La dissuasion nucléaire est un concept né pendant la guerre froide, lors de l'affrontement entre les "deux blocs" d'états antagonistes : ceux de l'ouest emmenés par les USA et ceux de l'est emmenés par l'URSS.
Elle reposait sur le schéma qu'entre deux puissances structurées et supposées "raisonnables", le sentiment de conservation et les intérêts de l'État empêchaient ceux-ci d'accepter une "destruction mutuelle assurée". Seule pendant la période maoïste, la Chine populaire sembla risquer d'échapper à ce schéma mental, lorsque certains dirigeants chinois assurèrent que, grâce à ses 600 millions d'habitants, elle pourrait toujours survivre à un holocauste nucléaire.
Ce concept a apparemment fonctionné et recueilli un quasi-consensus politique jusqu'en 1989 et la fin de la guerre froide.
45 ans sans guerre mondiale : "grâce à la dissuasion" dirent ses partisans, "malgré l'épée de Damoclès nucléaire", objectèrent les adversaires de la dissuasion. Il est vrai que pendant cette période, à plusieurs reprises, des incidents graves (fausses alertes d'attaques nucléaires), des tensions diplomatiques (crise des missiles de Cuba en 1962) faillirent provoquer l'embrasement.
Après la chute du mur de Berlin en 1989, une nouvelle période des relations internationales commença à prendre forme. En 1995, le TNP (Traité de non-prolifération des armes nucléaires), entré en vigueur en 1970, fut prorogé "indéfiniment".
Cette décision était extrêmement positive puisqu'elle impliquait un engagement de la communauté internationale à stopper l'extension du nombre des puissances nucléaires et qu'elle impliquait des efforts de la part des pays nucléaires pour aller vers le désarmement nucléaire. Très vite, un aspect pervers de cette prorogation indéfinie se fit jour : elle fut interprétée de fait comme un gel d'une situation inégalitaire entre États "dotés" (de l'arme nucléaire) et États "non-dotés". Dès lors, des puissances régionales comme l'Inde et le Pakistan lancèrent leur programme nucléaire, d'autres pays furent tentés par la possession d'armes nucléaires comme "protection ultime" après les interventions internationales contre l'Irak, la Serbie, etc... D'autant plus, que la communauté internationale, après l'arrestation du scientifique Vanunu en Israël apprit de manière claire que des puissances occidentales, dont la France, avaient aidé l'État hébreu à mettre sur pied un arsenal nucléaire.
Au tournant des années 2000, il est devenu évident aux yeux d'une partie importante de la communauté internationale : États non-nucléaires, ONGs que la rhétorique de la "dissuasion nucléaire" était devenue obsolète.
Elle reposait sur la notion d'États forts et stables : le mythe implosa après 1989. La désintégration de l'URSS après 1992 laissa quatre États en possession d'armes nucléaires : Russie, Ukraine, Bélarus et Kazakhstan. Il fallut des prouesses diplomatiques pour que le stock d'armes nucléaires soit regroupé sous contrôle dans la seule Russie. Au début des années 2000, l'extension du fanatisme taliban en Afghanistan et au Pakistan a pu laisser craindre que le contrôle de la centaine de missiles et d'ogives nucléaires pakistanais passe aux mains des sympathisants d'Oussama Ben Laden.
Aujourd'hui, les rumeurs et déclarations autour d'un possible achat d'armes nucléaires par les terroristes de Daesh, donc de gens fort éloignés de la notion de "raisonnables", au même Pakistan, même s'il s'agit essentiellement d'une intox médiatique, montrent que l'existence même d'armes nucléaires est un danger partout. Aucune nation nucléaire n'est à l'abri d'une destabilisation ou d'un "docteur Folamour". Quelle serait la base théorique d'une dissuasion française avec Marine Le Pen à la présidence de la République ?
La possession des armes nucléaires devient essentiellement un enjeu de représentation de puissance que les "possédants" cherchent à garder à tout prix en multipliant les opérations de communication ou de brouillage idéologique.
De fait, la réalité mondiale aujourd'hui des armes nucléaires est la suivante : les armes nucléaires restent la seule catégorie d'armes de destruction massive à ne pas relever d'un traité de désarmement et d'un régime juridique d'interdiction.
La notion de "dissuasion" est devenu obsolète comme nous l'avons vu, celle-ci ne sert en fait qu"à "légitimer" la possession d'une arme de destruction massive à l'encontre de toutes les pratiques reconnues par le droit international du désarmement et le droit humanitaire, visant à protéger les populations civiles.
La protection invoquée "d'intérêts vitaux" par les puissances nucléaires ne tient plus, car pourquoi un pays aurait-il le droit de protéger ses "intérêts vitaux" par l'arme nucléaire et pas un autre pays ?
C'est ce vide juridique et cette anomalie dans le droit international face à la nécessaire protection des populations en cas de déflagration nucléaire qui est pointé par les 107 pays qui soutiennent "l'engagement humanitaire" initié par l'Autriche.
Le processus d'interdiction de l'arme nucléaire, s'il est lancé effectivement cette année, en août, à Hiroshima, permettra certainement de poser le débat sur l'obsolescence du concept de dissuasion nucléaire d'une manière nouvelle. Il devra s'accompagner d'une réflexion approfondie sur les conditions renforcées de la sécurité commune et de la "dissuasion partagée".
Ce serait un bouleversement des approches classiques du désarmement nucléaire.
La rencontre avec la population est toujours profondément intéressante en ce sens qu’elle permet de mesurer l’état des mentalités, mais aussi leur évolution et qu’elle interroge chacun sur ses idées, ses argumentations.
RépondreSupprimerIl est courant que les gens nous disent « vous êtes utopistes. De toute façon tout le monde a des armes. Les autres ont l’arme atomique, il faut que nous l’ayons aussi. Vos idées sont généreuses et vous honorent mais vous n’arriverez jamais à les faire prendre en compte au plan politique ». Ainsi, si nous n’y prenons garde nous sommes sommés de justifier notre position qui est perçue comme une opinion personnelle qui demande à être validée alors que nous défendons la règle prônée par le droit international qui a déjà validé les idées et propositions des pacifistes.
Ainsi, dans les débats sur l’arme atomique, en se positionnant sur le fait que le droit international a déjà réglé la question en posant le principe de l’illégalité des armes de destruction massive nous nous mettons dans un rapport totalement différent avec un nos interlocuteurs qui ne peuvent nous reprocher d’être sur un positionnement idéologique voir partisan.
C’est pourquoi, en matière de désarmement nucléaire, il est nécessaire de souligner avec force que nous portons la force du droit international en rappelant qu’ en sa séance du 24 novembre 1961 l’assemblée générale des Nations Unies « rappelant que l’emploi d’ armes de destruction massive, causant d’inutiles souffrances humaines a été autrefois interdit comme contraire aux lois de l’humanité et aux principes du droit international par des déclarations internationales et des accords obligatoires……. ; déclare que l’emploi d’armes nucléaires ou thermonucléaires …..est par conséquent contraire aux règles du droit international et aux lois de l’humanité , déclare que tout État qui emploie des armes nucléaires thermonucléaires doit être considéré comme violant la charte des Nations unies, agissant mépris des lois de l’humanité et commettant un crime contre l’humanité et la civilisation».
De même en rappelant que la Charte des Nations Unies fait obligation aux Etats de dépenser le minimum d’argent pour les armes, mais aussi que par une résolution du 4 décembre 1986 l’assemblée générale des Nations Unies a posé comme principe fondamental : « que le droit au développement est un droit inaliénable de l’homme et que les Etats ont la responsabilité première de la création des conditions nationales et internationales favorables à la réalisation du droit au développement » nous rendons plus lisible et crédible notre argumentation. Ce positionnement sur le droit international coupe court à des débats qui divisent. Ce faisant nous favorisons le rassemblement des citoyens qui prennent mieux conscience qu’il ne s’agit pas de valider de nouvelles conceptions ou de valider un point de vue idéologique mais d’obtenir de nos gouvernants le respect du droit et de leurs engagements.
En fait, en rappelant ces acquis nous montrons que « nous les peuples » nous sommes dans la construction de la paix face à des politiques conduites en contradiction avec le droit international .Il en est de même pour ce qui concerne la culture de la paix , dont les fondements, les principes et les objectifs ont été déterminés par plusieurs résolutions des Nations Unies. Notre force de conviction en est renforcée.
Mettre en avant le fait que nous défendons le droit international renforce donc notre pouvoir d’agir et celui de tous les peuples qui peuvent avec cet outil commun mieux prendre conscience de la nécessité de la solidarité internationale dans l’action pour la paix et le désarmement. Roland NIVET