vendredi 24 octobre 2014

Quel bilan d'étape du désarmement mondial ? Les armes chimiques et biologiques.

Il peut être opportun de se saisir de cette semaine du 20 au 26 octobre 2014 qui est officiellement la "semaine du désarmement" pour les Nations unies et ce, depuis 1978, pour faire le point des efforts internationaux pour le désarmement. Il s'agit des décisons internationales prises, soit pour réglementer et contrôler les différents types d'armes (en évitant leur "prolifération"), soit pour diminuer leur quantité, voire en supprimer certaines catégories. C'est ce qui distingue la maîtrise ou contrôle des armements ("arms control") du désarmement proprement dit. Une distinction est généralement faite ensuite entre les armes de destruction massive et les armes classiques.
Nous nous intéresserons dans une première série d'articles aux armes de destruction massive ou ADM parmi lesquelles on décompte les armes nucléaires, les armes chimiques et les armes biologiques.
Examinons d'abord la question des armes chimiques. Dans les années 1980, l'emploi d'armes chimiques par l'Irak contre l'Iran relança les discussions internationales sur le désarmement chimique. En 1984, un accord fut trouvé sur la structure d'un traité préliminaire. Des pourparlers bilatéraux entre l'Union soviétique et les États-Unis firent progresser la question. En 1993, la Convention sur les armes chimiques fut signée à Paris. Elle interdit d'acquérir, de mettre au point, de fabriquer, de stocker, de transférer et d'employer des armes chimiques. Elle est entrée en vigueur le 29 avril 1997. Ce traité repose sur trois volets : l'interdiction complète des armes chimiques, la destruction des arsenaux existants, un régime de vérification des engagements pris dans le cadre de la Convention et placé sous l'égide d'une institution indépendante, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC).

La Convention est unique en son genre, car il s'agit du premier traité multilatéral qui interdit toute une catégorie d'armes de destruction massive, du premier traité de désarmement négocié dans un cadre entièrement multilatéral à Genève, ce qui a facilité son élargissement à un maximum d'États. Enfin, cette Convention a également été négociée avec la participation active de l'industrie chimique du monde entier.

Le système de vérification est rigoureux : il exige des déclarations nationales de données relatives à la production chimique industrielle, des inspections continuelles et de routine des installations concernées par le traité, des inspections par mise en demeure, avec un préavis très court, de toute installation sur le territoire d'un État-partie, pour résoudre les préoccupations relatives au respect de la Convention.
Il y a un an, le 1er septembre 2013, 189 États parties avaient ratifié la Convention. Deux États l'avaient signée mais pas ratifiée : Israël et Birmanie ; cinq États demeuraient en dehors de la convention : Angola, Corée du Nord, Égypte, Soudan du Sud, Syrie.
Après que Damas ait été accusé d’avoir utilisé du gaz sarin dans une attaque ayant fait 1 400 morts l’été 2013, un accord russo-américain a obligé celle-ci à adhérer à la CIAC pour éviter une intervention militaire américaine. La Syrie est ainsi devenue le 14 octobre 2013 le 190e membre de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (L’OIAC, chargée de superviser le démantèlement de l'arsenal chimique syrien, s’est vu décerner le prix Nobel 2013 de la paix).
Le 28 août 2014, l'OIAC a annoncé la destruction de 93% des arsenaux chimiques évacués de Syrie qui représentaient un total de 1 300 tonnes d’agents chimiques. Les produits chimiques les plus dangereux avaient été emmenés sur le navire américain "Cape Ray". Leur destruction par hydrolyse avait commencé début juillet.

L'adhésion de la Syrie, même contrainte et forcée, à la Convention d'interdiction, est un événement qui a été largement sous-estimé dans les médias, au profit d'autres considérations politiques, géo-stratégiques. Or, cette adhésion ouvre la voie à d'autres avancées pour la démilitarisation dans cette région : l'Égypte et Israël ont perdu leur principal argument pour ne pas ratifier à leur tour cette Convention d'interdiction des armes chimiques '(l'un, l'Égypte, qui se voulait solidaire de la position syrienne, l'autre, Israël, qui se disait menacée par les armes chimiques syriennes). Obtenir la ratification de la CIAC par ces deux États serait un pas considérable pour ouvrir la voie à un accord plus large de création d'une zone sans armes de destruction massive (donc, y compris sans armes nucléaires) au Moyen-Orient, projet qui stagne malgré les espoirs de 2013 sur la tenue d'une Conférence internationale à Helsinki sur ce projet..
Le bilan de cette Convention pour l'interdiction des armes chimiques est en voie d'être exemplaire. Un an après l'affaire syrienne, au 31/08/2014, 61 608 (soit 84,95 pour cent) des 72 524 tonnes des stocks mondiaux déclarés d'agents chimiques ont été détruits sous vérification. D'avril 1997 au 30/06/2014, l'OIAC a effectué 5 545 inspections sur le territoire de 86 États parties, y compris 2 728 inspections de sites industriels. 2 024 sites industriels ont été inspectés sur un total de 5 384 sites déclarés.
Les stocks restant à détruire sont situés essentiellement en Russie et aux États-Unis. Ces deux pays, qui avaient amassé pendant la guerre froide, d’énormes stocks d’armes chimiques, s’étaient engagés à les détruire avant avril 2012 mais les deux pays ont ensuite annoncé ne pas être en mesure de respecter ce calendrier. Les États-Unis, qui ont détruit pour l’heure environ 90 % de leur stock, ont fixé l’échéance de 2023. Pour sa part, la Russie, qui a déclaré en 2013, avoir détruit plus de 29 000 tonnes, (soit 73 % d'un stock de 39 966,586 tonnes) s’est engagée à détruire son stock d’armes chimiques d’ici à décembre 2015. Il n'est pas encore certain que ce délai pourra être tenu compte tenu du coût élevé de ces destructions et bien que d'autres pays, comme l'Union européenne, participent au financement de ces efforts.
Il n'empêche que le désarmement des armes chimiques, malgré ses aléas, peut être considéré comme un modèle pour l'élimination des autres armes de destruction massive en terme de traité, de dispositif de suivi et de contrôle de l'élimination et d'une possibilité de recherche, enfin, de coopération avec l'industrie du secteur concerné.
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Les armes biologiques : elles sont considérées également comme des armes de destruction massive. Elles utilisent délibérément des agents pathogènes pour tuer ou blesser des êtres humains ou des animaux.
Elles sont nettement plus faciles à fabriquer que les armes chimiques ou nucléaires et coûtent beaucoup moins cher.
Par exemple, avant la guerre du Golfe de 1991, l'Irak avait fait, en très peu de temps, des progrès considérables dans la mise au point d'une capacité d'armement biologique, et la secte japonaise Aum Shinrikyo, connue pour son attaque chimique dans le métro de Tokyo en 1995, avait réussi à fabriquer de l'anthrax, mais pas à mettre au point un moyen de diffusion.
Même si elles présentent "des avantages", les armes biologiques sont généralement considérées comme peu fiables et pas très utiles, et donc militairement inférieures aux armes chimiques et nucléaires. Leur utilisation est interdite par une convention internationale depuis 1925. En 1972, leur mise au point et leur possession ont été interdites par la "Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage des armes bactériologiques ou à toxines et sur leur destruction" (CIABT) qui est entrée en vigueur le 26 mars 1975. 165 États l'ont ratifiée aujourd'hui et se sont engagés à ne pas développer, produire, stocker ou utiliser des armes biologiques.
Cependant, l'efficacité de la Convention reste limitée étant donné qu'elle ne prévoit aucun régime de vérification du respect de ses dispositions. Le respect de l’interdiction demeure subordonné à la bonne foi des États-parties, puisque aucun contrôle international ne s’exerce sur leurs activités biologiques.
La Convention prévoyait des Conférences d'examen tous les cinq ans. À la suite de l’échec, en 2001, de la tentative d'ajouter un Protocole visant à introduire un dispositif de contrôle dans la Convention du fait de l'opposition de l'administration Bush, un cycle intersessions, prévoyant chaque année une conférence des États-parties et une réunion d’experts, a été mis en place. Ces réunions annuelles ont pour but de dégager des vues communes sur les moyens susceptibles d’améliorer la mise en oeuvre de la Convention. Néanmoins, seules les Conférences d’examen quinquennales continuent d'avoir un pouvoir de décision.
La dernière Conférence d’examen, en décembre 2011, a déterminé trois sujets qui seront à l’ordre du jour des réunions du cycle actuel d’intersessions (2012-2016) : la coopération et l’assistance, avec une attention particulière portée à l’article X ; l’examen des développements dans le domaine de la science et de la technologie ; le renforcement de la mise en œuvre nationale. Par ailleurs, deux thèmes feront l’objet d’un examen bi-annuel spécifique : les mesures de confiance (2012-2013) et le renforcement de la mise en œuvre de l’article VII portant sur les mesures d’assistance aux États susceptibles d’être victimes d’une attaque biologique (2014-2015).
Après avoir tardé à signer la convention (elle ne l'a fait qu'en 1984 sous la pression de l'opinion), la France a pris plusieurs initiatives entre les sessions depuis 2001 pour contribuer au renforcement de la coopération contre la prolifération biologique.
Comme puissance nucléaire, elle a toujours craint que l'extension de ce type d'arme ne brouille le jeu classique de la dissuasion, même si une des particularités des armes biologiques est qu'elles ne confèrent pas, à l'inverse des armes nucléaires, les attributs de la puissance.
De plus, la problématique des armes biologiques ne se réduit pas à sa dimension militaire mais elle touche les questions de développement des pays au travers des politiques de santé publique et de maîtrise des épidémies, les questions de démocratie au travers de la transparence et du contrôle possible des recherches, les intérêts éventuels des groupes pharmaceutiques ou laboratoires de recherches, voire la sensibilisation des scientifiques. Toutes problématiques importantes pour un pays comme la France qui possède une forte industrie pharmaceutique et des laboratoire classés "sensibles" en région Rhône-Alpes.
Malgré ses insuffisances et sa fragilité, le processus de "petits pas" actuel progresse et certains experts estiment que cette Convention semble « condamnée à réussir » pour donner tort à ceux qui estiment que « les armes biologiques pourraient bien jouer au XXIe siècle le rôle des armes  nucléaires au XXe siècle". La crainte de l'apparition d'un "bioterrorisme" n'est-elle pas de plus en plus présente dans les réflexions ? 
Dans un prochain article, nous ferons le point sur les armes nucléaires et le désarmement.

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