lundi 27 octobre 2014

Quel bilan d'étape du désarmement mondial ? Les armes nucléaires.

Nous continuons l'examen de l'état du désarmement entrepris la semaine dernière à l'occasion de la traditionnelle semaine du désarmement de l'ONU. Après la situation des armes chimiques et biologiques, qu'en est-il du désarmement nucléaire ?
Premier rappel, il existe aujourd'hui cinq puissances nucléaires "reconnues" : la Chine, les États-Unis, la Fédération de Russie, la France et le Royaume-Uni. Israël dispose, même si son gouvernement ne l'admet pas officiellement, d'un arsenal de l'ordre de 200 armes nucléaires. Après l'éclatement de l'Union soviétique, plusieurs anciennes républiques soviétiques (Ukraine, Belarus, Kazakhstan) se retrouvèrent avec des stocks d'armes nucléaires sur leurs territoires. Ces pays ont depuis volontairement renoncé à ces armes tout comme l'Afrique du Sud qui a disposé d'un arsenal clandestin avec sept têtes dans les années 1980 et a démantelé celui-ci au tout début des années 1990. En 1998, l'Inde et le Pakistan effectuèrent l'un et l'autre une série d'explosions nucléaires expérimentales et possèdent chacun entre 80 et 100 ogives nucléaires. Depuis 2006, la Corée du nord a procédé à trois essais nucléaires et serait peut-être en possession de quelques têtes nucléaires.
Le principal traité régissant les armes nucléaires est le TNP (traité de non-prolifération nucléaire, entré en application en 1970, prorogé indéfiniment en 1995) qui est à la fois un traité de maîtrise des armements et de désarmement. Il empêche tout autre pays en dehors des cinq puissances nucléaires reconnues de posséder des armes nucléaires ; c'est aussi un traité de désarmement puisqu'il oblige selon son article 6 ces mêmes puissances à aller vers la destruction de leurs armes. Celles-ci refusent obstinément d'appliquer leurs engagements dans ce traité sur ce point, ce qui crée un malaise international profond.
Le deuxième traité de désarmement nucléaire est le TICEN (Traité international d'interdiction des essais nucléaires) signé en 1996, mais qui n'est pas entré en application à cause du refus du refus de plusieurs puissances nucléaires de le ratifier dont USA, Russie, ...
Pour autant, il a conduit tous les pays nucléaires officiels à s'abstenir d'essais nucléaires depuis 1996. L'organisme de suivi et contrôle du traité a été mis en place à Vienne et le réseau de stations de surveillance (sismographes notamment) a commencé d'être installé.
Concrètement, la question de l'interdiction des armes nucléaires et leur destruction reste dans une impasse, la Conférence du désarmement qui siège à Genève et est chargée d'éventuelles négociations, est bloquée depuis près de 20 ans et n'arrive même pas à se mettre d'accord sur son ordre du jour de travail.
Un réseau international d'ONG anti-nucléaires (ICAN : Campagne internationale pour l'interdiction des armes nucléaires), des pays moyens comme la Norvège, le Mexique, la Suisse, l'Autriche, ont décidé de lancer une nouvelle Campagne d'opinion pour l'interdiction des armes nucléaires, en venant sur le terrain humanitaire, et en soulignant leur caractère inacceptable sur ce plan
C'est sur ce terrain du "désarmement humanitaire" que s'étaient placés victorieusement les animateurs de la campagne pour l'interdiction des mines anti-personnels qui a abouti au Traité d'interdiction d'Ottawa en 1997. La même réussite accompagnera-t-elle cette campagne antinucléaire ? Une troisième réunion internationale des pays partisan du "désarmement humanitaire" est prévue en décembre à Vienne, après celles d'Oslo en 2013 et Mexico début 2014, ce qui permettra de juger de cette mobilisation.
Pour l'instant, les dernières réunions internationales comme celle à New-York de la 1ère commission du désarmement de l'ONU (voir article dans "L'AGENDA DE LA SEMAINE") montrent que le fossé se creuse dans la communauté internationale. Ce sont 144 pays qui ont déposé une résolution poussant à l'interdiction nucléaire pour des motifs humanitaires, c'est un chiffre en progression constante. À côté des huit puissances nucléaires officielles ou non-officielles, vingt autres pays ont adopté une position ambiguë reprenant la théorie de "l'approche graduelle" dont on constate l'échec en terme de réduction réelle des stocks d'armes (entre 7 000 et 17 000 suivant les modes de calculs !) et en terme de prolifération (stagnation des situations pakistanaises, indienne et israélienne, discussions avec Iran).
L'opposition entre ces deux grands groupes de pays prend un caractère préoccupant : d'un côté, 144 pays qui regroupent essentiellement des pays en voie de développement (plus quelques pays nordiques), de l'autre, une trentaine de pays, essentiellement les plus puissants ou les plus riches de la planète..
Pourtant, c'est par l'engagement de tous les États de la planète, rassemblés, nucléaires et non-nucléaires, que pourront être prises les mesures de confiance, de transparence et de contrôle nécessaires pour stopper toute prolifération nucléaire, tout comme les mesures de diminution et de destruction finale des armes nucléaires.
Il est clairement de la responsabilité des États possédant avec l'arme nucléaire, le plus grand des pouvoirs de destruction, de créer les conditions du rétablissement de la confiance qui s'est dégradée dans tout ce qui touche à l'arme nucléaire !
Ceux-ci ne peuvent plus prendre des échappatoires en usant des arguments usés du "contexte stratégique", des "réductions réalisées depuis la fin de la guerre froide", de la nécessité "d'actions concrètes"...
C'est justement parce que le contexte devient plus incertain, parce que des acteurs non-étatiques, radicaux, surgissent des zones grises de la mondialisation, parce que certains conflits locaux opposent de nouveaux les intérêts de possesseurs d'armes nucléaires comme en Ukraine, que des efforts redoublés doivent être effectués pour lever les blocages actuels sur le plan du désarmement nucléaire...
Rappelons comme l'avait fait un diplomate suisse en 2013 à Vienne, que les armes nucléaires "ne sont pas une source de sécurité, mais constituent une menace à la fois pour la sécurité internationale et pour la sécurité humaine" et que, "près d'un quart de siècle après la fin de la guerre froide (...), il est nécessaire (...) de les éliminer comme toutes les autres armes de destruction massive".
Cela ne renforce-t-il pas le besoin de l'engagement nécessaire des opinions publiques, des sociétés civiles dans les débats liés à la prolifération et au désarmement nucléaires ? C'est peut-être de ce côté que résident certaines clés de déblocage de la situation. La place grandissante des ONG, la qualité de leurs interventions en progrès dans les derniers forums de désarmement, la création du nouveau réseau ICAN sont autant de signes encourageants en ce sens.
La semaine prochaine,nous aborderons les aspects actuels du désarmement conventionnel.

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