphères de commandement. Quant à "l'épouvantail russe" brandi par les chancelleries à l'Est, cela laisse dubitatif pour apprécier la part de réalité et la part de prétexte pour pour obtenir des soutiens matériels et financiers.
Ce n'est donc pas une hérésie de penser que le sens de l"histoire va vers la disparition de l'OTAN, comme pour toutes les alliances ou coalitions militaires du passé, lorsque le contexte initial de leur création est devenu obsolète.
La question est donc aujourd'hui : comment ? et quand ?Selon Emmanuel Macron, la solution pour l'Europe, "c’est de retrouver la souveraineté militaire" et de construire l’Europe de la défense – une Europe qui doit se doter d’une autonomie stratégique et capacitaire sur le plan militaire. C'est une impasse, car c'est vouloir répéter à un niveau un peu différent, les illusions d'un monde multipolaire, qui ne serait jamais une construction en équilibre, mais toujours en quête d'alliances et d'affrontements comme nous l'avons connu avant 1914.
Il faut avoir le courage d'affirmer que la stabilité mondiale et les grands équilibres, qu'ils soient militaires, économiques, ne peuvent se construire que dans un multilatéralisme mondial étendu, au sein des Nations unies, privilégiant le dialogue politique et l'approche positive des conflits. L'utilisation de la force ne pouvant qu'être exceptionnelle, dans le cadre de la protection de la communauté. Les questions de sécurité sur tous les continents gagneraient à être traitées à l'échelon régionale : la création de l'Union africaine n'a pas résolu tous les problèmes de sécurité du continent mais a aidé à leur prise en compte. le travail pour créer une "nouvelle architecture de sécurité", englobant la Russie, à l'échelle européenne comme le proposent le président Macron mais aussi d'autres personnalités pourrait être un vrai progrès pour la sécurité globale, bien mieux qu'une alliance militaire.
Certes, dans ce cadre multilatéral, l'UE pourrait jouer un rôle, non de "puissance d'équilibre", mais de "puissance tranquille" fournissant à l'ONU des outils tant militaires (transports de troupes, satellites d'observation, système de guidage, technologies de cyber-défense) que politiques (expérience de résolution de conflits, de consolidation de la paix).
Cela ne demanderait pas moins d'engagement politique, pour s'imposer (voir les efforts diplomatiques énormes nécessaires pour construire l'accord avec l'Iran) ou pour ne pas rééditer l'expérience de l'aéroport de Gaza, financé par l'UE, détruit par Israël, sans aucune représailles européennes !
Effort politique considérable, comme je l'ai déjà développé dans des billets précédents, à mener pour que la France et l'Europe soit en pointe pour la démilitarisation des relations internationales (interdiction de l'arme nucléaires), contrôle drastique des ventes d'armes.
Les buts de M. Macron ne sont pas angéliques et réflètent toujours de vieilles conceptions de pouvoir mais il n'empêche aujourd'hui qu'une brêche sémantique s'est ouverte avec ces dernières déclarations publiques d'Emmanuel Macron.
Alors maintenant que faire ?
Certes, il faut continuer à critiquer l'OTAN, ses dépenses militaires, ses manœuvres mais faut-il s'en contenter ? Ou ne faut-il pas s'engouffrer dans le débat qui vient de s'ouvrir, pour faire grandir l'idée d'un "monde sans OTAN" ? D'argumenter et travailler aujourd'hui, pour montrer combien, ce "monde sans OTAN" serait un monde aussi sûr et même plus que maintenant, car moins militarisé, plus interdépendant, plus "humanisé" donc ! De travailler concrètement à une autre politique étrangère pour notre pays.
Si nous ne le faisons pas, le débat entrouvert sera, soit utilisé par des dirigeants comme Emmanuel Macron qui le conduiront dans une impasse, soit vite refermé par tous ceux qui finalement se complaisent dans les carcans hérités de la guerre froide !

ENGLISH TRANSLATION BELOW

 Should we think about the "post-NATO" period now?President Emmanuel Macron has thrown a paving stone into the European political pond.
What about the substance? What does that mean? What conclusions can be drawn from this in terms of geostrategy? What lessons can be learned for those who wish to build a new French foreign policy?

"NATO Brain Death", the formula is chosen to create a buzz and hit the nail on the head. The statement itself is not really original and only surprises those who wanted to, and preferred to continue to cry out to the NATO "werewolf" to criticize Macron, accused of "wanting to save the NATO soldier". I was writing on my blog a fortnight ago about NATO: "The future of this old Cold War organization is increasingly being challenged". Finally, didn't the IDRP Papers, which I have the pleasure of leading, also publish an article by specialist Olivier Kempf last February, entitled "From the end of the Alliance to the end of the alliance?

In fact, Emmanuel Macron's statement is in line with his previous statements on the need for a powerful Europe, because the American disinterest in the transatlantic relationship seems inevitable to him, from Obama to Trump.
Finally, the President of the Republic takes note, in substance, of the crisis of deep legitimacy that is undermining the Atlantic Alliance. He bluntly acknowledges it: "NATO was thought to have an enemy: the Warsaw Pact. In 1990, we did not reassess this geopolitical project at all in the light of the disappearance of the initial enemy.
For thirty years, NATO has been chasing after a new justification for its existence. Some have hoped to make it an armed arm of the United Nations, imposing democracy even beyond its initial sphere of intervention, but in reality acting in their own interests. Today, however, the United States believes that it can do without a tool that is ultimately cumbersome. As specialist Loîc Tassé writes in the Journal de Montréal: "The United States no longer wants Europeans to use NATO to interfere in the affairs of the Middle East and Central Asia. The Americans themselves have a separate military command for this purpose, the US Central Command. NATO's past operations in Afghanistan and Iraq would thus be exceptions in the eyes of the Americans.
The crisis in NATO is all the more acute as all the conflicts since 2000, where military and non-political solutions have been applied, have reached an impasse: Afghanistan, Iraq, Libya, Syria, the list is illuminating.
The "Russian threat" only convinces those who want to be convinced: today's Russian power has nothing to do with that of the Soviet Union in the 1970s, even if it remains important. Only a few "water carriers", in search of military notoriety, such as Danish or Norwegian generals, want to maintain this fiction to justify their presence in command spheres. As for the "Russian scarecrow" brandished by the chancelleries in the East, this leaves doubtful to appreciate the part of reality and the part of pretext for obtaining material and financial support.
It is therefore not a heresy to think that the meaning of history is heading towards the disappearance of NATO, as it was for all military alliances or coalitions in the past, when the initial context for their creation became obsolete.
The question today is therefore: how? and when? according to Emmanuel Macron, the solution for Europe is "to regain military sovereignty" and build an European defence system - a Europe that must acquire strategic and capability autonomy in the military field. It is a dead end, because it means wanting to repeat at a slightly different level, the illusions of a multipolar world, which would never be a balanced construction, but always in search of alliances and confrontations as we knew it before 1914.
We must have the courage to assert that global stability and the major balances, whether military or economic, can only be achieved through extensive global multilateralism within the United Nations, focusing on political dialogue and a positive approach to conflict. The use of force can only be exceptional, in the context of community protection. Security issues on all continents would benefit from being addressed at the regional level: the creation of the African Union has not solved all the continent's security problems but has helped to take them into account. The work to create a "new security architecture", including Russia, at the European level as proposed by President Macron but also by other personalities could be a real step forward for global security, much better than a military alliance.
Admittedly, in this multilateral framework, the EU could play a role, not as a "balancing power", but as a "quiet power" providing the UN with both military tools (troop transports, observation satellites, guidance systems, cyber defence technologies) and political tools (experience in conflict resolution, peacebuilding).
This would not require less political commitment, to impose itself (see the enormous diplomatic efforts needed to build the agreement with Iran) or not to repeat the experience of the Gaza airport, financed by the EU, destroyed by Israel, without any European reprisals!
A considerable political effort, as I have already developed in previous articles, to be made so that France and Europe are in the forefront of demilitarisation of international relations (ban on nuclear weapons, drastic control of arms sales).
Mr. Macron's goals are not angelic and still reflect old conceptions of power, but today a semantic breach has opened with these latest public statements by Emmanuel Macron.
So now what do we do?
Admittedly, we must continue to criticise NATO, its military spending and manoeuvres, but must we be satisfied with that? Or should we not rush into the debate that has just begun, to promote the idea of a "world without NATO"? To argue and work today, to show how much this "world without NATO" would be as safe and even more so than now, because it would be less militarized, more interdependent, more "humanized"! To work concretely on another foreign policy for our country.
If we do not, the half-opened debate will either be used by leaders like Emmanuel Macron who will lead it into a deadlock, or quickly closed by all those who finally take pleasure in the shackles inherited from the Cold War!


30/11/2019
Director of the Institute for Documentation and Research on Peace (IDRP)
https://culturedepaix.blogspot.com
Translated with www.DeepL.com/Translator (free version)

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