Un des sentiments les plus répandus parmi les militants de la cause palestinienne est que les Nations unies sont impuissantes dans le conflit israélo-palestinien, que de nombreuses résolutions ont été votées et jamais appliquées, et qu’ainsi un véritable « double standard » s’est installé.
Ce raisonnement n’est pas faux puisque dès le départ, une situation anormale s’est créée. Ainsi, en 1947, l’Assemblée générale de l’ONU adopta un plan de partage de la Palestine (alors sous mandat britannique) en deux États indépendants, un juif et un arabe, Jérusalem étant placée sous régime internationali. Ce plan n’a jamais été mis en œuvre et dès 1948, Israël adopta la politique du fait accompli et proclama unilatéralement son indépendance en chassant par la force les paysans palestiniens de leurs terres (C’est la Naqbaii, la « catastrophe » pour les Palestiniens) et en battant les armées arabes qui l’attaquèrent.
Le deuxième grand rendez-vous manqué avec les Nations unies est 1967 : lors de la Guerre des Six joursiii, Israël réoccupa la majorité des territoires au-delà du Jourdain (Cisjordanie). Quelques mois après cette guerre de juin, le Conseil de sécurité de l’ONU vota la résolution 242iv, qui demanda le retrait des forces armées israéliennes des « territoires occupés ». On appelle la frontière tracée alors, la « ligne verte », ce qui demeurera la référence pour la communauté internationale.
En 1979, le Conseil de sécurité exigea l’arrêt des « pratiques israéliennes visant à établir des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967 »v, déclara que ces pratiques « n’ont aucune validité en droit » et demanda à Israël de respecter la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.
En 2003, le Conseil de sécurité, encore lui, se déclara « attaché à la vision d’une région dans laquelle deux États, Israël et la Palestine, vivent côte à côte, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues »vi, et demanda en conséquence aux parties en conflit de s’acquitter des obligations relatives à la « feuille de route » du Quartet.
À chaque fois après 1947, la discussion a eu lieu au Conseil de sécurité dont les membres permanents n’ont jamais introduit une clause de contrainte, qui est toujours possible si la résolution est inscrite dans le cadre de la défense de la sécurité internationale et fait référence au chapitre VII de la Charte des Nations unies, permettant d’utiliser la force armée pour faire respecter une décision.
À chaque fois, ce qui a manqué, il faut le dire aussi, c’est une pression suffisante des opinions publiques, d’un nombre suffisant d’États divers pour peser sur les grandes puissances pour l’application de ces résolutions.
Aujourd’hui, nous sommes des millions, à nous désespérer devant la situation dramatique des populations gazaouis, prises au piège des bombardements aveugles de l’armée israélienne. À tous, il faut dire qu’une voie politique existe depuis le 27 octobre pour obtenir une trêve humanitaire afin venir en aide à ces centaines de milliers de civils piégés dans cet enfer. Cette voie est très étroite, difficile et demande que chaque acteur politique sur cette planète prenne ses responsabilités.
Le vendredi 27 octobre, lors d’une session extraordinaire d’urgence, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution intitulée « Protection des civils et respect des obligations juridiques et humanitaires »vii, par 120 voix pour, 14 contre soit la majorité requise des deux tiers. Celle-ci « demande une trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue, menant à la cessation des hostilités ».
Pour mesurer l’importance de l’événement, il faut savoir que l’Assemblée générale de l’ONU ne peut aborder les questions de paix et sécurité internationale que si le Conseil de sécurité est reconnu être dans l’impasse, à cause du droit de veto des membres permanents.
En effet, en vertu du chapitre cinq de la Charte des Nations unies, le Conseil de sécurité est normalement chargé de maintenir la paix et la sécurité internationales. Cependant, le 3 novembre 1950, l'Assemblée générale a adopté la résolution 377 (« Union pour le maintien de la paix »)viii qui a élargi son autorité pour examiner des sujets qui étaient auparavant réservés uniquement au Conseil de sécurité. En vertu de la résolution, si le Conseil de sécurité ne peut parvenir à une décision sur une question en raison d'un manque d'unanimité, l'Assemblée générale peut tenir une session extraordinaire d'urgence dans les 24 heures pour examiner la même question.
Les sessions extraordinaires d'urgence sont rares, il n'y a eu que 11 sessions de ce type dans l'histoire de l'ONU.
Les résolutions adoptées alors par cette Assemblée générale extraordinaire d’urgence, ne sont, certes pas contraignantes, mais représentent réellement la volonté de la communauté internationale, ce qui signifie que chaque État est confronté à sa responsabilité politique voire morale de respecter celle-ci.
En 2022, après l’agression de la Russie contre l’Ukraine, face, là aussi, à la paralysie du Conseil de sécurité, une Assemblée générale extraordinaire avait voté le 2 mars, la résolution « Agression contre l’Ukraine »ix par 141 voix contre 5. Cette résolution exigeait que « la Fédération de Russie cesse immédiatement d’employer la force contre l’Ukraine ». Elle se félicitait « des efforts soutenus déployés par le Secrétaire général, les États Membres » et encourageait « la poursuite de ces efforts ». C’est en s’appuyant sur cette résolution, qui constituait un socle politique et juridique, que les États-Unis, le G7, l’OTAN, l’UE déployèrent des sanctions politiques, économiques et militaires de plus en plus larges contre la Russie.
Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où, de la même façon qu’en 2022, la communauté internationale, dans le cadre de l’Assemblée générale extraordinaire des Nations unies, a pris, à une large majorité, des décisions pour mettre fin, sinon directement au conflit israélo-palestinien, mais, au moins, à la grave crise humanitaire qui se développe et pourrait se transformer en un énorme crime de guerre de masse.
Cette résolution demande plusieurs choses, notamment :
— « une trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue, menant à la cessation des hostilités », « que la fourniture aux civils, dans l’ensemble de la bande de Gaza, de biens et services essentiels,[…] soit assurée de façon immédiate, continue, sans entrave et en quantités suffisantes », « l’annulation de l’ordre donné par Israël […] d’évacuer toutes les zones de la bande de Gaza situées au nord de Wadi Gaza », « la libération immédiate et inconditionnelle de tous les civils qui sont retenus illégalement en captivité ».
Enfin, la résolution exprime « son ferme appui à l’action menée sur les plans régional et international pour aboutir à une cessation immédiate des hostilités, assurer la protection des civils et fournir une aide humanitaire », et « demande à toutes les parties de faire preuve de la plus grande retenue et à tous les acteurs qui ont une influence sur elles d’œuvrer à la réalisation de cet objectif ».
Cela signifie pour tous les pays membres des Nations unies, s’ils veulent montrer la même volonté de travailler à la paix et à la sécurité internationale dans cette guerre au Moyen-Orient qu’ils l’ont fait dans le cas de la guerre Russie-Ukraine, de prendre immédiatement des initiatives politiques pour permettre l’application de cette résolution.
Comment contraindre efficacement le gouvernement de M. Netanyahou de proclamer « une trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue », comment assurer sans entrave l’acheminement des secours, faire preuve de retenue en application du droit international ? Cette responsabilité politique vaut pour les États-Unis même s’ils ont voté contre la résolution, s’ils veulent respecter la communauté internationale. Cela vaut pour la France, qui a voté pour cette résolution si elle ne veut pas être accusée de pratiquer un double langage diplomatique. Cela vaut pour l’Union européenne et Mme Ursula von der Layen, si active pour soutenir l’Ukraine, et qui doit s’engager ici à promouvoir activement ces recommandations des Nations unies.
La question est posée de la prise de mesures politiques, économiques concrètes pour accentuer efficacement la pression sur M. Netanyahou. Ne faut-il pas envisager d’aller à des mesures de boycott comme l’arrêt de fournitures d’armements, munitions et de renseignements à Israël par les USA, de boycott commercial et financier par l’Union européenne ? Toujours sur le plan économique, on sait que la Turquie pourrait exercer une pression considérable en bloquant le pipeline qui la traverse depuis l’Azerbaïdjan ou le Kurdistan irakien et fournit une part importante des ressources énergétiques d’Israël. Concernant la libération des prisonniers et otages, là encore, quelles mesures et quelles pressions des USA sur Israël et de l’Iran sur le Hamas ?
Ce qui a été possible pour soutenir la population ukrainienne face à la guerre impitoyable russe doit être possible face à la réplique militaire aveugle de l’armée israélienne. Les mairies de France ont été illuminées aux couleurs de l’Ukraine. Pourquoi, aujourd’hui, ne porteraient-elles pas ce cri d’urgence : « TRÊVE HUMANITAIRE À GAZA, VITE ! »
Dans toutes les opinions publiques du Moyen-Orient, domine l’impression qu’il existe un « double standard » dans l’application du droit international. Emmanuel Macron a essayé sans grand succès de s’en dégager, lors de sa visite sur place, en affirmant qu’il ne faisait pas de distinction entre les victimes israéliennes et palestiniennes. La mise en œuvre rapide, efficace et sincère des recommandations de la résolution « Protection des civils et respect des obligations juridiques et humanitaires » de l’Assemblée générale extraordinaire des Nations unies du 27 octobre dernier sera un test décisif pour montrer les vraies volontés des principales puissances mondiales de tracer un chemin politique concret pour sauver la vie de dizaines de milliers de civils à Gaza, mais aussi en Cisjordanie et en Israël, pour ouvrir une voie vers la coexistence pacifique demain des deux peuples, israéliens et palestiniens, dans deux États souverains.
Daniel Durand - 30 octobre 2023
Président de l’IDRP (Institut de documentation et de relations internationales)
30 octobre 2023
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