Ainsi que je le rappelle dans mon article précédent, la réunion des pays signataires du Traité de non prolifération nucléaire (TNP) s'est terminée le 23 mai sur un échec, les Etats-Unis et leurs alliés rejetant une initiative arabe sur la création d'une zone exempte d'armes nucléaires au Proche-Orient. Pourtant en 2010, la déclaration finale de la conférence de suivi prévoyait qu'une réunion devait se tenir à Helsinki en 2012 pour parler de ce projet de zone dénucléarisée au Proche-Orient. Mais elle n'a jamais pu avoir lieu, en raison notamment des réticences d'Israël. L'Etat hébreu, crédité de quelque 200 ogives par des experts, n'a jamais reconnu officiellement disposer de la bombe.
Si les États-Unis ont voulu satisfaire Israël en "torpillant" la déclaration finale, c'est qu'ils souhaitent à l'évidence arriver à finaliser le pré-accord conclu avec l'Iran sur son programme nucléaire le 2 avril dernier à Lausanne et dont la date de conclusion définitive a été fixée au 30 juin.
Cet accord revêt pour les USA une importance stratégique capitale. Il devrait d'abord limiter sérieusement dans le futur les possibilités pour l'Iran d'arriver à la construction d'armes nucléaires.
Pour l'essentiel, cet accord devrait permettre que le nombre de centrifugeuses de l'Iran passe de 19.000, dont 10.200 en activité, à 6104 (une réduction de deux tiers). Sur les 6104, seules 5060 auront le droit de produire de l'uranium enrichi pendant 10 ans. Il s'agira de centrifugeuses de première génération. Téhéran réduirait son stock d'uranium faiblement enrichi (LEU) de 10.000 kg à 300 kg enrichi à 3,67% pendant 15 ans. L'Iran accepterait de ne pas enrichir d'uranium à plus de 3,67% pendant au moins 15 ans. Le matériel excédentaire serait entreposé sous surveillance de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) et ne pourrait servir qu'à des remplacements. Téhéran aurait accepté de ne pas construire de nouvelles installations d'enrichissement d'uranium pendant 15 ans.
Cet accord-cadre passé entre l'Iran et ses six interlocuteurs : France, Royaume-Uni, Russie, Chine, Allemagne), s'il est finalisé fin juin, pourrait devenir un événement historique et pourrait avoir des conséquences majeures dans la région. Comme l'écrit le journaliste René Backmann, sur le site Médiapart, il "met un terme à une hostilité réciproque de 35 ans entre les États-Unis et la République islamique. (...) Mais ce passé encombrant n’empêche plus désormais ni les échanges diplomatiques, ni une certaine forme – complexe, il faut l’admettre – de tolérance tactique réciproque sur le terrain. Ennemis en Syrie, où Téhéran tient le régime de Bachar al-Assad à bout de bras, grâce au Hezbollah et à son corps expéditionnaire de Gardiens de la révolution, tandis que Washington aide prudemment les adversaires du régime, les deux pays combattent de fait côte à côte en Irak, où les soldats et miliciens iraniens participent, comme les conseillers militaires et les aviateurs américains et occidentaux, à la bataille contre l’État islamique pour préserver ce qui peut l’être du régime de Bagdad".
Cet accord-cadre est loin d'être finalisé car il suscite de multiples oppositions : aux États-Unis même, où Henry Kissinger et George Shulz, deux anciens Secrétaires d’Etat américains, se sont montrés sceptiques dans une tribune conjointe publiée par le Wall Street Journal. En Israël, l'opposition du premier ministre, Netanyahou, s'est traduite par une intense activité de lobbying, pour tenter d’entraver les progrès des négociateurs vers un accord global ; campagne contre laquelle le président Obama a mené lui aussi une offensive médiatique soutenue, en conte-attaquant sur l'intransigeance de Netanyaho sur la question du processus de paix avec les Palestiniens : «Le danger est qu'Israël perde sa crédibilité. D'ores et déjà la communauté internationale ne croit pas qu'Israël soit sérieux à propos de la solution de deux États», a affirmé le président américain à une chaîne de télévision privée canadienne. Et interrogé sur le veto imposé par les États-Unis aux résolutions condamnant Israël à l'ONU, le président a affirmé que le maintien de cette politique allait être «difficile».
Parmi les pays arabes, les monarchies sunnites du Golfe, et au premier rang d'entre elles, l'Arabie saoudite, s'inquiètent du retour comme acteur politique de premier plan d'une puissance régionale de 80 millions d’habitants, dotée d'une puissance économique, aux richesses gazières et pétrolières de près de 100 milliards de dollars libérés par une éventuelle levée des sanctions.
Malgré ces craintes diverses, le président Barack Obama poursuit un projet plus vaste. Comme le relève le journaliste Thierry Coville, de Politis, celui-ci veut "trouver un accord sur le nucléaire pour pouvoir réintégrer l'Iran dans le jeu diplomatique. Pour le président américain, l'Iran peut jouer un rôle constructif en vue de sortir des crises au Yémen, en Irak et en Syrie".
La responsable de la diplomatie européenne Federica Mogherini, soutient également cet accord et a twitté aussitôt "Bonnes nouvelles". Le secrétaire général des Nations unies a lui aussi estimé qu'"une solution complète, négociée au problème du nucléaire iranien contribuera à la paix et à la stabilité dans la région et permettra à tous les pays de coopérer de manière urgente sur les nombreux et graves défis en matière de sécurité qu'ils doivent affronter".
Du côté français, Laurent Fabius n'a salué que timidement l'accord préliminaire sur le nucléaire iranien. Il a juste estimé que cet accord constituait une "avancée importante pour la sécurité et pour la paix". Cet accord "confirme le droit de l'Iran à l'énergie nucléaire civile, mais exclut de sa part tout accès à l'arme nucléaire", a ajouté le ministre, estimant que "Genève constituait une "première étape majeure". En fait, américains et iraniens se sont entendus en direct et la diplomatie française a été mise devant le fait accompli comme cela s’est passé lors du vote de la résolution de l’ONU consacrée à la Syrie, fin septembre.
L'enjeu maintenant, semble-t-il, est d'abord d'arriver à la finalisation de l'accord sur le nucléaire iranien mais en ayant conscience que tous les dossiers régionaux sont liés. Une solution régionale globale pour la dénucléarisation de tout le Proche-Orient est urgente. Malgré l'échec du texte final à la Conférence du TNP, les puissances nucléaires doivent respecter leur « engagement - pris en 2010 - en faveur de l’application intégrale de la résolution de 1995 sur le Moyen-Orient » prévoyant l’établissement d’une zone exempte d’armes nucléaires (ZEAN) et autres armes de destruction massive.
La pression internationale doit y entraîner Israël car c'est dans cette perspective que réside sa meilleure garantie de sécurité. L'administration Obama semble, par ailleurs, multiplier les efforts diplomatiques pour peser sur Israël et aboutir à une solution pacifique avec les palestiniens, comme je l'ai écrit précédemment. De la même façon, la déclaration finale de la réunion des 22 États membres de la Coalition internationale anti-Daesh (plus les Nations unies et l’Union européenne), tenue le 2 juin 2015 à Paris, indique que les participants « ont rappelé leur souhait de préserver l’unité et la souveraineté de la Syrie et ont appelé au prompt lancement d’un véritable processus politique inclusif, sous les auspices des Nations Unies, en vue de mettre en œuvre les principes du communiqué de Genève – y compris la mise en place, par consentement mutuel, d’un organe de gouvernement transitoire doté de la plénitude du pouvoir exécutif. Ils ont affirmé que seule une transition politique permettra d’établir les conditions nécessaires pour renverser la vague d’extrémisme et de radicalisme engendrée par les abus du régime et de lutter efficacement contre toutes les organisations terroristes en Syrie, y compris Daech». Cette position confirme une entente entre USA et Russie. Cette position s'oppose d'ailleurs aux précédentes déclarations françaises jusqu'alors jusqu'au-boutistes qui subordonnaient le départ de Bachar el-Assad à tout démarrage de processus politique.
Ces évolutions montrent les contradictions existant dans les relations internationales qui ne peuvent qu'encourager l'opinion à essayer d'exercer des pressions en faveur de solutions politiques des crises internationales, en refusant les logiques de rapports de force et de dominations.
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