À Abidjan, la situation peut facilement tourner à la catastrophe si l'option diplomatique ne reprend pas vite le dessus.
Les pressions doivent s'accentuer pour que Laurent Gbagbo reconnaisse le verdict des urnes et quitte le pouvoir comme l'a sommé le 14 avril dernier l'Union africaine à Addis Abeba. Même si l'ultimatum de 15 jours donné alors par l'U.A à Laurent Gbagbo a été dépassé, Alassane Ouattara a fait une faute politique en passant à l'option militaire pour imposer sa légitimité. De plus, il devra condamner sans faiblesse les exactions de ses troupes à Duékoué, dans l'ouest du pays : les bilans oscillent de 330 tués à un millier de morts ou disparus selon l'ONU. Le procureur de la CPI a décidé de lancer une enquête : c'est bien. Jusqu'à présent, c'étaient l'armée ou les milices de Gbagbo qui avaient, pour l'essentiel, semé la terreur à Abidjan (plus de 400 tués en quatre mois selon l'ONU).
En Libye, là aussi, l'heure est à accentuer les efforts diplomatiques pour monter une période de transition qui permette un compromis entre les deux camps.
Tout comme pour la Lybie, la place de l'ONU, son rôle, son positionnement sont l'objet de déformations, dues soit à l'ignorance, soit au jeu politicien.
Les débats sont légitimes s'ils portent sur les vraies questions et non sur des affirmations erronées ou tendancieuses.
Le représentant des Nations unies devait-il certifier les élections, y était-il autorisé ? OUI, la résolution 1765 du conseil de sécurité de 2007, accepté par toutes les parties, confie au représentant de l'ONU le soin de certifier les élections à toutes les étapes, donc la proclamation des résultats. Cette décision visait à surmonter les oppositions qui se manifesteraient aux différents niveaux nationaux, donc, il était normal et prévu que la certification onusienne intervienne APRÈS les différents avis des structures ivoiriennes.
Devait-il l'annoncer dans les formes, les délais où il l'a fait ? C'est un débat possible, mais le représentant de Ban Ki-moon s'est justifié par l'examen des procès-verbaux, après une élection dont la préparation avant, pendant et après a été une des plus sophistiquées engagées par les Nations-unies de leur histoire (la plus chère aussi)...
La force de l'ONU, l'ONUCI, a été victime pendant quatre mois de provocations, voire d'attaques fréquentes de la part des partisans de Laurent Gbagbo. Après l'attaque des troupes fidèles à M. Ouattara, les premières ripostes de M. Gbagbo à Abidjan ont conduit Ban Ki_moon à faire bombarder des bases militaires de L. Gbagbo pour éviter des massacres sur les civils. En avait-il le droit ? OUI, la résolution 1975 des Nations unies est claire dans ses points 6 et 7 :
"6. [le conseil de Sécurité] Rappelle, tout en soulignant qu’il l’a assurée de son plein appui à cet égard, qu’il a autorisé l’ONUCI, dans le cadre de l’exécution impartiale de son mandat, à utiliser tous les moyens nécessaires pour s’acquitter de la tâche qui lui incombe de protéger les civils menacés d’actes de violence physique imminente, dans la limite de ses capacités et dans ses zones de déploiement, y compris pour empêcher l’utilisation d’armes lourdes contre la population civile, et prie le Secrétaire général de le tenir informé de manière urgente des mesures prises et des efforts faits à cet égard;
7. Demande à toutes les parties de coopérer pleinement aux opérations de l’ONUCI et des forces françaises qui la soutiennent, notamment en garantissant leur sécurité et leur liberté de circulation avec accès immédiat et sans entrave sur tout le territoire de la Côte d’Ivoire afin de leur permettre d’accomplir pleinement leur mission;"
On peut critiquer le texte de la résolution mais par contre, placée sous la cadre du chapitre VII de la Charte, elle autorise sans ambiguité le Secrétaire Général à décider de frappes pour éviter les tirs d'armes lourdes des forces de Gbagbo contre la population civile d'Abidjan... L'appréciation de M. Ban Ki-moon a-t-elle été juste ? Là encore, c'est un débat possible, mais il pouvait le faire.
De même juridiquement, il pouvait demander aux forces français stationnées en Côte d'Ivoire de l'aider dans cette tâche.
La France devait-elle accepter ? C'est encore un débat légitime. Compte-tenu de son passé colonial, des affrontements de 2004, on peut estimer que M. Sarkozy aurait dû refuser, ou tout au moins, consulter les pays africains, responsables de l'Union africaine. Son acceptation rapide, venant après ses gesticulations au début de la crise libyenne, ne plaident pas en sa faveur et laissent penser que les préoccupations de politique intérieures n'ont pas été absentes. Il aurait été préférable que la force Licorne soit remplacée depuis longtemps par des forces d'un autre pays aussi aguerries, ou que les forces de l'ONUCI soient mieux équipées pour remplir leur mission de protection.
Mais peut-on écrire que "Rarement les Nations-Unies, dont la Charte bannit explicitement le recours à la force, auront été à ce point instrumentalisées" (déclaration PCF du 5 avril) ? NON, la Charte des Nations unies exclut le recours à la force entre les pays pour régler leurs différends, mais elle permet au Conseil de sécurité d'"entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales." dans le cadre du chapitre VII de la même Charte.
Le problème juridique était le même pour l'adoption de la résolution 1973 sur la Libye relative à la protection de la population civile menacée.
Là encore, on peut très normalement critiquer l'extension abusive de cette notion de "rétablissement de la paix et de la sécurité internationale" à des situations de conflits essentiellement locaux, mais menons ce débat pour faire avancer le droit international, la défense de la paix et des droits humains de manière rigoureuse...
Il faut être logique, on ne peut pas demander l'intervention de l'ONU ou de l'UE pour protéger le peuple palestinien lors de l'attaque de Gaza, et lorsque ce principe avance dans le droit international, dire « ah, non c'est pas bon, etc... » ;
En Côte d'Ivoire, idem, on ne peut dire : l'ONU contrôle le processus électoral (résolution 1975 de juillet 2007), arriver aux élections, et puis après que l'ONU ait préparé et contrôlé ces élections, les ait certifiées, dire, « ah non, faut voir ».
Il ne faut pas se tromper et « se tirer une balle dans le pied » : souhaiter le droit international et un nouvel ordre international plus juste et tirer dans le dos de la structure chargé de le mettre en application. (En France, on critique parfois une décision de justice mais on ne remet pas en cause fondamentalement l'institution judiciaire, ni la police en permanence).
Il y a encore des équivoques à lever, notamment dans la gauche radicale : quel est le but suivi au plan mondial ? Est-ce la lutte contre un impérialisme (américain) pour lui opposer non plus un "socialisme mondial" qui n'existe plus, mais un « autre monde » notion aussi floue pour l'instant et tout aussi globalisante que la précédente, ou est-ce la construction d'une société mondiale de droit et de justice, permettant des avancées démocratiques et sociales pour les peuples, leur permettant de développer de nouveaux rapports de force, donc avec des institutions pour créer et dire le droit et pour le faire respecter.
Celles-ci existent : pour construire et dire le droit, c'est la Charte de l'ONU et le Conseil de sécurité, les Traités et Conventions diverses. Pour faire respecter le droit, en dehors de la Cour pénale internationale encore balbutiante, il n'y a qu'un seul "marteau-pilon" souvent inadapté, le Conseil de sécurité par le biais du chapitre VII, permettant l'usage de la force au cas par cas (ainsi bien sûr que toute autre mesure de blocus, de sanctions, d'interdiction). Il n'y a pas encore de forces de "police internationale onusienne" permanentes : je pense que les événements de ces derniers mois devraient permettre de ré-ouvrir le débat sur cette question.
Mais ce débat suppose aussi de lever des ambiguïtés : on voit encore des analyses soit ignorantes soit de mauvaise foi : soutien déguisé à Gbagbo ou à Khadafi au nom du principe, « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ou au moins je les soutiens », les « amis de mes ennemis sont mes ennemis et je les combats» (Ouattara et sa carrière au FMI), et « s'il y a mon ennemi dans une opération, l'ensemble de l'opération est forcément mauvaise », sans tenir des contradictions qui traversent certaines positions politiques (voir Sarkozy)..
Il faut se fixer des repères dans la vision du monde à construire et s'y tenir. C'est ainsi que nous construirons de vraies perspectives en portant des jugements en fonction des faits, en bâtissant des mobilisations et des rapports de force sur des principes et non en fonction de la position des acteurs dans des constructions idéologiques. Ne pas fournir des points de repère sérieux quant à la marche du monde : autour de la promotion du multilatéralisme, du droit international et d'une culture de paix s'appuyant sur un système des Nations unies à soutenir et réformer d'une même démarche, serait renoncer à une transformation concrète de l'humanité.
Mercredi 6 avril 2011
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